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Désaveu de Konaré par Obasanjo : Quelle maladresse !

Publié le mercredi 8 juin 2005 à 07h01min

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La semaine dernière, le président de la Commission de l’Union africaine, le Malien Alpha Omar Konaré, a donné sa position sur la situation au Togo et rendu publique la nomination de l’ancien président Zambien, Kenneth Kaunda, comme médiateur dans la crise postélectorale que traverse ce pays.

Il n’en fallait pas plus pour qu’Olusegun Obasanjo, président du puissant Nigeria et président en exercice de l’Union africaine, qui estime avoir été mis devant le fait accompli, désavoue par voie de presse Alpha Omar Konaré en déclarant nulles et non avenues l’analyse faite par le président de la commission de l’UA et la nomination de K. Kaunda.

A l’analyse, si Alpha Omar Konaré n’a pas, au préalable, informé Olusegun Obasanjo de ce qu’il voulait faire du cas togolais, c’est déplorable quand on sait qu’entre deux sommets des chefs d’Etat, ce sont, en principe, les présidents de la Commission et de l’U.A. qui ont en charge les affaires courantes et qui, solidairement, rendent compte aux différents chefs d’Etat.

Dans cette hypothèse, la colère d’Olusegun Obasanjo peut s’expliquer et se comprendre dans la mesure où l’attitude d’Alpha Omar Konaré peut s’assimiler à un coup au-dessous de la ceinture ou à une façon de faire des enfants dans le dos de quelqu’un avec lequel il doit travailler. C’est un acte regrettable (même si c’est une décision du Conseil de paix et de sécurité) de la part de celui qui a conduit avec brio le retour de la démocratie dans son pays, le Mali.

Pour autant, la réaction d’Olusegun Obasanjo révèle encore une fois les traditionnelles maladresses diplomatiques dont ce pays, qui ne manque pourtant pas de diplomates et d’académiciens internationalistes du droit pour conseiller ses dirigeants, a le secret. Trois exemples au moins nous confortent dans cette position.

D’abord, par rapport à l’élargissement du Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations unies (ONU) à l’Afrique, à l’Amérique latine, à l’Allemagne et au Japon, dont il est question aujourd’hui, les délégations nigérianes aux sièges de l’Union africaine (UA) à Addis Abéba et de l’ONU à New York n’ont pas hésité, dans la défense du dossier, à dire que le Nigeria est le seul vrai pays africain, sous-entendant par là que l’Afrique du Sud, qui est son vis-à-vis dans cette affaire, est un vrai faux pays africain.

La raison ? L’Afrique du Sud compte des Noirs certes, mais aussi des Blancs, dont la puissance politique et (surtout) économique est inversement proportionnelle à leur poids démographique.

Ces délégations, qui ont parlé au nom du Nigeria, ont certainement été instruites par O. Obasanjo, sinon, comme il l’a fait avec A.O. Konaré, il les aurait désavouées. En s’étant comporté ainsi, il a conçu et instruit la propagation de thèses racistes et comme toute thèse raciste, elles ne résistent pas à la rigueur de la raison. En effet, que signifie l’expression "seul vrai pays africain" ?

Les autres sont-ils des produits de contrefaçon ? Inutile de dire au grand frère nigérian qu’en matière de culture d’Etat, de nationalité, le vrai n’est qu’une chimère. S’il existe, c’est certainement la résultante d’éléments si divers et si variés que le produit de nos recherches doit amener à relativiser nos certitudes, à abattre le mur construit avec les préjugés et à déclarer la mort des stéréotypes. Passer outre ces aspects élémentaires du processus de connaissance amène les dirigeants à pratiquer, ironie de l’histoire, une sorte d’apartheid dont leur pays a contribué à combattre le grand frère en Afrique du Sud.

Ensuite, il ressort que dans leurs intentions d’obtenir un siège permanent au Conseil de sécurité, les dirigeants nigérians ne sont pas à leur première bourde. En 1992-1993, le pays d’O. Obasanjo avait déjà abordé le problème de façon cavalière et en franc-tireur en affirmant qu’au regard de la géopolitique de l’époque, il méritait de siéger aux côtés des grands de ce monde. Le souci de cet Etat de près d’un (1) million de km2 comptant (à l’époque) au moins cent (100) millions d’habitants (soit plus que la population totale des quatorze autres pays de l’Afrique de l’Ouest réunis) et possédant une économie à nulle autre pareille, au moins en Afrique de l’Ouest et du Centre, est plus que justifié. Mais faut-il qu’une intention soit seulement pertinente pour se voir, comme magiquement, transformer en réalité ?

Généralement, il est loin le chemin qui va de nos projets à leur concrétisation ; surtout si nous n’avons pas la présence d’esprit d’adopter une procédure qui permette de mobiliser le maximum de ressources en notre faveur. Enfin, quand au début des années 90, la guerre faisait rage au Liberia, le Nigeria a pris unilatéralement (mais au nom des pays membres de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest) la décision d’envoyer des troupes militaires pour imposer la paix dans ce pays.

