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Les contes d’Issaka Sondé : Le peuple du Sofa Kiburna et la traversée du fleuve sacré.

Publié le jeudi 30 avril 2015 à 15h40min

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Les contes d’Issaka Sondé : Le peuple du Sofa Kiburna et la traversée du fleuve sacré.

Depuis six lunes, le royaume du Sofa Kiburna vit une période particulière de son histoire ; une période spécifique, une période inédite. La dernière fois, nous étions remontés un peu plus loin dans l’histoire du royaume pour vous permettre une bonne compréhension de la situation, des enjeux et des forces du moment jusqu’à la chute de Naaba Laibsé.

Eh bien, la règle ne sera pas dérogée cette fois-ci non plus ! Nous revisiterons un peu l’histoire de la transgression permanente du fétiche sacré par sa Majesté et son clan avant de nous embarquer la prochaine fois pour la traversée du fleuve sacré. Savoir d’où on vient est fondamentale si on veut bien apprécier où on est, et se projeter sereinement et résolument sur où on va.

En rappel, après trois décennies de règne sans partage, sa Majesté Naaba Laibsé n’était point rassasié du trône. Il était sévèrement atteint par la long-régnite chronique, la boulimie du pouvoir. Malgré l’interdiction absolue du règne à vie par les coutumes sacrées du royaume, après l’échec de la manœuvre rusée de sollicitation d’un "lenga" de deux ans, Naaba Laibsé avait tenté un passage en force, le tout pour le tout, envers et contre tous, avec l’appui du clan de l’Épidaba, sous l’attelage de l’éléphant traitre à la panse volumineuse. Il y avait également entre autres, la panthère noire du bandit-chef en personne. Le mouton vert, défenseur invétéré de l’écologie, était également de la partie. Une fois de plus, il était question de la profanation du fétiche sacré pour régner à vie. Quel était le mode opératoire ? Eh bien, voyons voir !

Il est fort probable que beaucoup de Kiburnabé n’ont jamais pris la peine de regarder, de parcourir, d’observer attentivement, minutieusement pour admirer la morphologie de la constitution du fétiche sacré. Une brève description du fétiche sacré s’impose donc.

Pour rappel, le fétiche sacré avait été constitué en 1991 à la date du 02 Juin, soit près de quatre ans après la rectification irréversible d’un camarade qu’on avait accusé de s’être trompé. Après sa constitution, le fétiche sacré a été formellement adopté par le peuple souverain du Sofa Kiburna et installé dans la case sacrée le 11 juin 1991 sous la haute surveillance des gardiens des coutumes.

Le corps du fétiche sacré est composé d’une tête appelée préambule et d’un tronc robuste et trapu. La tête ou préambule est symbolisée par une tête d’étalon surmontée de 13 flèches numérotées de 1 à 13. Ce préambule a été remodelé à deux reprises. En 1997, avec de légères modifications sur les flèches 2, 3 et 4 ; puis en 2012, avec l’adjonction des flèches 5, 6 et 7.

Le tronc était constitué de 17 parties. Chaque partie comportait un nombre donné de pierres sacrées protégeant une partie précise du royaume ou codifiant une organisation bien spécifique de son fonctionnement. Ces pierres sacrées s’appelleraient articles chez les toubabous ou nassaaras. En tout, le tronc du fétiche sacré comportait 173 pierres sacrées bien distinctes, chacune avec son numéro et réparties sur les 17 parties du tronc. La partie 3 était sans doute la plus connue du peuple du Sofa Kiburna. C’est cette partie du tronc du fétiche sacré qui codifiait spécifiquement le nombre et la durée des saisons de règne de sa Majesté. Elle comportait en tout 25 pierres sacrées.

L’une d’elles, la 37ème dans l’ordre de numérotation et d’alignement sur le tronc, était la plus sacrée. C’est celle qu’il ne fallait jamais toucher, arracher, ou remplacer au risque de provoquer le courroux des dieux, de faire couler beaucoup le sang, du sang humain surtout. Les dieux étaient très attentifs sur sa moindre manipulation. Mais Naaba Laibsé n’en avait cure ! Il n’avait de compte à rendre à qui que ce soit ! Même pas aux dieux ! Il pouvait profaner le fétiche sacré comme bon lui semblait, quitte à provoquer l’ire des dieux, que le sang coule et que des vies innocentes soient arrachées à la fleur de l’âge. D’ailleurs, il en avait l’habitude et l’habitude est une seconde nature.

