LeFaso.net, l'actualité Burkinabé sur le net
Proverbe du Jour : “Soyez un repère de qualité. Certaines personnes ne sont pas habituées à un environnement où on s’attend à l’excellence.” Steve jobs

Les contes d’Issaka Sondé : Le peuple du SOFA KIBURNA et la traversée du fleuve sacré

Publié le vendredi 15 mai 2015 à 02h32min

PARTAGER :                          
Les contes d’Issaka Sondé : Le peuple du SOFA KIBURNA et la traversée du fleuve sacré

Dans les contes précédents, nous avions vu comment la profanation répétée du fétiche sacré avait entrainé la chute du roi. Les dieux courroucés, le peuple acculé, exaspéré, révolté, avaient fini par unir leurs puissances et leurs forces pour mettre fin à trois décennies de transgression du fétiche sacré et de règne sans partage. Tout comme Napoléon Ier sur la plaine de Waterloo le 18 Juin 1815, Naaba Laibsé et son clan venaient de livrer dans la case sacrée, la dernière bataille contre les dieux et le peuple. C’était l’avant dernier jour du dixième mois de l’année 2014.

L’échec fut cuisant et les conséquences immédiates. Accompagnée d’un tonnerre étourdissant, la foudre, ce feu du ciel, venait de leur tomber sur la tête. Avant midi, le soleil s’était déjà couché à jamais pour certains ; pour d’autres, s’annonçait une nuit sombre obscure, sans lune, ni étoile, et sans perspective d’une aube radieuse. Par contre, pour beaucoup d’autres, pour la marée humaine ondulante, ondoyante et déferlante, la joie et la satisfaction étaient au firmament. Oui dans le royaume, c’était la loi des contrastes dans toute sa splendeur. L’aube radieuse et la joie pour les uns, le crépuscule lugubre, la hantise et le désespoir pour d’autres. Telle était l’ambiance, les sentiments et les sensations aux quatre coins du Sofa Kiburna ce dernier jour du dixième mois de l’année 2014. Mais, tout comme l’empereur Napoléon Ier le 18 Juin 1815, sa majesté Naaba Laibsé avait été battu ce 30 Octobre 2014, mais ne s’estimait pas encore avoir été vaincu. La force n’avait pas marché, mais il restait la ruse, éternelle roue de secours de sa Majesté dans sa longue expérience de gestion du pouvoir. Malheureusement, tout comme la force s’use, la ruse aussi finit par se découvrir. Il n’y avait plus de marge de manœuvre possible à force d’avoir longtemps, tant et mal manœuvré.

Napoléon Ier, face au manque de soutien politique, avait dû abdiquer quatre jours plus tard à son retour à Paris, soit le 22 juin 1815. Eh bien pour sa Majesté Naaba Laibsé, cela fut plus rapide. L’abdication forcée et l’exile survinrent dès le lendemain face au manque de soutien franc et total des guerriers et surtout des Roitelets et Sentinelles du Palais (RSP) sur lesquels il comptait tant. Ce qui était tant souhaité, mais pas du tout attendu, se présenta sur un plateau d’or : la chute du roi ! La surprise était de taille ! Sorti pour exiger uniquement le strict respect de l’intégrité du fétiche sacré, ni plus, ni moins, le vœu du peuple venait d’être exaucé au centuple. Non seulement le fétiche sacré était resté en état, mais aussi et surtout, sa Majesté le roi, contraint à la fuite, laissait vacant le trône au milieu du palais. Une situation inédite se présenta au Sofa Kiburna : la vacance du trône ! Le tambour sacré venait de l’annoncer, sur les ondes du royaume sans roi. Comme annoncé en prémonition par le rappeur Smarty, "le chapeau du chef flottait désormais dans l’air". Mais le problème majeur est que, de l’après lui-même le roi, il n’y avait jamais songé. Point de prince héritier, point de successeur désigné et distingué après 27 ans de règne. Maintenant on fait comment ? Se demandait-on de part et d’autres du royaume sans roi.

