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Penser l’État burkinabé post-Transition ou comment insuffler un vent nouveau d’interventionnisme dans la gouvernance politique, économique, sociale et culturelle

Publié le jeudi 7 mai 2015 à 13h45min

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Penser l’État burkinabé post-Transition ou comment insuffler un vent nouveau d’interventionnisme dans la gouvernance politique, économique, sociale et culturelle

Depuis la chute du Régime de Blaise Compaoré et la mise en place des institutions de la Transition, le Pays des Hommes intègres est en quête de nouveaux repères. Il navigue sur des équilibres en apparence instables, comme s’il recherchait une voie, une destinée, une âme nouvelle. Dans ce contexte d’incertitudes, il convient de saluer les efforts de toutes les personnes de bonne volonté qui œuvrent, dans l’ombre ou dans la lumière, pour la réussite de ce passage vers un État démocratique exemplaire.

Des réformes sont envisagées, de nombreuses commissions sont instituées pour penser les fondements d’une justice plus indépendante, d’une économie plus efficiente, d’une gouvernance politique plus transparente et plus « éthique ». Toutes ces réflexions sont utiles et même nécessaires. Il me semble, cependant, qu’il manque une approche globale du modèle de Société que l’on est en droit d’attendre de ce pays, après 27 ans d’une gestion « fermée » des affaires publiques, d’un système de gouvernance semi voire « totalitaire », où le débat participatif n’était pas la vertu la plus exaltée.

Cette approche « globale » de la gouvernance rêvée et demandée par celles et ceux qui ont mené la Révolte (Révolution) les 30 et 31 octobre 2014 nous impose d’imaginer un État burkinabé nouveau, répondant aux aspirations profondes de tout un chacun.

Mais quel État veulent véritablement les Burkinabé ? Un État fort et interventionniste ou un État passif et non-interventionniste ? Un État acteur et volontariste ou un État observateur et impuissant ?

De l’interventionnisme politique

On a parfois reproché à M. Compaoré, durant ses années de présidence, une certaine passivité dans la gestion des affaires de l’État. Cette posture de « monarque absolue » lui convenait bien dans un régime présidentialiste où il ne répondait pas de ces choix politiques devant l’Assemblée nationale. Cette image d’un exécutif amorphe était toutefois compensée par une personnalité forte du Premier ministre, toujours choisie parmi des individus ayant une carrure d’Homme d’État. Il fallait, bien entendu, montrer une image d’un exécutif fort, ayant une maîtrise parfaite des affaires courantes de l’État.

Dans les réformes politiques à envisager dans l’urgence, il faudra évidemment – cela a maintes fois été martelé par de brillants contributeurs au sein des débats publics – opérer des changements considérables visant à réduire les pouvoirs du Chef de l’État, ou en tout cas à le rendre davantage responsable devant le peuple. En ce sens, le régime parlementaire pourrait être une option intéressante. Un exécutif responsable de ses actes devant la représentation parlementaire donnera le sentiment que le peuple contrôle la gestion de la Chose publique ; cela obligera aussi les responsables politiques à cultiver ce souci du « devoir envers le peuple », cela les contraindra à toujours chercher à être au plus près des préoccupations de nos concitoyens.

En outre, l’État interventionniste doit renforcer et garantir les droits et libertés fondamentaux, il doit veiller à ce que les citoyens aient vraiment le sentiment que le Droit prime sur toute autre considération.

L’« interventionnisme politique » est donc un état d’esprit nouveau à cultiver dans le Burkina post-Transition. Un état d’esprit qui doit animer toute personne aspirant à exercer une responsabilité publique ; un état d’esprit qui se manifeste aussi à travers le courage des femmes et hommes politiques lorsqu’il s’agit de défendre les intérêts du Burkina par des choix courageux (y compris lorsqu’il faut assumer un arbitrage sur les questions militaires).

De l’interventionnisme économique

Sur le plan économique, on attend également de l’État post-Transition une vision claire sur les directives à prendre pour une gestion efficiente des finances publiques. Nul besoin de rappeler ici que le Pays connait des difficultés majeures dans le domaine de l’économie, et que les choses ne s’arrangeront pas avec la chute du cours de l’or sur les marchés financiers. À cela, il faudrait aussi tenir compte de l’instabilité dans la sous-région, qui n’incite pas les investisseurs à déverser des milliards dans des économies incertaines.

Quoi qu’il en soit, le modèle économique du Burkina post-Transition ne devrait pas se révéler ni trop interventionniste, ni trop peu interventionniste : il faudra donner un signal fort à la fois au Peuple et aux institutions financières internationales.

D’abord, un signal rassurant au Peuple, qui attend désormais de l’exemplarité dans la gestion des finances publiques. Cela passe, notamment, par des réformes urgentes du système fiscal (un impôt plus juste et plus efficace à la fois pour les particuliers et les entreprises), un renforcement des sanctions pénales pour les crimes et délits économiques, une remise à plat du Code des marchés publics pour évoluer vers davantage de transparence, etc. Tous ces points mériteraient un développement plus étayé et j’y reviendrai dans mes prochains écrits. Un certain nombre de réformes qui vont en ce sens ont d’ores et déjà été mises en œuvre par la Transition, mais il faudra poursuivre les efforts de moralisation de la vie économique bien après le 11 octobre 2015.

