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Ousmane NACRO, président de la LIDEJEL : “Faure est actuellement le moindre mal pour les pays de la sous-région...”

Publié le jeudi 19 mai 2005 à 07h55min

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Aux heures chaudes de la crise qui a secoué notre pays, au moment où le dialogue était rompu entre le pouvoir et le Collectif, d’autres voix ont osé s’élever pour rectifier le tir et replacer la société civile dans son contexte au nom de la paix sociale. De ces voix est née la LIDEJEL (Ligue pour la défense de la justice et la liberté) dirigée par M. Ousmane NACRO et dont aujourd’hui, par son action au plan national et international, confirme que ces voix ne prêchaient pas dans le désert.

Monsieur Ousmane NACRO est revenu du Togo où il a participé en tant qu’observateur au scrutin du 24 avril dernier dans ce pays. Dans l’entretien qu’il nous a accordé et en tant que témoin, il revient sur les conditions dans lesquelles les observateurs ont travaillé sur le terrain, apprécie les résultats du scrutin, apporte son point de vue sur les divers avis du Parlement européen, etc...

M. Le président, vous étiez au Togo en avril dernier en tant qu’observateur des élections présidentielles. Pouvez-vous nous dire les conditions dans lesquelles vous avez travaillé sur le terrain ?

Ousmane NACRO (O.N) : Je vous remercie pour l’occasion que vous nous donnez de nous exprimer quant à notre participation aux élections présidentielles du Togo le 24 avril 2005. Je dois d’abord dire que, le président de la LIDEJEL que je suis, a été invité par un cabinet international dénommé CEMEGO International, un cabinet qui a son siège à Bamako au Mali qui a eu un contrat avec la République du Togo à fournir trente (30) observateurs internationaux dans le cadre de ces élections. C’est ainsi que le cabinet a fourni les 30 observateurs qui provenaient de plus de 15 pays d’Afrique.

C’est dans ce cadre que j’ai pu observer ces élections avec deux autres Burkinabè. Nous étions donc 3 Burkinabè qui ont rejoint ce cabinet pour l’observation des élections. Je dois aussi dire que le cabinet était déjà présent à Lomé depuis deux mois et a donc pu observer un peu la mise à jour du fichier électoral à travers la révision exceptionnelle et a même contribué à finaliser les textes notamment les guides des observateurs au niveau du Togo. Nous avons rejoint d’autres observateurs, notamment ceux de la CEDEAO, des observateurs indépendants.

Nous, nous sommes arrivés le 22 avril 2005, un calendrier avait déjà été mis en place avec une répartition de l’ensemble des observateurs sur l’ensemble du territoire du Togo. C’est ainsi que, pour ce qui me concerne, je me suis retrouvé avec des Béninois à Atakouamé, je crois que c’est sur la route du Burkina, et c’est le deuxième bastion où les tensions étaient assez vives. Une observation assez sérieuse a été faite par tous les observateurs et il faut compter en dehors des observateurs de la CEDEAO et des observateurs indépendants, il y avait d’autres observateurs comme ceux de la CEN-SAD, ceux des ACP, de l’UEMOA, Save the children et d’autres ONG bien réputées sur les questions électorales.

Les observateurs ont pu avoir à leur disposition des véhicules pour se rendre dans les préfectures et pouvoir donc observer en toute indépendance le déroulement du scrutin et c’est ce que nous avons fait jusqu’aux environs de 23 heures. Après, nous avons rendu aux coordinations de chaque préfecture les résultats des observations que nous avons obtenus au niveau de chaque préfecture.

Il y avait combien d’observateurs en tout, toutes structures et organismes confondus ?

O.N : Disons que pour la CEDEAO, on a annoncé 150. Je dois dire qu’il y avait autant également au niveau des observateurs indépendants. On peut donc estimer le nombre d’observateurs à 300 environ qui étaient présents au Togo pour l’observation des élections.

Comment avez-vous senti la mobilisation de la société civile togolaise dans l’organisation, et le suivi du scrutin ?

