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Me Prosper Farama : « Comprendre la dépénalisation comme l’impunité pour les journalistes, c’est mal comprendre son sens et son objectif »

Publié le samedi 4 avril 2015 à 07h08min

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Me Prosper Farama : « Comprendre la dépénalisation comme l’impunité pour les journalistes, c’est mal comprendre son sens et son objectif »

Le combat des Hommes de média pour la dépénalisation des délits de presse a vivement refait surface dans ce contexte de Transition empreint de velléités de réformes tous azimuts. Ce combat semble avoir des adeptes au sein d’autres corps de métier. Du moins, il en est ainsi dans le milieu des avocats où Me Prosper Farama a bien voulu donner de la voix dans le sens de l’aboutissement heureux de ce combat. En effet, Me Farama, sans langue de bois comme à son habitude, se veut rassurant quant au bien-fondé du combat pour la dépénalisation des délits de presse, et quant à l’avancée démocratique que favorisera cette option si elle venait à être effective. Entretien explicite, à lire !

Depuis quelques années, la question de dépénalisation des délits de presse est exposée sur la place publique comme revendication du monde de la presse burkinabè. Mais que faut-il entendre par dépénalisation ?

Je pense que la notion de dépénalisation peut être entendue dans un sens restrictif comme dans un sens extensif. Mais essentiellement, ce qu’il faut entendre de façon simple de la notion de dépénalisation des délits de presse, c’est faire en sorte que les délits commis par les professionnels de la presse dans l’exercice de leur métier, ne les conduise pas en prison.

Ce qui ne veut pas dire que les fautes qu’ils viendraient à commettre, ne seront pas sanctionnées ; étant donné qu’il y a plusieurs types de sanction en droit dont l’amende. Ce qui est revendiqué par les journalistes, c’est que la dépénalisation porte sur la question de l’emprisonnement, qu’il n’y ait pas de sanction d’emprisonnement contre les journalistes.

Pourquoi parle-t-on de délit, quand on sait que généralement ce sont les actes de nature criminelle qui conduisent à l’emprisonnement ?

Le terme délit, c’est une notion générique en droit ; ça rentre dans la graduation des infractions après les crimes, il y a les délits, et il y a les contraventions.
Il y a un principe général qui veut que les sanctions prévues pour les délits comprennent des peines d’emprisonnement. Mais ce qu’il faut savoir aussi, c’est que la sanction à un délit peut être une amende. Ce n’est donc pas une absurdité qu’un délit ne conduise pas à une peine d’emprisonnement.

Que diriez-vous à ceux qui pensent que la dépénalisation des délits de presse revient à instaurer l’impunité des hommes de médias ?

D’abord, c’est mal comprendre l’impunité, mais aussi ils n’ont pas surtout maîtrisé le sens et l’objectif de la dépénalisation. L’impunité, c’est l’absence totale de sanction pour quelque faute que ce soit. Alors que, ce que demandent les journalistes, ce n’est pas l’absence de sanction. Ce qu’ils demandent, c’est simplement que l’on tienne compte de façon proportionnelle, des exigences de leur métier dans la sanction des fautes qu’ils peuvent être amenés à commettre.

Sinon, on considère par exemple que les fautes commisses par les journalistes, sont des fautes à placer au même rang que celles que commettent des escrocs, des voleurs, des bandits. Or, ce que je pense, c’est que dans l’exercice de la profession de journaliste, il peut arriver qu’il commette des fautes, comme il peut arriver qu’un avocat commette des fautes dans l’exercice de sa profession, comme il peut arriver qu’un député commette des fautes dans l’exercice de son mandat. Mais cela ne conduit pas systématiquement à un emprisonnement.

Malheureusement, je constate qu’historiquement, les délits de presse sont partis du fait qu’il a été voulu que l’exercice de la liberté d’expression des journalistes n’enfreigne pas l’autorité des Rois. C’est de là qu’est née la question des délits de presse. Après, cela s’est répandu sur les particuliers.

Mais ce qu’il faut comprendre quand on demande la dépénalisation, ce n’est pas l’impunité. On est d’accord que des journalistes soient sanctionnés, mais pas en les considérant comme des bandits.

