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Grande Bretagne-Afrique : un simple regain d’intérêt géopolitique ?

Publié le lundi 28 mars 2005 à 09h34min

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L’Afrique n’a jamais été, pour la Grande-Bretagne, que la face noire d’une gloire impériale passée. Un terrain de chasse pour son aristocratie ; un Eden perdu pour ses souverains. Les relations entre Londres et les capitales africaines (plus encore avec les chefs d’Etat africains) n’ont rien de commun avec ce que nous connaissons ici, à Paris.

Or voilà que Londres redécouvre l’Afrique noire et entend en faire son terrain de chasse diplomatique ; y compris en terres francophones. Et, en tout premier lieu, en Côte d’Ivoire. Pourquoi ce regain d’intérêt de Londres pour l’Afrique ? La question mérite d’être posée alors que Tony Blair, premier ministre, vient de signer un papier dans Le Journal du Dimanche (6 mars 2005) qui affirme que l’Afrique est un "énorme enjeu".

Avant l’explication de texte, rappel historique. Le jeudi 1er mai 1997, à 44 ans, Blair met fin à dix-huit ans de règne des conservateurs. Il devient le plus jeune Premier ministre britannique depuis un siècle. Les Travaillistes prennent le pouvoir à Londres quelques semaines avant que les Socialistes français ne s’imposent à la Chambre des députés et, du même coup, Matignon.

Dans les jours et les semaines qui suivent Blair semble confronté à deux événements : la rétrocession de Hong Kong à la République populaire de Chine et la mort accidentelle de Lady Diana. C’est, pour la Grande-Bretagne, la fin d’une époque. Blair va se présenter comme un leader travailliste moderniste, adepte d’une "troisième voie" qui vise à donner un "coup de vieux" aux socialistes continentaux, français et allemands tout particulièrement.

Le "11 septembre", l’Afghanistan puis l’Irak (après le Kosovo et la Sierra Leone) vont lui donner l’occasion de s’affirmer pleinement sur la scène internationale. Bill Clinton a laissé la place à George Bush et Blair va vite comprendre que la Grande-Bretagne va trouver là une opportunité de s’imposer sur la scène internationale non plus comme l’ex-empire devenu "has been" mais comme une puissance diplomatique et militaire avec laquelle l’Amérique d’une part, l’Europe d’autre part, vont devoir compter.

Il va le dire dans Le Point (15 mars 2002). "Il est important pour la Grande-Bretagne de mettre à profIt son histoire pour affirmer sa position dans le futur". Il souligne que son pays à une "relation forte" avec les Etats-Unis et se trouve dans une "alliance forte" avec l’Union européenne ; il rappelle les "liens historiques" qui, dans le cadre du Commonwealth, ont été tissés avec le Reste du Monde tout en considérant que Wladimir Poutine, en Russie, est un "modernisateur". La Grande-Bretagne a donc vocation, dit-il, à jouer un "rôle pivot dans le monde".

Blair rentre tout juste, alors, d’une tournée en Afrique noire (Nigeria, Ghana, Sénégal et Sierra Leone). Une Afrique noire dont il disait, lors de la conférence annuelle du Labour à Brighton, en septembre 2001, que sa situation était" comme un stigmate sur la conscience du monde". Le voilà sur le terrain pour prôner un "nouveau partenariat" : "davantage d’aide, annulation de la dette, assistance à une bonne manière de gouverner et au développement des infrastructures, résolution des conflits, formation des militaires avec la bénédiction de l’Onu, investissements et ouverture de nos marchés, pour pratiquer enfin la liberté de commerce que nous aimons tant à prêcher".

En retour, Londres attend de l’Afrique une "vraie démocratie, la fin des dictatures et du mépris des droits de l’homme, l’éradication de la corruption endémique dans certains Etats et la restauration de systèmes commerciaux, financiers et juridiques appropriés ". Sur ce dossier africain, Blair est" marqué" par Gordon Brown, Chancelier de l’échiquier qui prône une hausse substantielle de l’aide à l’Afrique (0,35 % du PIB loin des 0,70 % recommandés par l’Onu).

