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Le CESAO à la croisée des chemins

Publié le mercredi 10 décembre 2003 à 10h08min

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Le Centre d’études économiques et sociales de l’Afrique de l’Ouest (CESAO), notamment le Centre de Bobo-Dioulasso, est une des structures les plus expérimentées en Afrique de l’Ouest dans l’appui au développement du monde rural. Comme de nombreuses institutions avant lui, le Centre est aujourd’hui à la croisée des chemins.

A l’heure des grands débats mondiaux, notamment sur l’avenir des agriculteurs et de l’agriculture dans les pays pauvres, nous avons jugé utile d’approcher ses responsables pour en savoir plus sur leur position et la mise en œuvre de leur politique de réadaption.

Dans cette interview, la parole est au Secrétaire général de l’Association internationale CESAO, M. Grégoire C. Coulibaly.

Sidwaya (S.) : Qu’est-ce que le CESAO aujourd’hui ? Est-il seulement un éducateur du monde rural ?

Grégoire C. Coulibaly (G.C.C.) : Le CESAO est une institution d’appui et de formation. Il a essentiellement quatre (4) modalités d’intervention. Il intervient par l’information, la formation, le conseil et l’appui. A l’origine, son public était effectivement le monde rural, à travers ses organisations de base, ses organisations faîtières. Mais ces dernières années, le CESAO s’ouvre graduellement aux réalités urbaines et périurbaines. Donc, c’est principalement une institution d’appui, de formation, de conseil, d’accompagnement des populations rurales. Mais, l’institution fait aussi des efforts pour demeurer un lieu de référence en matière de réflexion, d’échange et d’analyse prospective sur les grands enjeux et les défis du développement.

S. : Vous venez de clôturer, en fin octobre, une première série de sessions de formation du programme 2003-2004. Que doit-on retenir à l’issue d’un mois de travail ?

Nous retenons de cette formation que le CESAO a pu, grâce à l’appui de ses partenaires, donner des enseignements, des renforcements de capacités aux acteurs du développements de la sous-région. Ainsi, nous avons reçu 45 stagiaires de 9 nationalités différentes, venus pour se renforcer sur les trois (3) thèmes suivants : le premier thème porte sur "Appui au renforcement institutionnel des organisations paysannes", le second sur "Appui aux organisations paysannes de femmes dans la promotion des activités rémunératrices" et le troisième sur "Conception, réalisation et évaluation d’un module de formation".

Ce que nous retenons essentiellement de ces formations c’est que les uns et les autres ont pu, grâce aux différentes méthodes et outils donnés, se renforcer et acquérir de nouvelles connaissances qui vont être un intrant dans leurs activités une fois de retour dans leurs milieux respectifs. Nous pouvons aussi dire que cela a été une grande ouverture en terme de vision parce que, lorsque vous réunissez des personnes de différents contextes, il y a là une opportunité de réseautage entre les acteurs d’une part, et d’autre part une capacité qui se dégage en terme d’équipe, de construction de vision commune et en terme de référence des outils respectifs et de critiques constructives.

Enfin, nous pouvons retenir que les conférences publiques qui ont été données ont permis d’élargir les horizons des uns et des autres. On peut retenir notamment la conférence sur la mondialisation, les négociations internationales et la question des subventions agricoles. On peut également retenir la conférence qui a été donnée sur l’intégration sous-régionale. Une autre a été faite sur les stratégies de lutte contre la pauvreté aussi bien au niveau de l’UEMOA (donc des huit pays), qu’au Burkina Faso. Il y a eu également la conférence qui a été donnée sur la décentralisation et enfin sur les commissions villageoises et les commissions inter-villageoises de gestion des terroirs.

Nous retenons que cela a été un creuset, un laboratoire d’apprentissage pour tous. Surtout, la partie qui a été davantage intéressante est la partie qui a été relayée par les stagiaires à la fin de la formation, ce sont les stages-terrain. Parce que certains se sont déplacés dans la région de Sikasso au Mali, en milieu rural, d’autres sont allés dans la région du Sud-Ouest et le 3e groupe est allé dans la région du Centre Ouest du Burkina Faso. Cela a été vraiment de grandes opportunités pour toucher les réalités, tester des outils et réellement avec cela, nous pensons que les uns et les autres ont des intrants suffisants. On peut aussi retenir un avantage additionnel dégagé, à savoir que les uns et les autres, en repartant, ont élaboré, amendé et enrichi ensemble leurs propres projets de retour. C’est-à-dire qu’une fois de retour chez eux, il y a un prolongement de la formation qui a été acquis. Nous avons pu donner des outils, notamment des documents relatifs à la problématique des thèmes.

S. : Il revient souvent dans nos discours et interventions que le CESAO est à la croisée des chemins. Que faut-il entendre par-là ? Cela signifie que le CESAO est dépassé ?

Le CESAO, comme toute institution dynamique, est traversé par un certain nombre de processus.

