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Dr Ousseni ILLY à la Société burkinabè de droit constitutionnel : « Les nominations du Président Faso ne sont peut-être pas légitimes mais elles ne sont pas inconstitutionnelles »

Publié le mardi 31 mars 2015 à 07h04min

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Dr Ousseni ILLY à la Société burkinabè de droit constitutionnel : « Les nominations du Président Faso ne sont peut-être pas légitimes mais elles ne sont pas inconstitutionnelles »

J’ai suivi avec intérêt la sortie de la SBDC sur les récentes nominations de membres du Conseil constitutionnel faites par le Président du Faso. En tant que juriste et enseignant également le droit, j’aimerais apporter mon point de vue sur les éléments soulevés par la Société. Avant tout propos, j’aimerais cependant faire cette mise au point, en particulier à l’endroit des internautes : je n’ai aucun lien, ni de près, ni de loin, avec quelle que autorité que soit de la transition, ni avec quel que parti politique que soit (et je n’en recherche point). Je réagis en tant que citoyen libre et soucieux de l’équilibre des débats.

Dans sa conférence de presse tenue le jeudi 26 mars 2015, la SBDC affirme que la nomination de Messieurs Anatole TIENDREBEOGO et Bouraima CISSE ainsi que de Madame Haridiata DAKOURE/SERE en séance du Conseil des ministres du 25 mars 2015 comme membres du Conseil constitutionnel viole « la lettre et l’esprit de la Constitution et de la Charte de la Transition ». Pour soutenir sa position, la SBDC base son argumentaire sur trois éléments : la nomination desdits membres en Conseil des ministres, « l’usurpation » du Président du Faso des pouvoirs du Président du Conseil national de la transition et enfin l’absence de spécialistes du droit constitutionnel parmi les nommés. Essayons d’analyser ces arguments un par un.

Sur la nomination en Conseil des ministres d’abord : pour la SBDC, le décret portant nomination des membres du Conseil constitutionnel est inconstitutionnel parce qu’il violerait le « pouvoir de nomination propre » du Président du Faso en ce domaine. Il est vrai, notre constitution (articles 55 et 56) distingue les emplois dont la nomination est réservée au Président du Faso (cas des ambassadeurs, de la haute hiérarchie militaire, des sociétés stratégiques, etc.) et les autres emplois, qui sont « pourvus en Conseil des ministres ». A en croire la SBDC, l’exercice de ce « pouvoir propre » ne saurait se faire en Conseil des ministres. Toutefois, en lisant attentivement la constitution, on se rend compte que celui-ci ne détermine pas, pour ce qui concerne les emplois réservés au Président Faso (que la SBDC appelle abusivement « pouvoir de nomination propre »), le procédé par lequel celui-ci doit les pourvoir. Le Président reste donc libre de choisir le procédé qu’il veut : le canal du Conseil des ministres, ce d’autant plus que la constitution ne le lui interdit pas ; en plus, il en est le chef ; soit le décret simple (hors Conseil). Il existe une pratique abondante sous la IV république qui confirme cela : nombre d’ambassadeurs, de chefs militaires, de dirigeants de grandes sociétés d’Etat, de même que des membres du Conseil constitutionnel, ont été nommés par Blaise Compaoré aussi bien par des décrets simples que par des décrets pris en Conseil des ministres. Il n’y a rien donc de nouveau en la matière.

Par ailleurs, à supposer que la théorie « des pouvoirs de nomination propres » telle que défendue par la SDBC existe, c’est sans doute une théorie désuète et en déphasage avec les aspirations des populations d’aujourd’hui. En effet, la tendance dans toutes les démocraties du monde aujourd’hui, à la suite des pays anglo-saxons, est à la limitation et à l’encadrement des pouvoirs de nomination du président de la république. Revendiquer donc pour lui un « pouvoir de nomination propre », hors de tout contrôle, me parait anachronique.

Sur « l’usurpation » des pouvoirs du Président du CNT ensuite : selon la SBDC, le Président du Faso aurait « usurpé » le pouvoir de nomination du Président du CNT, en nommant une personne que ce dernier aurait déjà nommée. Il est même fait état de « violation du principe de la séparation des pouvoirs » à ce sujet. A mon sens, la SBDC va peut-être un peu trop vite en besogne. Nous n’avons pas connaissance d’une plainte du Président du CNT faisant état d’un quelconque accaparement de son pouvoir de nomination par le Président du Faso, et en tout état de cause, la nomination de la même personne par les deux personnalités ne signifie pas a priori que l’un (à savoir le Président du Faso) a usurpé le pouvoir de l’autre. La constitution accorde à chacun un quota, et il s’agit de vérifier si l’un (notamment le Président du Faso) a dépassé le quota qui lui est assigné. A ma connaissance cela n’est pas le cas, et ici il y a simplement une double nomination d’une même personne, due certainement à une absence de coordination entre les deux institutions. C’est une erreur plutôt « administrative » et on ne peut y voir une violation du principe de la séparation des pouvoirs.