Lorsque le premier modèle du fétiche sacré fut sculpté et installé dans la case sacrée le 11 juin 1991, il avait été gravé sur la 37ème pierre, que sa Majesté devrait régner une saison de sept ans renouvelable une fois. 104 féticheurs avaient participé à sa conception sous la conduite du Bobognessan barbu, éternel amateur des calebassées au liquide rouge. Cinq grands féticheurs avaient été choisis pour la finalisation et la sacralisation. Parmi les plus célèbres, il y avait l’homme dur à casser car taillé à la fois dans le Roch, le Marbre et le Cristal ; il y avait celui qui est devenu par la suite, le charismatique et respecté président du pays réel ; il y avait aussi l’honorable et célèbre beindrologue, Maître Gatinti REPACE. C’est ce dernier qui avait été chargé de sculpter la partie 3 du tronc du fétiche sacré et ses 25 pierres sacrées. Il y mit tout son art et toute sa connaissance du monde occulte et ésotérique.

L’incantation qui devrait être gravée sur l’une des 25 pierres en occurrence la 37ème (à partir du sommet et dans l’ordre de numérotation et d’alignement sur le tronc), nécessitait la plus grande des précautions. En effet, elle codifiait spécifiquement le nombre et la durée des saisons de règne de sa Majesté et la moindre erreur, incompréhension ou omission, pourrait être source de colère des dieux et donc de malheur pour le peuple du Sofa Kiburna. Le célèbre beindrologue après une longue retraite spirituelle et ancestrale dans le monde divin et des devins, proposa l’incantation suivante : "une saison de cinq ans de règne, renouvelable une fois". Mais cela n’a point convenu à l’entourage de sa Majesté et à sa Majesté ! Après d’âpres négociations entre notables et féticheurs, le nombre de saison de règne est resté limité à deux, mais la durée d’une saison passa de cinq à sept ans. Naaba Laibsé avait donc tranquillement 14 ans de règne devant lui.

Mais un an avant l’entame de la deuxième et dernière saison de règne, contre toute attente, exactement le 27 janvier 1997, sans crier gare, Naaba Laibsé et son clan transgressèrent le fétiche sacré. Lors d’un rituel, l’incantation sur la 37ème pierre a été modifiée. Les deux mots "une fois" disparaissent après le mot "renouvelable" et la durée d’une saison de règne n’est plus audible pendant l’incantation, ce qui sous-entend qu’elle n’est plus limitée. La brouille commençait avec les dieux. Mais l’effet de surprise n’a pas permis une réponse appropriée à la hauteur du forfait. Par cette profanation, Naaba Laibsé venait d’être atteint de la long-régnite, la boulimie du pouvoir.

Cependant, ce ne fut pas un fleuve de règne tranquille comme s’attendait Naaba Laibsé. Un après-midi du 13 Décembre 1998 le corps d’un ange scribe avec trois de ses compagnons d’infortune, furent découverts dans un véhicule en ignition dans la partie Sud du royaume. Son péché mignon ? Avoir épié et scribouillé pour le peuple et pour le jour du jugement dernier, quelques faits et gestes peu recommandables de sa Majesté et des membres de son clan. Tuer et carboniser un scribe, sans doute pour paraitre sans preuve auprès du tout puissant le jour du jugement dernier lorsque l’Ange Israfil soufflera trois fois dans la Corne ! C’était un crime de trop.

Le Sofa Kiburna entier s’embrase, les manifestations se multiplient, le trône de sa Majesté vacille et se plie. Pour calmer les esprits et les dieux, et avoir un minimum de répit, sa Majesté et son clan conviennent sur la nécessité de faire des sacrifices sur le fétiche sacré. La 37ème pierre, la plus connue de toutes, la plus surveillée par les dieux devrait bénéficier d’attention particulière. L’incantation qui avait été gravée le 27 janvier 1997 devrait être reformulée. C’était le Mardi 11 avril 2000. Le nombre de saisons de règne est à nouveau limité à deux et leur durée bien audible, descend à cinq ans. Mais encore et toujours la ruse éternelle de Naaba Laibsé pour berner les dieux et le peuple. Arguant du caractère non rétroactif de la nouvelle incantation, Naaba Laibsé et le clan de l’Épidaba s’offraient à nouveau, deux nouvelles saisons de règne jusqu’en 2015.

