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Lettre de Yaoundé : Tranches de vie camerounaises

Publié le vendredi 29 avril 2005 à 11h23min

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Kaléidoscopie d’une semaine camerounaise vécue à la faveur d’une rencontre des journalistes réunis par la Francophonie.

Arriver à Yaoundé n’était déjà pas facile (cf. L’Observateur Paalga n°6374 du lundi 18 avril 2005), en repartir s’annonçait également éprouvant. Partira ? Partira pas ? Telles étaient en effet les questions qui taraudaient tous les esprits, particulièrement ceux qui devaient emprunter Cameroon Airlines, au moment où s’achevaient les travaux de l’atelier international sur le thème "Presse privée et responsabilité sociale" organisé du 18 au 21 avril 2005 par la direction du cinéma et des médias de l’Agence intergouvernementale de la Francophonie (AIF).

Car entre vols reportés, parfois de 24 heures, ou carrément annulés, la CAMAIR se débat depuis de longs mois, voire des années, dans une zone de turbulences sans fin, dont les passagers sont les premiers à faire les frais. Il ne faut surtout pas prendre de rendez-vous à l’heure près avant de vous être assuré que vous décollerez.

L’ancien patron Yves Fotso, sur qui tous les espoirs reposaient pour redresser une compagnie qui piquait inexorablement du nez, a finalement dû céder la place à un administrateur provisoire, mais malgré les coudées franches dont il dit disposer, on se demande bien s’il pourra éviter le sort qui fut par exemple celui d’Air Afrique qui, à force de continuer là où les autres s’arrêtaient, a fini par s’abîmer dans le néant. Prions donc pour la CAMAIR, comme mes camarades et moi priions quand l’un des nôtres avait rendez-vous avec elle. "Prions pour lui", "croisons les doigts", "touchons du bois"... telles sont en effet les expressions qui revenaient le plus à l’occasion.

Et visiblement, les "prières" de mes confrères m’ont accompagné puisque ce samedi 23 avril 2005 le vol UY 706 qui devait relier Douala à Cotonou était ponctuel comme une horloge suisse. Nombre de passagers n’en revenaient. "Il y a quelqu’un parmi nous qui doit avoir une bonne tête", plaisante mon voisin de siège quand l’avion, paré pour le décollage s’est lancé sur la piste.

"La maison que Chantal n’habitera pas"

Epilogue d’un séjour qui avait commencé quelques jours plus tôt dans la capitale camerounaise pour la raison sus-évoquée et sur laquelle nous reviendrons dans l’une de nos prochaines éditions. "C’est bien, Bastos, c’est le quartier des grands", n’arrêtait pas de nous dire le chauffeur du taxi qui nous conduisait à l’hôtel Azur où les séminaristes ont établi leurs pénates. Il n’avait pas tort, le taximan. Bastos, zone résidentielle, quartier huppé des ambassades et des villas cossues, coule effectivement des jours paisibles, un peu à l’écart du tohu-bohu de Nlongkak, de M’vo-Gada ou d’Essos où il faut descendre chaque soir pour chercher un peu d’ambiance.

Dans cette ville au relief accidenté, nichée entre monts et vaux où les habitations sont souvent perchées aux flancs des collines, des endroits paradisiaques comme Bastos, Elig-Essono ou Odza cohabitent, sans vraiment se fréquenter, avec des quartiers mal famés du genre Mvog-Mbi, Meleng, Briqueterie, "Madagascar", etc., où s’enchevêtrent de méchantes masures à la toiture rouillée. Ici on nage dans un luxe presque insultant ; là on patauge dans la fange, au propre comme au figuré. En somme le lot commun à toutes les grandes villes.

"Voici la nouvelle résidence de Chantal (Biya NDLR)", annonce à un détour un confrère en indexant, sur une butte, un chantier qui grouille de monde telle une fourmilière besogneuse. Nous avons à peine le temps de jeter un coup d’œil qu’il poursuit : "...mais qu’elle n’aura pas le temps d’habiter".

"Pourquoi donc ?", avons nous osé. "Tu penses que quand ils ne seront plus au pouvoir les Biya pourront tranquillement vivre au Cameroun avec tout ce qu’ils font ?", demanda notre interlocuteur mi-badin mi-sérieux dans cet accent chantonnant et inimitable, bien d’ici ; avant d’ajouter : "Elle n’a qu’à bien arranger seulement. Après, nous en ferons ce que nous voudrons, par exemple une maison du peuple ou un maquis choc. "Rires dans l’habitacle...

Démarreur sans frein

Difficile d’aller dans ce pays réputé pour ses footballeurs de talents et ses légendaires Fée men, ces escrocs de classe internationale, sans goûter au Ndolè, cette sauce à base de feuilles dont l’amertume comparable au "koag safandé" (1) peut rebuter plus d’un, ou le folong, plus doux.

