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CEN-SAD : Les abus de langage de Kadhafi

Publié le lundi 6 juin 2005 à 07h54min

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La 7e session ordinaire de la CEN-SAD (Communauté des Etats sahélo-sahariens) a pris fin par un certain nombre de résolutions à caractère socio-économique. On pourrait citer la création d’une haute autorité de l’agriculture, la lutte contre les invasions acridiennes et la désertification et les interconnexions ferroviaires des différents réseaux nationaux. C’est en substance ce qu’on pourrait retenir des bonnes intentions.

Mais comment traduire dans les faits ces belles résolutions ? La question mérite d’être posée, quand on sait que l’Afrique n’est pas à sa première sortie hyper-médiatisée sur sa volonté de sortir des ornières du sous-développement. On peut retenir l’exemple de ce fameux NEPAD (Nouveau partenariat pour le développement de l’Afrique), pratiquement mort aujourd’hui par la faute de ses géniteurs apparemment lassés avant d’entamer le combat.

Comme le disait un expert habitué de ces grand-messes, si l’enfer est pavé de bonnes intentions, il convient de ne pas oublier l’existence de mauvaises intentions non avouées. Déjà, lors de la cérémonie d’ouverture, le président Amadou Toumani Touré avait déploré le manque de moyens financiers de la CEN-SAD dû à l’incivisme de certains Etats qui ne s’acquittent pas de leurs contributions. Or, payer ses cotisations est le premier et le plus important critère de convergence auquel chaque Etat devrait se plier.

Par ailleurs, pour faire de la CEN-SAD un véritable espace de solidarité, même si cela n’est pas paru dans les résolutions, il a été demandé aux Etats membres producteurs de pétrole, de réserver un traitement de faveur aux pays non-producteurs. Ces derniers ont eu droit, de la part de Kadhafi, à une sorte de marée noire que le grand Guide leur a déversée et qui risque d’asphyxier la démocratie. Il s’est livré ainsi d’abord à une leçon de démocratie en faisant l’apologie du nouveau régime togolais qui serait selon lui, désormais fréquentable, méritant donc sa place dans la cour des grands.

Il a ensuite, par delà Faure Gnassingbé, apporté son soutien aux dictatures qui essaiment le continent et qui misent sur l’éternité de leur pouvoir pour squatter les Constitutions et faire le lit de l’impunité. A peine si Kadhafi n’encourageait pas le retour aux régimes des partis uniques, voire d’exception. Kadhafi s’est, en un mot, autoproclamé pour la circonstance, Guide de tous ses pairs présents qui ont semblé avoir acquiescé religieusement sans broncher, son message qu’il voudrait universel.

Ce comportement de maître devant ses élèves, laisse percevoir le complexe de supériorité d’un Kadhafi qui peut se permettre de distiller n’importe quel langage, et de déterminer la nature de l’ambiance qui a régné lors des travaux à huis clos : un ballet de génuflexions devant celui qui tient les autres par le bout du nez grâce à sa générosité "dollarisée". Tout se passe comme si l’Afrique du XXIe siècle pouvait encore s’accommoder des "pères" de la Nation et autres "guides éclairés" qui ont fait sombrer le continent dans le chaos dont il se relève difficilement.

Que Kadhafi sacralise et béatifie son régime est déjà déplorable. Vouloir l’exporter vers tout le reste du continent et le ramener à cette invite à manger et à se taire serait préjudiciable à l’enracinement de la démocratie. En Afrique, Kadhafi peut se flatter d’avoir permis aux Libyens de jouir des fruits de la démocratie alimentaire et sociale.

Encore qu’il n’a jamais demandé à ses concitoyens leur avis sur sa manière de les gérer. Ailleurs, beaucoup de citoyens n’ont ni la démocratie économique ni la démocratie politique. En réalité, à y regarder de près, l’attitude de Kadhafi n’a rien de surprenant, quand on connaît la nature des rapports qu’il entretient avec certains de ses pairs africains. Se sentant redevables de l’homme fort de Libye, ces derniers ne peuvent que se comporter en obligés de Kadhafi.

En fait, la sortie de Kadhafi a eu tout de même l’avantage et le mérite de faire tomber le masque à certains dirigeants qui se sentent confortés en l’écoutant demander le requiem des Constitutions et la non-limitation des mandats présidentiels. En somme, pour Kadhafi, peu importent les intérêts des populations et peu importe que l’Afrique troque la tyrannie de l’Occident contre celle de la Libye. Dans son réquisitoire contre la démocratie, Kadhafi accuse celle-ci d’être responsable des maux de l’Afrique.

C’est aller trop loin, car, si jusqu’à présent cette démocratie est balbutiante, c’est la faute des dirigeants dont la plupart n’ont rien de démocrates dans la tête. On aurait compris Kadhafi s’il avait dénoncé la manière dont la démocratie est actuellement appliquée en Afrique. Dans le même ordre d’idées, il aurait pu également souhaiter de la part de ses collègues, un partage équitable des richesses nationales de chaque pays, plutôt que d’inciter ces derniers à refuser l’alternance et à se comporter en tyrans.

Bien sûr, pour un homme qui est au pouvoir depuis 1969, la notion d’alternance n’a peut-être pas la même importance, en termes de respect des règles élémentaires de la démocratie. Encore faudrait-il que Kadhafi interroge, à travers des élections libres et transparentes, ses concitoyens, seuls arbitres de leur avenir.

Même s’il est vrai qu’aucune aide n’est désintéressée, il faut reconnaître tout de même que la Libye s’est remarquablement investie financièrement, qu’il s’agisse de l’Union africaine ou de la CEN-SAD. Mais de là à exiger en retour le renoncement à certaines valeurs universelles comme la démocratie, il y a un grand pas à ne pas franchir, même sous la houlette d’un guide, fût-il éclairé comme Kadhafi.

Le Pays

P.-S.

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