Durant son long règne, à chacun de ses proches collaborateurs, sa Majesté tenait constamment ce langage d’intimidation :"euh toi là, j’espère que tu ne veux pas un jour me remplacer ! Il ne faut pas que cela t’arrive hein, même en rêves ; sinon tant pis pour toi. Demeures mon fidèle serviteur, jusqu’à ce que la mort me prive du trône ; si tu demeures sagement mon fidèle serviteur, tu pourras faire tout ce que tu veux dans ce royaume, il n’y aura rien ; je te le promets !".

Certains membre du clan et pas des moindres avaient tellement été traumatisés par ce langage au point qu’ils assimilaient à de la folie, le simple fait de lorgner en rêve, le trône de sa Majesté. A une certaine époque, lorsqu’un barbu haut perché avait osé et s’était autoproclamé chef de terre, sous l’effet euphorisant d’un liquide rouge, il avait vite été rappelé à l’ordre. On lui tint à peu près ce langage : "Qu’est que tu viens de dire ? Tu es le chef de terre ici ? Donc tu rêves d’être roi à la place du roi ! Ah, tu affiches des ambitions ! C’est un grand crime dans ce royaume et tu l’apprendras à tes dépens. Tu as sans doute encore picolé ; avec la hauteur du perchoir, cela accentue sans doute tes vertiges ; une chute est vite arrivée, et ma foi, avec la synergie de la hauteur et de ton poids, tu peux te faire très mal. Descends par terre, tu seras plus lucide et tu verras plus clair. Tes mauvais rêves cesseront". Ce fut le début de la traversée du désert !

Depuis cette leçon, qui en réalité, n’était qu’une mise en garde pour tous, les membres du clan n’étaient devenus que des pauvres fidèles et dévoués serviteurs de sa majesté. Les ambitions éteints à jamais, ils se contentaient de sucer à sang et sans pitié les mamelles meurtries du royaume, les yeux fermés, les bouches fendues, les ventres bedonnants.

Et voilà que du jour au lendemain, le royaume meurtri donnait des coups de pattes ; les bouches fendues ne s’accrocheraient plus longtemps aux flasques mamelles endolories et presque vides. Le vide s’était fait au tour du trône. Sa Majesté s’était enfuie abandonnant griots et fidèles ahuris. Les riches et autres conseillers du roi avaient fait partir femmes et enfants. Tous ceux qui se sentaient très coupables et se faisaient des reproches avaient traversé les limites du royaume pour se mettre à l’abri. Le royaume avait changé de visage et rien du futur n’annonçait, ni ne garantissait un bon présage. Tout était confusion et pillages. La vacance du trône avait fait une vague. La vague avait fait place à un creux, puis à un sillon qui s’était bien élargi pour donner naissance à un fleuve aux eaux troubles. Le Sofa Kiburna était presque coupé en deux. D’un côté, les nostalgiques d’un système en perte de vitesse et de l’autre, les aspirants à un Sofa Kiburna nouveau dans lequel, plus rien ne sera comme avant.
Dans ce contexte, beaucoup de fidèles serviteurs de l’ex roi, des notables aux griots, jusqu’aux pages, tous étaient devenus de nouveaux personnages et attendait le nouveau roi pour faire allégeance.

Dans le royaume, dès lors que le roi craint n’était plus roi, chaque notable, débarrassé du manteau de la fidélité absolue au roi, de la couardise, de la peur et de la lâcheté, découvrait sa capacité à être roi à la place du roi, comme nouveau roi. Dès lors, dans chaque strate sociale du royaume, sont nés des camps. Entre les généraux et le lieutenant-colonel, entre balais et spatules, entre les politiques et la société civile, entre tous les coalisés d’hier, chacun mijotait son coup et plaçait ses pions pour ne pas se faire doubler.

