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Gal A. Sangoulé Lamizana, portrait d’un combattant (5)

Publié le vendredi 10 juin 2005 à 08h27min

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La Constitution de la IIIème République limite à trois le nombre de partis politiques "autorisés". Les élections législatives du 30 avril 1978 vont qualifier l’UDV-RDA des frères ennemis, Gérard Kango Ouédraogo et Joseph Ouédraogo, l’UNDD de Hermann Yaméogo et l’ UPV de Joseph Ki-Zerbo.

Dans la foulée va être organisée l’élection présidentielle. C’est, une fois encore, l’occasion pour les Ouédraogo de se déchirer : qui de Gérard ou de Joseph sera candidat ? Le congrès du RDA va choisir... Sangoulé Lamizana. Du même coup, Joseph Ouédraogo va présenter sa candidature au nom d’un Front de refus RDA. Ki-Zerbo est le candidat de l’ UPV tandis que Macaire Ouédraogo (fils du président de l’Assemblée territoriale au temps de l’AOF) chauffe la place de Hermann, trop jeune pour être candidat officiel de l’ UNDD.

La présidentielle a lieu le 14 mai 1978. Il Y a plus d’un million de votants. Lamizana obtient 425.000 voix contre 250.000 pour Macaire Ouédraogo. Lamizana ne l’emportera qu’au deuxième tour, le 28 mai 1978, avec 56,28 % contre 43,72 % pour son adversaire. L’UNDD va contester les résultats ; ce qui permet à "Monsieur Maurice" de prendre langue avec Lamizana pour calmer le jeu. Le premier gouvernement de la IIIème République va comprendre 21 ministres dont 19 civils.

Plus de la moitié d’entre eux (11) sont des RDA. Les autres sont issus des partis politiques qui n’ont pas été "qualifiés" aux législatives. Lamizana voulait un gouvernement d’ouverture ; mais l’ UP V va refuser d’y entrer et formera, avec le Front de refus RDA le Front progressiste voltaïque (FPV). Si le Front de refus RDA a rejoint l’opposition c’est que Gérard Kango Ouédraogo a obtenu (avec seulement 29 voix sur 57 députés) la présidence de l’Assemblée nationale face à Joseph Ouédraogo (28 voix). Le docteur Joseph Issoufou Conombo est nommé Premier ministre ; il avait accepté de ne pas se présenter à la présidentielle.

Le régime est mort-né, résultant de compromis qui conduisent aux compromissions. Les grèves (notamment des enseignants pendant près de deux mois en octobre-novembre 1980) vont le miner alors qu’il est déjà impopulaire et la répression va conduire à sa chute. Le coup d’Etat du 25 novembre 1980 est dirigé par le colonel Saye Zerbo. Il n’était encore que lieutenant quand, le 3 janvier 1966, il avait propulsé le commandant Sangoulé Lamizana à la tête de l’Etat malgré les réticences de ce dernier (cf LDD Spécial Week-End 01 78/Samedi 28-dimanche 29 mai 2005).

Lors de la dédicace de ses mémoires à Paris en 1999

Lamizana aura dirigé la Haute-Volta pendant près de quinze ans. Son bilan sera apprécié de diverses manières. Bongnessan Arsène Yé, une des figures majeures de la "Révolution" du 4 août 1983, dans un fascicule publié en 1986 (avant la "Rectification"), qualifiait son régime de "débonnaire militaro-civil". Ce qui n’est pas une caractérisation relèvant du marxisme auquel le capitaine Y é était alors attaché ; mais qui traduit les contradictions politiques de la gestion de Lamizana.

Ce "débonnaire militaro-civil" vaut mieux que les qualificatifs de "autocratique" pour le régime de Maurice Yaméogo, qui l’avait précédé, et de "fascisant" pour celui de Saye Zerbo qui lui a succédé. Curieusement, le choix des mots de Y é rejoint celui de Jacques Foccart qui, dans ses entretiens avec Philippe Gaillard, évoque "une direction des affaires publiques débonnaire quand il peut, autoritaire quand il pense que c’est nécessaire".

