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Côte d’Ivoire : Guillaume Soro et la "révolution ivoirienne" de 2002 (3)

Publié le mardi 17 mai 2005 à 07h35min

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A vingt ans, Guillaume Soro s’engage activement dans le mouvement étudiant de Côte d’Ivoire. Le pays, après des années de fortes tensions politiques, est entré dans l’ére du multipartisme. Soro a une sensibilité de gauche qui va s’exacerber au fil des années et de la répression menée par le régime Bédié.

Le coup d’Etat du 24 décembre 1999 est une espérance vite déçue. L’accession au pouvoir de Laurent Gbagbo (dont il avait été un compagnon de route dans les années 1990), un an plus tard, va le rejeter sur les routes de l’exil. Soro est un politique qui cherche du côté des militaires une issue à la crise qui secoue la Côte d’Ivoire (cf LDD Côte d’Ivoire 0142/Mardi 10 mai 2005).

Jusque là, rien d’exceptionnel dans le récit de Soro. Rien que l’on ne sache déjà. Mais quand éclate dans la nuit du 18 au 19 septembre 2002, le coup de force des" mutins" ; quand le général Robert Gueï est sauvagement assassiné ainsi qu’une partie de sa famille et que l’ancien premier ministre Alassane Ouattara (et quelques uns de ses proches, dont son épouse) ne doit son salut qu’en se réfugiant à l’ambassade d’Allemagne, la compréhension devient difficile pour tous. C’est là que Soro, dans son livre, apporte un nouvel éclairage. Ce qui a été longtemps qualifié de coup de force des "mutins" serait en fait une "révolution" qui a échoué.

Que nous dit Soro : "Face à un régime excluant, raciste, violent, une rébellion a éclaté. Occupant très vite tout le nord du pays, les combattants du Mouvement patriotique de Côte d’Ivoire (MPCI) lancent le 19 septembre 2002 une offensive contre le régime de Laurent Gbagbo. Nos troupes progressent vers Abidjan. Bien qu’un peu embarrassée, la France apporte au régime un appui logistique et surtout s’interpose, au prétexte de protéger ses ressortissants".

Le doute n’est pas possible. Il s’agit bien d’un mouvement organisé nationalement qui vise à la conquête du pouvoir et qui opère sous l’autorité du MPCI. "J’ai décidé, écrit Soro, que l ’heure était malheureusement venue de programmer une indispensable insurrection". Insurrection, le mot est lâché, qui nécessite un cadre organisé. Or, généralement, pour les observateurs, le MPCI est postérieur au déclenchement des hostilités ; il a été souvent présenté comme une structure politique de récupération du mouvement pour le compte, notamment, du RDR de Alassane Ouattara. Soro dément cette vision des choses. "Le premier tract du MPCI, écrit-il, a été diffusé en Côte d’Ivoire du 25 septembre au 12 octobre 2001[...].’] Tout ceci est bien antérieur au déclenchement de l’offensive, le 19 septembre 2002".

Il nous dit que le MPCI devait s’appeler, tout d’abord, Merci (Mouvement révolutionnaire de Côte d’Ivoire) puis MLPCI (Mouvement de libération patriotique de Côte d’Ivoire). "Révolutionnaire" pour le côté politique ; "patriotique" pour le côté militaire. Finalement le patriotisme l’emportera sur la révolution. Soro nous dit aussi qu’il a rédigé les statuts et les réglements du MPCI et qu’il était "le principal civil parmi les militaires et celui qui faisait la promotion de l’idéologie politique". L’insurrection devait être déclenchée en trois points : Korhogo au Nord, Bouaké au Centre et Abidjan au Sud. Messamba Koné menait l’attaque contre Korhogo ; Diarassouba Oumar (alias Zaga-Zaga) avait en charge Bouaké ; Ouattara Yssouf(alias Kobo) devait conquérir Abidjan.

L’offensive sur Bouaké et Korhogo va réussir ; à Abidjan, ce sera un échec. "Par manque de munitions" précise Soro. Les "rebelles" se replient alors sur le Nord ; la prise de Yamoussoukro est envisagée. "C’était possible, écrit Soro. Nos ennemis n’avaient guère de résistance à nous opposer. Les soldats gouvernementaux fuyaient, déguisés en paysans. Mais il a été décidé de pousser un peu plus au nord jusqu’à Tiébissou".

