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Moussa Michel Tapsoba, président de la CENI : "Nous allons distribuer les cartes d’électeurs courant octobre"

Publié le lundi 6 juin 2005 à 07h46min

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La révision exceptionnelle des listes électorale a pris fin le 24 mai dernier. Nous avons approché le premier responsable de l’opération pour avoir un premier bilan de cette révision et des préparatifs des prochains scrutins. Dans l’interview que le président de la CENI nous a accordé, il dresse un bilan provisoire de la révision exceptionnelle, parle des différentes étapes qui restent avant le scrutin.

Il revient également sur l’élection présidentielle du Togo, donne son avis sur celle de la Côte d’Ivoire qui aura lieu le 30 octobre prochain et se prononce sur le référendum du 29 mai dernier qui a vu le plébiscite du Non au traité constitutionnel européen.

L’Hebdomadaire du Burkina (H.B) : Monsieur le président, du 25 avril au 24 mai 2005, votre institution a procédé à une révision exceptionnelle des listes électorales pour les prochaines élections. Quel bilan pouvez-vous dresser quelques jours après la fin de l’opération ?

Moussa Michel Tapsoba (MMT) : Nous sommes heureux de constater que vous suivez tout ce que nous entreprenons, cela pour satisfaire bien sûr les besoins d’information de vos lecteurs.

Nous avons effectivement effectué la révision exceptionnelle des listes électorales, une opération décidée par le gouvernement qui s’est étalée du 25 avril au 24 mai 2005.

A ce jour, tous les commissaires sont à l’intérieur du territoire pour ramener les éléments sur cette révision exceptionnelle. Donc, du point de vue du bilan, il est encore difficile de donner des chiffres et nous attendons que d’ici deux jours les commissaires rentrent pour que nous puissions faire les compilations. Ce que nous pouvons déjà dire par rapport à cette opération, c’est plutôt l’environnement dans lequel elle s’est déroulée. Nos démembrements qui avaient la charge de conduire cette opération sous notre supervision ont effectivement accompli leur travail. Ils s’étaient adjoints de personnes ressources que nous avons appelées des agents recenseurs. Nous avons, au cours de la supervision, constaté que nos démembrements avaient pris conscience de l’importance de cette opération.

Nous avions au départ des appréhensions parce que les agents recenseurs qui ne sont pas de nos démembrements, n’ont pas prêté serment, donc nous avions très peu de moyens de coercitions sur eux. Mais dans l’ensemble, tout le monde s’est bien comporté, nous avons dressé des critères qui ont été respectés dans leur recrutement et nous avons constaté dans leur travail qu’ils étaient conscients d’être associés à une opération d’importance dans le processus électoral. Nous avons constaté également que les partis politiques que nous avons conviés à s’intéresser, à s’impliquer dans la mobilisation ne se sont pas véritablement impliqués.

Nous avons cherché à comprendre et ce qui revient le plus souvent c’est le manque de moyens. En tout cas, en ce qui concerne la CENI, nous avons essayé autant que nous pouvons d’utiliser l’ensemble des médias pour la mobilisation et des messages sont passés à la télévision, dans les radios et notamment les radios FM sur toute l’étendue du territoire.

Voilà ce que je peux dire comme premier bilan de cette opération.

Pendant 30 jours de révision et malgré justement vos messages de sensibilisation, on n’a pas senti un engouement de la part des Burkinabè pour cette opération. Comment expliquez-vous cela ?

C’est vrai que plusieurs fois nous avons été interpellés par beaucoup de gens qui disent que, on n’a pas vu de l’affluence dans les centres de recensement. Ce qu’il faut d’abord comprendre, c’est qu’il ne s’agissait pas d’un recensement électoral. C’est une révision exceptionnelle des listes et pour une fois dans notre pays, on ne recommence pas à zéro l’inscription des électeurs sur les listes électorales. Nous sommes parti avec comme acquis les listes établies en 2002 pour les législatives et il s’agissait maintenant d’inviter les personnes qui n’avaient pas atteint l’âge de voter en 2002 à s’inscrire. En plus de ces personnes-là, il y a celles qui n’étaient pas soit au Burkina Faso soit qui n’étaient pas intéressées à se faire inscrire sur les listes électorales. Donc on ne peut pas avoir la même affluence qu’en 2002 parce qu’il s’agit ici d’informations complémentaires qu’il fallait recueillir.

Après cette opération de révision, quand est-ce que le fichier électoral sera prêt ?