Le fait d’être bien perçu par Foccart n’est pas, nécessairement, un diplôme de bonne conduite pour un chef d’Etat. Reconnaissons cependant qu’il n’a pas tort de souligner que Lamizana "rétablira le multipartisme dans un pays où partis et syndicats ont toujours été agités, et il sera élu au scrutin pluraliste plus de dix ans avant que d’autres acceptent ce risque et que tout le monde parle de démocratisation".

Après Lamizana, la Haute-Volta entre dans une période perturbée. Son "tombeur" Saye Zerbo va rester au pouvoir du 25 novembre 1980 au 7 novembre
1982. Il sera renversé à son tour par un coup d’Etat qui profite à Jean-Baptiste Ouédraogo. Pour peu de temps. Nouveau coup d’Etat le 17 mai 1983, mené par le colonel Yorian Gabriel Somé ; il débouche sur la révolution du 4 août 1983, le Conseil national de la Révolution (CNR) et les Comités de défense de la Révolution (CDR) : des péripéties qui conduisent Lamizana devant un tribunal qui va l’acquitter. "Je n’avais rien à me reprocher, dira-t-il par la suite. On m’a accusé d’avoir utilisé quelque 400 millions de francs CF A en fonds spéciaux sans justification. Ce qui était absurde. Pourquoi demander à un président de justifier l’utilisation de tels fonds ? On ne voit cela nulle part. J’ai toutes les pièces liées à leur utilisation, mais personne ne les verra. Je les détruirai avant de mourir". L’a-t-il fait ?

La suite est connue ; elle appartient à 1 ’histoire contemporaine non plus de la Haute-Volta mais du Burkina Faso : la mort, le 15 octobre 1987, de Thomas Sankara, le "Front populaire", la "Rectification" et le retour à la démocratie (et à la stabilité institutionnelle) dans le cadre de la IVème République (1991).

Le Burkina Faso a cette capacité d’intégrer son histoire ; histoire troublée souvent, tragique parfois (toutes les alternances : 1966, 1980, 1982, 1983 - 17 mai et 4 août - et 1987, résultent d’une action violente !) alors que, trop souvent, les nouveaux régimes tirent un trait définitif sur les anciens.

Le Burkina Faso a une vision linéaire de son histoire. Citez-moi un seul Etat d’Afrique noire francophone qui ait publié, officiellement, un ouvrage retraçant la composition de tous les gouvernements et le CV de tous ceux qui y ont participé depuis 1960. Cela a été fait, en 1990, à Ouagadougou ("Nos gouvernants"). Un travail de Gnotoua Jean-Baptiste Kinane, Conservateur d’Archives, et Kabourou Gnonma ; qui mériterait d’être repris, développé et étendu (les "élites" ne se composant pas que des "gouvernants"). C’est de la mémoire d’un pays et d’un peuple qu’il s’agit.

Des acteurs politiques des années Lamizana sont encore actifs. Joseph Ki-Zerbo, 83 ans, a été de tous les combats politiques (dans l’opposition à tous les régimes voltaïque et burkinabè) et intellectuels. Ayant choisi de s’installer à Dakar sous la Révolution, il est revenu à Ouaga lors de la restauration de la vie démocratique. A son retour, nous avions pu discuter de l’impatience des oppositions à prendre le pouvoir ; c’est, me disait-il, parce les pays africains sont restés trop longtemps sans oppositon. "En matière de démocratie, me précisait Ki-Zerbo, l’opposition est aussi importante que le pouvoir.

Là où il n’y a pas d’opposition crédible, la démocratie elle-même n’est pas crédible. Le pouvoir à tendance à se perpétuer, à élargir son champ d’action. C’est humain. Le problème, c’est d’arriver à mettre en place des garde-fous et à limiter les dégâts". Il me citait alors Montesquieu : "Il faut que le pouvoir arrête le pouvoir" et déplorait que le "créneau des contre-pouvoirs, en Afrique, soit vide,. il y a absence de structures limitatives qui sont, ailleurs, les Eglises, les intellectuels, les opérateurs économiques, les syndicats, les médias, etc.". Gérard Kango Ouédraogo est toujours là lui aussi.