O.N : C’est une question très pertinente. Mais je dois dire que nous n’avons pas senti du tout la société civile togolaise. A l’inverse du Burkina Faso par exemple où il y a des observateurs nationaux, au Togo, il n’y en avait pas ; où du moins, il y a eu et ça dû être de groupes qui ont dû intégrer certaines organisations qui sont venues de l’extérieur pour observer les élections.

Au Burkina nous avons souvent le GERDES et d’autres associations de la société civile qui, à titre personnel participent à l’observation des élections dans le pays. Nous n’avons pas vu cela par exemple au Togo et je crois que cela est à déplorer. C’est peut-être dû au fait que l’enjeu de ces élections était assez important à telle enseigne qu’on a préféré se fier aux observateurs internationaux ou étrangers. Sinon du côté de la société civile togolaise, nous n’avons pas senti du tout sa présence sur le terrain des observations.

Parlant toujours d’observation, on a senti l’absence de l’Union européenne qui est reconnue pour son travail dans ce sens-là. Est-ce que cela ne vous a pas gêné, et surtout ne biaise-t-il pas le travail que vous avez-fait ?

O.N : Je crois que dès le début du processus, l’Union européenne avait déjà déclaré qu’elle n’allait pas être présente. Nous avons appris par la suite qu’il y avait quelques éléments qui travaillaient pour l’Union européenne, mais officieusement. La preuve, c’est que des notes confidentielles ont été envoyées, ce qui signifie que l’Union européenne avait des observateurs mais que nous n’avons pas vus. Mais je dois dire qu’on ne doit pas avoir de complexe à se faire à ce niveau. Il existe aujourd’hui en Afrique des organisations, des mouvements, j’allais dire des Africains tout court qui sont à même d’observer des élections au même titre que les Européens.

Il n’y a pas de complexe à se faire, il faut que les Africains arrivent à faire confiance à leurs frères ; plutôt que d’attendre que ce soit ceux à qui nous tendons la main pour demander des financements qui viennent aussi dire que nos élections se sont bien passées ou pas du tout. Il faut que nous dépassions cela et arrivions à faire confiance aux Africains.

Pensez-vous qu’une société civile existe vraiment au Togo, et quels sont aujourd’hui ses moyens d’actions pour promouvoir les droits de l’homme dans le pays ?

O.N. : Une société civile togolaise, oui parce que, je suivais sur une chaîne internationale le président de la Ligue togolaise des droits de l’homme qui était au siège de la FIDH et qui donnait avec des preuves à l’appui, des images des casses, des cadavres, pour montrer comment est-ce que ces élections se sont déroulées.

La société civile existe, mais peut-être a été muselée pendant les trente-huit ans de règne de EYADEMA, et que peut être, avec ce changement, on a peur. Ce n’est qu’à l’étranger qu’on entend parler de la société civile et j’espère qu’avec le changement à la tête du pays, on la sentira mieux et qu’elle jouera pleinement son rôle de promotion des droits de l’homme sans préjugés.

Pourquoi êtes-vous allé au Togo alors que certaines organisations de la société civile avaient justifié leur refus de s’y rendre en soutenant que les dés étaient déjà pipés ?

O.N. : Je crois que si les dés étaient déjà pipés, je ne vois pas pourquoi on a organisé des élections. J’ai toujours dit qu’il ne fallait pas laisser les Togolais à eux-mêmes. Quelle que soit la situation, je crois qu’il faut y être. Le fait d’être sur place au Togo, cela peut constituer une assurance pour l’opposition togolaise.

A ce titre, pour nous, c’était une autre expérience et à suivre ce qui s’est passé au Togo, je me suis rendu compte qu’au Burkina, nous sommes de loin en avance par rapport à certains pays. Ce n’est pas pour autant que je veux me complaire dans notre situation, mais je dis que tant qu’on ne sort pas, on ne sait pas ce qui se passe ailleurs et on n’a pas les moyens de pouvoir mesurer le niveau d’encrage de notre démocratie.

