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Inscription, vote et abstention : Regard sur un aspect du comportement électoral des burkinabè

Publié le samedi 1er août 2015 à 01h08min

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Inscription, vote et abstention : Regard sur un aspect du comportement électoral des burkinabè

En démocratie, le pouvoir appartient au peuple et sa gestion est mise en œuvre dans l’intérêt du peuple, dit-on. De même, c’est le peuple qui, à travers des élections, choisit ses gouvernants. Au Burkina Faso, voter est droit pour tous ceux qui en remplissent les conditions. De ce fait, le citoyen burkinabè peut choisir d’en jouir ou non, contrairement à certains pays où voter est une obligation pour tout électeur potentiel.

Cette réalité électorale burkinabè engendre une diversité de comportement électoral caractérisée par le fait que tous ceux qui peuvent voter ne le font pas. En d’autres termes, tous ne s’inscrivent pas sur la liste électorale et, parmi ceux qui s’inscrivent, certains ne votent pas. Le présent papier porte un regard sur ces trois principales dimensions du comportement électoral. Il s’agit de l’inscription sur les listes électorales, du vote et de l’abstention électorale. L’objectif exclusif est de savoir ceux qui s’inscrivent sur la liste électorale, ceux qui votent et ceux s’abstiennent à travers certaines variables sociodémographiques que sont la région, le milieu de résidence, le sexe, l’âge, la religion, le niveau d’instruction et la catégorie socioprofessionnelle. Des éléments de réponses sur les raisons du refus de s’inscrire tout comme pour le fait de ne pas voter y seront brièvement exposés.

NB : Les données proviennent d’une enquête réalisée en décembre 2010 par le Centre pour la Gouvernance Démocratique (CGD) en vue de mesurer les opinions sur les valeurs au Burkina Faso. Cette enquête a aussi posé des questions relatives à l’inscription sur la liste électorale, à l’acte de voter et à l’abstention électorale à propos des présidentielles 2010. Certes, ces données sont vieilles de cinq ans ; mais leur analyse peut constituer un gouvernail pour le futur.

1. De l’inscription sur la liste électorale

C’est l’acte premier permettant à l’individu de pouvoir voter. Ceux qui s’inscrivent traduisent déjà ainsi, leur volonté ou intention de participer aux votes à venir alors que ceux qui ne le font pas montrent leur envie de ne pas participer au choix de leurs gouvernants. Agir dans l’un ou l’autre sens est généralement motivé par des raisons aussi diverses que multiples. Les données révèlent que tous les électeurs potentiels ne s’inscrivent pas sur les listes électorales. Parmi les enquêtés, 30% d’entre eux ont déclaré qu’ils ne se sont pas faits enrôler. Les raisons qu’ils avancent sont principalement l’absence de document d’identification (37,2% des non inscrits), le fait d’être empêcher par certaines circonstances (20,1% des non inscrits) et le refus de s’inscrire (17,3%). Les autres raisons avancées sont celles-ci :

Parmi les non inscrits, la part des femmes est plus élevée que celles des hommes, soit 62% contre 38%.

Quant aux inscrits, leur part s’élève à 70% dont 47% de femme contre 53% d’hommes. Parmi les hommes cette part est de 76,6% alors qu’elle de 64% parmi les femmes, soit un écart de 12,6 points en faveur des hommes. C’est comme si les hommes étaient plus enclins à se faire enrôler sur les listes électorales par rapport aux femmes. Des études plus approfondies permettraient de mieux cerner les contours d’un tel constat.

Il ressort des données que les plus faibles taux d’inscription étaient constatés respectivement parmi les enquêtés des régions du Centre (61,4%), du Nord (63,5%), de la Boucle du Mouhoun (65,2%), des Cascades (66,7%) et des Hauts Bassins (68,4%). Pour les autres régions, les proportions sont supérieures à 70% et les plus fortes sont observées dans les régions du Sahel (83,8%) et de l’Est (80,2%).

Par ailleurs, le pourcentage de ceux qui s’inscrivent parmi les habitants du milieu rural est de 73,6% alors qu’il est 61% parmi ceux qui habitent le milieu urbain, soit un écart de 12,6 en faveur des ruraux. Les citadins sont moins enclins à s’inscrire sur les listes électorales par rapport aux ruraux.

