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Disparition du président Sangoulé Lamizana : Deuil national de trois jours

Publié le samedi 28 mai 2005 à 09h37min

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En 1933, le jeune Sangoulé Lamizana se voit radié des effectifs de l’Ecole régionale de Ouahigouya, l’année même de son Certificat d’études primaires (CEP). Nul ne pouvait prédire que trente trois ans plus tard, il se retrouverait à la tête de l’Etat voltaïque.Né en 1916 à Dianra, un petit village burkinabè de la région de Tougan, Sangoulé Lamizana est d’une famille modeste dont l’activité principale est l’agriculture.

En 1926, le jeune Lamizana emprunte le chemin de l’école. D’abord, à l’école primaire publique de Tougan, ensuite, à l’Ecole régionale de Dédougou. Enfin, à l’Ecole régionale de Ouahigouya. C’est là que les choses se gâtèrent pour Lamizana et 29 de ses camarades.

Lamizana regagna Tougan, sa ville natale à la surprise générale. Pour noyer leurs ennuis, Lamizana et ses compagnons d’infortune allaient presque toutes les nuits s’égayer au "Goumbé" où les joueurs de "Djembé" rivalisent de dextérité.

Le 15 octobre 1961, au cours de la cérémonie de transfert des officiers voltaïques servant dans l’Armée française, Lamizana est nommé au grade de chef de bataillon. Le même jour, il se vit confier les fonctions de chef d’Etat-major de la jeune Armée voltaïque en formation.

C’est le 1er novembre 1961 que naquit l’Armée nationale voltaïque. Une armée de 500 hommes à qui le chef d’Etat-major inculqua "des traditions de gloire, d’honneur et de dignité". En 1964, Lamizana accède aux grades de lieutenant-colonel.

Le chef d’Etat-major a, à peine entamé la structuration de son armée que la Haute-Volta est confrontée à une explosion sociale sans précédent.

La semaine du 27 décembre 1965 au 3 janvier 1966 fut très chaude du fait d’un lot de mesures décriées par les syndicats et les travailleurs : "rabattements de salaires, réduction des allocations familiales, blocage des avancements, augmentation des impôts"...

L’agitation sociale qui s’en suivit s’avéra insupportable pour le pouvoir à tel point que le président Maurice Yaméogo s’éclata : "Colonel Lamizana, laissez ces syndicats crier. J’ai été syndicaliste comme eux... Je frapperai sans pitié tous ceux qui prétendent parler au nom du peuple".

Cette confidence qui sonnait comme une mise en garde n’a pas été pour calmer les esprits. Et les choses se gâtèrent. Le 3 janvier 1966, le soulèvement contre le pouvoir de Maurice Yaméogo est populaire. Plus de 40 000 personnes au rendez-vous de la protestation. D’une voix unanime, elles exigent la démission du président Maurice Yaméogo. Le colonel Lamizana joue au médiateur entre Maurice Yaméogo et la foule déchaînée.

Peine perdue ! Malgré son tact, rien n’y fit. Et ce qui devait arriver, arriva : "Colonel Lamizana, pour éviter le sang à la Haute-Volta, allez dire aux manifestants que ma décision est prise. Je démissionne dès maintenant... C’est vous qui allez prendre ma succession".

Mis alors devant le fait accompli, Lamizana se vit en devoir de prendre ses responsabilités. Sans attendre, il s’installa au volant de sa Jeep et fonça à toute allure vers la Place de la nation. La foule chauffée à blanc attendait de marcher sur la présidence. Sa venue décrispa quelque peu l’atmosphère.

La voix un peu mal assurée, le chef d’Etat-major de l’Armée voltaïque s’adressa par haut-parleur grisonnant interposé à la foule excitée :

"Eh bien ! Je vous annonce que l’armée a pris ses responsabilités. J’assume désormais les fonctions de chef de l’Etat. Je vous demande donc de rentrer chez vous".

Ainsi, le lieutenant-colonel Sangoulé Lamizana venait d’être porté à la tête de l’Etat voltaïque.

Commence alors, pour lui, un autre parcours du combattant. Harassant et semé d’embûches de toutes sortes.

