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Sayouba Traoré sur la situation nationale : « Et maintenant, construire la paix ! »

Publié le lundi 5 octobre 2015 à 07h45min

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Sayouba Traoré sur la situation nationale : « Et maintenant, construire la paix ! »

L’horizon se dégage peu à peu. Le RSP parti, tous les épouvantails qui hypothéquaient la sérénité nationale s’éloignent. Les Burkinabè se sont dressés, ont lutté, ont bravé Blaise Compaoré et ses avatars. Nous sommes aujourd’hui face à une opportunité historique. Car rarement il a été donné à un peuple de notre pauvre Afrique l’occasion de modeler à pleines mains son devenir. Tel est le défi.

Les bons slogans sont redoutablement efficaces et leur écho est ineffaçable. "Aimez-vous les uns les autres !". Cette exorde impérieuse a traversé les siècles. La "Patrie des hommes intègres" ! A défaut de revêtir la matérialité des faits, c’est un souhait que portent toutes les filles et tous les fils de notre nation. Un voeu que nous voulons crânement traduire dans les faits. Même si nous savons que ce n’est pas aisé d’être intègre dans les actes quotidiens que pose l’être humain. Ne dit-on pas que "La vie est un combat" ? Comment être méritant dans cette bataille journalière qui comporte bien de viscissitudes ? Toutefois, ce n’est pas une raison pour renoncer à bâtir. Et puis, de toutes les manières, de quelque côté qu’on se tourne, nous n’avons guère le choix. Après des nuits de frayeur et des jours de feu, il nous faut construire la paix.

Reconnaissances multiples

Le peuple a un instinct sûr. Partout, les populations des villes sont sorties pour saluer le retour des forces armées nationales qui sont montées à la capitale pour nous libérer du RSP. Je suis parmi ceux qui ont fustigé la semblante passivité de notre armée. Même s’il faut comprendre l’exaspération du citoyen devant les vandalismes des putschistes, même si le civil ne peut comprendre que la main de la troupe s’attarde à choisir le bon gourdin, aujourd’hui il faut saluer l’intervention salutaire des FDS. Ce n’est pas tout.

Il faut également saluer la détermination des autorités de la Transition qui ont su rester debout dans la tourmente. D’autant que ces personnalités se trouvaient plongées dans l’oeil du cyclone. Séquestrés par une soldatesque incontrôlée, ils ont su demeurer dignes et intègres. Bref, ils se sont montré Burkinabè. Que dire alors de notre jeunesse ? Jeunesse tourmentée, jeunesse flamboyante, enfin jeunesse lucide qui voyait bien que se jouait là son devenir. Cela dit, si notre exaltation présente est légitime, de graves questions demeurent. Qu’est-ce que nous venons de gagner ? Et surtout, que faut-il faire de ce nous venons de conquérir ?

Free at last, free at last, free at last

Ce cri du Révérend Martin Luther King ne finira jamais de résonner. « Libres ! Libres enfin ! » Nous avons chassé nos tortionnaires. Les têtes prennent le temps de refroidir. Les cœurs apaisent leurs battements désordonnés. Le délassement gagne des muscles bandés à mort hier encore. Nous respirons mieux, et plus profondément, un air nouveau. Un début de liberté, voilà ce que nous venons de conquérir. Que faire de cette liberté qui se dessine ? Que faire pour consolider cette liberté ? Il nous faut construire la paix. Alors, que signifie construire la paix ?

Des institutions fortes, équilibrées et respectées

Entendons-nous sur les mots ! La paix, ce n’est pas l’absence de violence. Car, pour garder la paix contre ceux qui veulent attenter à la sûreté publique, il faut de la coercition. C’est-à-dire une force légitime comme celle qui a déferlé des villes-garnisons pour libérer Kosyam. Une violence acceptée comme celle des hommes du Général Zagré Pingrenoma.