Les ennemis communs du moment, anciens membres du clan de sa Majesté le roi, s’étaient terrés pour échapper à la furie de la vengeance. Dans leurs trous de cache, très apeurés et larmoyants pour les privilèges perdus, ils attendaient patiemment que le ciel assombri se dégage. Dans leurs cœurs meurtris et dans leurs esprits tourmentés, résonnait en permanence cette prière de l’égoïste : "mon Dieu, dans ce maudit royaume, faites éclater le grand malheur qui fera mon bonheur particulier".
Pendant ce temps, sur la plus grande place publique du royaume, se prenaient les nouvelles décisions sur la conduite du royaume. Le pouvoir était désormais dans la rue. Le chapeau du chef flottait toujours dans l’air, dans l’attente d’une nouvelle tête pour le porter. Cela ne tarda point. Entre le 30 Octobre et le 02 novembre 2014, quatre prétendants sérieux se sont faits connaître et ont virtuellement occupé le trône : le général Eronoh Orraté chef des guerriers du royaume ; l’ex chef des guerriers, le général à la retraite Mékoua Guélou ; la princesse de Gantou Ersé Narsa ; et le lieutenant-colonel Couyaba Diza numéro 2 des guerriers aguerris ayant en garde la sécurité du palais royal. Les aspirations et ambitions de Mékoua Guélou et d’Ersé Narsa ont été vites étouffées dans l’œuf. Ils n’avaient ni armes dissuasives, ni guerriers aguerris pour conquérir et surtout conserver le trône. Normalement, le mieux loti était le général Eronoh Orraté. N’était-il pas le chef de tous les guerriers du royaume ? Affirmatif ! Mais cela n’était guère suffisant. Son talon d’Achille, c’était qu’à part le fait de se rendre régulièrement au palais pour prendre les ordres ou pour rendre compte à sa majesté, il ne connaissait pas grand-chose du trône. Sur ce plan le lieutenant-colonel Couyaba Diza avait une nette longueur d’avance sur son chef. N’était-il pas le numéro 2 des guerriers aguerris ayant en charge la sécurité du palais ? Affirmatif ! N’avait-il pas évolué sous l’aile protectrice de l’autre général très calme et très craint, Bergilt Derédien, le numéro un en chef des guerriers aguerris ayant en garde la sécurité du palais royal ? Affirmatif ! Depuis des décennies, ces deux-là côtoyaient en permanence sa Majesté le roi. En toute complicité, ils vivaient dans les arcanes du palais. Ils avaient eu tout le loisir d’observer toutes les positions du roi sur le trône et connaissaient la moindre empreinte imprimée sur le trône par sa Majesté durant les 27 ans de règne. Ils avaient épié tellement de fois sa Majesté, scrutant chacun de ses gestes majestueux de port du chapeau du chef. Ce geste sacré et majestueux, ils le répétaient en cachette. Qu’ignoraient-ils des secrets et intrigues du palais royal ? Rien, absolument rien ! Comme au théâtre, ils avaient fait toutes les répétitions nécessaires. Ils ne leur restaient qu’à monter sur scène après avoir aidé et couvert la fuite du roi. En fin stratège, pour le premier rôle, Bergilt Derédien le numéro un, désigna en secret son numéro 2 Couyaba Diza, tout en faisant fi, cette mise en gardes des anciens à l’ombre des baobabs : "Prenez garde de confier deux choses à un ami : le pouvoir et la femme" !

Pendant ce temps, dans l’embrouillamini total qui prévalait, le général Eronoh Orraté, fut le premier à croire son heure venue. Dès le jeudi soir, il s’était empressé de démolir la case sacrée, qui du reste, avait déjà cramé dans la matinée. "Considérant l’urgence de sauvegarder la vie de la nation" il annonça qu’il assumait "à compter de ce jour les responsabilités de chef de l’Etat". Il affirmait agir ainsi "conformément aux dispositions constitutionnelles" en prenant les rênes du royaume. Tout le royaume croyait alors tenir son nouveau roi.