Quatorze ans durant, Sangoulé Lamizana, devenu général de corps d’armée en fin de carrière, préside aux destinées de la Haute-Volta. Jusqu’au jour du 25 novembre 1980 où son régime est emporté par un coup d’Etat militaire mené par le colonel Saye Zerbo.

De son domicile présidentiel, l’ex-président Lamizana est transféré dans une villa (là où lui-même avait interné, quelques années auparavant, l’ex-président Maurice Yaméogo) au camp de l’Unité. Là, le général Sangoulé Lamizana a l’occasion de vérifier la maxime qui dit : "un soldat n’a que deux demeures. S’il n’est pas chez lui, il est en prison". Le général était donc en prison.

Mis à la gamelle (repas de troupe), il est l’objet de toutes sortes d’humiliations et d’infâmes traitements. Libéré le 7 novembre 1982 à la faveur d’un autre coup d’Etat - celui du Conseil provisoire du salut du peuple (CPSP) qui deviendra le Conseil du salut du peuple (CSP) - Lamizana n’était pas au bout de ses peines.

Le 4 août 1983, le capitaine Thomas Sankara annonçait sur les antennes de la Radio nationale, l’arrivée du Conseil national de la Révolution pour présider désormais aux destinées de la Haute-Volta devenue en 1984, Burkina Faso.

Le nouveau régime assigne le président Lamizana à comparaître devant les Tribunaux populaires de la Révolution (TPR) pour répondre d’un certain nombre de chefs d’accusation dont celui de détournement de deniers publics. Il y comparaît le 3 janvier 1984, date anniversaire de son accession au pouvoir. Il est jugé publiquement à la Maison du peuple.

La conclusion de son mémoire en défense du général-président, le 5 janvier 1984, en dit long : "Messieurs les juges... Faites votre travail... J’en accepte la sentence".

Trois jours de harcèlements impitoyables, d’explications, de témoignages et de débats. Et enfin, le verdict tomba : "Sangoulé Lamizana, ancien chef de l’Etat, est-il coupable d’avoir détourné des deniers publics au préjudice de l’Etat voltaïque ?

La réponse est non à la majorité absolue.

Après un long soupir, l’ancien président de la République de Haute-Volta s’est résolu à quitter la salle : "J’étais donc acquitté, lavé de tous soupçons, libre comme le vent. Après plus de trois années de pénibles épreuves et de souffrances morales, je venais enfin de finir de manger mon pain noir".

Une carrière militaire fournie

Le général Aboubacar Sangoulé Lamizana, ancien chef d’Etat de 1966 à 1980 qui s’est éteint à l’âge de 89 ans, jeudi dans la soirée à la clinique Notre- Dame de la Paix à Ouagadougou, a été celui-là même ayant eu la charge de mettre sur pied la nouvelle armée nationale.

A l’indépendance du Burkina le 5 août 1960, c’est à lui qu’il a été confié la tâche de créer une armée nationale.

Nommé chef d’Etat-major général des forces armées le 1er novembre 1961, et en tant qu’officier le plus ancien dans le grade le plus élevé, le général Lamizana devient président de la République le 3 janvier 1966 à la suite d’un soulèvement populaire mettant ainsi fin au régime du premier président Maurice Yaméogo.

Militaire de formation, le général président est né en 1916 à Dianra, province du Sourou. Après ses études primaires au Burkina Faso et à l’école primaire supérieure Blancher au Sénégal, il entre ensuite à l’Ecole de formation des officiers africains à Saint Louis du Sénégal.

Incorporé dans l’Armée française le 18 janvier 1936 comme tirailleur de 2e classe, Aboubacar Sangoulé Lamizana gravira les grades de l’armée et deviendra lieutenant en 1951, capitaine en 1957, commandant en 1961, lieutenant-colonel en 1964 et puis général de brigade, général de division et général de corps d’armée en 1973.

Militaire d’expérience, le général Lamizana a fait deux fois la guerre d’Indochine et deux fois celle d’Algérie avant d’être nommé chef adjoint du cabinet militaire du gouverneur de la Côte d’Ivoire de 1956 à 1959.

Il sera renversé le 25 novembre 1980 par le Comité militaire de redressement pour le progrès national (CMRPN) du colonel Saye Zerbo. Depuis lors, le vieux général à la retraite gardera ses distances d’avec la vie politique, tout en restant l’une des personnalités les plus respectées du pays des Hommes intègres.

