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Les contes d’Issaka SONDÉ : Le peuple de Sofa Kiburna et la traversée du fleuve sacré

Publié le mercredi 12 août 2015 à 00h41min

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Les contes d’Issaka SONDÉ : Le peuple de Sofa Kiburna et la traversée du fleuve sacré

Une fois de plus, la traversée du fleuve sacré a failli être entravée par les forces maléfiques profondément tapis dans les zones sombres obscures du royaume. Pour la troisième fois depuis le début de la traversée, le bateau a tangué sous la montée brusque des eaux troubles du fleuve. Pour rappel, il y a déjà 9 mois, le peuple souverain du Sofa Kiburna s’était résolument engagé sur la traversée du fleuve sacré à destination de là où plus rien ne devrait être comme avant.

Sa majesté Naaba Laibse avait lâché le trône après 27 ans de règne sans partage, mais point de prince héritier, point de successeur désigné. Sa Majesté n’y avait jamais songé fort convaincu que, son pouvoir était divin et que seule la mort l’en priverait. Erreur d’appréciation hélas ! Il venait d’apprendre à ses dépens que, si "en France, comme en Amérique jamais une marche n’a changé une loi ", au Sofa Kiburna, une marche pouvait au moins empêcher de modifier un article de la constitution et de faire fuir un roi en pleine journée.

Naaba Laibsé hors du royaume, mais en lieu sûr, aux bons soins des beaux parents, trois jours d’incertitudes, de flottement et d’angoisses se succédèrent au Sofa Kiburna. De nombreux prétendants affichèrent leurs ambitions pour être roi à la place du roi. Couyaba Diza, convaincu de sa puissance, encouragé et soutenu par ses compères du PSR (Parrains de la Sécurité du Roi), à force de ruse, de manœuvres et d’intimidations, avait fini par s’imposer, au détriment de trois autres prétendants déclarés : Eronoh Orraté, la princesse de Tougan Ersé Narsa et le général à la retraite Mékoua Guélou. Mais, c’était sans compter avec la méfiance et la réticence des gens du CFOP, de la société civile, du Collectif des Etats Domptés, Exploités, Appauvris et Opprimés (CEDEAO) et de la communauté internationale.

Après 21 jours de règne, Kouyaba Diza fut contraint de céder le trône à Mba Chelmi. De numéro un, il était devenu le numéro deux du royaume ; du palais de Kosyam, il a intégré le palais de Koulouba.

Très rapidement, les petits plats ont été mis dans les grands et l’embarcation du peuple du Sofa Kiburna à destination de là où plus rien ne devrait être comme avant s’est faite en toute sérénité. Mba Chelmi comme capitaine de bord et Kouyaba Diza au gouvernail, le bateau leva l’ancre. Quoi qu’il arrive, la traversée du fleuve ne devrait dépasser une année. L’arrivée a été prévue de commun accord pour le 11 Octobre 2015. Pour la traversée, seule la durée était prévue et connue avec certitude. Les autres paramètres notamment la profondeur du fleuve, la nature de la flore et de la faune fluviales étaient à géométries variables. Cependant, l’optimisme était de mise et le Sofa Kiburna a reçu des félicitations planétaires pour avoir réussi en un tour de bras, là où beaucoup de nations s’étaient cassées les pieds et avaient mis des années avant de se remettre en route.

Sa majesté Mba Chelmi fraichement intronisé prit les rênes de la traversée. Le jour même de son intronisation, il avait déclaré qu’au nom de la réconciliation nationale, il avait décidé, par le fait du prince, que les investigations pour identifier le corps du président Thomas Sankara, ne seraient plus assujetties à une décision de justice, mais seraient du ressort du gouvernement. Cela lui valut des applaudissements nourris de la foule mais surtout de l’homme à la barbichette qui en avait fait son cheval de bataille.

C’était quand même une forte promesse de début de règne et en bonne phase avec les attentes du peuple. Plus rien ne serait effectivement comme avant entendait-on dire !

Cependant, les débuts de règne de Mba Chelmi semblaient timides. Bien que pétri de talents et d’expériences du monde diplomatique, il était peu connu du peuple ; En outre, il semblait âgé et vivait tranquillement sa retraite dorée dans sa ferme, entouré de ses 5 bœufs et 80 moutons entre autres. Comme dans un régime parlementaire, il ne semblait jouer qu’un rôle honorifique. A son corps défendant, on dit que dans les royaumes, le roi règne et les coutumes gouvernent. Toujours est-il que c’est Kouyaba Diza qui semblait le plus en vue, prenant des décisions spectaculaires, haranguant les foules, lâchant des mots chocs comme au beau temps de la révolution. Bref, il semblait faire ombrage au nouveau roi. Ce dernier, en vieux briscard, feint de tout encaisser. La traversée se faisait en toute sérénité. Les eaux semblaient claires et calmes. Seuls quelques petits remous étaient perceptibles mais pas de nature à entraver la traversée.

