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François Jaquinot, père blanc en fin de mission à Bobo : « Quand on fait le vœu de chasteté, ce n’est pas normal d’avoir des relations intimes »

Publié le mardi 1er septembre 2015 à 23h13min

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François Jaquinot, père blanc en fin de mission à Bobo : « Quand on fait le vœu de chasteté,  ce n’est pas normal d’avoir des relations intimes »

Le 11 octobre 2015, il fêtera ses 90 ans. Il a consacré plus de la moitié de sa vie à servir Dieu et les hommes. Et c’est la région des Hauts-Bassins au Burkina qu’il a choisi pour mener à bien cette mission. Affecté en 1950, il y a résidé pendant 65 ans. François Jaquinot, père blanc, puisque c’est de lui qu’il s’agit, est en fin de mission en Afrique. Il rentre définitivement en France à Cerdon dans la région de Rhône-Alpes pour ses vieux jours. Plus de 60 ans à Bobo-Dioulasso, le ton et le style de son français a changé. Des souvenirs assez vagues, la voix endormante, Père François parle dans cette interview de son séjour en Afrique, la vie religieuse, ses vicissitudes, de la politique…

Lefaso.net : Présentez-vous à nos lecteurs !

Je m’appelle François Jaquinot, père blanc affecté à Bobo-Dioulasso en 1950. Je suis prêtre missionnaire d’Afrique à la retraite et je rentre en France au mois de septembre.

François Jaquinot : Vous êtes aujourd’hui en fin de mission, quel est le sentiment qui vous anime ?

Je suis très content du temps que j’ai passé au Burkina et particulièrement à Bobo-Dioulasso. En tout cas, je ne regrette rien. Pendant 65 ans, j’ai toujours été dans les paroisses rurales. J’ai été à N’Dorola, à Orodara, Niankologo…. Je n’ai servi que dans la région des Hauts-Bassins.

Pourquoi le choix de la région des Hauts-Bassins ?

Non, ce n’est pas moi qui ai choisi cette région. J’ai été nommé mais j’avoue que je n’ai jamais demandé à partir aussi.

Pendant 65 ans, à quoi a servi exactement votre mission ?

La première année j’ai été professeur de français, de latin, d’histoire-géographie et de mathématiques au petit séminaire de Nasso. Ensuite, on m’a affecté à Niankologo en 1951 où je devais apprendre la langue française aux fidèles. Mais, là-bas il n’y avait pratiquement pas de chrétiens. Difficile donc d’y ouvrir une école. Encore moins dans les villages comme Soubaga, Sindou… Mais il fallait continuer de travailler et de travailler. Et pour cela on voyageait beaucoup, soit en bicyclette ou en mobylette.

Qu’est-ce qui vous a le plus marqué durant cette mission en Afrique et particulièrement au Burkina Faso ?

Je garde beaucoup de choses merveilleuses du Burkina. Vraiment beaucoup. Mais le village qui m’a le plus impressionné est Soubaga. Je me rendais presque toutes les semaines dans ce village pendant 20 ans. Mais je n’obtenais pas de résultats. J’ai quitté la paroisse de Niangologo qu’en 1999 et c’est la pâques de cette même année que j’ai pu célébrer les 15 premiers baptêmes. Depuis la paroisse était assez fréquentée.

Qu’est-ce qui faisait la particularité de ce village ?

On avait l’impression que j’y allais pour rien. Mais un vieux monsieur me disait toujours de continuer l’évangélisation et qu’un jour, il y a aura de fidèles chrétiens. Il faut dire qu’il n’avait pratiquement pas de chrétiens. Ils étaient pour la plupart, des animistes.

Comment trouvez-vous la vie religieuse de la région, particulièrement celle de Bobo-Dioulasso ?

Je trouve que les choses ont véritablement changé et ce de façon significative. Quand je suis arrivé en 1950, dans toute la ville, il n’y avait que deux églises. Celle de la Grand-mission ou l’affluence était très morose et celle de Tounouma. La Cathédrale a été construite dans les années 60. Je trouve qu’il y a de plus en plus de fidèles au regard du nombre élevé de baptêmes qu’on célèbre chaque année.

Vous êtes donc satisfait de votre mission.

Oui. Absolument.

Quelle ont été vos relations avec les autres communautés religieuses ?

