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Les contes d’Issaka Sondé : Le peuple du Sofa Kiburna et la traversée du fleuve sacré

Publié le vendredi 17 avril 2015 à 02h02min

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Les contes d’Issaka Sondé : Le peuple du Sofa Kiburna et la traversée du fleuve sacré

Depuis près de six lunes, le royaume du Sofa Kiburna, vit une période particulière de son histoire, une période spécifique, une période inédite. Pour mieux comprendre la situation et les enjeux, il est nécessaire de remonter un peu plus loin dans l’histoire du royaume. Depuis 3 décennies, le roi inamovible, sa Majesté Naaba Laibsé régnait en maître incontesté, diabolisé par les uns, vénéré par les autres, mais craint de tous.

Après un début de règne difficile, décrié urbi et orbi pour sa manière peu recommandable de s’accaparer du trône, il se fit patient. Le temps est le meilleur des remèdes dit-on ! Au fil du temps, par des manœuvres diverses et subtiles (l’élimination physique, l’intimidation, la ruse, la corruption, l’achat des consciences…), il finit par prendre l’entier contrôle de la situation et devenir le seul maître à bord.

A l’apogée de son long règne, il se sentait si puissant au point que le Sofa Kiburna lui parut très étroit pour sa gouverne. Pour sa gloire, son prestige, son rayonnement planétaire, il lui fallait beaucoup plus de visibilité. Il alla à la conquête du monde. Pour y parvenir, il mit au point un remède miracle : la Médiatine ®. Le voilà indispensable aux yeux de tous, accourant au chevet des royaumes voisins et lointains pour vendre et administrer son remède. Tous ces royaumes étaient touchés par la même maladie : la long-régnite, la boulimie du pouvoir qui finissait par gangrener tout le corps social et menacer la paix vitale.

Par crainte de Naaba Laibse pour les uns, par son respect pour les autres, un bon nombre de rois voisins durent se procurer la Médiatine® avec des effets plus ou moins mitigés. Tel fut le cas pour les royaumes du Goto, du Gerni, de la Néegui, de l’éléphant, du Lima etc.

Pendant que Naaba Laibsé courait de royaume en royaume pour vendre et administrer le remède miracle, son royaume le Sofa Kiburna allait à vau l’eau. De nombreux maux furent diagnostiqués : l’agonie de la morale, la patrimonialisation du pouvoir, la long-régnite chronique etc. Que nenni, rien ni fit ! Sa Majesté ignora royalement tous ces maux, négligea la Retraitine® qui lui avait été prescrite et joua à merveille la théorie des trois singes : ne rien voir, ne rien entendre, ne rien dire.

Ses thuriféraires officiels et officieux, les naviculaires encenseurs, en toute harmonie avec les coryphées du règne à vie, lui composèrent des hymnes. Les plus mélodieuses à ses oreilles étaient : "yellékayéééé, Naaba ya foé " ; "Nous maîtrisons la situation" ; "Majesté, vous êtes le seul capable de gouverner ce royaume" ; "Naaba, après vous, le déluge" ; "Nous sommes prêts à mourir pour vous" ; "Vous êtes le pétrole du Sofa Kiburna" etc. Ces hymnes qu’il adorait tant, qui le berçaient tant, lui étaient chantées en toute circonstance. Et voilà Naaba Laibsé tout piégé, de plus en plus sacralisé, de plus en plus loin du peuple, coupé des réalités du royaume, gouvernant par procuration et pour un seul clan.

En effet, les thuriféraires, les naviculaires, les coryphées, les fidèles, les griots, des escrocs de tout genre, de concert avec sa Majesté Naaba Laibsé, décidèrent et créèrent un gros clan ; c’est le clan de l’Épidaba, avec pour emblème l’épi et la daba. Tout membre du clan était vite initié sur le sens ésotérique de l’emblème. "L’épi c’est pour que tu manges et tu te tais, la daba c’est pour t’enterrer ou te "Naréfier" si tu ne respectes pas les consignes". Les détracteurs l’appelèrent le Clan des Coalisés pour Duper et Piller le Peuple (CDP). Désormais, pour vivre tranquillement, pour bénéficier des fruits de la croissance du royaume sans suer, pour piller et voler en toute impunité, pour absoudre les crimes de tout genre, il fallait faire partie de ce clan. Beaucoup désertèrent la plupart des autres clans du royaume et accoururent au clan de l’Épidaba pour boire frais, manger chaud sans effort à moindre frais et en toute impunité.

