LeFaso.net, l'actualité Burkinabé sur le net
Proverbe du Jour : “Nous sommes lents à croire ce qui fait mаl à сrοirе. ” Ovide

Constitution burkinabè : Regards sur 14 ans d’existence

Publié le lundi 6 juin 2005 à 08h11min

PARTAGER :                          

Le 2 juin 1991, les Burkinabè ont majoritairement voté "oui" à la Constitution, qui a été effectivement promulguée le 11 juin de la même année. Au bout de quatorze ans, que retenir de cette constitution qui a fait l’objet d’un certain nombre de modifications ?

Quelle lecture peut-on faire des quatorze ans de vie constitutionnelle au Burkina en terme d’impact sur la démocratie et les droits de l’homme ? Nous avons posé ces questions à quelques hommes de droit et hommes politiques burkinabè. Les avis sont divergents.

Paul Kiemdé- Enseignant de droit public

Je me rappelle encore que la plupart des partis avaient appelé à voter "Oui" au référendum constitutionnel du 2 juin qui a consacré l’adoption de la Constitution burkinabè. Mais certains l’ont fait avec des réserves essentiellement dues aux termes à connotation révolutionnaire qui étaient contenus dans le texte.

Ils avaient pensé que la Constitution allait ouvrir les portes à un gouvernement du même type que ce qu’ils ont connu sous la révolution. Mais tous ces termes ont été par la suite expurgés. La Constitution telle que nous l’avons aujourd’hui a fait l’objet de beaucoup de modifications qui l’ont améliorée. Mais il faut noter qu’il y a eu des révisions controversées, notamment en ce qui concerne la limitation du mandat du chef de l’Etat.
La vie constitutionnelle n’est pas forcément le reflet de la Constitution en tant que texte. Au Burkina, la vie constitutionnelle a connu des hauts et des bas.

Mais comme on le dit, la démocratie se construit sur la base des difficultés qu’elle a eu à surmonter. Les quatorze ans de vie constitutionnelle au Burkina ont été marqués par un certain nombre de difficultés notamment en 1998 et en 1999, mais on a réussi à les surmonter tout en restant dans les principes de la démocratie. En somme, la vie constitutionnelle au Burkina a connu beaucoup d’amélioration même si cela ne s’est pas fait de façon continue.

Véronique Kando- Député CDP

En tant que Burkinabè, je crois qu’on doit être fier du travail qui a été abattu depuis l’adoption de la Constitution. Nous venons de loin, les régimes d’exception se sont succédé et c’était très important pour nous de renouer avec la démocratie. Je crois que le premier acte qui nous a mis sur les voix de la démocratie, c’est la Constitution du 2 juin. Après quatorze ans, nous pouvons dire que notre démocratie s’est renforcée et cela est à mettre à l’actif de cette constitution sur la base de laquelle nous travaillons.

L’évolution nous amène à toucher à certains aspects de cette constitution, mais je crois que tout cela s’est passé dans le sens du renforcement de la démocratie. La Constitution burkinabè est, à mon avis un beau texte qui s’est amélioré à travers les différents amendements qu’il a connu. C’est justement cela qui me permet de dire que notre démocratie va en se renforçant.

Je crois aussi que notre Constitution nous permet d’avoir beaucoup d’espoir pour notre avenir. Nous devons aujourd’hui saluer le travail de ceux qui ont conçu cette constitution. Nous devons aussi reconnaître et saluer le courage de toute la classe politique qui, sur la base de cette Constitution, permet à notre pays d’évoluer toujours dans la stabilité et dans la paix.

Filiga Michel Sawadogo- membre du Conseil constitutionnel

Du côté positif les 14 ans de vie constitutionnelle ont permis au Burkina de rompre avec les situations d’Etat d’exception. Les différents amendements qui sont intervenus après 1991 sont plus ou moins allés dans le sens de la consolidation de l’option démocratique, même si par rapport aux mandats on a déjà dépassé les autres régimes.

Mais d’un autre côté le problème qui se pose aujourd’hui c’est que les populations semblent ne plus accorder du crédit au système démocratique. Elles se plaignent de la justice. Il faut donc que la justice travaille à restaurer la confiance chez les citoyens. En outre, la démocratie exige aussi que l’on améliore les conditions de vie des populations. Cela relève d’abord des pouvoirs publics qui disposent d’un certain nombre de moyens.

Mais pour que cela devienne effectif, l’implication de chaque citoyen et indispensable. Tout le monde y a un rôle à jouer. Dans cette optique, l’on doit oeuvrer à l’avènement d’une "démocratie gouvernante" qui associe davantage les citoyens. Pour y arriver il faut donc abandonner la "démocratie gouvernée" qui implique moins les populations.

Halidou Ouédraogo- MBDHP-UIDH

La première observation que je dois faire, c’est que c’est une bonne chose pour notre pays que d’avoir adopté la
Constitution. L’élaboration du texte qui a été voté le 2 juin 1991 et promulgué le 11 juin a nécessité la consultation préalable de toutes les couches sociales du Burkina Faso. Je dois rappeler que presque toutes les forces sociales avaient , à l’époque , appelé à voter "oui" au référendum du 2 juin. Nous avions trouvé que la Constitution avait bon contenu parce qu’elle nous relie avec l’Etat de droit et crée une rupture avec l’Etat d’exception.

Mais cette constitution a fait l’objet de plusieurs corrections et notre erreur a été d’avoir confié ce travail au ministère de l’Administration territoriale ; il n’est pas habilité à le faire. Tout amendement de la Constitution doit être discuté par l’ensemble de la population. C’est ainsi que l’Administration territoriale a souvent proposé des dispositions comme celles concernant le code électoral, la CENI, le mode des scrutins, les modifications de tel ou tel article. C’est le cas de l’article 37 qui, aujourd’hui est sans issue.

