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La crise burkinabé et la question de la gouvernance légitime.

Publié le jeudi 8 octobre 2015 à 22h41min

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 La crise burkinabé et la question de la gouvernance légitime.

La crise née du coup d’Etat du 17 septembre 2015 et qui a mis en scène quatre acteurs avait pour enjeu, la question de la légitimité : les putschistes et leurs alliés du Front Républicain, la CEDEAO, le peuple burkinabè et les forces armées nationales. Dans leur discours de justification du putsch, les auteurs brandirent l’argument de l’exclusion d’une partie des acteurs politiques. En réaction au énième putsch du 17 septembre, le peuple burkinabé dans toutes ses composantes sociales et professionnelles (les mouvements de la société civile, partis politiques, des mouvements religieux et traditionnels, les mouvements syndicaux et associations professionnelles…), a bravé la coercition pour exiger un retour de l’ordre politique né de l’insurrection des 30 et 31 octobre 2014 qui le légitime. Dans son entreprise de médiation, l’organe de la gouvernance sous régionale ouest africaine, disposant elle aussi d’une légitimité dans le règlement des crises sur son espace géographique, proposa une solution indigne de sa prétention de posture et des aspirations du peuple burkinabè, lequel la rejeta. Finalement, l’entrée du quatrième acteur, l’armée nationale, est ce qui entraina le rétablissement de l’ordre politique, ce qui constitue un triomphe pour le peuple. Au-delà de cet aspect factuel, cette énième crise donc fait surgir à nouveau, le débat sur la question de la légitimité et de ses diverses formes d’illustration dans la gouvernance publique. En effet, cette diversité d’acteurs revendiquant chacun par son statut, une prise en compte de son action a, le temps des négociations, failli créer un climat de défiance, voire d’antagonisme entre ordres normatif et sociétal. Toutefois, comme en octobre 2014, le triomphe du peuple permet d’affirmer que la légitimité pour les gouvernants, s’exprime principalement en termes de respect du contrat social les liant au peuple.

La légitimité, principe cardinal de la gouvernance publique : Illustration des principales formes

Pour ce faire, il convient de définir le concept de la gouvernance publique qui suppose dans son administration, des interactions sur la base d’un contrat social entre un peuple (les gouvernés) et ses dirigeants (les gouvernants). Dans cette configuration verticale, le contrat social représente les aspirations du peuple et constitue la feuille de route des gouvernants tandis que la confiance accordée par le peuple à ses gouvernants ou légitimité, est ce qui confère le pouvoir d’administration de la cité. Traduite dans les actes, la légitimité est à la fois un processus et une situation qui s’illustre sous diverses formes dont les principales (car très souvent mises à l’épreuve) sont :
-  La légitimation par l’adhésion au projet :
C’est la première affirmation de la légitimité. Elle permet à un candidat à une forme de gouvernance politique donnée, de séduire et conquérir par son projet politique, les gouvernés. La légitimité par l’adhésion au projet permet ainsi aux aspirants, d’institutionnaliser leurs aspirations par l’acte de candidature.
-  La légitimation par les procédures :
Elle constitue la forme légale-rationnelle de validation du projet politique d’un candidat. Dans ce cas, celui-ci est officiellement déclaré et peut briguer le poste voulu. Cette forme de légitimation est ce qui permet la tenue d’élections et donc, valide le choix par les urnes des gouvernés et l’acceptation de ces résultats dans l’environnement l’international (partenaires bilatéraux et institutions multilatérales dont la principale conditionnalité à un soutien avec les pays du Sud constitue l’instauration de régimes démocratiques). Les candidats élus, disposant donc de cette légitimité peuvent entamer la difficile mise en application du contrat social.
-  La légitimation empirique :
C’est le pouvoir en acte, car consistant en la réalisation du contrat social par les gouvernants. Cette forme de légitimation est une consolidation de la confiance accordée aux gouvernants par l’évaluation de leurs actions et se résulte très souvent par l’attribution d’un nouveau mandat. Cependant, dans le cas d’une gestion non conforme, voire contraire, les gouvernés le manifestent par des actions de réprobation durant le mandat des gouvernants : faible participation politique, boycott des actions de contrôle social (désobéissance civile, grève, refus d’honorer son devoir fiscal pour le cas des personnes physiques et morales imposables), participation aux actions des mouvements de contre-pouvoir pour une bonne gouvernance politique et sociale (exigence de meilleures politiques de redistribution…). Ces actions qui traduisent une perte de la légitimité empirique d’un régime se résultent généralement lors des élections qui suivent par des votes sanctions. Dans le cas d’une volonté de conservation de pouvoir par des gouvernants devenus illégitimes par leurs actes, on peut assister à une radicalisation des actions des gouvernés. Cela s’illustre dans ce cas par des révoltes, des mouvements irrédentistes, des insurrections comme celle enregistrée au Burkina Faso en octobre 2014.

