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Gal A. Sangoulé Lamizana, portrait d’un combattant (4)

Publié le jeudi 9 juin 2005 à 08h32min

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A la fin de l’année 1972, les mauvaises relations que l’Ivoirien Félix Houphouët-Boigny entretient avec le Voltaïque Sangoulé Lamizana vont peser sur le voyage que Georges Pompidou doit faire en Haute-Volta. Paris craint qu’Abidjan, qui soutient l’opposition au régime de Ouagadougou, ne provoque quelque incident lors du passage du chef de l’Etat français dans la capitale voltaïque.

Jacques Foccart s’y rend une nouvelle fois, le lundi 9 octobre 1972, pour veiller que tout ira bien. Lamizana n’est pas le seul à se préoccuper de l’activisme de "Monsieur Maurice", l’ex-président destitué en 1966. Gérard Kango Ouédraogo, le Premier ministre, patron du RDA (qui a porté Maurice Yaméogo au pouvoir à l’indépendance), craint que le retour de son ex-patron ne mette "fin à son autorité".

Dans la foulée, Foccart se rendra à Abidjan ; Houphouët, écrit-il, "me donne son assurance la plus formelle, sans même que je la lui demande, qu’il a donné pour instruction à Maurice Yaméogo de se tenir tranquille jusqu’au voyage du président Pompidou et même, me dit-il, deux ans après ".

Le séjour de Pompidou à Ouaga se déroule sans incidents les lundi 20 et mardi 21 novembre 1972 ; il en sera "très satisfait en général, et en particulier de l’organisation ". "Il a trouvé Lamizana très bien, précise Foccart, ayant de l’autorité sur ses ministres, qui sont solides. Il a retiré une bonne impression de ce pays ".

Pompidou rentré en France après sa tournée africaine, la Haute-Volta va cesser d’être une préoccupation pour Paris. Bien sûr, le pays bruisse toujours des rumeurs qu’alimentent les partisans de "Monsieur Maurice ". Lamizana ira déjeuner à l’Elysée le lundi 25 juin 1973 après avoir été reçu, à Luzarches, en région parisienne, chez Foccart la veille (le chef de l’Etat voltaïque rentre d’un voyage en Europe centrale et à Rome). Il participera également, le mardi 13 novembre 1973, au premier sommet franco-africain (il y a là, par ailleurs, les présidents Diori, co-président avec Pompidou, Bokassa, Bongo, Houphouët-Boigny, Senghor).

Mais l’international n’est plus la préoccupation de Lamizana ; le Sahel est confronté à une sécheresse qui va devenir historique (et c’est Lamizana qui est le porte-parole des pays de la région sahélienne). Par ailleurs, alors qu’une élection présidentielle est prévue à la fin de l’année 1973, "les militaires ayant manifesté leur désir sincère de rentrer dans les casernes" (Bongnessan Ernest Y é), les frères ennemis du RDA (Gérard Kango Ouédraogo à la primature, président de l’UDV-RDA, et Joseph Ouédraogo à la présidence de l’Assemblée nationale, secrétaire général de l’UDV-RDA) se déchirent une fois de plus.

Joseph a fait voter la défiance mais Gérard refuse de se plier au vote de l’Assemblée nationale ; il fait rejeter le budget. La Haute-Volta renoue avec l’instabilité politique. Du coup, Lamizana reprend langue avec
"Monsieur Maurice" qu’il va recevoir, pendant deux heures, le vendredi 25 janvier 1974, et raccompagner jusqu’au bas de l’escalier, ce qui n’est pas son habitude. Commentaire de Foccart :
"Il est certain que cette marque d’attention signifie quelque chose d’important et des changements assez considérables en Haute-Volta". Il n’a pas tort. Mais le changement n’est pas celui qu’il escomptait. Le bras de fer entre les deux Ouédraogo, Gérard Kango et Joseph, va provoquer une crise politique majeure qui durera 45 jours.

Les institutions démocratiques étant bloquées par" la bataille sans merci" (Joseph Ki-Zerbo) que se livrent les Ouédraogo, Lamizana va décider, le 8 février 1974, de changer la donne. Il revient à un régime militaire stricto sensu ; exit le gouvernement, et l’Assemblée nationale tandis que les activités des partis politiques sont suspendues. Ki-Zerbo, le leader de l’opposition radicale, parle de "coup d’Etat".

