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Côte d’Ivoire : Guillaume Soro et la "révolution ivoirienne" de 2002

Publié le lundi 16 mai 2005 à 10h44min

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C’est un livre. Cela aurait pu être une conférence de presse ; ou un entretien (il est d’ailleurs qualifié, en page intérieure : "entretiens avec Serge Daniel"). Il est signé Guillaume Soro ; titré "Pourquoi je suis devenu un rebelle" ; sous-titré : "La Côte d’Ivoire au bord du gouffre".

C’est Hachette Littératures qui publie ces 158 pages (+ une chronologie). Lecture rapide, facile, séduisante. Mais qui n’apprend rien à ceux qui suivent, au jour le jour, la situation de la Côte d’Ivoire ; mais apprendra beaucoup sur la vision qu’en a Guillaume Soro, "secrétaire général des Forces nouvelles, ministre d’Etat, ministre de la Communication".

"Dire d’où l’on vient, où l’on veut aller et comment on peut y aller. Voilà l’équation que doivent résoudre les responsables politiques ivoiriens". C’est ce que j’écrivais au lendemain du coup de force militaire des "mutins" du 18-19 septembre 2002 (cf LDD 042/Jeudi 24 octobre 2002) alors que la "grande opposition" ivoirienne, PDCI et RDR, ne sortait plus le bout du nez du trou dans lequel elle était terrée et que la "petite opposition" tentait d’occuper le terrain politique abandonné par les leaders historiques.

Au sein de cette "petite opposition", il Y avait notamment le professeur Bamba Moriféré, secrétaire général du Parti pour le progrès et le socialisme (PPS) ; ce n’était pas un nouveau venu sur la scène politique ivoirienne même s’il a toujours été en marge des grands mouvements de l’opposition (mais il avait participé, autrefois, au Front républicain). Doyen de la faculté de pharmacie d’Abidjan, il avait été élu, le 10 novembre 1985, député PDCI dans la circonscription de Daloa-Commune et avait accédé à la vice-présidence de la commission des affaires sociales et culturelles à l’Assemblée nationale.

En janvier 1989 (c’était encore le régime du parti unique), il avait été interpellé par la police alors qu’il était porteur de documents" compromettants". L’affaire fera la "une" de la presse locale. Il s’agissait, en fait, du manifeste du Modejust, un groupuscule qui dénonçait la politique menée par le... PDCI. Le Modejust prônait un Etat qui ne soit "l’instrument d’aucun parti politique" et une armée "intégrée dans le processus de construction nationale ", cessant ainsi "d’être l’instrument de la répression intérieure". Quand le multipartisme sera institué, le Modejust ne réapparaîtra pas ; Moriféré aura créé le Parti socialiste ivoirien (PSI) avant de fonder le PPS.

Moriféré a pris ses responsabilités dès le mardi 22 octobre 2002, dans une "déclaration relative au conflit actuel en Côte d’Ivoire ", soulignant que "la cause fondamentale de ce conflit armé réside dans la politique de l’ivoirité et la tribalisation du débat politique mises en oeuvre sous le régime Bédié, remises à l’ordre du jour par feu le général Gueï après le dévoiement de la transition dans le but de confisquer le pouvoir d’Etat, politique d’ivoirité rendue constitutionnelle sous la IIème République et exacerbée sous ce même régime par la substitution du concept de village à la loi, particulièrement dans la question de l’attribution de la carte nationale d’identité". Le P P S réclamait alors l’abrogation de la Constitution, "le retour au principe fondamental et républicain d’égalité entre tous les fils d’une même nation ", la formation d’un gouvernement d’union nationale de transition chargé d’organiser des "élections libres, justes et transparentes" (cf LDD Côte d’Ivoire 041/Mercredi 23 octobre 2002).

Si j’évoque Bamba Moriféré, c’est que la filiation entre les animateurs du PPS et ceux du MPCI me semble incontestable. La "déclaration" du mardi 22 octobre 2002 a permis la politisation du mouvement initié par les "mutins" un mois auparavant ; on ne parlera plus, alors, de "mutins", mais du Mouvement patriotique de Côte d’Ivoire (MPCI) dont le secrétaire général sera Guillaume Soro Kigbafori. On savait, alors, peu de choses de lui.