Mais dès le vendredi soir, la situation se compliqua pour lui. Dans la nuit, le lieutenant-colonel Couyaba Diza, inspiré et soutenu par son numéro un, s’est autoproclamé nouveau roi. Peu avant, un groupe de guerriers et de courtisans se présentant comme les "forces vives de la nation" avaient annoncé la suspension de l’adoration du fétiche sacré, la mise en place d’un couvre-feu ainsi que la fermeture des frontières aériennes et terrestres du royaume. Couyaba Diza avait aussi annoncé à 2H51mn que, le roi en fuite était "en lieu sûr " et "son intégrité physique et morale n’est pas menacée ". Le général Eronoh Orraté premier roi autoproclamé ne broncha point. Entre le chef des guerriers et le guerrier en chef, il n’y avait pas match. La messe était dite et bien entendue. On était tous unanimes, même au-delà du royaume, que le chapeau du chef avait échu sur la tête du lieutenant-colonel Couyaba Diza. Il était pour le moment, le nouveau roi. Dans le communiqué où il annonçait sa prise de pouvoir, Couyaba Dazi affirmait vouloir "amorcer un processus de transition démocratique", une sorte de traversée du fleuve. Cette traversée serait menée par " un organe de transition, reflétant les diverses sensibilités sociopolitiques". Cela sous entendait un bateau dans lequel seraient embarqués toutes les filles et fils du royaume en direction du Sofa Kiburna où plus rien ne sera comme avant. A la jeunesse du Sofa Kiburna et à tous ceux qui manifestaient depuis trois jours il avait assuré que "les aspirations au changement démocratique ne seront ni trahies ni déçues".

Allons seulement crièrent tous à l’unisson ! Il venait d’embarquer le peuple du Sofa Kiburna pour la traversée du fleuve sacré à destination de là où, plus rien ne sera comme avant. Cependant, l’inquiétude et l’insatisfaction se lisaient sur les visages. Le fleuve avait des eaux troubles et turbulentes, et la durée de la traversée était inconnue. Allons seulement, crièrent à nouveau, les guerriers aguerris et les balais ! "Euh non, entendons-nous bien d’abord" rétorquèrent en chœur les membres du clan du CFOP (Clan des Fâchés, des Opprimés et des Persécutés) qui regroupait les politiciens armés de spatules et le clan de la CCVC (Clan des Coalisés pour Continuer à Vivre) qui regroupait les syndicats et les clandestins. La réalité est qu’on ne piétine pas deux fois les testicules de l’aveugle. La leçon du 03 Janvier 1966 avait amèrement été bien retenue par les civiles. Ils ne tenaient, pour rien au monde, à ce que le trône soit encore confié à un guerrier, un homme en treillis. L’homme en treillis a déjà assez de pouvoir par la possession des armes, le pouvoir redoutable du feu. En lui ajoutant le pouvoir du trône, il devient doublement détenteur du pouvoir. Or, comme tout excès nuit, le surdosage du pouvoir le transforme vite en tyran et il finit par être atteint de la long-régnite, la boulimie du pouvoir.
Pour éviter tout quiproquo aux conséquences fâcheuses, le CFOP et la CCVC entonnèrent une chanson avec la voix de Sana Bob l’amateur et fidèle compagnon de l’âne :
-  On n’est pas d’accord, le peuple n’est pas d’accord…
-  Un homme en treillis ne doit pas conduire le bateau
-  Même s’il est armé et costaud
-  Voyez bien d’où il vient
-  Voyez bien qui était son chef
-  Souvenez-vous du 3 janvier 1966
-  Jusqu’à ce jour l’homme en treillis n’a plus lâché le trône
-  Alors que défendre l’intégrité du royaume est son rôle
-  A chacun son boulot
-  Il faut que ce soit un civil qui conduise le bateau…
Beaucoup entonnèrent le même refrain en dehors même du royaume. Et voilà un couac pour le lieutenant-colonel Couyaba Diza avec le bateau tanguant au milieu du fleuve, dans les eaux boueuses, troubles et turbulentes.
Jusqu’où ira-t-il ? Parviendra-t-il à bon port, là où, plus rien ne sera comme avant, avec tout le monde ?

A bientôt pour la suite

La Pharmacie citoyenne
Dr Issaka SONDE
Pharmacien
Email : issaksonde@hotmail.com

PARTAGER :                              

Vos commentaires

 LeFaso TV
 Articles de la même rubrique
Sénégal / Diomaye Faye président ! : La nouvelle espérance
Burkina : De la maîtrise des dépenses énergétiques des Etats
Burkina Faso : Combien y a-t-il de langues ?