Avec cette expérience togolaise, ce qui est une grande école, on a vu des élections se passer dans des conditions assez difficiles. Cela peut nous amener à tirer les leçons de ce qui s’est passe et faire en sorte que cela n’arrive pas chez nous. D’ailleurs, nous ne sommes pas à notre première mission d’observation puisque nous avons observé également les élections en Chine, notamment en Chine Taipei et je crois que ce sont des expériences que nous allons toujours renouveler à chaque fois que nous avons l’occasion.

Le contexte, le climat, les enjeux de cette élection étaient grands. Comment en tant qu’observateur, vous avez vécu l’événement ?

O.N : je crois que le peuple togolais attendait cette occasion de pied ferme. C’est pour cela que je disais qu’il y’avait de l’électricité dans l’air. Un règne de trente-huit ans ne se coupe pas en une journée d’élection à moins que ce ne soit pas des méthodes, j’allais dire peu orthodoxes, comme un coup d’Etat. Mais je crois qu’il y a eu plus de peur que de mal. Pour ce que je crois, et la classe politique togolaise toute entière a compris qu’il faut mettre l’intérêt des populations au-devant des intérêts personnels.

Je crois très sincèrement que si la communauté internationale réussit à mettre la pression sur le nouveau président élu, à faire en sorte qu’il y ait effectivement un gouvernement d’union nationale, l’opposition doit saisir cette occasion pour participer à la reconstitution du pays et faire en sorte que, comme cela s’est passé chez nous, qu’il y’ait des réformes politiques pour ramener le Togo sur la bonne voie et définitivement.

A savoir, relire la constitution, relire le code électoral et puis envisager pour l’avenir à réussir des élections transparentes. Il ne faut pas se voiler la face, l’opposition n’est pas allée aux élections en 2003. Qu’est-ce qui s’est passé, le fichier électoral qui a servi à ces élections, présidentielles d’avril 2005, c’est d’abord le fichier de 2003 plus la révision exceptionnelle des listes. De ce fait, pour tout observateur avisé, ce résultat ne devait pas étonner et à commencer par l’opposition elle-même.

Quelles ont été les conclusions de votre rapport ?

O.N : Je ne voulais pas donner de conclusion en tant que président de la LIDEJEL. Nous avons communiqué nos résultats à la coordination de la préfecture où nous avons observé et tous les coordonnateurs se sont retrouvés pour faire une synthèse des observations qui ont été fournies.

Je me suis reconnu en tout cas, dans les conclusions qui sont ressorties à savoir : le démarrage tardif du vote, le non-affichage des listes électorales, l’insuffisance des bulletins de vote, la difficulté à trouver les noms de certains inscrits sur les listes électorales, la sécurité insuffisante ou non visible. Sur les 38 bureaux de vote que j’ai pu observer, il m’est pratiquement impossible, sur cette base de juger de la crédibilité de tout le scrutin sur le territoire togolais.

Et donc, je voudrais m’en remettre aux conclusions de ce communiqué conjoint même si par ailleurs, à ce jour, en tout cas, la dernière partie du communiqué qui dit que « les anomalies et insuffisances ainsi que les incidents ci-dessus évoqués ne sont pas de nature à remettre en cause la bonne tenue et la crédibilité du scrutin présidentiel du 24 avril » je crois que, à ce niveau, il y a un réalisme qui a prévalu et je partage tout à fait le point de vue de ceux qui ont rédigé ce communiqué. Cela renforce aussi l’assentiment des différents chefs d’Etat et si cela peut ramener la paix au Togo, je crois que c’est un communiqué qu’il faut saluer.

Et pourtant on a vu des urnes emportées, des cadavres etc. Est-ce que honnêtement on peut dire que la crédibilité de cette élection doit être reconnue ?

O.N : Pour les urnes emportées par les militaires, je dois dire que nous avons suivi l’événement aussi à la télé, mais nous avons eu le privilège de suivre une rencontre que le ministre de l’Information a eue avec la presse internationale en donnant la version suivante : « les urnes emportées se sont surtout passées au niveau de Lomé et Lomé est le bastion par excellence de l’opposition. L’opposition a rempoté 76% du vote au niveau de Lomé commune contre 22% au président élu ».