Blair et Brown sont en concurrence pour la primature via le leadership du parti travailliste. Blair, un instant, avait laissé penser à Brown qu’il lui céderait la place pour conduire les législatives de mai 2005. Le locataire de Downing Street était alors au creux de la vague à la suite de sa gestion de la guerre en Irak. Et dans les plus mauvais termes avec la France. Ce n’est plus vrai. Le dossier irakien pèse moins dans la politique intérieure depuis que les troupes sont sur le terrain (que José Maria Aznar n’est plus au pouvoir à Madrid et que Silvio Berlusconi roule moins des mécaniques à Rome) ; et depuis le sommet franco-britannique du Touquet (février 2003), les relations entre Paris et Londres se sont améliorées, notamment en ce qui concerne une action conjointe sur l’Afrique.

Avec la perspective d’une troisième victoire électorale d’affilée, la présidence du G8 Cler janvier 2005) et celle de l’Union européenne Cler juillet 2005), Blair (52 ans en mai 2005) se sent, à nouveau, chargé d’une mission mondiale. Pour ne pas dire impériale. Et dans cet impérialisme britannique renaissant, l’Afrique est un "énorme enjeu". Pourquoi ?

Blair nous l’explique dans le JDD du dimanche 6 mars 2005. Il y dresse un état des lieux apocalyptique : "pauvreté absolue" ; "vingt millions de morts" du fait du sida ; une espérance de vie qui "va bientôt descendre à 30 ans" ; "un siècle de progrès [c’est moi qui souligne] dans le développement" anéanti, etc.

Effet sur les "démocraties" : "émigration de masse" ; "terrorisme et fanatisme", etc. Il note l’émergence d’une génération de dirigeants démocratiquement élus, l’engagement accru de l’Union africaine dans la solution des conflits locaux, les perspectives du Nepad, etc. ; mais souligne que "nous dépensons des milliards en aide humanitaire pour recoller les morceaux ", que "les aides subordonnées aux priorités du pays donateur et non du bénéficiaire, ou court-circuitant les systèmes nationaux, sont négatives en efficacité et en transparence ", et que "les mesures au coup par coup et à court terme ne feront pas l’affaire ".

L’ambition impériale de Blair est évidente. Elle correspond à ses convictions spirituelles et morales qui sont plus fortes que ses convictions politiques. Il s’estime en mesure d’influencer les Etats-Unis version Bush-Men. Et se veut le partenaire incontournable de son ex-colonie sur des terrains que Londres connait mieux que Washington : le Moyen-Orient, l’Asie du Sud, l’Afrique. Ajoutons à cela que la Grande-Bretagne est un facteur de limitation d’influence de la France et de l’Allemagne au sein de l’Union européenne et un facteur de rapprochement entre les Etats-Unis et l’Union européenne, particulièrement du côté des nouveaux pays membres.

Enfin, rappelons que le MOD (Ministry of Defence) vient de s’engager dans la plus importante réforme jamais mise en oeuvre en la matière depuis la fin de la guerre froide. "L’armée britannique est sans conteste la meilleure du monde et elle entend bien le rester", affirme le général Walker, chef d’état-major des forces armées britanniques. La "meilleure" grâce, notamment, à la qualité de son personnel mais, également, au fait que Londres consacre 2,5 % de son PIB à ses dépenses militaires.

Le nouvel objectif de l’armée britannique est de privilégier les actions militaires aux côtés des Etats-Unis ou dans un cadre multilatéral, mais d’être également en mesure d’intervenir seule. La tentation impériale qui anime Blair (être "le pivot du monde "i se heurte au sein de l’Union européenne et, collatéralement, en Afrique, à la prééminence de la France et à sa politique "gaulliste" : suspicion à l’égard de l’allié transatlantique et de l’allié transmanche ; omniprésence sur le terrain africain avec, en ce qui concerne les régimes en place, bien moins d’états d’âme que les Anglais.

Pour s’imposer comme la deuxième puissance mondiale, la première puissance européenne et, plus encore, le coach de l’Amérique, l’Angleterre de Blair doit retrouver sa position impériale. D’abord en Afrique ; ce qui veut dire y marginaliser la France. Le processus est en marche.

Jean-Pierre Béjot
La Dépêche Diplomatique

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