En 1995, nous avons fait faire une évaluation institutionnelle. Et cette évaluation avait mis le doigt sur un certain nombre de changements que le CESAO se devait d’opérer pour s’adapter à son contexte.
De 1995 à 2000, l’institution a essayé de revoir ses orientations. Suite à cette évaluation, une des grandes orientations a été d’opter pour la stragégie d’appui. Celle-ci consiste à inscrire les actions dans la durée en vue d’un meilleur impact.

En 2000-2001, nous avons fait ce que l’on appelle une étude de repositionnement. Cette étude confirmait le constat qui avait été fait en 1995 à savoir qu’il était impérieux pour l’institution de se réadapter. Cela sur plusieurs plans : au niveau de la vision : où veut aller le CESAO ? avec qui (le public) ? et comment (stratégie) ?

La vision nouvelle, c’est de redevenir une institution de réference dans le monde Ouest-africain

Quand nous disons que nous sommes à la croisée des chemins, c’est par rapport à ces paramètres-là. Aujourd’hui, la vision nouvelle, ce que nous souhaitons être, c’est de redevenir une institution de référence dans le monde Ouest-africain de l’appui au développement. Notre objectif global est de contribuer à l’émergence d’une société civile rurale qui joue activement son rôle à l’échelle de l’Afrique de l’Ouest.

Donc, pour cela nous avons réaffirmé que notre public prioritaire, ce sont les organisations paysannes et professionnelles. Même si nous sommes attentifs à d’autres publics, nous avons recentré notre intervention sur ce public-là.

Une autre problématique qui est apparue dans l’étude de repositionnement, c’est que l’institution est jugée assez lourde, du point de vue de sa taille, en terme de management, en terme d’efficacité et d’impact. L’étude de repositionnement recommandait entre autres : de restructurer l’institution, de l’alléger, de procéder à la décentralisation. Comme vous le avez, nous avons une structure décentralisée qui est au Sénégal, le Pôle Régional CESAO. Ce que nous essayons de mettre en œuvre, c’est donc de décentraliser de plus en plus le CESAO. Nous avons une perspective au Niger, la création d’un Pôle Niger qui sera une structure légère. Parce que l’idée de la décentralisation c’est d’avoir des structures légères proches de la clientèle, qui élaborent des produits pertinents, adaptés aux besoins du public et aux contextes spécifiques.

Pour répondre à votre question, le CESAO comme toute autre institution fait des efforts de réadaptation, se met à jour par rapport à son environnement et au contexte international. Il n’est pas dépassé ; au contraire, il essaie d’anticiper même si cela est difficile.

S. : La lourdeur dont vous parlez n’est-elle pas aussi due au caractère international du CESAO et même multidimensionnel ?

L’internationalité des ressources humaines qui travaillent au CESAO enrichit son patrimoine. L’internationalité des interventions ajoute à la visibilité au niveau de la sous-région. L’internationalité, c’est plutôt un atout.

S. : La décentralisation dont vous parlez a-t-elle dans ses visions une ouverture sur le monde anglophone, Nigéria ou Ghana par exemple ?

La question de la décentralisation relève de la compétence du Conseil d’Administration. Celui-ci a déjà eu en effet à évoquer la nécessité ou la perspective pour le CESAO de s’ouvrir au monde anglophone, mais ce sont des limites institutionnelles (langues, connaissances du contexte) qui repoussent la réalisation de cette perspective.

A terme, il est souhaitable que l’institution tienne compte du monde anglophone dans la politique de ressources humaines.

S. : Pouvez-vous nous parler un peu du partenariat avec les différents intervenants sur le terrain rural, car apparemment, tous n’ont pas la même vision ?

C’est vrai qu’il y a de nombreux acteurs au niveau du monde rural et tous réclament faire de l’auto-promotion. Le CESAO est un pionnier en la matière. Il y a des acteurs qui sont en fait le prolongement des actions du CESAO ; parce que de nombreux responsables de structures dans la sous-région ont été formés au CESAO. Quand nous les voyons aujourd’hui comme acteurs, comme acteurs d’appuis, responsables, c’est un peu à mettre à l’actif du CESAO. Le CESAO est, de ce point de vue un peu victime de son impact ; mais au total, il y a de la place pour tout le monde.

Dans le foisonnement actuel des intervenants, nous au CESAO, nous sommes très soucieux d’affirmer notre identité et de garder notre âme.

Chaque institution a sa spécificité et sa philosophie d’intervention. Ce qui se passe c’est qu’il y a des structures de concertation qui existent à l’échelle des ONG au niveau national. Et le CESAO est membre de ces structures où il partage ses expériences, discute des problèmes de collaboration sur le terrain.

Il est important de rappeler le socle identitaire sur lequel repose l’institution CESAO ; pour déterminer où on veut aller, il faut se souvenir de ce qu’on est. Le préambule aux statuts dit ceci : "En approuvant en 1978 la mise en place d’une Association Internationale CESAO, les Evêques du Burkina Faso et du Niger ont confirmé leur sollicitude au sujet des problèmes de développement, conscients que l’Eglise doit être le signe permanent de libération de l’Homme...."

