Sitôt le score annoncé, celui donné gagnant, Faure Gnassingbé, donne sa première interview de nouveau président à quelques journalistes. C’était le 26 avril aux environs de 13h : "...Je pense que l’heure est à la réconciliation, à la paix, assez de querelles... j’ai été élu, je suis le président de tous les Togolais... et je souhaiterais que mon équipe soit un gouvernement de large union nationale...".

Un appel qui n’a pas été entendu par Gilchrist Olympio, l’opposant historique au camp Gnassingbé, puisque celui-ci a répliqué en ces termes : "D’abord, nous ne reconnaissons pas M. Faure comme président... Et puis nous estimons que 40 ans de dictature, même le président Olesegun l’a répété à Faure, ça suffit... Qu’est-ce que nous allons faire dans un gouvernement d’où monsieur Faure peut à tout moment renvoyer un ministre ?".

En fait, Gilchrist rejette l’idée même de gouvernement d’union nationale : "Nous n’avons jamais signé un accord pour un gouvernement d’union", répète-t-il à l’envie, faisant allusion à sa rencontre avec Faure au Nigeria. On se rappelle en effet que le jour même du scrutin, dans la soirée (24 avril), Faure et Gilchrist s’étaient retrouvés à Abuja sur invitation du président Olesegun Obasanjo, président en exercice de l’Union africaine, afin de trouver une solution à la crise, par la formation éventuelle d’un gouvernement d’union nationale, quel que soit le vainqueur.

En entendant ce refus de Gilchrist, Faure a eu ces mots : "Je suis atterré que M. Gilchrist se rétracte ainsi. Quand on est un leader politique et qu’on donne sa parole on ne doit pas revenir là-dessus. Un leader politique ne doit pas se laisser submerger par ses militants, il doit servir de guide...". Le 26 avril, quelque temps après la proclamation des résultats, Lomé s’est vidé de ses habitants. Seuls les quartiers fidèles aux rebelles "résistent" avec des affrontements inégaux dans les rues : jets de pierres sur les forces de l’ordre qui avaient quadrillé les points chauds, pneus brûlés, barricades dressées avec pour réplique des gaz lacrymogènes et des courses poursuites ainsi que des bâtonnades. Un couvre-feu a été décrété le même jour, allant de 18h à 6h, puis ensuite de 21h à 6h du matin.

Dans les états-majors des deux camps (RPT et Coalition), c’est la réunionnite : Faure, entouré de son état-major de campagne, cogite à Kara (nord du pays), tandis que certains de ses proches collaborateurs restent à Lomé pour suivre de près l’évolution de la quasi-insurrection. La Coalition, elle, s’est retrouvée à son siège (celui du CAR) pour gérer l’après-élection ou plutôt ce qu’elle appelle l’après "hold-up électoral".

Ce fut rapidement l’escalade verbale, puis on passa aux actes : les Libanais, les Nigériens qui sont majoritaires au port autonome de Lomé (PAL) furent pris à partie, et certains poussèrent le bouchon jusqu’à invectiver les étrangers en général. Et cela ne suffit pas : en plus, les observateurs de la CEDEAO, avec en tête la porte-parole, Adrienne Diop, sont accusés d’être partisans, et le délit de faciès frappe les Français. En rappel, la communauté libanaise avait dès le départ joué la carte Faure (don de 90 véhicules 4x4). Lomé, comme nous l’écrivions dans notre papier du 26 avril dernier, ressemble à une ville fantôme.

Une autoproclamation qui corse la situation

Soudain le 27 avril, voilà le Rubicon franchi par Bob Akitani Emmanuel, qui s’autoproclame président bis. Un scénario qui ressemble à celui de Madagascar, mais en diffère, car on ne saurait suivre le candidat des 6 partis de l’opposition radicale togolaise dans sa logique. En effet, que les perdants du scrutin du dimanche s’arc-boutent à un refus de reconnaissance de Faure, qu’ils appellent leurs militants à la désobéissance civile, cela peut se comprendre, mais que leur champion s’autoproclame président, c’est franchir une ligne rouge au-delà de quoi peu oserait le suivre.

Du reste, ces opposants sortent de leur logique : ils ont contesté le fichier électoral, dénoncé des fraudes massives. Alors pourquoi dans un tel contexte, leur champion s’est-il autoproclamé vainqueur ? Avec cette autoproclamation, Bob Akitani a corsé une situation qui s’envenime chaque jour. Lomé brûle (cf. regard sur l’actualité d’hier) et les morts se succèdent (une vingtaine dont 8 Nigériens retrouvés calcinés) et on redoute l’enlisement de ce pays côtier, qui irait rejoindre la Côte d’Ivoire, empêtrée elle dans une crise depuis plus de deux ans.

Zowenmanogo Dieudonné Zoungrana,
Envoyé spécial à Lomé

Observateur Paalga