Hélas, cela fut de courte durée ! La réalité et la dureté de la gestion du trône, alimentées par les intérêts situationnels divergents se firent jour. Des profondeurs du fleuve, des gros poissons en hibernation, abasourdis par les évènements du 30 et 31 Octobres, commencèrent à remonter en surface pour explorer les nouvelles conditions de vie et les nouvelles opportunités pour leur survie politique. Ils provenaient en majeure partie du clan de l’épidaba et de ses alliés et avaient bénéficié de la complicité du PSR pendant les couvre-feux nocturnes pour se mettre à l’abri dans les profondeurs du fleuve. Les choses sérieuses commencèrent avec la prise de décision d’exhumation de Saint Thomas et de ses 12 apôtres à la cité éternelle de Dagnoen. Or certains de ceux qui avaient ôté ces 13 belles vies à la fleur de l’âge, un triste soir du 15 Octobre 1987 et qui les avaient enfouies à peine 40 centimètres sous terre, étaient toujours là, et en toute puissance parmi les PSR. Allaient-ils observer et rester indifférents à ce coup de pied dans la fourmilière qui risquait de les éclabousser ?

Dès lors, les choses commencèrent à se compliquer pour Couyaba Diza. Comment arrondir les angles, contenter tout le monde et s’en tirer à bon compte ? Il était à la place peu enviable de la sauve souris ; dentée pour les oiseaux et ailée pour les souris, suscitant la méfiance des deux côtés. Il lui fallait des talents d’équilibriste notoire pour tirer son épingle du jeu sans perdre ni dent, ni aile dans cette situation inconfortable. Acculé des deux côtés : d’un côté par les OSC pour que plus rien ne soit comme avant et de l’autre par les PSR pour que les intérêts et le statuquo soient maintenus, un choix cornélien devint vite indispensable. Il prit la courageuse décision de faire tomber l’échelle par laquelle il s’était haut perché et de scier même la branche sur laquelle il semblait assis. Le PSR sera dissout clama-t-il ! Pour joindre l’acte à la parole, il entreprit des affectations de certains gros bras des PSR. Ces derniers comprirent vite qu’il s’agissait en réalité d’un enterrement de première classe. Leur réaction ne se fit pas attendre. Le 30 décembre 2014, en plein conseil des notables, devant Mba Chelmi médusé et des notables ahuris et apeurés, des éléments du PSR amenèrent Couyaba Diza au camp Naaba Koom II de Kosyam et le sommèrent de s’expliquer sur l’histoire des primes non honorées et de l’affectation des gros bras du PSR. Pour le mettre sous pression maximale, sa démission fut même demandée. La tension monta d’un cran de même que la turbidité des eaux fluviales. Mba Chelmi mis en exergue ses talents de diplomate, colmata les brèches, et permis la poursuite de la traversée sans grands dommages. Mais, la hache de guerre étaient désormais déterrée entre Couyaba Diza et ses anciens complices et frères d’armes. De là, viendrait sans doute la principale difficulté de la traversée du fleuve.

La deuxième série du feuilleton n’a guère tardé, occasionnant une fois de plus, la montée des eaux troubles. En effet, le mercredi 4 février 2015, la tenue d’un conseil des notables a été à nouveau empêchée pas des éléments du PSR. Couyaba Diza n’aurait eu son salut qu’en se réfugiant chez le Mogho Naaba. Le bras de fer s’est encore raidi entre les anciens complices ! Finalement, le 13 juin 2015, Kouyaba Diza a annoncé qu’il ne dissoudrait pas le PSR, une reculade qui semblait consacrer la victoire du PSR. En réalité, il s’agissait d’une reculade pour mieux sauter. En effet des voix ne tardèrent pas à s’élever parmi les OSC pour réclamer la dissolution du PSR, qui, à dire vrai, n’avait pas bonne presse dans la mémoire collective du peuple du Sofa Kiburna. Certaines basses œuvres et pertes cruelles en vies humaines de ces trente dernières années avaient été mises à son compte et à moindre frais.