Quant aux jeunes (ceux qui ont un âge d’au plus 35 ans), ils ont plus tendance à ne pas s’inscrire en comparaison avec ceux dont l’âge est supérieur à 35 ans. La part des jeunes inscrits est 63,8% alors que celles des non jeunes s’élève à 76%, une différence de 12,2 points en faveur des non jeunes. Par ailleurs, il ressort que la proportion des inscrits a tendance à augmenter quand l’enquêté tend vers la fin de sa jeunesse (en l’occurrence ceux qui ont un âge compris entre 30 ans et 35 ans).

En relation avec la fréquentation scolaire, il ressort que le taux d’inscription parmi ceux qui ont fréquenté est de 72,1% alors qu’il est de 69,1 parmi ceux qui n’ont pas fréquenté. Il y a donc un écart de 03 points entre ces deux taux. Parmi ceux qui ont fréquenté, le taux le plus élevé est remarqué au niveau de ceux de niveau supérieur (82,8%) et de ceux du Primaire (74,1%). Pour ceux de niveau secondaire, il s’élève à 68,4%.

Selon la confession religieuse, le plus faible taux d’inscription est constaté au niveau de ceux qui estiment ne pas appartenir à aucune religion (60%). Suivent respectivement ceux de la religion protestante (64,6%) et musulmane (68,3%). Les plus fort taux d’inscription sont observés parmi ceux de la religion traditionnelle (76,6%) et ceux de la religion catholique (74,6%).

Le statut socioprofessionnel semble avoir un effet structurant sur les inscrits. Le taux d’inscription le plus fort est constaté parmi les fonctionnaires (88,3%) et les cultivateurs/Eleveurs (76,4%). Les catégories des ouvriers (65%), des ménagères (64,3%) et des acteurs du secteur informel (62,6%) ont des proportions qui se situent entre 60% et 69%. Quant aux plus faibles taux d’inscription, ils sont observés parmi les chômeurs (55,0%) et les élèves et étudiants (55,6%).

En sommes les inscriptions sur les listes électorales sont marquées par une faible participation des jeunes, des femmes, de ceux qui n’ont pas fréquenté ainsi que des chômeurs et des élèves et étudiants. Ainsi, on a l’impression que ce sont les groupes les plus sensibles ou vulnérables qui sont moins enclins à se faire enrôler. Ainsi, s’excluent-ils automatiquement de l’acte de vote qui en principe constituerait une opportunité pour d’exprimer la nécessité de prendre en compte leur besoin à travers le choix des élus. Si l’action est la conséquence des perceptions et des représentations sociales tout comme des intérêts poursuivis, une analyse approfondie sur le sens du vote et même de la politique peut permettre de comprendre les attitudes des burkinabè face à l’enrôlement électoral.

2. De l’acte de voter

Pour voter, il faut être inscrit sur la liste électorale. C’est un préalable incontournable. Le principal constat est que tous les inscrits ne participent pas au vote. Ce point met l’accent uniquement sur ceux qui ont voté. Deux types de pourcentage peuvent être évoqués. Il s’agit de la part de ceux qui ont voté par rapport à l’effectif total des électeurs potentiels (ceux qui sont en âge de voter), d’une part, et de la part des votants parmi les inscrits d’autre part. En fonction des objectifs poursuivis l’un ou l’autre est utilisé. En comparaison avec l’effectif total des électeurs potentiels, le pourcentage des votants est de 56,8%, un peu plus de la moitié des 18 ans et plus. Parmi ceux qui sont inscrits, cette proportion est de 80,6%. Autrement dit, 08 inscrits sur 10 iront voter et 02 s’en abstiendront. On comprend combien il est capital de parvenir à un enrôlement massif des électeurs potentiels. S’inscrire c’est donc voter à moitié peut-on penser. Toutefois, il est évident que même après les opérations d’enrôlements, la sensibilisation doit continuer pour atténuer le pourcentage de ceux qui n’iront pas voter.

Ici, l’analyse du vote se limitera à la population des inscrits. Dans l’ensemble le taux du vote est 80,6% et est inégalement réparti dans les régions. Il connaît son plus haut niveau dans la région de l’Est (92,2%) et son plus faible niveau dans la région du Nord (62,3%). Les régions dont le taux est inférieur à la moyenne nationale sont : le Nord (62,3%), le Centre ouest (66,2%), le Sahel (76,1%), le Centre nord (77,9%) et la Boucle du Mouhoun (79,5%).