Vous comprendrez aisément qu’il est difficile pour le parti au pouvoir de pouvoir manipuler, en tout cas, les bureaux de vote au niveau de Lomé. Il parait et ça je vais nuancer que c’est plutôt l’opposition qui a procédé aux manifestations au niveau de Lomé-ville et sur appel donc du RPT, les militaires qui sont venus pour instaurer la sécurité au niveau de ces bureaux de vote n’ont pas réussi, face à l’affluence des populations.

Et donc, la solution qui leur restait c’était d’emporter les urnes pour les mettre en lieu sûr. Et je crois que dans le communiqué final, il est dit que ces urnes ont été scellées et se trouvaient au niveau de la Cour constitutionnelle qui devait décider de la suite à donner.
Les manifestations, se sont passées dans les deux camps et à Lomé, c’était l’opposition qui avait plus de moyens de violer les textes que le parti au pouvoir.

Aujourd’hui la communauté internationale est très divisée sur la transparence du scrutin. Notamment la Commission européenne et son Parlement qui ont des avis divergents. Est-ce à dire que, c’est la conséquence des rapports d’observateurs qui ont eu des penchants soit pour le pouvoir soit pour l’opposition ?

O.N : Ben ! certainement. Il faut reconnaître qu’il y a un travail de lobbying qui a été fait par l’opposition togolaise. Et comme toute opposition, vous êtes écoutés par ci, et peu écoutés par là. Nous constatons tout simplement un déphasage entre le Parlement européen et la Commission. Mais nous pensons ici que, c’est l’avis de la Commission qui prévaloir parce que, c’est doit cette commission qui est au quotidien en contact avec les populations.

Je dis, ce n’est vraiment pas le moment de demander la reprise des élections au Togo quant on sait quel est le coût de l’organisation d’une élection comme celle du Togo. Il faudrait penser peut-être aux populations et travailler plutôt à unifier la classe politique togolaise pour qu’on puisse préparer à l’avenir des élections vraiment transparentes.

Parce que tout le monde savait depuis le début qu’on ne pouvait pas avoir des élections « toutes blanches » comme cela se voit à certains endroits. Si on a laissé faire, il faut l’accepter comme tel et travailler à faire en sorte que ceux qui vont gérer le pouvoir puissent le faire avec les autres et travailler à ce que les textes soient conformes à l’ensemble des pays de la sous-région.

Le Parlement européen demande l’annulation de scrutin du 24 avril 2005. Cela vous paraît-il raisonnable ?

O.N : Dans le principe, cela peut se comprendre, Mais je dis qu’il y a le réalisme qui doit prévaloir. Et je crois que cette décision n’est pas réaliste, même si dans les principes c’est une bonne chose. Prévoir des élections au Togo, suppose qu’il faut encore travailler sur 6 mois. Peut-être que l’Union européenne est prête à financer mais, il y a d’autres priorités au Togo.

Il faut travailler déjà à restaurer la confiance, à restaurer le niveau de vie des populations et travailler même s’il le faut à organiser des élections anticipées et il ne faudra pas oublier qu’il y a les législatives qui suivent et de ce fait, travailler à ce que l’opposition, si elle est vraiment représentative puisse justement avoir le maximum au niveau des législatives, et comme cela se passe ailleurs, si l’opposition gagne, elle contrôlera le parlement et le gouvernement.

Et beaucoup de choses peuvent se faire à ce niveau. Je crois qu’il faut avancer et éviter plutôt de faire du surplace. Pour le principe, je suis tout à fait d’accord avec le Parlement européen, mais le réalisme du terrain doit prévaloir pour ce qui concerne le cas du Togo.

Certains observateurs estiment que la CEDEAO s’est décrédibilisée dans cette affaire du Togo. Quelle est votre opinion en tant qu’observateur et acteur de la société civile ?