Pour le reste du royaume, c’était la débrouillardise. C’était la lutte quotidienne pour la survie. Le clivage était net et entier dans le royaume. Fort heureusement, si pourries que soient la semence, subsistent toujours des graines porteuses de lueur, d’espoir et susceptibles de germer. Pour dénoncer ce clivage et l’iniquité du partage des fruits du royaume, d’autres clans se formèrent. Dans le champ commun, ceux qui travaillaient comme des éléphants mais estimaient ne manger que la part de la fourmi, créèrent le Clan des Coalisés pour Continuer à Vivre (CCVC). De temps en temps, pour donner de la voix, ce clan organisait des marches qui se terminaient par des courses larmoyantes lorsque des zones rouges étaient franchies.

Dans ce lot, il y avait également le Clan des Fâchés, des Opprimés et des Persécutés (CFOP). Leur sort n’était point meilleur. Les humains étant généralement plus semblables et proches dans la souffrance que dans l’opulence, ces deux clans unirent leurs forces contre l’adversaire commun. Les marches à travers le royaume reprirent de plus belle. Tel était désormais le quotidien au Sofa Kiburna. On s’en contentait, on faisait avec de part et d’autre pour s’intimider alors que se profilait la fin de règne de sa Majesté Naaba Laibsé.

Pour rappel, le pouvoir de Naaba Laibsé n’était ni divin, ni héréditaire. En outre, depuis un certain temps, il n’était plus permis à un roi de régner plus de deux saisons successives au Sofa Kiburna. Chaque saison durait cinq ans. Cela était clairement annoncé au son du tamtam sacré et connu de tous aux quatre coins du royaume. Cette perspective de fin de règne, pourtant bien prévue par les coutumes sacrées, déclencha une panique terrible dans le clan de l’Épidaba. Cette fin de règne n’augurait rien de bon et était perçue comme une malédiction pour les membres du clan. Ce sera la galère, la fin des haricots ; la fin des privilèges indus, la nécessité de devoir rendre compte et surtout de devoir travailler dur pour gagner sa vie. Il fallait donc tout faire pour que l’écran protecteur, sa Majesté règne à vie, et que le statu quo et les privilèges soient maintenus.

Les membres du clan proposèrent à sa majesté de changer les règles coutumières pour régner à vie. Sa majesté en fut très enchanté. D’ailleurs, il n’était guère disposé à céder pacifiquement le trône. Il recruta alors des ouvriers fidèles pour servir et défendre la cause sans état d’âme, sans honte, sans réserve. Dès cet instant, tout le royaume se figea. Le clivage s’accentua entre les deux clans principaux ; chaque clan avait ses alliés de taille.

D’un côté, le clan de l’Épidaba se croyant le plus rusé, le plus fort, le plus puissant. Ses membres s’enorgueillissaient de posséder les armes et les feuilles ; deux moyens redoutables et efficaces pour conquérir et conserver le trône. Il comptait aussi dans sa troupe deux gros animaux de brousse : la panthère dressée par un bandit-chef et l’éléphant à la panse volubile conduit par Bergilt Elno, imprévisible et inconstant dans ses paroles et dans ses actes.

De l’autre côté, le clan des CCVC et CFOP se montrait serein. De composition hétéroclite, il comprenait tous les déçus, les marginalisés et autres laissés pour compte du système de règne de sa Majesté. Cependant, les membres y adhéraient fort convaincus que seule la lutte paie. Ce clan aussi disposait d’un animal de brousse, en occurrence le lion ; d’un œuf pour une couvée éventuelle ; de balai pour se débarrasser des déchets, des spatules tant redoutées par les hommes, etc.

Les deux clans se guettaient, s’épiaient, se menaçaient, se jaugeaient. Le stade était l’unité de mesure de la force de mobilisation des militants. Il pouvait être à moitié vide, plein, plein recto verso et dans le meilleur des cas, plein recto verso avec intercalaire.