Sur l’absence de constitutionnalistes parmi les nommés enfin : d’après la SBDC, les révisions constitutionnelles de 2012 imposent aux autorités de nomination des membres du Conseil constitutionnel, d’intégrer « certaines personnalités ayant des qualités techniques en matière constitutionnelle ». C’est peut-être un souhait, sinon on a beau cherché, on ne trouve pas une seule disposition dans la constitution qui contient une telle exigence. L’article 153 qui a trait à la composition du Conseil dispose que « le Conseil constitutionnel comprend :
- les anciens chefs de l’Etat du Burkina Faso ;
- trois magistrats nommés par le Président du Faso sur proposition du ministre de la justice ;
- trois personnalités nommées par le Président du Faso dont au moins un juriste ;
- trois personnalités nommées par le Président de l’Assemblée nationale dont au moins un juriste ;
- trois personnalités nommées par le Président du Sénat dont au moins un juriste ».

Il est tout à fait exact que l’obligation d’inclure au moins un « juriste » dans la liste de chaque autorité de nomination est une innovation de la révision constitutionnelle de 2012, mais comme tout le monde peut le lire, la constitution parle de « juriste », sans plus. Et comme on le sait, dans notre système (et un peu partout ailleurs), toute personne titulaire d’au moins une maîtrise en droit est un « juriste ». On me dira peut-être que je fais une interprétation grammaticale ou littérale de la constitution, mais comme on l’enseigne dans toutes les facultés de droit du monde, la première règle en matière d’interprétation, c’est le sens ordinaire des mots. Le constituant avait voulu inclure des experts en droit constitutionnels qu’il aurait été plus explicite. Rien ne l’empêchait. C’est peut-être regrettable, puisque la présence de constitutionnalistes aurait été d’un apport important pour le travail du Conseil, mais si on s’en tient à la constitution, le Président ne l’a violé aucunement. En effet, parmi les trois personnalités qu’il a nommées, figurent bien une ancienne magistrate, donc un « juriste ».

Comme on peut le constater, le du Président du Faso n’a pas violé pas la constitution. Est-ce pour autant que l’on peut considérer ses nominations comme légitimes ? Certainement pas. En effet, on peut bien s’interroger sur la pertinence et l’opportunité de nommer des personnes retraitées, surtout pour une fonction aussi exigeante et un mandat aussi long (9 ans). Loin de moi de remettre en cause les compétences de ces personnes, mais on le sait tous, à partir d’un certain âge, on devient moins prompt et on n’a besoin de se reposer. C’est la raison d’être d’ailleurs de la retraite.

La seule (et peut-être vraie) nomination inconstitutionnelle à mon sens, que personne n’a cependant pas soulevé, est la nomination de Monsieur Kassoum Kambou comme président du Conseil constitutionnel par le Conseil des ministres du mercredi 11 février 2015. En effet, depuis la révision constitutionnelle de 2012, le président du Conseil constitutionnel est censé être élu par ses pairs (voir article 153, alinéa 2 de la constitution). Aucune information ne nous a été fournie sur les raisons de la non-application de cette disposition.

En dernière analyse, sur le point des nominations, il faut bien admettre que la Transition a manqué l’occasion d’asseoir les bases d’une véritable gouvernance économique pour notre pays, et c’est regrettable. On se rappelle qu’en 2007, le gouvernement Tertus I avait adopté un décret (Décret 2007-724/PRES/PM/MEF/MCPEA) dont l’article 39 dispose que : « Le poste de Directeur Général des établissements publics de l’Etat, des sociétés d’Etat et des sociétés d’économie mixte à participation majoritaire de l’Etat est soumis à appel de candidature ». Le CDP, qui s’était pris dans son propre piège à travers ce texte, n’avait cessé de louvoyer sur son application. On aurait cru qu’avec l’arrivée de la Transition, l’occasion serait belle pour sa pleine et entière application. Que nenni ! En lieu et place, on a assisté à des « débarquements/embarquements » à la guise et surtout sans lendemains.

En effet, on sait bien que tous les DG qui sont en train d’être nommés en ce moment seront aussitôt débarqués dès l’entrée en fonction du gouvernement qui sortira des prochaines élections. Or, des appels à candidatures en bonne et due forme auraient permis de confier les sociétés à des personnes uniquement sur la base de leurs compétences et de stabiliser leur gestion, le pouvoir entrant ne pouvant pas remettre à sa guise les contrats signés.

Dr Ousseni ILLY
Enseignant-chercheur
Université Ouaga II

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