Concernant le milieu de résidence, les inscrits du milieu rural sont plus enclins aller voter par rapport à ceux du milieu urbain. En effet, 81,6% des inscrits en milieu rural ont voté alors que cette part est de 77,5% en ville, soit une différence de 4,1 points en faveur du milieu rural. On tendance à considérer que compte tenu du faible pourcentage des urbain au Burkina Faso (22,7%, RGPH 2006), un politicien efficace peut se passer des villes et être élu président au Burkina Faso. Car non seulement les citadins s’enrôlent moins mais aussi ils ne sont pas enclins à aller voter.

Par ailleurs, la proportion des votants parmi les femmes inscrites est de 77,9% alors qu’elle est de 83,1% au niveau des hommes inscrits, soit un écart de 5,2 points en faveurs des hommes. Certes les femmes et les hommes votent comme on le constate ; toutefois, elles sont moins enclines à aller voter par rapport aux hommes. Avec un rapport de féminité qui s’élève à 0,87 (87 femmes votantes pour 100 hommes), peut-on affirmer que les femmes constituent réellement un « bétail électoral » comme on a tendance à le faire croire au Burkina Faso ? Une étude approfondie permettrait à la science de mieux trancher sur ces considérations.

En tenant compte de l’âge, on remarque que la part des jeunes qui votent inférieure à celle des non jeunes. En effet, 77,0% des jeunes inscrits ont voté alors que parmi les inscrits dont l’âge est supérieur à 35 ans ont voté à 83,5%. Tout comme au niveau des inscrits, on constate aussi que la proportion de ceux qui ont voté a tendance à augmenter quand l’enquêté tend vers la fin de sa jeunesse (en l’occurrence ceux qui ont un âge compris entre 30 ans et 35 ans).

En fonction des tendances religieuses, c’est parmi les inscrits n’appartenant à aucune religion que la proportion des votants est la plus faible, soit 66,7%. Le plus fort pourcentage est observé parmi les inscrits d’obédience catholique (81,9%). Les musulmans suivent avec 81,1%. Parmi les inscrits issus de la religion traditionnelle, la part des votants est 78,0%. Quant aux inscrits protestants qui votent, ils sont 75,5%.

Concernant le statut socioprofessionnel, on remarque les plus faibles proportions sont observées respectivement parmi les chômeurs (72,7%), les ménagères (75,4%) et ceux du secteur informel (77,2%). Quant aux plus fortes, elles sont constatées parmi les ouvriers (84,6%), les cultivateurs/Eleveurs (83,2%), les fonctionnaires (83,0%) et Elèves et étudiants (82,5%).

Comme constat, le vote est aussi marqué par une faible participation des jeunes, des femmes et des chômeurs. C’est la même impression caractérisée par le fait que ce sont les groupes les plus sensibles ou vulnérables qui ont plus tendance à ne pas voter. Un tel comportement les prive de cette opportunité de choisir les dirigeants qui tiendront compte de leurs besoins dans les actions gouvernementales d’amélioration du vécu social. Encore faudrait-il connaître ce qu’est « voter » en Afrique et, particulièrement, au Burkina Faso !

3. De la perception de la politique et acte de vote.

Ici, la perception fait référence au niveau d’intérêt et d’importance que les burkinabè accordent à la politique. Cette réalité a été abordée dans un papier antérieur où il est ressorti que moins de la moitié des votants burkinabè accorde de l’importance et de l’intérêt à la politique. Comment l’acte de vote peut être décrit en fonction des niveaux de perception des burkinabè à l’endroit de la politique. Ceux qui votent sont-ils exclusivement ceux qui accordent de l’intérêt ou de l’importance à la politique ? Parmi ceux qui n’accordent pas d’intérêt à la politique, une personne sur deux (50,5%) vote. Ce qui peut constituer un paradoxe, d’autant plus qu’ils pensent que la politique ne les intéresse pas. De la sorte, le mobile de leur vote ne peut être que rechercher ailleurs.