Pendant que les deux clans se jaugeaient, un évènement inattendu survint. Contre toute attente, certains membres de l’Épidaba et pas des moindres retrouvèrent subitement leur statut d’homme avec des ambitions bien affichées. Est-ce parce qu’ils se sentaient à l’étroit ? Est-ce parce qu’ils ont eu des remords ? Est-ce par pitié pour le peuple ? Est-ce par simple flair opportuniste ? Est-ce la nuit sous le couvert des conseils et stimulations de la chaleur d’un pagne ? Aucune réponse à toutes ces questions ! Toujours est-il que, avec expériences, secrets, armes et bagages, ils quittèrent le clan de l’Épidaba et créèrent le clan des Mutants contre la Patrimonialisation du Pouvoir (MPP). Ce nouveau clan était symbolisé par deux épis, le soleil et l’eau. Le sens ésotérique de l’emblème signifiait : "Tous les frustrés de l’Épidaba, venez à nous, n’ayez plus peur, bientôt, quand nous accéderons au trône, vous aurez beaucoup plus à manger que là où vous êtes, vous voyez, nous avons plus d’épis ; il y aura aussi à boire ; nous n’allons pas vous enterrer quoi qu’il arrive, vous voyez, nous avons bien changé, nous avons abandonné la daba aux autres ; mais attention hein, vous pourrez quand même avoir chaud avec le dieu Ra, le dieu soleil si vous ne respectez pas certaines consignes !"

L’histoire se répétait au Sofa Kiburna. Tout le monde se rappelle le rôle que la sœur Pabré avait joué entre Naaba Koumdoumyé et Naaba Yadéga et qui, même de nos jours, vaut à l’empereur du Moogho, le prétexte du faux départ de chaque vendredi matin. Eh bien les membres du MPP avaient aussi emporté non seulement tous les secrets et fétiches du clan de l’Épidaba mais aussi les devins et conseillers occultes. La panique s’installa à bord dans le clan de l’Épidaba. C’était maintenant une question de vie ou de mort politique. Il fallait tenter le tout pour le tout, jouer à quitte ou double.

Il est dit qu’ avant d’avoir eu peur, on voit juste, pendant qu’on a peur, on voit double, et après qu’on a eu peur, on voit trouble. C’était l’état d’esprit dans le clan de l’Épidaba. Privé de cerveau, dépourvue de vision, la moelle épinière devint le centre de commandement du clan. Il fonctionna par reflexe, par automatisme, sans coordination aucune, sans retenue. Sa Majesté tint conseil de clan à la fin du dixième mois de l’année pour adopter la conduite à tenir pour conjurer le sort funeste.

Envers et contre tous, les détenteurs de la moindre parcelle du fétiche sacré devraient se réunir pour décider du sort de la maudite règle coutumière interdisant le règne à vie. Chacun jura fidélité au roi et empocha des feuilles sonnantes et trébuchantes en contre partie de sa petite voix incantatrice. La veille du sacrément, ils furent parqués comme un troupeau de moutons dans une case attenante au fétiche sacré. Le matin, de bonne heure, par une porte dérobée, ils accédèrent à la case sacrée.

Mais, on ne transgresse pas infiniment et impunément les dieux. Ils l’apprirent à leurs dépens. On n’eut même pas le temps de faire une incantation, ni un seul sacrifice expiatoire que la foudre frappa. Un feu enflamma le sommet de la case sacrée. La panique s’installa dans l’assemblée ! Ce fut alors le sauve qui peut. A la vitesse de l’éclair, des ventripotents, des fessus…, des gens qui ployaient sous leur poids, des gens qui pouvaient à peine marcher, détalèrent, sautèrent par-dessus murs et se sauvèrent.

La maison sacrée crama. Quand les dieux se fâchent, tout se paie cash ! Les dieux étaient contre le règne à vie. La messe était dite. La sentence venait de tomber. Sa majesté comprit que les carottes étaient désormais cuites. Il lui restait un choix à faire. Le suicide pour l’honneur ou l’exile en attendant de voir. Il opta vite pour le second. Il avait tellement bien vécu pour oser mal mourir. Aidé par ses anges gardiens lourdement armés, il quitta le royaume à contre cœur, par la porte du sud. Quelques temps après, il atterrit au royaume de ses beaux-parents. Le sort en avait ainsi décidé. Un long règne de trois décennies sans partage venait de prendre fin de la plus inattendue et humiliante des manières. Les membres du clan, extrêmement surpris, abasourdis, désorientés, désormais orphelins de sa Majesté, se terrèrent en jouant profil bas sous l’orage déchainé. Une nouvelle ère s’ouvraient pour le peuple héroïque du Sofa Kiburna. L’ère du "plus rien ne sera comme avant".

Mais cela passe nécessairement par la traversée des eaux turbulentes et troubles du fleuve sacré. C’est le fleuve du Kadiogo ou la transition.

A bientôt pour la suite !

La Pharmacie citoyenne

Dr Issaka SONDE
Pharmacien
Email : issaksonde@hotmail.com

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