Ensuite, un signal convaincant aux institutions financières internationales (FMI et Banque mondiale) et aux investisseurs nationaux et internationaux. Ce signal passe par exemple par une volonté d’ouverture aux capitaux étrangers, pourvu qu’ils aient vocation à mettre en œuvre des partenariats gagnant-gagnant. Il faudra aussi, tout en réduisant le train de vie de l’État, montrer que l’État sera la pièce maîtresse dans la régulation de la vie économique et qu’il ne se contentera pas d’observer les règles du marché se faire et se défaire au gré de la volonté toute-puissante des acteurs concernés. Une telle cacophonie ultra-libérale aura des conséquences désastreuses sur la volonté du peuple de réduire le fossé entre les plus nantis et les plus vulnérables de la Société.

De l’interventionnisme social

Évidemment, la réalisation de tels objectifs économiques ne se fera que si l’État social de demain prend conscience de la nécessité de développer des projets majeurs au profit des couches sociales les plus défavorisées. Et elles sont si nombreuses qu’on n’oserait même les énumérer ici. Un « Plan Marshal » au profit des jeunes, des travailleurs précaires, des retraités du privé et du public, des millions de chômeurs et de jeunes sans qualification s’impose. Le devoir d’interventionnisme de l’État post-Transition s’inscrit intrinsèquement dans l’appel lancé par le Peuple lors de l’insurrection des 30 et 31 octobre 2014 : plus rien ne doit ressembler à ce qui se faisant avant.

L’État social doit assumer ses responsabilités ; il ne saurait se contenter, à l’avenir, de dire que le Burkina manque de ressources pour satisfaire tous ses fils et filles : le peu de ressources que génère l’économie nationale doit être redistribué aux personnes les plus vulnérables. Telle est la philosophie qui doit présider aux actions des femmes et hommes politiques Burkinabé de demain. Il faut réinventer un modèle de gouvernance où les performances économiques, qu’elles soient positives ou négatives, soient assumées par toutes les couches composant la Société. Il faut réinventer aussi un mode d’action des pouvoirs publics centré sur un devoir de collaboration avec les ONG travaillant dans le social et au plus près des préoccupations des populations.

Concrètement, et à titre d’illustration, l’État social responsable ne saurait déléguer, même implicitement, des pans entiers du développement et du bien-être de ses populations à des ONG nationales ou internationales ; il ne devrait donc pas se soustraire de ses engagements sociaux au seul prétexte que des structures non-étatiques s’y investissent avec succès. Le volontarisme doit être au cœur des actions sociales : cela permettra aux électeurs de mesurer, sur le terrain, l’atteinte ou non des objectifs de ceux qui ont demandé et obtenu le suffrage et la confiance du peuple.

De l’interventionnisme culturel

La culture a été et reste un moteur du développement socio-économique au Burkina. Elle est sa fierté, ce que la Terre des Hommes intègres vend le mieux à l’Afrique et au reste du monde. Les nombreux événements annuels qu’abrite notre Pays en constituent la parfaite illustration.

L’État post-Transition doit avoir conscience du potentiel immense à tirer de notre patrimoine culturel. Il doit avoir à cœur, à l’interne, de promouvoir le pluralisme et la cohésion culturels, et à l’externe, de renforcer l’image d’une Société qui cultive sa singularité culturelle dans une Afrique malheureusement en proie parfois à des conflits d’ordre ethnique.

L’immensité de la richesse culturelle du Burkina, que l’on retrouve dans pratiquement tous les aspects de la vie sociétale (le cinéma, le théâtre, l’art, la musique, l’artisanat, etc.), doit être un champ investi par les futures autorités politiques. La culture ne doit pas être le parent pauvre des investissements économiques du gouvernement ; elle doit devenir une priorité au même niveau que l’éducation et la santé. Elle révèle l’identité d’un peuple et ne saurait être regardée par les politiques comme un « secteur ringard », comme « seconde zone » ayant vocation à attirer chaque année quelques festivaliers en quête de « folklore ».

La Culture burkinabé est bien plus qu’une culture du folklore, et l’État doit investir dans la recherche scientifique visant à mettre en valeur ses nombreux atouts. La Culture peut par exemple avoir un impact considérable sur la cohésion sociale ; elle peut aussi avoir un impact non négligeable sur la prise de conscience par les générations actuelles et futures de la nécessité de protéger l’environnement ; elle peut enfin permettre de répondre à de nombreuses interrogations d’ordre sociétal sur les bienfaits et les dangers de la mondialisation.
Parce qu’elle est donc vitale pour le Burkina Faso, la Culture devra être un champ d’intervention prioritaire pour les futures autorités de l’État post-Transition.

Toutes ces questions ne sont que survolées à travers cette brève réflexion. Mais elles ouvrent le champ à une réflexion plus large sur ce que l’on est en droit d’attendre d’un Pays qui revient de très loin. Au moment où l’on passe tellement de temps à se demander QUI PEUT ou QUI NE PEUT PAS être candidat aux prochaines élections présidentielle, législatives et municipales, il m’a semblé important et même nécessaire de rappeler à tous, citoyens comme acteurs politiques, que l’enjeu n’est plus tant l’individu candidat que son projet de Société. Malheureusement, le débat porte actuellement sur les personnes et non sur ce qu’elles pensent véritablement. Sur les quelques points que je viens de développer, il est urgent que ceux qui aspirent à diriger le Burkina de demain apportent une vision, des propositions concrètes, afin d’éclairer les citoyens qui vont user de leur droit de vote sur les conséquences de leur acte.

Rabaconmanegba OUEDRAOGO
Rabaconmanegba.Ouedraogo@usherbrooke.ca

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