Tiébissou se trouve à une quarantaine de kilomètres au nord de Yamoussoukro. Pourquoi n’avoir pas pris le contrôle de Yamoussoukro, la ville de Félix Houphouët-Boigny, la capitale "officielle" de la Côte d’Ivoire ? Soro ne nous le dit pas. Lui, par contre, est "coincé" à Abidjan. Il va prendre contact avec un officier français pour sortir du piège ; l’officier refuse. Cheick Tidiane Gadio, le ministre des Affaires étrangères du Sénégal qui dirige la délégation de la Cédéao, affirme ne pas "pouvoir aider" Soro tandis que le général malien Diarra, présent également au titre de la Cédéao, affirmera que les Français estiment toute exfiltration impossible.

Ce n’est que près d’un mois plus tard, au lendemain du cessez-le-feu du 17 octobre 2002, que Soro, "déguisé en fille", a pu s’extraire d’Abidjan, gagner Bassam, s’embarquer sur une pirogue pour rejoindre le Ghana puis le QG des "rebelles" à Bouaké. Soro se présente alors comme le docteur Koumba. Le président sénégalais Abdoulaye Wade, qui s’efforce de désarmorcer la crise ivoirienne, ayant un contact téléphonique avec le "docteur Koumba" interrogera Soro : "Docteur en quoi ?" ; "docteur des universités" répondra le "rebelle".

Des questions se posent à la lecture de ce scénario. Le pouvoir se trouve à Abidjan ; pourquoi n’y avoir pas concentré le maximum des ressources en hommes et en armes alors que la prise de contrôle des deux villes du nord, acquises à l’opposition et nécessairement mal défendues, ne posait pas de problème ?
Pourquoi avoir engagé une "insurrection" à Abidjan sans prendre langue, auparavant, avec les responsables de la sécurité de leaders de l’opposition : Gueï et Ouattara, qui ont tous deux été surpris par une opération qui a provoqué, du fait de la riposte immédiate à l’encontre des leaders de l’opposition, la mort de Gueï et des siens et la fuite éperdue de Ouattara et de son épouse ?
Gbagbo étant absent d’Abidjan, en déplacement à Rome, qui a pris l’initiative politique de
liquider les leaders de l’opposition présents en Côte d’Ivoire ?
"L’insurrection" a-t-elle été éventée (ou vendue), provoquant son échec là où il lui fallait
absolument réussir : la capitale ?
La réaction rapide des forces de sécurité ivoiriennes est-elle liée au fait que la surprise n’en
était pas une ?
Quel était l’objectif politique de cette insurrection : un nouveau régime militaire à la Gueï sans Gueï ? Un gouvernement de transition mais avec quelles forces politiques : le PD CI, le RDR, les petits partis de gauche ?

Soro ne répond pas à ces questions. Il répond seulement aux accusations de Gbagbo : le coup d’Etat, soutenu par le Burkina Faso, devait profiter à Ouattara. Pour ce qui est du Burkina
Faso, Soro affirme : "Je le dis clairement. Ni le Burkina Faso ni aucun autre pays ne nous a jamais procuré d’armes". Soro ne dit pas grand chose sur Ouattara "l’une des plus fortes personnalités de notre scène politique" ; il souligne seulement que son parti, le RDR, est un
"parti libéral, alors que mon attachement à la gauche est bien connu" (Soro rappelle quand même qu’il a été colistier de Hemiette Dagri Diabaté aux législatives sur une liste RDR en 2000). Il ajoute, surtout : "Nous ne sommes absolument pas la branche armée de M Ouattara".

Décrivant ses "troupes", Soro évoque "un noyau de plusieurs dizaines de personnes surnommées les Zinzins et les Bah_foués. Ce sont eux qu’on trouve à la tête de la rébellion depuis que. après avoir loyalement servi leur pays. ils furent obligés de s’enfuir pour ne pas être exécutés". Il rend un hommage appuyé, également, aux dozos, les "chasseurs traditionnels" du Nord. Il réfute toute embauche de mercenaires mais affirme détenir des Sam 7 et avoir même récupéré des Alpha Jet.

