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France/référendum : La fracture sociale

Publié le mardi 31 mai 2005 à 07h30min

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Le "non" des Français au projet de Constitution européenne (54,87 % de voix contre) consacre définitivement la fracture entre les classes dirigeantes du pays et le peuple.

Une situation qui s’explique par une raison fondamentale : l’avènement de la mondialisation et l’incapacité des élites françaises en particulier et européennes en général d’y faire face.

Si le non des Français est d’abord la défaite personnelle du président Jacques Chirac qui a appelé avec insistance ses compatriotes à voter "oui", cette défaite est aussi imputable à l’ensemble de la classe politique française, opposants comme sympathisants de la Constitution européenne. Les communistes, farouches partisans du "non", ne diront pas le contraire, eux qui ont été marginalisés ces dix dernières années au point de ne peser que 3 % au cours de la dernière présidentielle.

Jean-Marie Le Pen, qui a retrouvé une seconde jeunesse, devra garder à l’esprit que même si le "national-populisme" gagne du terrain en France et en Europe, (nous y reviendrons) cela n’a pas empêché ses compatriotes de se liguer contre lui en votant contre lui en avril 2002, et massivement pour Chirac, lors du deuxième tour de la présidentielle, lequel Chirac se trouve donc désavoué trois années plus tard.

Quant à Laurent Fabius, il ne convainc personne dans son rôle de "porte-voix" du "non", lui qui a soutenu le projet européen à l’ombre de François Mitterrand et qui s’en démarque aujourd’hui pour des raisons crypto-personnelles, au prétexte qu’il est "trop libéral". En fait, le vote massif et franc des Français contre la constitution européenne traduit une rupture entre la France d’en-bas et celle d’en-haut, la dernière n’arrivant plus à répondre aux interrogations fondamentales de la première, pour cause de mondialisation "mal digérée".

En 1995, lorsque Jacques Chirac arrivait au pouvoir, la mondialisation était en train de prendre définitivement son envol. Cela veut dire que la menace soviétique n’existe plus et que conséquemment, les Etats-Unis n’ont plus d’intérêt à soutenir à bout de bras "la vieille Europe" (à l’exception des "cousins" britanniques) qui devient une concurrente. A ce niveau, un rappel historique permet de dire que si l’Europe a atteint un tel niveau de croissance et de prospérité, elle le doit en grande partie à l’Amérique qui l’a aidée à se relever après la seconde Guerre mondiale. Avec le plan Marshall, ce sont des milliards de dollars qui ont été injectés en Europe, permettant notamment à la France de bâtir son modèle social avec l’Etat dans le rôle de "vache à lait".

La philanthropie américaine s’expliquait par des raisons économiques (l’american way of life était exporté en Europe) mais surtout politiques, le bloc soviétique devant être circonscrit à l’Europe de l’Est.

Concomitamment on permettait aux Français et autres Allemands d’exporter leurs produits à peu de frais aux USA et dans leur "empire colonial" pour les premiers, ce qui permettait à la "machine" de tourner.

La victoire de Bush

Avec la fin de la glaciation communiste, la donne changeait et il n’était plus question de partager le "gâteau mondial". C’était désormais "le chacun pour soi", une tendance qui allait s’accentuer avec la crise irakienne. La "vieille Europe" (Allemagne, France ...) en refusant de s’allier, devenait un ennemi qu’il fallait punir en l’écartant de la reconstruction de l’Irak, en mettant à mal ses intérêts pétroliers dans le Golfe (jusqu’à présent Total Fina-Elf n’a pas récupéré ses concessions pétrolières en Irak) et ne piochant que sur ses terres africaines (Djibouti, Côte d’Ivoire, voire Mali). Seule la Grande Bretagne, l’alliée la plus sûre avait voix au chapitre ce qui se traduit par une situation économique prospère.

Dans cette situation de crise structurelle, Chirac essayait dès 1995, par Alain Juppé interposé, de réformer le système social français devenu trop coûteux. Devant l’échec du "plan Juppé", qui avait soulevé une bronca généralisée, Chirac tente de redistribuer les cartes et de se repositionner à travers la dissolution de l’Assemblée nationale.

Nouvel échec avec l’arrivée au pouvoir des socialistes et de Lionel Jospin qui évite le brûlot, mais contribue ainsi à creuser davantage le déficit budgétaire avec la montée du chômage à la clé, nonobstant la création d’emplois précaires comme seule la mondialisation peut en générer.

Il est sanctionné en 2002 avec la montée du "national-populisme" (Jean-Marie Le Pen) lequel "contamine" toute l’Europe (Hollande, Autriche, Italie, Allemagne).

"La France d’abord, mais la France comment" ? telle est la question fondamentale qui demeure irrésolue. Chirac hérite à nouveau du brûlot avec Raffarin qui s’use à la tâche sans succès.

Exit Raffarin, exit l’Europe, ce qui consacre la victoire de Bush. Il n’est en effet pas dans l’intérêt stratégique des USA que l’Europe soit unie et forte.

Les USA souhaitent plutôt développer des relations bilatérales avec les Etats.

Le couple Thatcher-Reagan avait déjà préparé le terrain avec le refus de "miss Maggie" d’adhérer à l’euro.

Le tandem Bush-Blair termine le travail en écartant la "vieille Europe" des juteux contrats internationaux, en lui livrant une guerre monétaire (dollar faible) et commerciale (protectionnisme) "refus" des produits français) sans merci.

Et voilà que la France qui aurait dû être le "grand-frère" de la jeune Europe, craint celle-ci avec le dumping social que l’Europe élargie entraînerait sûrement. L’Europe comme l’Afrique est devenue un marché que se disputent Américains, Chinois, Japonais et bientôt Indiens. Ses industries (textiles, automobile, armement) ne font plus le poids et ferment au fur et à mesure que le géant US serre la vis et que le dragon chinois déploie ses ailes. Voilà pourquoi l’Europe est la première à soutenir la réforme onusienne de Kofi Annan qui va permettre aux continents émergents comme l’Afrique et en voie de récession comme elle, d’avoir une part du gâteau.

Pas dupe, le cow-boy du Texas continue malgré les belles promesses à cultiver l’unilatéralisme en Irak et en Palestine et reste sourd aux appels de l’Europe pour une concertation monétaire.

Alan Greenspan "chief" du Fédéral Réserve (la banque centrale US) n’a pas encore répondu à l’appel de son ami Jean-Claude Trichet d’harmoniser les taux de change.

C’est donc le triomphe d’une politique américaine qui confine Chirac dans le rôle de "l’ami des opprimés" qui perpétue l’image de la France "patrie" des droits de l’Homme.

C’est le seul rôle qui lui reste pour sauver son long règne présidentiel après l’échec du 29 mai. Un pis-aller.

Boubakar SY
Sidwaya

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