La trentaine, né aux alentours de 1970, devenu majeur quand la Côte d’Ivoire est passée du parti unique au multipartisme, il a connu la fin des années Houphouët mais, surtout, les années Bédié. Ce sont les années des grandes manifestations des étudiants ivoiriens sous la conduite de la Fédération estudiantine et scolaire de Côte d’Ivoire (Fesci) qui s’était construite dans la lutte pour la démocratie et contre l’houphouëtisme. Trois leaders ont marqué la vie et l’action de la Fesci : Joseph-Martial Ahipeaud, Guillaume Soro et Charles Blé Goudé.

La Fesci est née dans le giron des syndicats enseignants ivoiriens, entre gauche socialiste et gauche révolutionnaire. Elle est alors proche du FP I de Laurent Gbagbo qui, étant enseignant et leader historique de l’opposition à Félix Houphouët-Boigny, cristallisait autour de lui la plupart des oppositions au régime d’Houphouët puis à celui de Henri Konan Bédié.

Guillaume Soro est un nordiste chrétien (comme l’est Laurent Fologo qui a été le patron du PDCI sous Houphouët et Bédié). Il va organiser, avec Joseph-Martial Ahipeaud, toutes les grandes marches de protestation menées contre Bédié, les grèves universitaires, les affrontements avec les forces de l’ordre. Pendant une quasi décennie, la contestation va être permanente sur les campus ivoiriens et les étudiants vont être le fer de lance des partis politiques d’opposition.

Soro et Ahipeaud, plusieurs fois arrêtés et torturés, finiront pas être exclus de l’université et trouveront refuge à l’étranger ; c’est Charles Blé Goudé qui va prendre leur suite à la tête de la Fesci. Depuis l’étranger, Soro-Ahipeaud ne cesseront pas de militer. Cette opposition radicale, même si elle ne s’inscrivait pas dans le "libéro-centrisme" prôné par Alassane Ouattara, n’hésitera jamais à se mobiiiser en faveur de l’ancien Premier ministre de Houphouët-Boigny. Il est le seul, pensaient-ils, qui puisse faire exploser le système Bédié.

A la suite du coup d’Etat du 24 décembre 1999 qui amène Gueï au pouvoir (et va permettre, quelque temps, le regroupement des oppositions à Bédié autour du général), le tandem Soro-Ahipeaud va se réinstaller en Côte d’Ivoire. Soro est pris en charge par le professeur Moriféré ; il structure l’organisation de jeunesse qui, au sein de la coalition formée autour de Gueï, entend liquider définitivement le régime PD CI.

L’explosion de la coalition, la rupture Gueï-Ouattara, va amener les deux leaders étudiants à choisir leur camp. Ahipeaud, originaire de l’Ouest, rejoint celui de Gueï ; Soro, originaire du Nord, rejoint celui de Ouattara. Quant à Blé Goudé, il est, comme Gbagbo, originaire du Centre-Ouest. Après le coup de force du 18-19 septembre 2002, Soro va être l’organisateur, début octobre, de la grande manifestation de solidarité de la population de Bouaké avec les "mutins".

V oilà ce que je savais de Soro au lendemain de cette crise militaro-politique majeure. J’écrivais alors : "Soro possède un réel savoir-faire politique,. il a des connexions avec la gauche ivoirienne à laquelle il appartient,. il est, ethniquement, proche de Ouattara. Il a conscience que la solution à la crise qui perdure depuis le début de la décennie 1990 passe par les urnes et non pas par les armes. Il est un interlocuteur crédible pour tous ceux qui veulent trouver une solution rapide. Il est, aujourd’hui, une raison d’espérer. La seule raison d’espérer" (cf LDD Côte d’Ivoire 042/Jeudi 24 octobre 2002). J’ai rencontré Soro, à Ouagadougou, le lundi 17 février 2003, à l’occasion d’une conférence de presse. J’avais trouvé son discours "clair, net et précis,. responsable". Je lui trouvais "de la rigueur intellectuelle et plus encore de la détermination politique. Il sait où il va, comment il peut y aller. Et avec qui. Il sait, diplomatiquement, ménager ses alliés. Se refuse à céder à toute provocation. Il ne manque pas d ’humour, a le sens des formules, sait se montrer habile sans vraiment être démagogue". A la lecture de son livre, je retrouve, pour l’essentiel, les mêmes qualités.