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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Côte d’Ivoire : Guillaume Soro et la "révolution ivoirienne" de 2002 (4)

Les événements du 18-19 septembre 2002 n’étaient pas un mouvement de "mutins" mais une insurrection visant à renverser le régime de Laurent Gbagbo ; insurrection voulue et dirigée par le MPCI. C’est ce qu’affirme le secrétaire général des Forces nouvelles, Guillaume Soro, dans "Pourquoi je suis devenu un rebelle" (cf LDD Côte d’Ivoire 141 à 143/Lundi 9 à Mercredi 11 mai 2005). C’est une présentation nouvelle des événements.

Soro souligne, d’ailleurs, que le président Eyadéma, qui avait tenté de mener une médiation à Lomé, s’y était laisser prendre également. Il écrit à ce sujet : "Eyadéma considérait que ce qui se passait n’était qu’une mutinerie, à laquelle il fallait répondre par la distribution de primes aux militaires en colère. Il ne souhaitait aucunement traiter la dimension politique du conflit". C’est que les acteurs de ce conflit n’en avaient pas présenté "la dimension politique". Ce n’est que près de trais ans plus tard que Soro évoque une "insurrection" visant à prendre le pouvoir.

Pourquoi n’y être pas parvenu ? Il y a l’échec de l’opération militaire à Abidjan (cf LDD Côte d’Ivoire 0143/Mercredi Il mai 2005) mais, surtout, souligne Soro, l’interposition française. "L’ancienne puissance coloniale a choisi unilatéralement et sans respect pour le droit international d’intervenir de façon décisive. En effet, de la protection des ressortissants, l’action française a tourné rapidement au "soutien logisitique au gouvernement" et au blocage de nos propres forces [...] Sans leur intervention, nous aurions rapidement mis enfuite Laurent Gbagbo et sa clique. Sans ce secours injustifié, la démocratie ivoirienne aurait depuis longtemps été remise sur les rails" (sic). C’est une certaine vision des choses. Tout comme l’est cette affirmation de Soro : "Gbagbo a accédé au pouvoir avec l’aide des Français - le secrétaire général des Nations unies, l’Union africaine, les Etats-Unis d’Amérique avaient appelé à la reprise des élections, et c’est contre l’avis de tous que le gouvernement français a favorisé l’installation du FP I à la présidence ".

Dans son affirmation d’une politique anti-française, Sora compare (abusivement) la Côte d’Ivoire au Rwanda : "Un génocide menace, analogue". Et de nous expliquer qu’au Rwanda, en 1994, il y avait les Tutsi d’une part, les Hutu d’autre part et, enfin, "les Français qui avaient pris le relais des colons Belges et soutenaient à cette époque le régime en place ". Même schéma en Côte d’Ivoire. Il y a "les gens du Nord" d’une part, "les partisans de la doctrine de "1 ’ivoirité ", qui souhaient exclure les premiers de la communauté nationale" et, "bien sûr, là encore, la France".

Une (double) mise en cause de Paris qui ne sert ni la vérité historique (bien plus complexe que cela), ni la recherche d’une solution à la crise ivoirienne. Explication d’autant plus incohérente de la part de Soro qu’il écrit, par ailleurs, au sujet de l’assassinat de Jean Hélène et de la "disparition" de Guy-André Kieffer (dont Eric Fottorino, dans Le Monde d’aujourd’hui, daté du 12 mai 2005, vient de rappeler que cela a fait un an, le 16 avril dernier) : "La mort et la disparition de ces journalistes sont des messages clairs adressés à la France : nous éliminerons tout ce qui symbolise votre présence dans notre pays, afin de vous obliger à désarmer les rebelles dont vous êtes les complices ". Alors, qui Paris soutient-il ?

La question mérite d’être posée quand on lit, également, ce passage : "C’est même Dominique de Villepin, alors ministre des Affaires étrangères, qui se rend en personne le 4 janvier 2003 à Bouaké pour nous transmettre une invitation officielle. Par cet acte, la République française reconnaîtra notre influence sur une large partie du territoire ivoirien. C’est une date importante pour la reconnaissance du MPCI".