O.N : C’est une position que je respecte. Mais on a applaudi cette même CEDEAO quand, elle a fait pression pour que la constitution togolaise soit respectée à la lettre. Ceux qui ont applaudi sont aujourd’hui les mêmes qui disent que la CEDEAO n’est pas crédible. Je crois bien que c’est quand on ne travaille pas du tout qu’on n’est pas critiqué, la CEDAO a fait en tout cas, pour sa part, ce qui était de son devoir. Pour ce qui me concerne et ce à quoi je pense, c’est surtout l’avenir du Togo, et peut être qu’avec le temps, on donnera raison à la CEDEAO. Pour l’instant, je suis un défenseur de la liberté, les uns et les autres sont libres d’apprécier l’action de la CEDEAO comme ils l’entendent.

Mais je crois franchement que nous devons attendre et juger cette position de la CEDEAO par rapport à ce qui va se passer au Togo dans les jours et les mois à venir. Il est trop tôt pour dire que la CEDEAO n’est pas crédible. Qui sait ce qui aurait pu se passer si d’aventure les choses s’étaient passées autrement.

Estimez-vous avoir fait convenablement votre travail d’observateur au Togo ?

O.N : Je crois que j’ai parfaitement fait mon travail, je l’ai fait en toute conscience, en toute honnêteté et pour les 38 bureaux de vote que j’ai pu visiter, je n’ai rien à me reprocher et je me réjouis d’ailleurs de retrouver des observations que j’ai faites dans le communiqué conjoint. De ce point de vue, je pense que j’ai fait mon travail, aux autres d’apprécier.

Comment voyez-vous l’avenir du Togo ?

O.N : Pour ce qui nous parvient jusque-là, je crois que le président élu veut tendre la main à l’opposition. Je retiens seulement qu’il disait dans un de ses discours avant même la fin du scrutin que quel que soit le résultat, c’est le peuple togolais qui sort victorieux après ces élections. J’ai entendu Gilchrist OLYMPIO dire également avant la fin du scrutin, que si l’opposition ne passait pas il n’allait pas accepter les résultats.

Ce qui laisse croire que, l’opposition avait mis en place un programme, j’allais dire, pour remettre le Togo à feu et à sang après les résultats si d’aventure elle ne passait pas et c’est ce que nous avons vu. J’ai déploré par ailleurs, le fait qu’on s’en prenne aux communautés étrangères. J’ai d’autant été plus malade que l’opposition n’ait pas levé le moindre doigt et ne s’est pas fait entendre pour demander à ses militants d’arrêter de s’en prendre aux étrangers.

Je crois que cela n’est pas du tout responsable, vous comprenez alors peut-être ma position quand, je dis que « Faure constitue le moindre mal pour toute la communauté de la sous-région ». Je voudrais terminer donc en disant que si le président élu tient ses promesses et si l’opposition est décidée à travailler pour l’intérêt supérieur des Togolais, il n’y a pas de raison que le Togo ne retrouve pas sa place dans le concert des nations.

Quel « goût » vous laisse cette expérience togolaise ?

O.N. : C’est le problème de toute la classe politique qui est au niveau de la sous-région : le problème du manque de confiance des Africains en eux-mêmes, parce que nous n’hésitons pas à appeler l’étranger comme si la solution de tous nos problèmes se trouvait là-bas.

Je crois qu’il est enfin temps que nous prenions conscience que nous sommes aussi capables que les autres, d’aller à la même vitesse qu’eux en matière de démocratie. Et c’est pour moi, à chaque fois que nous allons vers eux c’est pour confirmer qu’en matière de démocratie nous ne sommes pas encore mûrs pour paraphraser le président CHIRAC qui soutenait que l’Afrique n’était pas mûre pour la démocratie. C’est nous qui donnons cette impression-là.

Le cas togolais pourrait être purement résolu dans le cadre Ouest africain ou de la CEDEAO, sans qu’on ait à demander à l’Occident de nous donner des leçons. Je suis d’autant plus heureux que dans certains pays de la sous-région, cela a été bien compris. Je pense que le Togo le fait tardivement et très bientôt je pense que les choses se normaliseront au Togo et tout ira bien pour le peuple togolais.

Quelles sont les conditions pour une bonne observation des élections ?