Ce taux est plus élevé parmi ceux qui sont intéressés par la politique, soit une proportion de 64%. Ce qui montre aussi que tous ceux qui en sont intéressés ne votent pas. Par ailleurs, 53,3% de ceux qui n’accordent pas d’importance à la politique votent ; ce taux est de 61% parmi ceux qui trouvent la politique importante. Dans les deux cas (intérêt et importance), on constate que, même s’il est de faible intensité, il y a un lien entre les perceptions de la politique et l’acte de vote. Plus on accorde de l’intérêt à la politique plus on est enclin à aller voter. En fait, ceux qui ont un intérêt pour la politique ont plus de chance de voter que ceux qui n’en sont pas intéressés. Certes, une sensibilisation des burkinabè sur l’importance de la politique dans la vie socioéconomique demeure une judicieuse option. Toutefois, une réelle augmentation du niveau de fréquentation des burkinabè contribuera à augmenter leur intérêt pour la politique. Ce qui améliorerait leur tendance à aller voter.

4. De l’abstention électorale

Quand un électeur inscrit sur les listes électorales choisit de ne pas participer au scrutin, on dit qu’il adopte un comportement d’abstention électorale. Dans un sens un peu plus large, ceux qui ne se sont pas inscrits sur les listes peuvent être perçus comme des abstentionnistes. Avec les présentes données, ce taux d’abstention au sens large s’élève à 43,3%. Pour la présente note, c’est le sens restreint (les inscrits qui n’ont pas voté) qui sera observé. Ainsi, sommes-nous à 19,4% de taux d’abstention. Ceux qui ne votent pas avancent plusieurs raisons dont les principales sont qu’il :
-  n’a pas trouvé le bureau de vote où voter (1% des abstenus) ;
-  avait eu un empêchement (12% des abstenus) ;
-  n’a pas eu le temps de voter (1% des abstenus) ;
-  ne disposait pas de la CNIB (46% des abstenus) ;
-  ne disposait pas de la carte d’électeur (23% des abstenus) ;
-  le résultat du scrutin était connu d’avance (1% des abstenus) ;
-  n’a pas voté pour d’autres raisons (10% des abstenus).

Au-delà de la situation d’empêchement qui justifie 12% des abstentions, on constate que 69% des comportements abstentionnistes sont dus à des problèmes d’ordre administratif. Soit ils ne disposaient pas de CNIB (46% des abstenus), soit la carte d’électeur leur faisait défaut (23% des abstenus). Ainsi, en plus des sensibilisations pour plus d’enrôlement de la part des électeurs potentiels, il est donc évident que la mise en œuvre d’actions efficaces pour favoriser l’accès des citoyens à ces documents administratifs va baisser considérablement le taux d’abstention électorale. La responsabilité de l’administration centrale y est donc engagée même si des efforts doivent aussi être fournis par les citoyens. Quant aux autres raisons avancés par les 10% des abstenus, il s’agit de voyage à l’étranger, d’affectation, de cas de décès, de maladie, de manque de bon candidat et de manque d’intérêt.

En somme, le constat principal est que non seulement tous les burkinabè en âge de voter ne s’inscrivent pas sur les listes électorales ; mais aussi tous ceux qui se sont inscrits n’iront pas tous voter. Ainsi, les défis de consolidation du comportement électoral des burkinabè exige que des sensibilisations sur le sens et le bien fondé du vote soient initiées par les acteurs du système électoral national. Le désintérêt d’une partie des potentiels électeurs pour le vote émane aussi de certaines imperfections liées à la mise en œuvre du processus électoral. La principale est surtout la fraude qui se résume en un détournement des choix des votants au profit de candidats qu’ils n’ont pas votés. Ils éprouvent donc le sentiment que leur vote n’a pas d’impact réel sur l’orientation politique et économique du pays.

De ce fait, pourquoi s’inscrire sur les listes électorales et pourquoi aller voter quand c’est juste pour du folklore politique permettant de rassurer les acteurs internationaux de l’effectivité d’une certaine démocratie au Burkina Faso. Vivement que les élections d’après insurrections puissent être des plus transparents possibles afin de redonner aux citoyens le sentiment d’avoir réellement choisi leurs gouvernants. Pour cela, il faudra œuvrer à une totale éradication de la fraude lors des prochaines élections. CENI, acteurs impliqués, élus et électeurs, à vos marques !

NANA Firmin
INSS/CNRST-Burkina Faso
nafirmin@gmail.com

http://www.lefaso.net/spip.php?article65324

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