J’ai été dans un village à Dionkélé, un tout petit village vers N’Dorola. C’est un village des bollons. On habitait juste à côté et je participais à tout ce qui se passait comme activité. La vie n’a pas été facile avec les autres communautés dans cette localité. Par exemple, juste à côté de Dionkélé, il y a avait un autre village dont je ne me rappelle plus du nom. C’était un village musulman qui ne voulait pas du tout me sentir la mission catholique. Mais je suis resté pendant des mois, et petit à petit, les habitants ont commencé à m’accepter et m’invitait de temps en temps au marché du village.

Pendant votre mission, est-ce que vous avez rencontré des difficultés ?

Quelques fois, oui. Pas ma personne mais plutôt dans la mise en œuvre de certains projets. Parce qu’il y a eu des moments ou lorsqu’on a voulu construire des écoles dans certaines localités, nous avons été empêchés par des musulmans. A N’Dorola, on a eu du mal à s’installer en 1959. C’est en 1964 que la mission des pères blancs a pu s’installer dans cette localité.

Il n’est pas rare de voir des prêtres accusés d’homosexualité, de pédophilie ou même d’entretenir des relations avec des femmes. Qu’est- ce que vous en penser ?

C’est malheureux, mais il reste quand même une réalité pour certains prêtres. La preuve, beaucoup ont des enfants. Quand on s’engage à donner sa vie à la religion en faisant le vœu de chasteté ou de célibat, ce n’est pas normal d’avoir des relations intimes. Mais ce sont des situations qui arrivent malheureusement.

Quel est le sort qui est réservé pour ceux qui commettent ces actes ?

En principe c’est l’évêque qui décide de ce qui doit être fait.

Est-ce que vous avez été témoin des cas.

Oui, bien sûr. J’en connais plusieurs qui ont eu des enfants à Bobo-Dioulasso. Je pense que tout le monde le sait aussi. Mais, ce n’est pas normal.

Selon vous, qu’est-ce qui peut être fait pour éviter ces situations de la vie religieuse ?

Nous en avons plusieurs fois parlé lors de nos réunions. Nous avons insisté sur le phénomène. Et à mon avis, un prêtre qui fait des enfants doit s’en charger. L’Eglise n’empêche pas un religieux d’avoir des relations mais cela dépend de quelles relations ? Elles peuvent, en effet, n’être que des relations d’amitié, pas plus.
Vous qui êtes resté au Burkina Faso, pendant 65 ans, vous avez sans doute été témoin de plusieurs changements socio-politiques, notamment au niveau politique.

Déjà, qu’est-ce que vous pensez des dernières évolutions de la vie politique avec les décisions du Conseil constitutionnel sur les candidatures ?

Je pense que c’est dommage d’exclure des personnes pour ces scrutins. A mon avis, quand on parle de réconciliation, on ne doit pas exclure. Le Burkina Faso est un beau pays, de paix, de solidarité, de cohésion sociale que tous, quels que soient les bords politiques des uns et des autres, doivent préserver. C’est ce qui est important.

En octobre 2014 le peuple burkinabè s’est fait entendre lorsque l’ancien régime a voulu modifier la Constitution. Comment avez-vous vécu cela ?

Oui j’ai suivi avec intérêt ces moments. Cela a été dommage pour Blaise Compaoré dont la sortie n’a pas été honorable. Je pense qu’il devait être, sans doute, mal conseillé par ses proches. Il reste tout de même un homme qui a travaillé pour le pays, étant donné qu’on trouvait qu’au Burkina, les fonctionnaires étaient toujours payés. Il a aussi pu réaliser certaines infrastructures routières à l’intérieur du pays et qu’il faut saluer. Tout n’a cependant pas été rose car il y a eu aussi beaucoup de failles.

Les évènements d’octobre 1987 vous ont-ils trouvé au Burkina avec l’assassinat de Thomas Sankara ?

Oui, en effet. D’ailleurs, pour certaines personnes, sa mort a été un soulagement parce qu’au temps de Sankara, ce n’était pas facile non plus. Il y avait beaucoup de disparitions. Il faut toutefois reconnaitre qu’il avait de bonnes idées, mais sa façon de les mettre en pratique n’était pas aisée. Tout ce qu’il disait était bien, mais sa manière de le réaliser était un peu draconienne.
Mais il reste malgré tout une idole pour nombre de jeunes africains …
C’est parce qu’ils ne l’ont pas connu. Mais, il faut reconnaître en lui un homme intègre et de changement.

Un dernier mot ?

J’ai aimé le Burkina et je continuerai à l’aimer. Je rentre définitivement en France à Cerdon dans le département de l’Ain –Région Rhône-Alpes, mais j’aurai toujours une pensée pour ce pays et ces habitants.

Interview réalisée par Bassératou KINDO
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