Jean-Pierre BEJOT
LA Dépêche Diplomatique


Côte d’Ivoire : Guillaume Soro et la "révolution ivoirienne" de 2002 (2)

"Pourquoi je suis devenu un rebelle ". En 158 pages, Guillaume Soro, "secrétaire général des Forces nouvelles, ministre d’Etat, ministre de la Communication ", entend nous apporter une réponse. Ce livre, publié par Hachette Littératures, se lit facilement ; c’est qu’il est un témoignage humain avant d’être doctrinal. Sa structuration n’est pas chronologique ; Soro fait d’incessants allers-retours, mais sans que jamais on perde le fil de "l’histoire".

Cette histoire commence voici tout juste 33 ans (joli symbole pour un chrétien), le 8 mai 1972. C’est dans le département de Ferkessédougou (où ont été implantés les complexes sucriers qui ont causé bien des tourments à Henri Konan Bédié quand il était ministre des Finances), dans l’extrême-nord (Ferké est le fief de Laurent Dona Fologo, patron du PDCI sous Félix Houphouët-Boigny et Bédié et, depuis, adepte de l’errance politique de Robert Gueï à Laurent Gbagbo) qu’est né Soro. Son village s’appelle Diawalla ; c’est un Sénoufo mais de père et de mère catholiques (comme l’est majoritairement le département de Ferkessédougou).

Son père appartient à l’ex-CFDT (devenue, depuis Dagris, et dont les activités ivoiriennes ont été filialisées dans le cadre de la CIDT), la compagnie française qui assure le développement de la culture du coton (démarrée en Côte d’Ivoire en 1964 seulement). La famille est catholique mais pratique la polygamie ; Guillaume est le premier enfant d’une fratrie de neuf dont cinq de même mère que lui.

Niellé, Katiola, Ouaninou, Mankono : sa scolarisation va s’effectuer en fonction des affectations de son père dans la zone cotonnière ; elles lui permettent de parler, hormis le sénoufo, le tagouana, le malinké, le dioula. En 1984, Guillaume obtient son certificat d’études primaires et songe à une vocation... religieuse ; il rejoint le petit séminaire de Katiola, beaucoup plus au sud, à une cinquantaine de kilomètres au nord de Bouaké. Sa vocation religieuse va vite se dissoudre au fil des années (il y gagnera cependant un surnom : "petit prêtre ") ; il obtient son BEPC et rejoint le lycée classique de Bouaké. Il décroche son bac littéraire en 1991, veut s’inscrire en faculté de droit mais se retrouve en faculté de lettres pour des études d’anglais.

Abidjan est, déjà, en ébullition. Le multipartisme est à l’ordre du jour ; les étudiants et élèves ont créé, le 21 avril 1990, la Fédération des étudiants et scolaires de Côte d’Ivoire (Fesci) qui s’oppose (souvent violemment) au Mouvement des élèves et étudiants de Côte d’Ivoire (Meeci) sous la tutelle du parti unique, le PDCI. C’est Martial Ahipeaud le patron de la Fesci qui bénéficie du soutien des leaders de l’opposition de gauche (qui appartiennent tous au corps professoral) : Laurent Gbagbo (Front populaire ivoirien) ; Francis Wodié (Parti ivoirien des travailleurs) ; Bamba Moriféré (Parti socialiste ivoirien) ; Zadi Zaourou (Union des sociaux-démocrates).

Soro rejoindra la Fesci à la fin de l’année 1991, après la reconnaissance officielle du multipartisme et les affrontements violents entre l’armée et les étudiants à la cité de Yopougon dans la nuit du 17 au 18 mai 1991. Première arrestation et premier emprisonnement pour Soro en 1992 lors de la marche organisée par le FP I de Gbagbo pour protester contre le refus du régime d’inculper les responsables de l’agression (marquée par des scènes de torture, de viol, etc.) de la cité universitaire de Yop. Il a vingt ans.

En décembre 1993, Houphouët-Boigny meurt et Bédié prend sa succession. Soro ne commente pas cet événement. C’est sans doute qu’il voit une continuité de l’un à l’autre ; continuité, notamment, dans la répression du mouvement des étudiants. En 1994 et en 1995 (il revient de Ouagadougou où il a assisté à un congrès de syndicats étudiants ; il est suspecté d’y avoir préparé un coup d’Etat), il connaît, à nouveau, la détention et, dit-il, la torture. Il va subir, règle du jeu ivoirien, la Formation commune de base (FCB) à l’école de police. Le 3 février 1997, après le déclenchement de la plus grande grève estudiantine jamais organisée en Côte d’Ivoire, il sera à nouveau arrêté et transféré à la prison civile d’Abdjan. Il est inculpé "d’atteinte à la sûreté de l’Etat". Il sera libéré quelques semaines plus tard sous la pression des événements.