Dans notre chronogramme, le fichier sera prêt au mois de septembre avant que nous ne puissions commencer à éditer les cartes d’électeur. Pour le moment, il n’y a pas de difficultés particulières lorsque nous allons rentrer les informations, en fonction de leur volume, le délai peut être plus où moins long. Mais au plus tard au mois de septembre, le fichier sera prêt.

Quel sera alors la prochaine étape dans le processus électoral ? Pour être plus précis, quand est-ce que les électeurs pourront disposer de leurs cartes d’électeur et comment cela va se faire ?

Nous avons fixé comme dernier délai pour que les cartes soient entièrement éditées au 30 septembre et nous avons prévu de consacrer tous le mois d’octobre à la distribution des cartes d’électeur et nous serons entièrement prêts pour le 13 novembre.

Votre institution parle aujourd’hui justement d’une nouvelle carte d’électeur, pouvez-vous nous en dire plus sur cette carte et ce qui a motivé le changement et son choix ?

Aujourd’hui les listes sont informatisées, donc il convient que les cartes soient gérées à partir des listes informatisées. C’est une première raison pour que nous puissions choisir des cartes qui ne seront plus des cartes manuelles mais des cartes éditées automatiquement à partir du fichier électoral informatisé. Du point de vue du contenu, il n’y a pas de changement parce que les informations contenues dans une carte électorale sont édictées dans le code électoral. Le contenu ne change pas, mais la qualité du papier change car dans la mesure où nous avons investi beaucoup pour informatiser les listes électorales, il convient d’avoir des cartes non seulement qui sont de bonne qualité, mais qui ne pourront pas être falsifiées. Quand vous aurez votre carte d’électeur, vous pourrez faire l’essai vous ne pourrez pas la photocopier et les cartes sont éditées par série donc aucune carte ne peut porter le même numéro que l’autre.

Si bien que la nouvelle carte nous donne plus de sécurité que l’ancienne. Elle est plus solide du point de vue texture parce que l’ancienne carte ne résiste pas au temps.

Y a-t-il des difficultés qui restent à aplanir avant le scrutin ? Si oui, lesquelles et comment comptez-vous les juguler ?

Les difficultés ne sont pas connues à l’avance et elles sont connues dans l’action. Nous pensions que nous allions avoir des difficultés dans la révision exceptionnelle des listes électorales parce que nous ne maîtrisons pas la qualité des agents recenseurs, nous avons été heureusement surpris de voir qu’il y avait des agents recenseurs de bon niveau et surtout très consciencieux. Donc il est difficile de savoir à l’avance quelles sont les difficultés que l’on peut avoir. Mais ce qui reste comme travail à faire avant le premier scrutin, comme je le dis, c’est l’informatisation des listes que nous venons de recueillir sur le terrain et il y a l’édition des cartes. Du point de vue financier nous n’avons pas de problème, mais du point de vue technique un problème peut toujours survenir et le temps étant très court nous allons devoir utiliser les 24 heures de la journée pour travailler.

Qui parle d’élection en Afrique parle d’observateur. Est-ce que vous avez déjà sollicité dans ce sens et comment peut-on participer à l’observation des élections de novembre et de février prochains ?

C’est vrai, nous sommes déjà sollicités par des observateurs, nous avons l’Observatoire national indépendant des élections, qui est une organisation nationale qui nous a déjà fait la requête. Nous avons demandé simplement la liste des observateurs et par localité pour que nous puissions donner les accréditations. Nous-mêmes nous avons fait une démarche auprès du ministère des Affaires étrangères pour lui demander d’inviter des organisations internationales qui le souhaiteraient à venir observer les scrutins prochains dans notre pays. Nous avons aussi reçu des requêtes d’ONG internationales à qui nous avons répondu positivement. Nous pensons que nous aurons beaucoup d’observateurs dans ces scrutins.

Des voix s’élèvent de plus en plus pour dire que l’Afrique n’a plus besoin de l’expertise de l’Occident en matière d’observation des élections et qu’il existe des compétences sur le continent. Etes-vous de cet avis ?

En fait, il faut savoir qui est observateur. Les observateurs viennent d’ONG nationales ou internationales.

Et qui dit international suppose qu’il y a des gens en Occident et au Sud aussi qui font partie de ces ONG. Il est difficile de dire dans une ONG, comme vous êtes du Nord vous ne pouvez pas venir. Je crois qu’il ne faut pas poser les problèmes de cette manière et surtout il ne faut pas croire que nous sommes mûres démocratiquement au point de ne pas avoir besoin de l’expérience des autres. Pour ce qui concerne notre pays il y a quinze ans que nous avons renoué avec la démocratie. Quinze ans, c’est très peu. Parce que la démocratie ce n’est pas de la théorie.