O.N. : Cela a été clairement noté sur les fiches parce qu’il y avait eu une fiche des observateurs où on nous donnait des principes claires à observer. Il faut d’abord qu’il ait la sécurité qui est l’élément fondamental sans lequel l’observation des élections demeure caduque. Il faut aussi que les populations vous acceptent et au Togo par exemple, nous avons fait notre travail sans être sous protection policière, mais au niveau des bureaux de vote, il y avait la présence des forces de l’ordre même si ce n’étai pas dans tous les bureaux de vote.

Il faut que de part et d’autre, l’opposition comme le parti majoritaire accepte faire confiance aux observateurs et à partir de cet instant où chaque observateur est libre et indépendant, et suit par exemple ce qu’on lui demande : vérifier l’ouverture des bureaux de vote, la présence de tous les membres du bureau de vote, vérifier que le matériel est complet, vérifier que les forces de sécurité sont sur place, que les mandataires des candidats sont présents, que le secret de vote est effectif, que les dépouillements se déroulent correctement.

Nous avons pu en toute liberté observer tous ces points. Je crois que le premier problème, c’est la sécurité et la stabilité et si tous ceux-ci sont réunis on n’a peut-être même pas besoin de faire appel à des observateurs internationaux dès l’instant qu’on fait confiance à sa propre société civile ou à la société civile de la sous-région.

Certains estiment que les élections se gagnent depuis les inscriptions sur les listes électorales. Alors que les observations se font pendant le déroulement du scrutin. Ne pensez-vous pas que, le fait de ne pas suivre tout le processus est un handicap pour pouvoir apprécier la régularité d’une élection ?

O.N. : Ce que vous dites est juste, mais plus haut, je vous disais que le cabinet COMEGO était déjà installé à Lomé depuis près de deux mois avant le scrutin et a donc suivi la révision de ces listes. Il faut dire que si effectivement un pays doit supporter tous les observateurs de la révision des listes jusqu’aux dépouillements, sinon jusqu’à la proclamation des résultats, cela constitue un coût exhorbitant.

Néanmoins, il y a eu des observateurs qui étaient sur place pour pouvoir assister à ces différentes étapes-là. Sinon, si on rate l’étape de la révision des listes, c’est clair que l’avis qu’on donne ne peut être qu’un avis partiel parce qu’il y a, une étape qui a échappé, et c’est même l’étape la plus importante pour moi, celle de la révision des listes.

Parce que, toute élection se joue à partir des listes et si vous n’êtes pas sûr de la liste qui va servir aux élections, c’est clair que vous serez incapable de donner un point de vue objectif des résultats. Je partage donc tout à fait cette opinion-là, mais je voudrais faire confiance aux observateurs qui nous ont devancés sur le terrain et qui ont confirmé avoir travaillé sur ces listes avant que nous ne venions pour travailler sur les autres étapes de cette élection.

M. le président, parlez-nous de votre structure la LIDEJEL, ses missions, ses objectifs.

O.N : La LIDEJEL, c’est la Ligue pour la Défense de la justice et la liberté. Nous existons officiellement depuis le 12 février 2001. La LIDEJEL a vu le jour dans des conditions assez dures et si vous reculez dans le temps, vous allez vous rendre compte que c’était le moment où il y avait des marches, des contestations, un moment où le dialogue était rompu entre le collectif et le pouvoir.

Après réflexion, nous avons pensé qu’une autre voix pouvait se frayer notamment, se départir de ce groupe des partis politiques pour créer un autre pool uniquement pour ce qui est de la société civile pour éventuellement envisager un autre dialogue avec le gouvernement.

C’est dans ces moments-là que nous avons vu le jour et tout de suite nous avons été débordés parce que l’idéal que nous nous étions fixés était partagé par un grand nombre de Burkinabè et aujourd’hui nous sommes pratiquement sur tous les fronts et nous nous sommes dotés d’un siège et sommes présents dans les 45 provinces du Burkina Faso. Je dois dire que notre stratégie, c’est travailler dans la discrétion, et pouvoir plutôt présenter des résultats que de faire du bruit sans résultat concret sur le terrain.