L’Association CESAO se fixe comme but :

De contribuer, en liaison avec la Conférence Episcopale des pays intéressés et en collaboration étroite avec les pouvoirs publics et les organismes privés confessionnels ou non, à la promotion d’un développement global et participatif basé sur un humanisme spiritualiste, personnaliste et communautaire, principalement dans les pays de l’Afrique de l’Ouest (art.4 des statuts de l’Association).

Le CESAO est résolument engagé dans les activités de promotion humaine aux côtés de l’Eglise, aux côtés des hommes et institutions de la société civile. Notre action est guidée par les valeurs ci-après :

* Un développement au service de tout homme et de tout l’homme.

* Un développement participatif impliquant la prise en charge des personnes et des groupes par eux-mêmes.

* Un développement au profit de tous, avec une attention particulière en faveur des plus pauvres.

* Un développement qui sauvegarde les valeurs sociales et culturelles des communautés impliquées.

S. : Quelle est votre appréciation sur la gestion des OGM et des subventions aux agriculteurs occidentaux ?

G.K. : Nous pensons que la question des Organismes génétiquement modifiés est un problème d’actualité et également un problème d’avenir. Parce que si on y voit de très près, c’est en fait le pouvoir de l’argent qui est en train de dominer.

Ce qui motive les gens à produire des OGM, c’est surtout pouvoir breveter la vie

Cela est contraire à notre éthique. C’est surtout pour pouvoir rendre dépendant les petits producteurs et même les moyens, acquérir de l’argent. Nous trouvons que c’est un risque. Si non, sur le plan technologique et sur le plan scientifique, c’est bien qu’il y ait cette ouverture de la bio-technologie pour explorer des formes plus solides, capables de préserver la sécurité alimentaire. Nous savons que dans 25 ans, la population mondiale va plus que doubler.

Alors, est-ce que les champs actuels, leur niveau de fertilité actuelle, les facteurs de productivité actuelle, nous permettent de dire que dans 25 ans on pourra nourrir l’humanité ? La question se pose. Nous pensons que la question des OGM mérite encore beaucoup de précautions et que l’on ne s’y emballe pas. Parce que le risque est d’autant plus grand qu’on ne maîtrise pas les retombées de la chose. Pour le CESAO, nous préconisons des précautions, que les gens fassent des tests à petite échelle et surtout que l’on promeuve en lieu et place, l’agriculture biologique qui permet de préserver la vie, au lieu de se fonder sur le capital.

Pour les subventions agricoles, nous avons eu à débattre de la question pendant les stages. Ce qui ressort de la position du CESAO, c’est de lutter contre le dérèglement du marché, le dérèglement des échanges commerciaux.

Le fait d’écraser les petits producteurs, les producteurs de coton et autres produits agricoles dans les pays sous-développés du fait des subventions que les pays développés accordent à leurs propres producteurs, soit de manière visible, soit de manière invisible, fait que nous sommes plutôt pour un système d’échanges équitables. Mais il va valoir que tous les acteurs africains, depuis les producteurs jusqu’aux décideurs, soient mobilisés pour défendre la cause des producteurs.

S. : Il est de plus en plus question d’ériger des communes rurales dans notre pays. Quel est le message du CESAO et l’appréciation que vous portez sur cette perspective ?

G.K : La décentralisation, c’est un processus qui est en cours dans la sous-région. Je connais bien l’expérience du Sénégal où la mise en œuvre de la décentralisation est assez avancée. Le CESAO a déjà commencé à jouer un rôle dans ce domaine non seulement au Sénégal, mais aussi au Burkina.

Notre point de vue, c’est que c’est un processus qui est fondé sur la responsabilisation des acteurs locaux. Pour nous, c’est tout à fait conforme à notre philosophie d’intervention. Maintenant, nous pensons que nous pouvons jouer un rôle dans ce processus, à plusieurs niveaux. Nous voyons le niveau de l’appropriation des textes par les acteurs à la base. Et nous pensons que le CESAO peut appuyer, contribuer au renforcement des capacités des élus locaux, parce qu’après les compétitions, il y en a qui seront élus sans qu’ils aient une connaissance des textes de base, sans avoir les compétences. Donc le CESAO doit travailler au renforcement des compétences.

Ce renforcement concerne non seulement la connaissance des textes, mais aussi le fonctionnement des communes, l’élaboration des budgets, la question de l’état civil et la gestion de tous les domaines décentralisés. Il y a aussi un autre domaine, c’est faciliter les échanges, la concertation à travers les publications sur la vie des communes, les avancées, les limites de la décentralisation. Voilà des rôles que le CESAO peut jouer sur ce nouveau créneau de la décentralisation.

Il faut ajouter que dans ce cadre, nous envisageons, en partenariat avec l’IUED de programmer pour 2004, une session de formation sur la décentralisation. Elle va regrouper les agents/cadres, les élus locaux de la sous-région.

La question de la décentralisation, le CESAO, la traite déjà au Sénégal, au Burkina, au Mali. Nous venons de rentrer du Niger où ils sont à la veille de la mise en place des communes et il y a une forte demande en direction du CESAO pour l’accompagnement des élus locaux. C’est vraiment un créneau porteur sur lequel nous entendons nous positionner car nous en avons les atouts.

Jean-Luc BONKIAN
Sidwaya

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