Ce qui fut fait. Mais après les bouderies de certains Etats, ces forces se sont transformées en casques blancs sous le commandement de l’ECOMOG, constituée dans un premier temps de Nigérians uniquement avant qu’on y inclue des Ghanéens, des Guinéens... Mais toujours sous commandement nigérian.

L’auteur de la deuxième erreur est le plus blâmable

Au regard de ces trois (3) éléments, l’on retient qu’en matière de procédure et de méthode, dans le processus de prises de décision qui concerne l’Afrique de l’Ouest et en général l’Afrique, les dirigeants nigérians, jusque-là, n’ont pas donné le bon exemple. Il est donc curieux qu’Olusegun Obasanjo veuille donner des leçons à Alpha Omar Konaré.

S’il a eu le mérite de quitter le pouvoir après avoir remis le destin de la nation nigériane à El Hadj Shéhu Shagari dans un pays où la forme classique et traditionnelle de prise du pouvoir était jusqu’en l’an 2000 le coup d’Etat, A.O. Konaré lui aussi a eu le mérite d’être très proche de son peuple grâce à l’ONG Djamana et de conquérir le pouvoir, non par un putsch, mais par le biais d’élections jugées transparentes et libres par des observateurs crédibles.

Si O. Obasanjo est un chef d’Etat (dont le pays est une puissance régionale) et que c’est grâce aux chefs d’Etat qu’A.O. Konaré est président de la Commission de l’U.A., cette commission n’est pas là pour avaliser et rien que pour avaliser tout ce que veulent les chefs d’Etat surtout quand on les considère isolément. Dans le cas du Togo, notre sentiment est que, en considérant la manière dont l’élection s’est déroulée la gestion de l’après-élection, qui a vu la répression s’abattre sur les militants de l’opposition et des flots de réfugiés togolais au Bénin et au Ghana, Faure Gnassingbé n’a, à la limite, que la légitimité d’O. Obasanjo.

Soit, le président de la Commission de l’U.A. est si prolixe que parfois sa langue devance sa pensée, que de temps en temps il en fait un peu trop, que sa franchise cadre, dans certaines circonstances, mais avec sa fonction qui exige souvent des circonvolutions diplomatiques. Cela étant, ses propos n’appelaient pas une réponse, en tout cas pas du type de celle du président nigérian. Ce dernier, qui a exercé la fonction de président avant A.O. Konaré et qui serait plus âgé que le patron de l’U.A., aurait dû, conformément aux traditions positives africaines, faire preuve de plus de sagesse.

En n’ayant pas intégré ce paramètre, il commet une erreur pire que celle dont il accuse A.O. Konaré, car le plus blâmable dans cette affaire n’est pas ce dernier, mais le président nigérian lui-même pour n’avoir pas su éviter de répondre à l’erreur du président de la Commission de l’U.A. par une autre erreur. Effectivement avait-il besoin de désavouer de cette façon A.O. Konaré à supposer que ses affirmations soient avérées ?

N’y a-t-il pas dans les textes de l’U.A. des mécanismes pour gérer efficacement ce genre d’incident sans se donner en spectacle de bas de gamme au risque de discréditer l’U.A., de faire de celle-ci un autre syndicat de chefs (comme ce fut le cas de l’Organisation de l’unité africaine) au détriment des peuples et des intérêts du continent ? Le caractère épidermique de la réaction d’O. Obasanjo ne trahit-il pas le fait qu’il ne voulait pas d’A.O. Konaré à la tête de la Commission de l’U.A. et de Kenneth Kaunda comme médiateur (ce qui l’aurait éclipsé) dans la crise togolaise ?

Lui qui considère que l’Afrique de l’Ouest est l’arrière-cour de son pays et ne saurait accepter qu’après "l’intrusion" de Thabo MBeki dans la crise ivoirienne, un autre dirigeant de l’Afrique australe vienne chasser sur ses terres. Par ailleurs, à lui qui aime tant dispenser des leçons aux uns et désavouer les autres, on pourrait demander quel deal il avait voulu conclure avec l’opposition togolaise, représentée par Gilchrist Olympio, au profit de Faure Gnassingbé quand, à la veille de l’élection, il a convoqué le pouvoir et l’opposition à Abuja et, à la limite, intimé celle-ci d’accepter, par avance, les résultats de la consultation électorale à venir et de se tenir prête à entrer au gouvernement. Heureusement que G. Olympio avait à l’époque fait une mise au point à cet effet !

A moins d’être dépourvu de raison, nul ne peut contester le leadership nigérian en Afrique et notamment en Afrique de l’Ouest mais cela ne signifie pas qu’il faut être prêt à tout accepter de ce pays. La justesse d’une position n’est pas forcément liée à la puissance économique de celui qui l’adopte.

Les plus faibles exigent, avec raison, plus de considération de la part des plus forts et c’est de cette considération que peut naître la légitimité des puissants sur la planète. Comme nous l’enseignent nos traditions "n’est-ce pas des ruisseaux que naissent les rivières et n’est-ce pas de ces rivières qu’émanent les grands fleuves ?". Notre grand frère nigérian devrait le méditer.

Zoodnoma Kafando
L’Observateur

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