Bientôt 80 ans (son frère ennemi, Joseph Ouédraogo est mort le 5 février 1994). Il a toujours l’éléphant (emblème du RDA) gravé dans le coeur. Discuter avec GKO (j’ai eu cette chance dans les années 1990), le "Duc du Yatenga", c’est ouvrir un livre d’histoire. Il n’oublie pas un événement, ni une date ; mémoire exceptionnelle et fascinante manière de conter l’Afrique d’avant et d’après les indépendances. Son fils, Gilbert Noël Ouédraogo, préside l’ADF-RDA. Le général Tiémoko Marc Garango (la "garangose" !), 78 ans en juillet prochain, s’investit beaucoup dans la promotion du secteur privé burkinabè. Notre dernière rencontre remonte à 1993 lors de la première Conférence annuelle de l’administration publique. Il y avait été un intervenant actif.

Jean-Pierre Béjot
La dépêche Diplomatique

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Vos commentaires

  • Le 10 juin 2005 à 11:21 En réponse à : > Gal A. Sangoulé Lamizana, portrait d’un combattant (5)

    "La Constitution de la mème République limite à trois le nombre de partis politiques "autorisés". Les élections législatives du 30 avril 1978 vont qualifier l’UDV-RDA des frères ennemis, Gérard Kango Ouédraogo et Joseph Ouédraogo, l’UNDD de Hermann Yaméogo et l’ UPV de Joseph Ki-Zerbo."
    Alors là je suis dépassé...l’auteur de cet article est ignorant de l’histoire politique du Faso. Parler de l’UNDD d’Hermann YAMEOGO en 1978 est...une grossière erreur !

    • Le 10 juin 2005 à 11:55, par Lefaso.net En réponse à : > Gal A. Sangoulé Lamizana, portrait d’un combattant (5)

      Mon cher ami,

      C’est toi qui est ignorant.
      l’UNDD actuelle n’est qu’une resurrection du parti que Maurice Yaméogo avait créé à l’époque.
      "Monsieur Maurice" n’avait pas ses droits civiques (après avoir été condamné) et Hermann était trop jeune pour se présenter à la présidentielle. Macaire Ouédraogo a servi de prête-nom.

      Il faut relire toute la série des articles, tu comprendras !

      Bonne lecture !

      • Le 10 juin 2005 à 12:38 En réponse à : > Gal A. Sangoulé Lamizana, portrait d’un combattant (5)

        Alors il faudrait dire l’UNDD de MACAIRE OUEDRAOGO même si c’est un prête nom car à l’époque c’était lui le chef de l’UNDD. Et remettre chaque chose dans son contexte ! car parler de l’UNDD de Hermann YAMEOGO c’est nous parler de l’UNDD de 2005.
        Alors Est ce de l’ignorance ou un manque de clarté dans l’article ?...je vous laisse répondre...

  • Le 10 juin 2005 à 16:38, par Madiba En réponse à : > Gal A. Sangoulé Lamizana, portrait d’un combattant (5)

    Bien, je suis vraiment content de voir que les gens suivent avec intérêt l’histoire politique du Burkina Faso.

    Je salue tous les intervenants quelque soit leur bord politique. Je suis trop jeune pour donner mon avis sur cette discussion. En fait, je n’étais pas encore né.

    Bon week-end

  • Le 11 juin 2005 à 02:24, par Darnace Torou En réponse à : > Gal A. Sangoulé Lamizana, portrait d’un combattant (5)

    Un grand hommage rendu à un grand Homme d’Etat. Beaucoup ignorent que tout militaire q’il fut, il a été mis en ballotage. Nous n’en étions pas aux 99,95% pour être "démocratiquement" élu.

    Paix à son âme

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