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Alice Tiendrebéogo : "Je ferai toujours de la politique"

Publié le mardi 10 mai 2005 à 11h39min

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Elle est mordue des questions liées à la cause de la femme. Ancienne ministre, députée, aujourd’hui "retranchée" dans la direction d’institutions de promotion de l’éducation des filles, Alice Tiendrebéogo aura passé toute sa vie à parcourir le Burkina et le monde pour évoquer la situation de ses sœurs.

C’est cette dame à la cinquantaine allègre, fervente militante et défenseur des droits de la jeune fille, qui refuse de parler de retraite, que Sidwaya Plus a rencontrée pour vous.

Sidwaya Plus (S.P.) : Peut-on savoir davantage qui vous êtes ?

Alice Tiendrebéogo (A.T.) : Je suis la fille de Philippe Zinda Kaboré. Mon père est mort quand j’étais toute petite et cela a beaucoup joué sur ma personnalité. Parce que ma mère m’a beaucoup protégée compte tenu de cette situation.

Mon père était un intellectuel de l’époque. Il était toujours major de sa promotion à William Ponty. Ma mère voulait que je sois pharmacienne, dès l’âge de 5 ans, elle m’a appris à lire. Elle s’est beaucoup battue pour que je donne le meilleur de moi-même à l’école. Elle me battait en classe de 3e et seconde, mais finalement, je n’ai pas aimé la physique et la chimie donc je me suis orientée vers les lettres modernes au lieu de la pharmacie. J’ai alors fait l’histoire et la géographie. Je me suis alors tournée vers le mouvement associatif et la politique.

S.P : Qu’est-ce qui vous a motivée à vous intéresser à la politique ?

A.T. : On ne rentre pas dans la politique de manière délibérée. Je me suis intéressée à la vie des peuples et je me suis rendue compte qu’il y avait beaucoup d’injustice. Des idées socialistes m’ont emballée. Ce qui m’a amenée à adhérer au Mouvement de libération nationale, le parti de Joseph Ki-Zerbo à l’époque.

S.P. : Vous avez plusieurs fois été ministre, députée, quel bilan faites-vous de votre parcours ?

A.T. : Mon idéal politique n’était pas d’être un jour nommé ministre. Je voulais plutôt être professeur à l’université parce que j’ai fait un doctorat en sciences de l’éducation. Dès que la révolution est née je me suis vraiment engagée et on m’a appelée au ministère de l’Action sociale ensuite au ministère de l’Enseignement de base et de l’Alphabétisation.

Mais je me suis plus intéressée au ministère de l’Enseignement parce qu’il y avait beaucoup à faire compte tenu de ma qualification. Ensuite, j’ai été députée et je pense que pour une femme, vu les difficultés à s’imposer dans la vie politique, je peux dire que j’ai eu beaucoup de chance.

S.P. : Quels enseignements tirez-vous de votre passage au MEBA ?

A.T. : J’ai pu faire beaucoup de choses au MEBA parce que j’y suis restée pendant longtemps. Quand on est ministre il faut d’abord comprendre ce qui se passe et faire des réformes. Au MEBA, il y a eu des points importants telle l’alphabétisation puisque l’Etat n’y était pas impliqué à l’époque sauf après les opérations commandos. Donc il a fallu élaborer une politique d’alphabétisation avec les centres permanents d’alphabétisation et de formation.

J’ai également élaboré une politique d’éducation non formelle avec les centres d’éducation de base non formelle et l’aspect le plus important était l’éducation des filles parce que c’est à cette époque qu’on a élaboré le plan d’action pour l’éducation des filles et qu’on a mis en place les écoles satellites. J’avais de bons rapports avec les enseignants, raison pour laquelle il n’y a pas eu de mouvement d’enseignants.

S.P. : Sur quoi s’articule la stratégie du FONAEF en vue de mieux promouvoir l’éducation des filles au Burkina ?

A.T. : Le FONAEF, le Fonds pour l’alphabétisation et l’éducation non formelle dont l’Etat est membre a pour objectif d’atteindre 40 % de taux d’alphabétisation d’ici à 2010. La stratégie est le "faire-faire", c’est-à-dire que nous finançons et l’Etat suit les activités parce qu’il a le contrôle de la qualité, mais au niveau des exigences que nous avons auprès des opérateurs, nous les contraignons d’avoir au moins 60 % de femmes dans les centres d’alphabétisation. Nous accordons une attention particulière aux associations féminines. C’est-à-dire que le FONAEF a un esprit axé sur l’équité.