En quinze ans d’étude, on peut avoir un bon diplôme, mais la démocratie n’est pas de la théorie, c’est un mode de vie quotidien de chaque citoyen. Il s’agit pour chacun des Burkinabè de changer sa façon de voir les choses et les changements de mentalités sont très lents. Il y a aussi de l’expertise en matière électorale, ça ne s’acquiert pas à l’université, il faut l’avoir vécue, il faut l’avoir vu faire, et nous n’avons que quinze ans d’expérience ; en la matière ce n’est pas beaucoup. Si bien que je pense que le fait que des yeux extérieurs à l’Afrique viennent voir ce que nous faisons et donner des avis, ça peut nous aider à mieux faire dans le futur. Nous sommes Africains et nous sommes fiers de l’être et nous avons besoin justement que quelqu’un qui n’est pas Africain, qui pense que l’Afrique est tellement arriérée qu’on ne peut pas faire grand chose vienne voir que nous faisons également des exploits. Donc, c’est important pour nous qu’on continue d’avoir des observateurs qui viennent de l’Occident.

Vous avez dit lors d’une interview que l’élection présidentielle est la plus facile de tous les scrutins à organiser. Est-ce le cas pour celle de novembre 2005 vu qu’il y aura probablement une dizaine de candidature à gérer ?

Oui, j’ai dit effectivement que l’élection présidentielle est la plus facile à organiser. D’abord parce que nous avons une seule circonscription électorale, c’est la circonscription nationale donc déjà nous avons un seul bulletin sur toute l’étendue du territoire, ce qui est facile à faire. Dix candidatures ce n’est pas beaucoup parce que vous vous rappelez de ce qu’était le bulletin de vote au moment des législatives 2002 pour une région comme celle du Centre ou nous avions 24 partis politiques qui figuraient sur les bulletins ? Alors si nous n’avons que 10 candidats sur le bulletin de la présidentielle je crois que ce n’est pas beaucoup, c’est une opération qui n’est pas difficile. Mais ce qui est encore plus facile pour nous c’est que les dix candidatures, cette fois-ci ce n’est pas nous qui validons les candidatures, il y a quand même 10 candidatures à traiter, c’est différent de 24 listes parce que, une liste c’est déjà beaucoup de gens. Alors si vous avez 24 listes multiplier par le nombre de candidats par liste, c’est autant de candidatures à examiner, c’est pour cela que j’ai dit que l’élection présidentielle est la plus facile à organiser.

Un commentaire sur l’élection présidentielle togolaise surtout que vous y avez effectué une mission exploratoire quelques jours avant le scrutin ?

Il faut dire que j’ai eu la chance de pouvoir avec deux autres experts, faire une évaluation de l’état des préparatifs du scrutin du 24 avril au Togo. J’ai pu encore repartir au moment du scrutin pour voir comment justement les choses allaient se passer. Je dois dire que les gens ne sont pas toujours justes avec les pays africains. Le Togo se trouve dans une situation dans laquelle nous nous trouvions, il y a 15 ans. Il ne faut pas oublier cela et surtout, le Togo n’était pas une démocratie, c’est vrai, il y avait des institutions, il y avait l’architecture juridique mais comme je l’ai dit plus haut, la démocratie n’est pas une théorie, ce n’est pas des textes, c’est la pratique au quotidien et il y a des indicateurs qui montrent qu’il y a une démocratie dans notre pays. Au Togo, malheureusement la plupart de ces indicateurs n’existent pas en réalité. Si vous vous rappelez, dans notre pays, dans les années 90 nous étions dans la même turbulence que le Togo aujourd’hui.

Vols d’urnes, casses d’urnes, boycott des élections par les candidats et les partis politiques ..., le Togo est dans cette situation et il convient d’en tenir compte. Il faut ajouter que le Togo devait organiser les élections dans une situation particulière. La Constitution indique qu’après la disparition du chef de l’Etat, il y a deux mois seulement pour organiser les élections. D’ailleurs j’avais exprimé un point de vue dans un quotidien de la place où je disais qu’il était matériellement impossible d’organiser des élections libres et transparentes en deux mois en Afrique, cela est difficile. En Occident, cela est faisable, une telle disposition de la loi est donc facilement applicable là-bas. Mais chez nous il faut à chaque élection tout un processus pour aboutir à des élections transparentes et deux mois sont très insuffisants. De ce fait, les Togolais avaient ce problème de devoir organiser des élections en deux mois et naturellement ce n’était donc pas facile. On a fait une révision exceptionnelle en une semaine, on n’a pas laissé le temps légal qu’il fallait pour que les populations puissent contester la révision exceptionnelle des listes.