Pour Lamizana, il s’agit d’un "coup d’Etat légal" puiqu’il était déjà au pouvoir. Le dimanche 24 mars 1974, Foccart est à Ouagadougou pour y rencontrer le chef de l’Etat et son équipe. "Il [Lamizana] passe presque tout son temps à m’expliquer les raisons pour lesquelles il a été obligé de faire un coup d’Etat [...]. Il m’en parle tant et tant que je me rends bien compte que c’est sa préoccupation, et qu’il veut savoir si nous avons bien compris la situation".

Foccart, lui, paraît ne s’intéresser qu’à la sécheresse qui frappe le Sahel ; il se rend à Gorom-Gorom, Dori et Kongoussi. Il aura bientôt, d’autres préoccupations : le président Pompidou meurt le mardi 2 avril 1974. Deux semaines plus tard, le lundi 15 avril 1974, un coup d’Etat éclate au Niger qui renverse Hamani Diori (dont la femme est tuée pendant l’opération). Paris, où Alain Poher assure l’intérim, laisse faire.

Le Gouvernement de Renouveau national (GNR), au sein duquel Lamizana (promu général de corps d’armée en 1973), toujours président de la République de Haute-Volta, est président du Conseil des ministres et ministre de la Justice, va établir un Conseil consultatif national pour le Renouveau (CCNR), dirigé par un gendarme, le lieutenant-colonel Michel Démé. Le CCNR est, en fait, un démarquage du Comité consultatif de 1966 ; il émet des avis sur les dossiers qui lui sont soumis.

Quant au "Renouveau" (concept qui sera repris par Paul Biya, au Cameroun, après son accession au pouvoir en novembre 1982), il a des relents "d’authenticité", pratique en vogue à Kinshasa puis à Lomé. Il s’agit, selon Lamizana, d’une "réhabilitation de nos valeurs nationales, un goût de l’effort dans l’ordre, la discipline et l’union [...] Le Renouveau, précise-t-il, doit se traduire comme une manière voltaïque d’appréhender les problèmes voltaïques pour leur trouver des solutions voltaïques [...] Nous voulons être nous-mêmes et rester nous-mêmes [ce] qui suppose, dans notre esprit, "que tous les Voltaïques sont en mesure de dépasser leurs ambitions personnelles d’un temps révolu pour se mobiliser en vue de l’oeuvre commune d’édification nationale" (un discours qui aura encore de beaux jours, moins de dix ans plus tard, lors de la "révolution sankariste" ; il y manque juste une vision "lutte des classes" !).

Dix militaires et quatre civils. Le premier gouvernement du "Renouveau" traduit la militarisation du régime qui va lancer un projet de parti unique, Parti-Etat. Il devrait s’appeler le Mouvement national pour le Renouveau (MNR). Sa création sera annoncée par Lamizana le 29 novembre 1975. Ce projet est dénoncé, dès le lendemain 30 novembre 1975, par les leaders syndicalistes rassemblés à la Bourse du Travail. Un bras de fer va être entamé entre le gouvernement et les syndicats qui appellent à la grève générale pour les 17 et 18 décembre 1975.

Ces deux jours-là, le pays va être paralysé. Lamizana va reculer et retirer son projet. L’opposition et les syndicats vont enfoncer le clou ; ils veulent un retour à la Constitution. Un an après le
"coup d’Etat légal", le 9 février 1975, Lamizana forme un nouveau gouvernement ; il comprend, cette fois, dix civils et cinq militaires. Il finira, d’ailleurs, par continuer à détricoter ce qu’il a tricoté.

Le 13 janvier 1977, il forme un "gouvernement d’union nationale" qui vise un retour à une vie constitutionnelle normale, exigence formulée par l’opposition et les syndicats dès le 30 novembre 1975. La Constitution de la IIIème République va être adoptée par référendum le 27 novembre 1977. Les partis, interdits sous le "Renouveau", vont se lancer dans la bataille des législatives du 30 avril 1978. Lutte d’autant plus rude que sur huit partis trois seulement pourront accéder à l’Assemblée nationale.

Une fois encore, l’UDV-RDA va s’affirmer comme le parti majoritaire (44 % des voix). Les deux autres qualifiés sont l’Union nationale pour la défense de la démocratie (UNDD) de Hermann Yaméogo, fils aîné de "Monsieur Maurice" (22 % des voix) et l’Union progressiste voltaïque (UPV) qui résulte de la fusion du MLN de Ki-Zerbo avec le Mouvement autonomiste de l’Ouest (Mao).

Jean-Pierre Béjot
La Dépêche diplomatique

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