S.P. : Quelles sont les conditions d’égibilité au fonds ?

A.T. : Au moment de la création du Fonds, la question primordiale était les ressources accordées à l’alphabétisation. A l’époque, 1 % des ressources étaient accordées à l’alphabétisation, donc nous avions des problèmes de financement. C’est ainsi que l’Etat et ses partenaires ont décidé de créer ce fonds.

Nous avons une exigence de qualité, c’est-à-dire pour être financé par le Fonds une association doit avoir une expérience de 3 ans, présenter des résultats qualitatifs. Nous demandons aux directions provinciales de l’Enseignement de base de fournir une attestation de crédibilité et de performance. Donc on s’assure également que l’association a une adresse précise pour être sûr qu’elle n’est pas doublement financée.

On s’assure aussi que les associations ont les compétences techniques et humaines nécessaires. Par exemple "si une association dit vouloir ouvrir 30 centres d’alphabétisation, nous exigeons les CV d’au moins 30 animateurs pour qu’on sache qu’il y a le personnel nécessaire, les superviseurs...’’

L’association doit formuler d’abord une demande au niveau du comité provincial de financement, dirigé par le DPBA ; la requête remonte ensuite au comité régional du financement et enfin elle parvient au comité national de financement.

Le CNF regroupe les différentes catégories du FONAEF dont l’Etat, les partenaires techniques et financiers, les associations et ONG et les secteurs privés. Ces partenaires sont à tous les niveaux, au conseil d’administration, au comité national, régional ou provincial. En tant que directrice, j’assiste aux réunions, je prends des notes etc, mais les décisions sont prises au niveau du comité d’administration du financement. Quand un opérateur estime être mal jugé, il peut faire une demande de recours à l’examen du comité.

S.P. : Quel bilan faites-vous de l’intervention du FONAEF ?

A.T. : La 1re année, nous avons financé 91 opérateurs, la 2e année 174 et cette année nous avons 239 opérateurs. Nous sommes passés à environ 600 millions pour la campagne 2002-2003 à 2 milliards pour la campagne 2004-2005. Nous avons pratiquement triplé le financement de l’alphabétisation.

Chaque année l’Etat verse 420 millions, les Pays-Bas, la coopération Suisse, le Danemark, la Suède, la France. Bientôt, nous bénéficierons du financement de la Banque africaine de développement.

Quand j’étais ministre, il était difficile de bénéficier de financement pour l’alphabétisation. Les partenaires estimaient qu’on ne pouvait pas évoluer. Si un opérateur ouvre un centre d’alphabétisation avec 30 personnes et qu’il se retrouve avec 15 en fin d’année, on estime qu’il a échoué et c’est cette exigence de rigueur qui nous permettra d’atteindre les 40 %.

S.P. : Qu’en est-il du soutien au FAWE ?

A.T. : Le FAWE est une association panafricaine créée au moment de la peine de John à l’éducation pour tous. La priorité des priorités était d’assurer l’accès des filles et des femmes à l’éducation. Nous étions 5 femmes ministres à l’époque et il n’y avait pas de relais. Nous nous sommes concertées et avons conclu qu’il ne fallait se laisser faire par les hommes. C’est ainsi que nous avons décidé de créer notre propre association. La 1re activité était d’abord le plaidoyer ; pour montrer qu’il faut que les filles doivent aller à l’école d’une part et montrer qu’elles peuvent réussir. Malgré toutes nos entreprises, il y a toujours des obstacles. Par exemple le mariage. Le second élément est d’influencer les politiques c’est-à-dire de sorte que la cause de la femme et de la fille soit prise en compte.

Le 3e axe est l’intervention des démonstrations. Nous n’avons pas assez de moyens financiers, mais nous élaborons des plans pour montrer que si nous faisons telle chose, le résultat sera positif. Et nous espérons que les gouvernements prendront en compte ces aspects. Par exemple "les filles ont un peu peur des sciences et des mathématiques, à cause de cela, nous organisons des camps scientifiques pour les filles et nous obtenons de bons résultats".