Il a été distingué de nombreuses décorations dont celles de la Grand-Croix de l’Ordre national burkinabè et de Grand-Croix de la Légion d’honneur française.

C’est en tant qu’ancien militaire que Sidwaya avait rencontré l’illustre disparu en mai 2004, alors que la France venait de décristaliser les pensions des tirailleurs : ces anciens de la coloniale qui ont baroudé partout où le devoir les appelait. Nous vous proposons des extraits de cet interview.


Adieu mon général

Le général Aboubacar Sangoulé Lamizana n’est plus. Le 26 mai au soir, le général a rendu l’âme. Une page glorieuse de l’histoire contemporaine du Burkina s’en est allée. Le cardinal Chomsky aurait dit : "un baobab est tombé". Une figure illustre de ce pays a donc tiré sa révérence. Quelque part dans les contrées Mossés, chez ses "chefs", les vieux certainement, après concertations, vont décider de ce qu’il faut faire. Et en ces moments, au regard de l’âge du disparu, les mossé, (les chefs des Samos) vont mettre en branle le dispositif de fête. Car Lamizana, à près de 90 ans, n’est pas mort. Il a seulement fait une éclipse, il a rejoint le Dieu céleste. Même si les Samos en pleurs ne se font pas à l’évidence. Peut-être ont-ils raison, l’illustre disparu faisait partie de leur grandissime "ambassadeur". Ceux qui, arrivés dans les confins des terres du Mogho, ont pris plaisir aux délices et y ont établi pignon sur rue. Le vieux où si vous préférez "Koro Bouba" était un homme sage.

Un homme intègre. Un homme humain comme on le dirait. Sangoulé, toute sa vie durant, a symbolisé effectivement les propos de Amadou Ampaté Bâ : "C’est une bibliothèque qui a brûlé". Avec la différence que cette bibliothèque a pu et su préserver l’essentiel de son contenu. Ces bouquins qui ne sont que des œuvres d’anthologie sont gardés intacts. Car les enfants, ses enfants ont su s’imprégner des vertus de tolérance, de hauteur de vue, de sagesse qu’il a su professer tout le long de son séjour terrestre. C’est vrai, une page lumineuse s’est tournée dans la brise des ténèbres en ce 26 mai 2005. On ne verra donc plus la silhouette de ce Samo, s’appuyant sur sa canne, la démarche pénible et la voix rauque.

Mais un grand homme ne meurt jamais ! Que les Samos cessent donc de pleurer, Lamizana ne peut pas mourir. Un homme d’Etat de sa carrure reste un livre ouvert pour la postérité. Un livre où chaque jour on puise une dose de savoir, de sagesse, de science. Une dose de la vie tout simplement. Adieu mon général, Adieu Bouba. C’est, semble-t-il une formule consacrée. Je suis sûr qu’à Tougan, déjà les ânes, les chiens, le bon dolo seront consommés avec exagération, comme savent le faire les Drabo, Wara, Bonanet, Zerbo, Ki, etc.

Sidwaya

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Vos commentaires

  • Le 28 mai 2005 à 11:53, par Jamal En réponse à : > Disparition du président Sangoulé Lamizana : Deuil national de trois jours

    C’est un grand sage que nous perdons ici. J’ose espérer qu’il saura par la postérité inspirer les générations futures burkinabè et africaines. C’est un triste moment pour le Burkina Faso qui pleure un de ses plus illustres Hommes. Paix à son ame.

  • Le 28 mai 2005 à 20:36, par Patience En réponse à : > Disparition du président Sangoulé Lamizana : Deuil national de trois jours

    C’est bien triste pour tout le Burkina Faso que ce valeureux Samo s’en aille, sans bruit ni trompetes. il avait de la hauteur d’esprit, la sagesse d’un dieu, l’humilité et la probité que seuls les grands hommes sont capables de montrer. Je pense que le General-president merite plus que trois jours de deuil national. Il en fallait des mois, des année... Mais ce qui est sûr, sa memoire restera gravée à jamais dans nos esprits.
    Je suis tenté de dire qu’avec lui, "les morts ne sont pas morts".
    Qu’il veille toujours, de là ou il se trouve, sur le Burkina qu’il a tant aimé et protégé.

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