Je remarque aussi que la Constitution burkinabè ressemble beaucoup à celle des pays de la sous-région, notamment du Bénin et du Mali. Je déplore aussi qu’au niveau des élections locales et législatives, il n’y ait pas une possibilité de candidature indépendante.

L’Assemblée nationale fait aujourd’hui un bon travail, mais elle pourrait mieux faire en s’impliquant dans le contrôle de l’action gouvernementale, en initiant par exemple des enquêtes sur les points névralgiques de notre vie en société telle que la corruption. De mon point de vue, il faut être très vigilant et ne pas laisser la Constitution entre les mains d’un groupe. Il faut peut-être saisir une opportunité pour réviser la Constitution et faire de sorte qu’elle puisse répondre à nos attentes en terme de démocratie.

Maître Hermann Yaméogo - président de l’UNDD

Ma première observation, c’est que dans notre processus constitutionnel, c’est la première fois que nous avons une Constitution qui dure aussi longtemps. Mais pendant toutes ces années, la Constitution n’a pas été respectée. Elle a été vidée de son contenu, à plusieurs reprises violée. La disposition la plus connue, c’est celle concernant la limitation du mandat présidentiel.

Jamais article n’ a été autant charcuté. Par ailleurs, lorsqu’on met en perspectives les ingérences du Burkina Faso à l’extérieur, on se rend compte qu’elles se sont plusieurs fois faites sans habilitation parlementaire ni soutien populaire. On peut égrener des exemples comme ça à la chaîne , de violation de la constitution.

Et cela se fait contrairement aux prescriptions du serment présidentiel qui font du président le gardien de la Constitution, celui qui doit veiller à sa bonne application. Aujourd’hui on a le sentiment qu’à côté de cette stabilité apparente, existe une Constitution qui ressemble à un chiffon de papier. La question se pose aujourd’hui de savoir ce qu’il faut faire pour remédier à cette situation qui concourt justement à déliter la démocratie.

Quand on observe par ailleurs la façon avec laquelle le pouvoir revient sur les acquis démocratiques, les lois consensuelles ; déstabilise des partis politiques, et hésite que l’on donne le temps et les moyens aux partis politiques de s’institutionnaliser, on se convainc que la Constitution burkinabè ne répond pas à son objectif de garant de l’ordre politique et démocratique dans le pays.

De deux choses l’une : soit il faut arranger ce qui ne va pas, ou alors il faut quitter la IVe république pour aller vers la Ve république. Ça c’est mon sentiment personnel, le sentiment d’un praticien de la politique qui a vu passer les trois premières républiques et qui vit la quatrième.

Luc Marius Ibriga- Maître assistant en Droit

Je crois que la Constitution burkinabè est d’une grande longévité. L’histoire constitutionnelle du Burkina a été essaimée de constitutions qui ont toujours été interrompues, soit pas des soulèvements populaires, soit pas des coups d’Etat. La Constitution promulguée le 11 juin 1991 a passé le cap de 10 ans, ce qui nous permet d’apprécier ses forces et ses faiblesses.

La Constitution burkinabè s’inscrit dans ce que l’on appelle le néoconstitutionnalisme africain. Elle consacre non seulement la limitation du pouvoir, mais aussi la garantie des droits et des libertés du citoyen. La Constitution du Burkina contient une certaine prise en compte du système français, mais elle manque de ressort pour le fonctionnement d’une cohabitation entre la majorité présidentielle et la majorité parlementaire.

Notre Constitution accorde des prérogatives très importantes au chef de l’Etat qui, de surcroît se retrouve politiquement irresponsable puisque quelque soit sa politique, il ne peut pas en payer les frais. C’est le premier ministre qui va toujours jouer le rôle de fusible. C’est ce qui est arrivé récemment en France, puisque la déculottée incombe à Chirac, mais c’est Raffarin qui en a fait les frais.

Autre remarque que je peux faire sur la Constitution burkinabè est qu’elle se prête très facilement à la révision. La majorité requise pour réviser la Constitution est moins forte au Burkina Faso qu’au Bénin ou au Mali par exemple. Nous devons davantage mettre notre Constitution à l’abri des manipulations politiciennes afin que cette stabilité constitutionnelle que nous avons connue perdure.

Je crois aussi que ce fut une erreur dans notre Constitution que d’avoir supprimé la deuxième chambre. Le Conseil économique et social ne joue pas le rôle que jouait la deuxième chambre. On aurait pu améliorer la deuxième chambre aux fins d’en faire un lieu de réflexion pour enrichir l’examen de la loi.

Par ailleurs, je crois que notre constitutionnalisme devrait prendre en compte les réalités de notre société. Sinon nous courons le risque de voir une bonne partie des Burkinabè complètement déconnectés de la constitution démocratique. Au Burkina, le pluralisme juridique a été théoriquement supprimé, mais en réalité, peu de Burkinabè fonctionnent sur la base du droit moderne ; beaucoup fonctionnent sur la base du droit coutumier !

Alors quels efforts faisons-nous pour intégrer les coutumes les plus favorables dans notre ordonnancement juridique ? En définitive, je crois qu’après quatorze ans, nous devons marquer une pause-réflexion sur notre Constitution et faire en sorte qu’elle puisse permettre à tout Burkinabè de participer à la vie de la nation en tant que citoyen éclairé.

Propos recueillis par Paul-Miki ROAMBA et Grégoire Bazié
Siwaya

PARTAGER :                              
 LeFaso TV
 Articles de la même rubrique