La dernière séquence nous a enseigné que les hommes ne sont pas fiables. On ne peut réellement faire confiance qu’aux institutions. Il nous faut donc des institutions fortes, équilibrées et respectées, pour garantir le fonctionnement de l’État. Équilibrées, c’est-à-dire que chaque rouage doit fonctionner à la place qui est la sienne et suivant des modalités précises. Fortes, c’est-à-dire non susceptibles de tripatouillages alambiqués. Respectées parce que consenties par tous.

Quelques exemples édifiants. Une réelle séparation des pouvoirs entre le Législatif, le Judiciaire et l’Exécutif. Que vaut un député que le président et ses hommes peuvent contraindre dans son suffrage ? Comment le citoyen peut-il faire confiance à un appareil judiciaire « acquis » au Président ? En bout de chaîne, un Président qui peut contraindre les députés et qui peut circonvenir les juges n’a rien de démocrate. Il devient un roi. Pire, un roi nègre !

La question de l’armée donne des démangeaisons à la plume du rédacteur. Avec le RSP, on a vu qu’une troupe aliénée pouvait dévoyer la marche du temps. Tous, nous savons qu’un militaire ne doit pas faire partie du personnel politique. Ce n’est pas que les soldats sont des fils du pays qui ont démérité. Mais on voit bien qu’un homme en armes est un voisin redoutable. Si redoutable qu’il doit être encadré.

Une citoyenneté nouvelle

Mba Michel vient de parler devant l’ONU. Et notre président a bien parlé. Il a dit ce que nous avons sur le cœur. Il a su traduire ce que nous souhaitons. Nous voulons la liberté, nous voulons la démocratie, c’est-à-dire le système politique qui s’approche le plus de la liberté. Nous ne voulons plus vivre selon les lubies d’une famille, suivant les fantaisies d’un clan. Et aujourd’hui, au soir de la bataille de Kosyam, nous avons une magnifique occasion pour un renouveau démocratique.

Il s’agit de bâtir un socle institutionnel, un cadre permettant au citoyen de se sentir écouté et entendu. Rien, absolument rien ne nous empêche désormais de le réussir. Notre pays dispose d’intelligences de gros calibre pour un tel travail. Le monde entier nous observe. Nous devons montrer que nous savons mériter l’estime unanime qui a salué notre lutte. Qui plus est, nous devons le faire pour nous-mêmes et pour notre progéniture. Pour nous-mêmes, car il s’agit de libérer les initiatives. Pour les générations futures parce que nous ne devons pas permettre qu’ils vivent ce que nous venons de vivre ces 27 dernières années. Toutefois, avant ce travail qui revient aux techniciens de la chose, il faut refonder la confiance. Et c’est le plus difficile parce que plus douloureux.

La vérité, la justice, et la réconciliation

1998, cela semble lointain. Pourtant, ce slogan du Collectif contre l’Impunité continue de se balader dans nos cervelles. Les bons slogans, décidément ! La cour de justice militaire est saisie des dossiers brûlants de l’heure. La tâche d’une juridiction, c’est ce que les magistrats et leurs acolytes appellent la « manifestation de la vérité ». Pour dire qu’un juge cherche d’abord la vérité pour étayer ses décisions. Il n’y a pas de raison qu’il en soit autrement pour le citoyen ordinaire. Nous voulons savoir ce qui est arrivé à notre malheureux pays depuis que le mot « commando » est apparu dans l’actualité nationale.

Nous voulons savoir pourquoi les mots « para commando » ont entraîné autant de tragédies. Nous voulons comprendre pourquoi les gens du fameux « Conseil » ont refusé d’entendre les conseils du Collège des Sages. Nous voulons savoir pour quelles raisons il fallait un Régiment de Sécurité Présidentielle, et pourquoi il fallait la sécurité pour le président tout seul, c’est-à-dire un homme et sa « première dame », au détriment de la sécurité des 17 millions de Burkinabè. Est-il possible enfin de savoir par quel tour de passe-passe des hommes dont le salaire et l’équipement sont soustraits de nos impôts ont servi à terroriser la population au profit d’un homme, fut-il « Petit Président » ? Mais il y a plus cuisant.