Quant au pongo tchobi, réputé être un "démarreur", à tort semble-t-il, son aspect noirâtre repousse de prime abord, mais le macharon qui y nage habituellement dissipe cette inquiétude première. Dans ces contrées où tout pousse et où il suffit souvent de prendre la peine de se courber pour ramasser manioc, plantain, macabo et autres tuberculoses, le séjour aura donc été, au gré du menu du déjeuner pris en groupe ou d’un tour à l’incontournable "Maison blanche", un voyage culinaire couronné d’un foufou sauce gombo.

"Toi qui prends le "démarreur", j’espère que tu as un "frein" pour t’arrêter !", lance au Congolais Fredy Mulumba, Michel Missaut Moussala, le directeur de publication d’Aurore plus, une boule d’énergie malgré sa surcharge pondérale. Il faut être solide pour suivre le rythme effréné de ce véritable dougoutigui, surtout dans son fief de Douala, capable de se coucher à 3 heures du matin et se lever à 7h, frais comme un gardon. Sacré Moussala !

Dans ce Cameroun qui sort d’une élection présidentielle qui a vu Paul Biya renouveler son bail de 7 ans au palais d’Etoudi, le pilotage automatique et à distance a repris, souvent depuis son village natal de Mvomeka’a. "Tu veux voir Biya ici à Yaoundé ? Quand il est là, c’est même déjà l’événement hein", lâche l’un de ceux qui ne doivent pas le porter particulièrement dans le cœur. Présent ou pas, le nouveau premier ministre Ephraïm Inoni gère dans tous les cas, les petits comme les grands problèmes.

Ainsi, il y a la crise estudiantine qui secoue l’université de Yaoundé I et qui a dégénéré le jeudi 21 avril en courses-poursuites entre manifestants qui réclamaient de meilleures conditions de vie et de travail et les éléments du groupement mobile d’intervention (GMI), les CRS de là-bas. Des étudiants tabassés puis interpellés par les forces de l’ordre, un recteur obligé de prendre ses jambes à son cou et des grévistes de la faim décidés à aller jusqu’au sacrifice suprême pour obtenir la satisfaction de leurs revendications.

Ils réclament notamment la suppression des frais d’inscription dans les universités publiques, fixés à 50 000 FCFA, le paiement des bourses aux étudiants en cycle de recherche, des logements universitaires décents, un meilleur service de restauration, la fin des divers rackets dont ils disent être victimes de la part des enseignants, etc. C’est, mutadis mutandis, les griefs qu’on retrouve dans la plupart des universités africaines, à Yaoundé comme à Ouaga où au même moment, le campus de Zogona était en ébullition.

Ephraïm Inoni a donc dû descendre dans l’arène et mettre la main dans le cambouis pour négocier avec les étudiants qui veulent par ailleurs "faire avancer la situation politique du Cameroun". Ainsi va le pays de Biya où les policiers, quand ils ne matraquent pas les étudiants, il leur arrive de tuer les élèves comme ce fut le cas le dimanche 10 avril au quartier Hippodrome de Yaoundé lorsqu’un flic a abattu un adolescent de 19 ans ; ou alors, ils se tirent entre eux comme sur des lapins de garenne, à l’image de ce qui s’est passé à Douala le samedi 16 avril quand un gardien de la paix a buté son collègue. Des faits divers somme toute banals qui alimentent la page des chiens écrasés des nombreux journaux camerounais.

Le séjour camerounais se termine. Il faut repartir à Douala, principal port et métropole économique du pays, à 3 heures de route, pour les départs. Le bus "privilège" de Central voyages est on ne peut plus confortable : climatisation parfaite, vidéo, service gratuit à bord, de boissons fraîches et de viennoiseries...

Sur tout le trajet, tout n’est que verdure, des forêts à perte de vue, encore plus impressionnant vu du ciel. Ils ont bien de la chance, ces gens-là. Soudain, le charme de ces espaces enchanteurs est rompu à la sortie d’Edéa, à quelques encâblures de Douala. Une collision entre un camion citerne et une petite voiture vient d’avoir lieu ce vendredi 22 avril peu après 14h.

Ici comme ailleurs, la route tue. Un des passagers de la voiture coincé à l’intérieur, trois autres gisant à côté et, près de la citerne, un corps sectionné, le tronc et la tête d’un côté, les membres inférieurs de l’autre, un amas de tripes et une mare de sang... Spectacle insoutenable. Il faut avoir le cœur bien accroché.

"Tu n’es jamais allé sur un terrain de bataille une heure après les combats ?", me demande Michaël Didama, le directeur de publication de l’hebdomadaire tchadien "Le Temps" quand il se rend compte de l’effet qu’avaient sur moi ces scènes effroyables. Il est vrai qu’un journaliste comme lui, dont le pays n’est vraiment jamais sorti de la guerre ou de la rébellion, de la bande d’Aouzou à Youssouf Togoïmi en passant par Goukouni Weddeye, Hissein Habré ou Idriss Déby, en a forcément vu des vertes et des pas mûres...

Ousséni Ilboudo

(1) De son nom scientifique Vernonia Colorata

Observateur Paalga

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