Depuis 1994, Soro est devenu le patron de la Fesci ; à ce titre, il voyage dans la sous-région (mais également en France et en Allemagne) pour participer aux différents congrès étudiants. Il est, tout naturellement, en contact avec les leaders de l’opposition qui appartiennent tous au corps enseignant : Gbagbo t’je connais très bien son épouse. Nos relations étaient sans ombre "), Wodié, Zaourou ("très cultivé [et] qui, malheureusement, a cédé ensuite aux sirènes clientélistes du pouvoir et a rejoint le gouvernement de Bédié, le chantre de l ’ivoirité "), Moriféré. Commentaire de Soro : "Mafamille naturelle restait la gauche ivoirienne ".

A la fin de l’année 1998, alors que les tensions politiques se multiplient en Côte d’Ivoire, Gbagbo va imposer son "candidat" à la tête de la Fesci : c’est Blé Goudé (le futur leader des
"Jeunes Patriotes "). Soro quitte non seulement la direction du syndicat mais aussi la Côte d’Ivoire. "Je suis parti. La rupture était consommée entre nous [c’est-à-dire avec Gbagbo]. J’avais acquis la conviction que mes anciens camarades avaient entamé une dérive non seulement droitière mais surtout tribale et xénophobe ", écrit-il. Destination : la France. Pour peu de temps : moins d’un an plus tard, Bédié est balayé par le coup de force des militaires, à la veille de Noël 1999.

Commentaire de Soro : "Les jeunes militaires qui ont pris le pouvoir ont installé aux commandes le général Robert Guéi, l’un des officiers les plus respectés du pays. Il avait peur, ne voulait pas exercer de responsabilités politiques. Mais sous les encouragements de sa femme et des jeunes mutins, il a finalement fait sa première déclaration sur une radio commerciale d’Abidjan. C’était désormais notre nouveau chef d’Etat. Ce coup d’Etat a été approuvé par la quasi-totalité de notre armée. Les civils aussi ont applaudi. Une période de réconciliation entre les militaires, mais aussi entre les militaires et les civils, s’ouvrait dans notre pays ". Il ajoutera ; "Si j’avais, pour ma part, trouvé salutaire le coup de force qu’ils avaient effectué [n.] pour installer le général Guéi, j’ai attiré leur attention sur la nécessité d’un encadrement politique [n.] Nous étions convaincus que la tentation de l’argent et le pouvoir étaient des ennemis que seule une organisation politique solide pouvait conjurer". Il ne sera pas entendu. Résultat : "Un régime de terreur s’était installé sous Guéi très vite allié à Laurent Gbagbo et à ses séides".

Lors de la présidentielle organisée fin 2000, alors que l’opposition a été laminée par la "loi", Gbagbo va prendre le dessus sur GueL "Arrivé au pouvoir par un coup d’Etat, le FPI était
prêt à conserver le pouvoir par tous les moyens, y compris les armes". Le jeudi Il janvier 2001, Soro reprend la route de l’exil : Mali, Burkina Faso, France. Il s’inscrit en maîtrise d’anglais et en sciences politiques à Paris VIII. "Je découvrais la France de Victor Hugo, de Charles Baudelaire, d’Anatole France [n.] Je n’oublierai pas non plus Lénine, que j’ai beaucoup lu. J’ai un grand respect pour cet homme, malgré la dimension totalitaire du régime qu’il a instauré" (il souligne que la barbichette qu’il porte est un "clin d’oeil" à Vladimir Illitch Oulianov, alias Lénine). Son "blaze" à lui, c’est Bogota.

Il utilise aussi l’un de ses prénoms : Kigbafori, "l’invincible" en sénoufo. Au cours de ces deux années d’exil, Soro va maintenir le contact avec les militaires ivoiriens qui, ayant participé au coup de force de 1999 mais originaires du Nord, se trouvent dans le colimateur du nouveau régime. Ils sont, dit-il, "sensibles aux objectifs de notre lutte". C’est le début d’une collusion entre des politiques ivoiriens et une partie de l’armée.

(A suivre)

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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