Nous organisons cela pour que l’Etat voit que les filles peuvent s’en sortir si on met les moyens à leur disposition. Aussi la pauvreté empêche les filles d’évoluer. Certaines filles interrompent leur parcours scolaire après la réussite au CEP, faute de tuteurs et d’argent. Si les filles perçoivent des bourses, elles réussiront.

S.P. : Du bilan du FAWE, que retenez-vous ?

A.T. : En 1997, nous avons primé des écoles primaires et des associations de mère éducatrice. Dans le Plan décennal du développement de l’enseignement de base, nous prenons en compte toutes ces expériences. Et en tant qu’association, c’est notre rôle, nous ne pouvons pas remplacer l’Etat car nous n’avons pas les moyens. C’est dans ce but que nous menons des interventions pour montrer que telle chose peut aboutir à des résultats positifs.

S.P. : Vous avez été ministre et députée

A.T. : Pensez-vous que la politique se limite à des postes. Tout le monde doit se dire que chacun ne peut pas être ministre, député, etc. Il faut des personnes à la base pour militer.

S.P. : Il faut appartenir à un parti politique pour occuper certains postes. Militez-vous toujours dans un parti politique ?

A.T. : On peut être ministre sans appartenir à un parti politique. Dans ce gouvernement, il y a des ministres qui ne sont que des techniciens, qui n’appartiennent à aucun parti politique. Dans nos pays, les individus font de la politique pour acquérir des postes, chose impossible. Il doit avoir des successeurs aux personnes ayant actuellement des postes. On doit faire la politique parce qu’on croit en quelque chose. On fait la politique parce qu’on estime que telle chose peut améliorer la situation de notre pays. De ce fait, j’ai des idées et je pense que tant que je vivrai je ferais de la politique toujours.

S.P. : Vous êtes du parti au pouvoir et votre époux de l’opposition. Comment arrivez-vous à gérer cette situation ?

A.T. : Dans notre contexte, il est extraordinaire de voir une femme faire de la politique. La politique est moins importante que la religion. La politique est terrestre tandis que la religion est céleste. Or vous avez des familles dont l’un des parents est musulman et l’autre catholique et tout marche bien.

S.P. : Quelles sont les difficultés que vous avez rencontrées au cours de votre parcours politique ?

A.T. : Dans le parcours professionnel, je n’ai pas eu trop de difficultés. J’ai préféré travailler avec les hommes. Dans nos cultures, on inculque aux jeunes filles que la femme doit être soumise, ne doit pas se faire voir aux garçons à qui tout leur est permis. Les hommes s’expriment mieux. Et j’ai remarqué que lorsqu’ils ne sont pas d’avis avec vous, tout de suite ils le font savoir. J’ai eu plus de problèmes dans le parcours politique que dans celui professionnel. Quand je milite dans un parti et je ne suis pas d’avis face à une décision prise, je me rétracte. Je ne suis pas capable de m’aligner derrière quelqu’un pour l’obtention d’un poste politique. C’est ce qui explique les difficultés que j’ai rencontrées.

J’ai réussi mon parcours à cause des soutiens. Nombreux sont ces filles avec lesquelles j’étais sur les bancs mais qui par manque de soutien n’ont pas pu poursuivre leurs études. C’est ce qui explique ma lutte pour le bien-être de la fille et de la femme.

S.P. : Quelle est la contribution de la femme burkinabè au développement de son pays ?

A.T. : Les femmes et les hommes ont leur rôle respectif. Nombreuses sont celles qui jouent un rôle important pour le développement de notre pays. Notamment dans le domaine agricole, la plupart des politiques agricoles s’adressent à elles dont la formation, la mécanisation agricole, les crédits. On ne réalise pas la moitié de nos projets à cause de la non participation des femmes. En un mot, la femme est l’avenir de l’humanité. L’homme n’est que fort physiquement, face à un danger il se met de côté.

S.P. : N’y a-t-il pas un risque de créer finalement une autre forme de brimade à travers la discrimination positive ?

A.T. : La discrimination positive consiste à lutter contre les éléments de brimade. Par exemple, les parents ont tendance à ne scolariser que les garçons, donc la discrimination positive consistera à exiger la parité au recrutement.