Cependant, avant même l’intronisation pour la deuxième et dernière saison de règne qui devrait survenir en 2010, l’entourage de Naaba Laibsé prône encore la fin de la limitation du nombre des saisons de règne. Le clan de l’Épidaba ne pouvait se passer de son champion, l’unique, le seul dans son genre et dans ses qualités. On pensait que le Bon Dieu l’avait sculpté et envoyé pour régner à vie sur le Sofa Kiburna. En 2011, après son intronisation du 11 Novembre 2010 " à hauteur d’homme", sa Majesté convoque des féticheurs dans un cadre divinatoire sur les réformes politiques et institutionnelles du royaume. On appela ce cadre, le CCRP c’est-à-dire "Chacun pour Compaoré et son Règne Perpétuel".

Tous les initiés et les anciens du royaume qui étaient pour le stricte respect du fétiche sacré, savaient qu’il ne s’agissait rien d’autre qu’une nouvelle ruse du clan de l’Épidaba et de sa Majesté. Ils ont tellement été mordus par le serpent au point que, même le ver de terre suscitait en eux la plus grande des méfiances. Ils avaient pris toutes les précautions nécessaires pour ne plus se laisser rouler dans la farine par sa Majesté. Et fort heureusement, la ruse ne marche pas à tous les coups surtout si elle n’a pas la baraka, la bénédiction des dieux et des ancêtres. La nouvelle ruse fit flop, laissant le clan et sa Majesté dans l’obligation de devoir se démasquer et avancer à visage découvert ! Cela ne tarda point. En décembre 2013, à l’occasion d’une fête nationale organisée dans le Nord du royaume, sa Majesté annonce que l’incantation sur la 37ème pierre du fétiche sacré pourrait une nouvelle fois être mutilée et modifiée. Le pavé était jeté dans la mare de Dori et les vagues ne sauraient tarder ! Jamais deux sans trois, souffla-t-il ! Tout dépendra de la volonté et du souhait du peuple du Sofa Kiburna dit-il. Ignorait-il que le peuple souverain du Sofa Kiburna n’éprouvait aucune volonté, ni le souhait de voir sa Majesté rempiler encore et se pérenniser sur le trône ?

Advienne que pourra scandaient les membres du clan de l’Épidaba. La pierre du grand fétiche sacré interdisant le règne à vie devrait coute que coute être arrachée, ou modifiée, pour que sa majesté, l’indispensable roi demeure roi éternellement, et que les privilèges et l’impunité perdurent ad vitam aeternam, pour le bonheur des seuls membres du clan. Les cantines, nouvelle unité de mesure de réussite sociale, en étaient la preuve évidente.

Les grands sorciers du clan, après diverses consultations conjuratoires, retinrent l’avant dernier jour du dixième mois de l’année comme le plus favorable pour la forfaiture suprême, la transgression et la Nième profanation du fétiche sacré dans la case sacrée. D’ailleurs, ils en avaient l’habitude. Depuis trois décennies que ça se répétait, que le même jeu se jouait, et en fin de compte, toujours le même gagnant, le seul et même victorieux, l’éternel, l’invincible et l’inamovible, sa Majesté Naaba Laibsé.

Mais tout à une fin. Tout comme on ne transgresse pas infiniment et impunément les dieux, on n’écrase pas infiniment et impunément son peuple. Sa Majesté ne savait pas à quel point les dieux et le peuple étaient fâchés, très fâchés de voir leur fétiche sacré profané, souillé depuis des années ; leur dignité bafouée, leur avenir sacrifié par la seule volonté d’un individu, fut-il indispensable comme le claironnait son clan. On le fit bien savoir le 30 Octobre 2014 lorsque les dieux et le peuple révoltés, unirent leurs puissances et leurs forces au prix d’énormes sacrifices pour mettre fin à trois décennies de forfaitures. En quelques heures, tout s’écroula pour certains. Le ciel s’assombrit soudainement d’épais nuages de haute fumée, au-dessus de la case sacrée. La foudre avait frappé. Les reliques de feu s’étaient instantanément et sélectivement propagées dans les maisons de tous ceux qui avaient outrageusement encouragé la forfaiture.

Ironie du sort ? Au lieu d’un "lenga" de deux ans, c’est un "barka", une réduction de deux ans de règne qui venait d’être accordée à sa Majesté. Trente années de belle vie et quelques biens mal acquis partirent en flammes. L’exile chez la belle-famille fut la seule voie de salut avec en profonde méditation cette citation de Norbert ZONGO : "La vie, la vraie vie, c’est celle du soir de l’existence humaine. Car une heure de souffrance balaie aisément un siècle de bonheur".

A bientôt pour la suite !

La Pharmacie citoyenne

Dr Issaka SONDE
Pharmacien
Email : issaksonde@hotmail.com

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