C’est donc tout le processus préparatif qui était escamoté si bien que le résultat auquel on est arrivé n’est pas surprenant ; voilà ce que je pouvais dire de la situation du Togo.

En octobre prochain, la Côte d’Ivoire aura un scrutin présidentiel. Aujourd’hui le président Gbagbo parle de confier l’établissement des listes électorales à l’Institut national de la statistique et de la démographie ivoirien. En tant que président de la CENI, quelle est votre lecture de cette décision ?

Le code électoral de chaque pays a des dispositions qui désignent celui qui s’occupe des élections. Je n’ai pas lu le code électoral de la Côte d’Ivoire mais je ne suis pas sûr que ce soit l’INSD ivoirien qui soit chargé de faire la liste électorale. Ça sera difficile pour un institut de la statistique qui généralement fait le recensement général de la population ou des recensements administratifs d’établir des listes électorales.

A mon avis ça sera difficile. Du reste, il n’y a plus beaucoup de temps d’ici le mois d’octobre, on ne voit pas concrètement comment on pourrait identifier les Ivoiriens en âge de voter et les recenser et surtout si l’on veut avoir des listes informatisées ; matériellement je ne crois pas que cela est possible. Mais malheureusement la Côte d’Ivoire se trouve dans une situation où le président de la république peut prendre toutes les décisions aujourd’hui.

Dans la mesure où il est fait application de l’article 48 de la constitution qui donne tous les pouvoirs au président de la république, nous sommes dans une situation d’exception en réalité si bien que, il peut prendre toutes les mesures. Mais je ne suis pas sûr que d’ici le mois d’octobre, on puisse faire une révision qui est en fait un recensement électoral et établir des cartes d’électeurs surtout si l’on veut que le fichier soit informatisé.

Un commentaire sur le référendum du 29 mai en France où le Non au traité constitutionnel européen l’a remporté ?

Je crois que tout le monde s’attendait à cela, le Non était au-devant dans les sondages depuis un certain temps. Donc l’on s’attendait à la victoire du Non. Quoiqu’on dise, c’est un référendum sur l’Europe, mais les éléments nationaux ont prévalu. Je crois qu’il y a un ras-le-bol de la population face à une certaine classe politique en France et les gens ont besoin non seulement de changement mais ils ont surtout peur du libéralisme à outrance. Nous allons souvent en Europe, nous constatons qu’à la vérité les populations souffrent plus qu’avant. Si je prends le cas de la France, les articles qui coûtaient un certain prix en FF ces prix ont véritablement renchéri. Donc les populations ont des problèmes et ils pensent que c’est l’Europe et l’euro qui créent ces problèmes. Le Non est une réaction face aux conditions de vie difficiles que les gens vivent au niveau national. Je ne sais pas s’il fallait passer par le référendum pour adopter ce traité si le traité était vraiment nécessaire.

Pensez-vous que la CENI, votre institution jouit de la confiance des électeurs et surtout des partis politiques ?

Au départ, je dois dire que je comprenais parfaitement que les partis politiques aient une certaine méfiance vis-à-vis de la CENI. C’est vrai que les partis politiques ont souhaité une structure indépendante pour organiser les élections. Mais ceux qui se sont retrouvés au-devant de la CENI sont des illustres inconnus (nous les membres) et qu’il n’y a pas de raisons que les partis politiques nous fassent confiance a priori. Ce n’est que notre pratique qui peut restaurer la confiance. Nous avons organisé les élections législatives de 2002 et de l’avis général les choses se sont bien passées. A partir de ce moment, nous pensons pouvoir avoir maintenant la confiance des partis politiques.

Mais la confiance n’est pas une chose acquise pour toujours. Elle doit être entretenue si bien que tous nos actes doivent toujours tendre à la recherche de la crédibilité, de l’objectivité, de l’impartialité qui nous permettent d’avoir toujours la confiance des partis politiques. Des erreurs peuvent être commises, mais elles doivent être commises de bonne foi. On ne doit pas nous soupçonner d’avoir un parti pris dans une décision qui lèse tel ou tel parti tel ou tel groupe de partis.

Interview réalisée par Jules Robert ILBOUDO
L’Hebdo

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