Le cas burkinabé en question

En définitive, la légitimité s’exprime principalement sous ces trois formes (il en existe bien sûr d’autres formes mais de moindre importance) dont la plus délicate en constitue le cas empirique. En effet, ayant validé les deux premières formes, les gouvernants doivent travailler, dans leur gestion du pouvoir, à la difficile réalisation du contrat social en vue de mériter la confiance placée en eux. Le cas du Burkina Faso constituait en la matière, l’exemple d’un régime légal-rationnel ayant perdu sa légitimité empirique par sa mauvaise gestion du pouvoir. Les natures profondes des multiples crises traversées par le pays depuis une décennie avaient contribué à une perte de confiance du peuple ainsi que nous l’avions déjà relatée (http://www.lefaso.net/spip.php?article42979 ). Face à cette situation, des actions publiques de reconquête espérées n’eurent pas lieu, ce qui entraina une rupture entre les deux entités et d’une la radicalisation de la contestation face à la volonté de conservation du pouvoir des gouvernants. Cette radicalisation aboutira ainsi à l’insurrection populaire des 30 et 31 octobre 2014 et à l’instauration d’une nouvelle gouvernance.

La charte comme nouveau contrat social

L’insurrection du 30 octobre 2014 a mis fin à un régime disposant d’une légitimité constitutionnelle mais en rupture totale avec son peuple. Son acharnement à la prolongation de sa gouvernance malgré cette perte de la légitimité empirique a contribué à radicaliser la position du peuple dont la réaction entraina la mise en place de la gouvernance transitoire. Résultat politique de cette forme de gouvernance par le bas, la charte représente le nouveau contrat social auquel le gouvernement de transition travaille à la matérialisation avec des réformes dans les champs de la justice, de la constitution, de la fiscalité, la sécurité, l’éducation, de la gouvernance politique…, auxquelles s’ajoutent de meilleures politiques de redistribution. L’une des conséquences de son volet politique, qui peut aussi, de manière discutable, être considérée comme sa limite (la sanction prise contre les personnes ayant soutenu la volonté de modification de la constitution par le régime déchu) sera ainsi utilisée comme discours justificatif du putsch. En brandissant l’argument de l’arbitrage de la CEDEAO pour des élections inclusives que le gouvernement de transition a ignoré pour justifier leur coup, les auteurs du putsch ont voulu masquer par l’argument politique, des revendications de nature corporatistes d’une unité militaire insubordonnée (comme en attestent les événements de janvier, février et juillet) et vouée à disparaitre conformément à la volonté du peuple. Face à cette situation, celui-ci a, une fois de plus, assumé son rôle en s’érigeant contre cette tentative, malgré l’usage de la coercition contre lui, et la médiation partiale de la CEDEAO. Cette action du peuple burkinabé contre cette tentative d’usurpation du pouvoir sera fondamentale dans la lutte pour la restauration de l’ordre politique légitime qu’incarne le gouvernement de la transition.