Nous sommes près à travailler avec les partis politiques pour ce qui concerne uniquement les droits et autres, mais pour ce qui concerne les questions politiques, nous donnons certainement des avis quand nous pensons que les droits sont bafoués et nous laissons donc la politique aux partis politiques et nous nous consacrons à ce qui est notre idéal à savoir la défense des droits humains.

Quelles sont les actions que vous avez pu mener au plan national depuis la création de la structure ?

O.N. : Les grandes actions, je dirai d’abord, que notre grande sortie était au congrès constitutif qui s’est tenu en août 2001 où nous avons tenu un colloque international qui a regroupé plusieurs pays africains et d’Europe, sur le rôle du citoyen dans la défense des droits humains. Nous avons aussi, dès le début de la crise en Côte d’Ivoire le 19 septembre 2002, le 20 septembre, nous étions déjà à l’ambassade avec une lettre pour le président ivorien où on interpellait le président GBAGBO de faire en sorte que tous les citoyens qui vivent sur son sol aient sa protection.

Nous avons eu sa réponse qui n’était pas convainquante et nous n’avons pas hésité 3 semaines plut tard à organiser deux marches simultanées à Ouaga et à Bobo et c’est une activité qui nous a fait connaître au-delà de nos frontières. Nous avons également des évènements trimestriels que nous tenons dans les 45 provinces à savoir, une conférence ou un séminaire par trimestre et dans chaque province.

Nous participons naturellement à toutes les échéances électorales au niveau de notre pays. Nous ne sommes pas partisans du boycott parce que nous pensons sincèrement que, la meilleure façon de s’exprimer, c’est de participer aux rencontres, et nous avons pu participer aux élections du Burkina Faso et c’est ça qui fait que nous avons la capacité aujourd’hui à observer ailleurs. Au niveau de la MACO nous sommes bien connus parce que nous rendons visite à certains prisonniers qui nous ont fait saisir par leurs proches pour leur porter assistance. Nous sommes dans la défense des droits de l’homme au quotidien.

Quels sont vos rapports avec les autres structures qui œuvrent dans la promotion des droits humains au plan national et international ?

O.N. : Sur le plan national, nous sommes membres de plusieurs réseaux, mais quand la LIDEJEL voyait le jour, le leader, si je puis m’exprimer ainsi, en matière de promotion des droits humains au Burkina Faso était le MBDHP. Tout naturellement, nous sommes allés présenter nos politesses aux premiers responsables de cette organisation, et nous avons demandé a être pris en compte dans les différentes manifestations du MBDHP.

Promesse nous avait été faite en son temps par le premier responsable. A deux reprises, nous avons été présenter nos vœux de nouvel an au président du MBDHP et par ailleurs président de l’IUDH. Mais, malheureusement en retour nous n’avons rien reçu, nous n’avons pas été conviés à quoi que ce soit, et je crois que du côté de la LIDEJEL les militants se sont sentis frustrés.

Depuis, nous faisons notre petit bonhomme de chemin en se disant que la meilleure façon de se faire apprécier c’est de travailler. Nous sommes dans d’autres réseaux notamment dans l’OIE (Observatoire Indépendant des Elections) et aujourd’hui nous avons une autre organisation qui regroupe près de 25 associations de la société civile et c’est la LIDEJEL qui abrite le siège de ce regroupement.

Nous sommes aussi secrétaire exécutif de la « Dynamique africaine des Droits humains » qui est une association qui a été créée au Bénin regroupant des membres de 17 nationalités parce que dans cette structure, ce n’est pas les associations qui adhèrent mais les individus. En tant que président de la LIDEJEL, j’assure le secrétariat exécutif de cette association dont le président du conseil d’Administration est Sénégalais.

Je dois dire aussi qu’en Europe, nous travaillons avec l’association « Survie » et nous sommes dans un autre réseau basé à Bruxelles qui regroupe d’autres associations notamment le Mouvement ivoirien des droits humains (MIDH) et la LIDEJEL et c’est par le MIDH que nous avons pu intégrer ce groupe-là avec qui nous menons souvent des actions.

Interview réalisée par Frédéric ILBOUDO
L’Opinion

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