Des épouses attendent de savoir où sont les maris partis au boulot au petit matin et qui ne sont jamais revenus. Des mères attendent de pouvoir verser un bout de larmes sur la terre qui abrite quelque part le cadavre de leurs fils. Des fils ont oublié comment prononcer le mot « papa ». Des familles veulent savoir. Savoir pour entreprendre enfin l’impossible deuil. Savoir et comprendre, pour entrer dans une autre phase du calvaire. Voilà pour la vérité et la justice. Étant entendu qu’il revient au système judiciaire de nous donner la vérité. Ingrédient indispensable pour envisager le pardon et la réconciliation.

Le pardon, mais pas l’oubli

Sugr nkayi tii yél saanmè : c’est seulement quand le pardon fait défaut que ça gâte les affaires entre les hommes. Pour dire que le pardon permet au fautif et à ses victimes de produire demain. Cela est vrai. Des grandes figures ont donné de leur temps pour nous. Nous avons l’Oubritenga Naaba Banhongho devant qui tous les fugitifs sont venus s’agenouiller. Nous avons un Nonce Apostolique et un Cardinal. Je vous prie de croire que c’est le haut du panier. Nous avons un ancien Président, qui a rang d’officier, qui est médecin, qui a statut de patriarche. Toutes ces Excellences et ces Éminences ne me contrediront pas si je dis que le pardon doit intervenir pour réconcilier les cœurs meurtris des Burkinabè. Ils ne me contrediront pas non plus quand je dis que le pardon ne s’obtient pas bêtement. Sinon, le profane que je suis ne comprendrait pas à quoi peut bien servir la Confession.

Il ne suffit pas de venir annoncer dans le micro « Je regrette ! ». Il faut la vérité, il faut que la justice fasse son œuvre pour la « manifestation de la vérité », et il faut que la réconciliation ait lieu. C’est la condition incontournable du vivre ensemble. Tous les grands noms cités plus haut, et bien d’autres encore, peuvent et doivent guider nos pas sur ces chemins sensibles. Ces chemins difficiles sur lesquels Mba Michel et ses hommes, dans un mélange de sagesse et de hardiesse, n’ont pas craint de nous engager.

Sayouba Traoré,
Journaliste, Ecrivain

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Vos commentaires

  • Le 5 octobre 2015 à 15:30 En réponse à : Sayouba Traoré sur la situation nationale : « Et maintenant, construire la paix ! »

    Bonsoir Gand Frère,
    Comment vous porterez-vous ? Mes félicitations et encouragements pour vos articles. Pourrai-je obtenir votre mail ? Je souhaite m’adresser à vous en apartée. Mon mail : jeouedr@gmail.com
    Dans l’espoir, je vous transmets mes cordiales salutations.

    JEO

  • Le 5 octobre 2015 à 15:59, par Dedegueba SANON En réponse à : Sayouba Traoré sur la situation nationale : « Et maintenant, construire la paix ! »

    Bien dit, comme toujours grand frère. Mais comme l’a dit Valere, si Golf accepte de parler et je l’espère, nous ouvrirons une vraie boîte aux pandores. Sans doute aurons nous là une occasion de nous libérer pour de bon d’une racaille de politiciens et d’hommes d’affaires qui écument notre pauvre pays depuis 27ans. Blaise n’est pas et ne doit pas être seul comptable de cette situation. A ces débuts Blaise ne connaissait que manier une kalach...Des gens l’ont aidé et l’aident toujours.
    Il est même étonnant que ceux qui ne voyaient pas hier leur avenir sans Blaise, nous pompent l’air aujourd’hui pour la sauvegarde de cet avenir sans Blaise. Incohérence quand tu nous tient ? Heureusement que l’histoire les oblige à cette cohérence. Comme disait Jean Michel Kan kan :"c’est ce qui est sorti de leurs bouches qui les tue", tous ces pseudo-intellos du CDP et ses sattelites.

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