L’armée aux côtés du peuple

Entrée aux côtés du peuple dans une logique de rejet du putsch, l’armée burkinabé s’est illustrée par une opération qui, en créant une supériorité de la force a été déterminante dans la décision des putschistes de restituer le pouvoir. Cette opération de l’armée avait un double enjeu : se réconcilier définitivement avec le peuple, et restaurer son autorité sur l’un de ses corps d’élite échappant à son contrôle. Déjà entamée lors de l’insurrection de 2014, la réconciliation de l’armée avec son peuple s’est consolidée avec cette opération militaire. Cette fois-ci, elle a assumé de manière ouverte, son rôle d’armée républicaine au service du peuple. Cela se résultera par la reconnaissance de celui-ci comme l’attestent les différentes manifestations de soutien à Ouagadougou et en province, qui ont accompagné son opération. Vis-à-vis du RSP, l’entrée en scène de l’armée avait des objectifs de dignité et d’affirmation de la puissance. Chouchouté par l’ancien régime, le régiment de la sécurité présidentielle est l’un des corps d’élite qui composent l’armée burkinabé. Au fil des ans, cette unité s’affranchira progressivement de l’autorité du commandement central de l’armée et instaurera même vis-à-vis d’elle, une relation de défiance et d’arrogance. Le putsch était donc une occasion inespérée pour l’armée d’anéantir par l’affrontement, la prétention de suprématie de ce corps, et de restaurer de manière définitive, son autorité vis à vis de lui.

Bénéficier de la légitimité ou s’abstenir

La trajectoire des processus de consolidation de l’Etat moderne en Afrique montre depuis les périodes de décompression autoritaire des années quatre-vingt-dix, l’érection de régimes d’apparence démocratique mais avec un maintien de la coercition comme mode de gouvernance. Toutefois, le contexte actuel de la gouvernance participative qui a vu s’accroitre la contribution des organes de contre-pouvoirs, (lesquels ont permis l’acquisition d’une culture démocratique des peuples) et la mauvaise gouvernance de la part des pouvoirs publics ont contribué à éveiller la conscience des citoyens africains sur leur part de responsabilité dans la constitution d’un régime. Désormais, le pouvoir s’octroie par le peuple (et pas seulement dans le discours), premier acteur du contrat social qui légitime les gouvernants. Il se réserve donc le droit de rejet d’un régime devenu par ses actes, illégitime. Cela a ainsi été le cas de manière pacifique dans certains pays (Sénégal, Benin, Ghana, Nigeria…) et par la violence dans d’autres (Libye, Tunisie, Egypte, Burkina Faso). Pour le cas burkinabé, la crise née du putsch du 17 septembre et le rétablissement du pouvoir légitime qui en a résulté, démontrent que désormais, gouverner suppose uniquement avoir l’aval du peuple et toute tentative de rupture de l’ordre politique constitué sur la base du contrat social sera désavouée et combattue par ce peuple. En définitive, la principale source de légitimité découle du peuple et en la matière, l’exemple burkinabé fera certainement école.

Windata Zongo
(CEREPPOL)

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Vos commentaires

  • Le 9 octobre 2015 à 00:02, par Adam’s En réponse à : La crise burkinabé et la question de la gouvernance légitime.

    Très bonne et concrète analyse de la situation concrète. Le peuple revendique maintenant plus qu’avant d’être associé à la gestion de la cité. Aux avant-gardes d’affiner leur perception (à l’image de l’aigle) des changements aux risques d’être balayées par la bourrasque. C’est une invite à la perfection et à l’abandon des schémas figés. Il faut se situer résolument aux côtés du peuple pour le progrès car ne dit-on pas que la révolution ne constitue un objectif que lorsqu’elle n’est pas faite ; une fois en marche, et elle est en marche au Faso, il s’agit de l’approfondir avec le peuple.
    Je suis de ceux qui pensent que l’adhésion des peuples à un projet de société se bâtit à l’épreuve des légitimes interrogations de ces derniers sur celui-ci et des pertinentes réponses qui en résultent en termes de confirmation de prise en compte de leurs préoccupations.

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