Peut-être que dans 100 ans on fera la discrimination positive en faveur des hommes. La société est composée d’hommes et de femmes. Il ne peut avoir d’égalité parfaite. Certes, mais si nous avions plus de femmes dans les ministères, à l’Assemblée nationale, il y a certains problèmes qui ne suscitent pas l’intérêt des hommes, pourtant les femmes pouvaient les résoudre. C’est le cas de la loi sur l’interruption volontaire de grossesse votée en 1974, en France. C’est parce qu’il y avait des femmes ministres de la Santé qui ont constaté qu’il y avait des problèmes.

S.P. : Que pensez-vous des femmes qui se battent sur le terrain politique national ou dans la vie associative ?

A.T. : Il n’y a pas de solidarité entre les femmes, c’est ce qui explique notre retard. Cela est dû au fait que les parcours politiques sont personnels et non pas des parcours de groupe. Si les femmes s’entendaient, elles pouvaient prendre des décisions indépendamment des partis politiques. Le tout n’est pas d’avoir 5 ministres ou 13 députés mais d’avoir une suite.

S.P. : A ce qu’il paraît, vous avez été l’une des députée qui aurait lutté pour que le 8-Mars soit férié au Burkina. Est-ce exact ?

A.T. : Le Burkina est l’un des rares pays dont le 8-Mars est férié. Supprimer cette date des jours fériés serait pour moi un retour en arrière, c’est pour cela que je me suis battue pour le conserver.

S.P. : Avez-vous le temps au regard de vos multiples sollicitations, de prendre du repos, de vous distraire ?

A.T. : Les femmes travaillent toute l’année, un seul jour pour se recueillir doit leur être accordé. J’ai beaucoup de temps pour m’occuper de ma famille. J’ai 6 enfants, 5 sont mariés, une seule continue ses études. Les femmes menant une vie politique, associative, sont les femmes d’un certain âge. A mes temps libres, je tricote, lis, et fais la cuisine. Je regarde aussi la télévision.

S.P. : Peut-on savoir si vous avez déjà commencé la rédaction de votre mémoire ?

A.T. : Je prépare une thèse sur mon expérience politique, pour montrer les difficultés rencontrées par les femmes dans ce domaine. Il faut avoir beaucoup de force pour rester dans la politique. La femme qui m’a le plus marquée est Henriette Diabaté de Côte d’Ivoire. Elle est courageuse, tenace et reste sur le terrain. Ces genres de femmes sont celles qu’il faut à l’Afrique.

Nadoun S. COULIBALY (coulibalynadoun2002@yahoo.fr)
Aïssat Kimsé BICTOGO
Sidwaya

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Vos commentaires

  • Le 10 mai 2005 à 17:05, par El Primo (Burkinabé, France) En réponse à : > Alice Tiendrebéogo : "Je ferai toujours de la politique"

    Je lance un debat : Pour en revenir à cette histoire du 8 Mars dont le Burkina est l’un des rares pays sinon le seul au monde où c’est chomé , et dont Mde Alice Tiendrébéogo est si fière, j’ai une autre opinion de la chose. Pour un pays pauvre comme le Burkina, que gagne t’on à chomer le 8 mars alors que les femmes ont d’enormes difficultés à s’en sortir ? Que gagnent t’elles à ce qu’on chome un jour de PLUS ? Rien ! bien au contraire, c’est l’Etat qui perd car il paie les gens à me rien faire ce jour ! Alors que cet argent, il nous vient tout droit d’un prêt international. Faites un simple calcul : supposons que ce jour soit travaillé et que l’argent de ce 8 mars soit reversé à un "fond des femmes" : supposons meme que le salaire moyen à la fonction publique soit 1000fcfa par jour (30.000fcfa/mois). supposons encore qu’il y’a 50.000 agents à la fonction publique, alors on recoltera 50.000.000Fcfa ce jour de 8mars pour les femmes.. cet argent leur est plus important que de chomer ce jour.. Combien de filles seront scolarisées avec cet argent ? combien d’emplois peuvent être créées ?? Et cette somme, ce n’est que la fonction publique !!! La vraie emancipation des femmes, c’est quand elles auront les moyens de s’assumer, quand elles ne seront plus obligés de compter sur les hommes... ce n’est nullement en chomant un jour de PLUS..

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