Soufflant et surfant sur la vague d’inimitié entre le peuple et le PSR, Couyaba Diza crut trouver l’arme fatale contre ses anciens complices, nouveaux ennemis jurés. Le bras de fer se raidit d’avantage lorsque, le dimanche 28 juin 2015, de retour d’une mission de Taïwan, Couyaba Diza passa par la Base aérienne 511 pour disait-on, échapper aux éléments du PSR qui voulaient l’arrêter. Le PSR comprit que les choses étaient vraiment sérieuses. Ce n’était jamais un bon signe d’être accusé de tentative d’arrestation d’un chef de retour de Taiwan. Le 18 Septembre 1989 en est la parfaite illustration. Les eaux du fleuve se troublèrent à nouveau et montèrent d’un cran. De gros poissons crurent leurs prières exaucées et le moment venu de se remettre en surface.

Pour Couyaba Diza, l’œuf ne saurait se vanter d’être plus fort que la poule au point de danser sur une pierre. On le fit bien voir. Le PSR et toute la grande muette semble-t-il, exigèrent de Mba Chelmi, le débarquement sans condition de Couyaba Diza et ses bras armés du gouvernement. La plus grande crise de la traversée s’installa au Sofa Kiburna. Mba Chelmi usa une fois de plus de ses talents et de son expérience de diplomate. Il eut la sagesse de recourir à l’arbitrage d’un collège de sages avant de trancher net en deux discours et deux décrets. Il se résolut à garder Couyaba Diza à son poste mais en le dépouillant de certains de ses pouvoirs. Mba Chelmi par contre, en est sorti très renforcé, par sa sagesse, sa diplomatie et mais aussi par ses nouvelles charges.

Sur le plan politique, l’épreuve de taille ayant entrainé la montée des eaux troubles est relative à la loi dite Chérif qui est une transposition de l’article 25 alinéa 4 de la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance. Cet article stipule que "les auteurs de changement anticonstitutionnel de gouvernement ne doivent pas être autorisés à participer aux élections organisées pour la restitution de l’ordre démocratique, ni occuper des postes de responsabilité dans les institutions politiques de leur Etat". Suite donc au projet de loi portant modification de la loi n°014-2001/AN du 03 juillet 2001 portant code électoral, la loi Chérif a été votée le 7 Avril 2015 par le Conseil National de Transition (CNT) à 75 voix pour, 10 contre et 3 abstentions. En son article 135 alinéa 4, elle stipule que "toutes les personnes ayant soutenu un changement anticonstitutionnel qui porte atteinte aux principes de l’alternance démocratique, notamment au principe de la limitation du nombre de mandats présidentiels ayant conduit à une insurrection ou à tout autre forme de soulèvement, sont inéligibles".

Il n’en fallait pas plus pour que tous ceux qui se sentaient morveux se mettent à se moucher. Il est trivial que cette loi frappait d’inéligibilité pour les élections à venir, tous ceux qui avaient aveuglement poussé et soutenu Naaba Laibsé dans sa mésaventure de modification de l’article 37. Or ces personnes s’étaient auto-exclues, du moins en ce qui concerne l’élection présidentielle par leur peur morbide, par leur silence complice et coupable en estimant que seul Naaba Laibsé était digne et apte pour la fonction suprême ! De facto, si ces gens connaissaient la honte et avaient un sens minimum de l’honneur et de dignité, ils se seraient abstenus de toute candidature pour l’élection présidentielle à venir. Hélas, certains sont nés après la honte ! En réalité, ils ne savaient plus rien faire d’autre que de s’accrocher et sucer à sang les mamelles flasques du royaume.

Sentant venir leur sevrage prochain, ils anticipèrent en demandant le recours à la cours de justice de la CEDAO qui joua à merveille à la Ponce Pilate en rendant sa décision définitive et sans appel du 13 juillet 2015 en estimant que la loi Chérif était "une violation du droit de libre participation aux élections". C’était oublier que Le Chérif avait plus d’un tour dans ses boubous blancs. Dès que la CEDEAO eut prononcé son verdict, Le Chérif procéda dès le 16 juillet 2015 au vote de la loi portant mise en accusation des dignitaires du régime déchu. Sur les dossiers pendants, la commission d’instruction de la Haute Cour de justice est en activité depuis le 4 Août 2015.

En attendant que Bartho de la CENI atteste de la régularité technique des dossiers des candidatures reçues et que Kambou le moustachu passe au peigne fin la légalité et la légitimité des candidatures pour extirper tous les suspects sérieux, des candidats et pas des moindres sont dans le doute.

Croisons les doigts et prions fort Allah, Le Seigneur, Jehova et les ancêtres pour que le reste de la traversée se fasse sans encombre. Plus que deux mois de traversée !

Allons seulement !
Vive le 11 Octobre !

A chacun son bulletin de vote !

La Pharmacie citoyenne
Dr Issaka SONDE
Pharmacien
Email : issaksonde@hotmail.com

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