Aux médiations ("Elles ont malheureusement toutes échoué "), Soro consacre une petite dizaines de pages. Accra I qui a permis l’accord de cessez-le-feu ("Il [Gbagbo] n’a souhaité ce répit que pour réorganiser et armer ses soldats ") ; Lomé ("Cette négociation a échoué parce que la médiation a voulu limiter le problème ivoirien à des questions strictement militaires ") ; Dakar ("M Gbagbo a pris à cette occasion et devant le président sénégalais plusieurs engagements,. il n’en a tenu aucun ") ; Linas-Marcoussis (je vais y revenir) ; Accra II et III ("Il s’agit de tropicaliser les accords de Marcoussis ") ; Pretoria ("Abidjan [00’] a tenté de faire croire au médiateur sud-africain que le problème en Côte d’Ivoire était un problème de décolonisation, que la France était du côté des rebelles. [Thabo Mbeki] est évidemment méfiant des menées impérialistes des Européens sur notre continent".

De Marcoussis, Soro nous dit que c’était "un bon compromis [...] La rencontre se déroule bien et aboutit à une vraie feuille de sortie de crise en Côte d’Ivoire". Il ajoute :
"Nous étions prêts à accepter un schéma permettant à Gbagbo de sauver la face à condition qu’on en finisse pour de bon avec l ’ivoirité".

Du travail politique assumé pendant cette période, Soro ne nous dit rien. Rien sur ses
relations avec les chefs d’Etat africains ; pas un mot sur ses relations avec Omar Bongo Ondimba qui l’a reçu, à Paris, au lendemain de Marcoussis (mais il rend hommage à Abdoulaye Wade pour sa déclaration sur "les Burkinabè [qui] vivent aujourd’hui en Côte d’Ivoire ce qu’aucun Africain ne vit en Europe" et qui a permis aux "rebelles" d’obtenir leurs visas pour venir à Marcoussis). Pas un mot sur Albert Tévoédjrè et le Comité de suivi. Pas un mot sur Seydou Diarra, le Premier ministre et le gouvernement de réconciliation. Pas un mot sur ses relations avec Henri Konan Bédié et les leaders des partis signataires des accords de Marcoussis. Il passe rapidement sur bien d’autres aspects essentiels.

Sur les actions menées par le Mouvement populaire ivoirien du Grand Ouest (Mpigo) et du Mouvement pour la justice et la paix (MJP), dans l’Ouest, il dit seulement :
"Nous avons soutenu la naissance de ces rebellions. Nous avons dépêché des troupes pour combattre aux côtés du Mpigo et du MJP. Nous formons aujourd’hui avec eux la belle alliance des Forces nouvelles" ; quant aux "débordements" attribués aux Libériens, il les expédient en une phrase : "J’ai donc pris la décision de renvoyer les Libériens chez eux ".

De la situation sur le terrain, nous ne saurons pas grand chose : "Des dérapages sont [...] intervenus au sein des Forces nouvelles" mais, essentiellement, parce que "l’interposition française a interdit une victoire rapide. Elle a en revanche favorisé le réarmement du pouvoir d’Abidjan". A lire Soro, dans les "zones sous notre contrôle" apparaît "notre souci d’organisation et notre attachement au respect des droits de l’homme" ; il ajoute : "C’est là qu’on voit la formation idéologique et politique que nous avons réussi à inculquer au groupe ". Il Y a, bien sûr, l’affaire "IB ".

D’Ibrahim Coulibay, Soro ne dit pas de bien ("présomptueux" ; préférant "visiblement vivre prudemment, loin du front" ; "un garde du corps de personnalités plutôt qu’un commando" ; il "n’a jamais trouvé l’occasion de montrer son courage ", etc.). Evoquant les affrontements entre les Forces nouvelles et les troupes de "IB", il parle de "souvenir atroce et douloureux", se dédouanant aussitôt : "Ma lutte est une lutte pour la démocratie, la liberté".

L’avenir de la Côte d’Ivoire, selon Soro, tient en deux phrases : "J’ai aujourd’hui les moyens humains, matériels et militaires de venir à bout de l’armée et des milices d’Abidjan [’00] Mais l’intérêt général commande de faire l’économie de ce conflit". C’est ce que chacun des deux camps affirme depuis près de trois ans tout en restant ferme sur ses positions : Gbagbo veut le désarmement des "rebelles" ; Soro sait que ce désarmement unilatéral sera le signal du déferlement du Sud sur le Nord. Alors, en attendant, il reste du temps pour écrire des livres.

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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