Vous savez, quand on demande la dépénalisation, il y a des gens qui pensent que c’est essentiellement pour les journalistes. Mais c’est faux. En réalité, il y a une certaine hypocrisie. Tout le monde s’empresse chaque matin d’aller au journal. On aimerait bien que le journaliste soit très critique envers ceux que l’on considère comme étant des gens qui enfreignent à la bonne marche de la société. Ce qu’on souhaiterait donc, c’est que cette critique soit dirigée contre les autres, et non contre soi. Dès que la critique est dirigée contre soi, l’on dira que le journaliste déborde. Et même quand les journalistes sont légers dans la critique, l’on dit qu’ils sont complaisants. Il arrive même que des gens se demandent s’ils n’ont pas d’accointance avec des hommes politiques ou avec pouvoirs économiques.

On ne dit pas qu’il ne peut avoir de dérapage dans l’exercice de la profession du journaliste. Mais ce que nous disons, c’est que, ce que le journaliste fait, c’est pour gagner son pain. Cela a une valeur sacerdotale aussi. Il le fait pour la société. Imaginer un monde démocratique sans journaliste. A mon avis, quel que soit ce que feraient l’exécutif, le législatif et le judiciaire, notre démocratie n’aurait jamais avancé. Il faut permettre aux journalistes d’assumer leur rôle de quatrième pouvoir. Pour moi d’ailleurs, la presse en Afrique, n’est pas le quatrième pouvoir, mais le second. La presse, c’est le vrai contre-pouvoir qui s’exerce à travers la veille réelle, concrète et dissuasive, sur les autres pouvoirs.

En réalité, c’est le vrai pouvoir qu’on a pour pouvoir faire avancer la démocratie. On ne peut demander à des gens une si grande responsabilité, et en même temps, dès qu’ils se trompent, on les amène immédiatement en prison. Quand on confère des charges aussi énormes à une catégorie de citoyens, on doit aussi être compréhensif à leur égard et ne pas dire que dès qu’ils commettent une faute, ils doivent aller en prison.

Pourquoi alors reconnaître l’immunité aux députés ? C’est parce que la société considère qu’ils sont tellement importants qu’on peut admettre qu’ils se trompent. Et donc, quand ils se trompent dans l’exercice de leur fonction, il ne faut même pas les poursuivre. Est-ce qu’on considère cela comme une impunité ? Non ; c’est un choix de la société qui a estimé que leur importance mérite qu’on leur reconnaisse cette immunité. Je ne vois pas pourquoi on ne peut pas accorder pareille immunité aux journalistes, si tant est que c’est au regard de l’importance sociale des députés qu’ils en jouissent. Je considère que dans une société en développement comme la nôtre, les journalistes ont plus d’importance - je m’excuse auprès des autres - que par exemple les députés.

Voulez-vous dire que la dépénalisation effective des délits de presse va emporter une avancée démocratique dans notre pays ?

Absolument ! Sinon, on fait peser une épée de Damoclès sur les journalistes. Dans ces conditions, si moi je suis un journaliste, je vais me contenter des communiqués et des reportages institutionnels, sans vouloir prendre le risque par la critique journalistique. Est-ce que vous pensez que la démocratie peut avancer dans ces conditions ?

Les gens doivent comprendre que si les journalistes produisent des articles qui les exposent, ce n’est pas parce qu’ils y ont un intérêt particulier. Bien au contraire, s’ils ne poursuivaient que des intérêts économiques, ils se contenteraient d’annonces de publicité.

Si la démocratie veut avoir la chance d’avancer, il faut qu’il y ait de la critique. La démocratie ne peut avancer sans critique, sans contrôle, sans pression sur ceux qui ont le pouvoir. Or, en Afrique, la structure qui peut exercer la pression nécessaire, c’est la presse.

Même les lanceurs d’alerte dans le monde, pour qu’ils puissent lancer l’alerte, il faut qu’ils aient une voie d’expression qu’est la presse. Ce sont des gens qui prennent sur eux la responsabilité de diffuser par exemple ce que Snowden a lancé comme alerte par rapport aux travers de la CIA (Central intelligence agency, ndlr) pour que nous puissions être au courant. Si ces journalistes avaient dit qu’ils ont peur d’être poursuivis par l’Etat américain et qu’ils refusaient de diffuser cette information, le monde entier aurait été privé d’une information capitale très attentatoire à la liberté. Ces journalistes ont pris sur eux la responsabilité de la diffuser en sachant bien qu’il y a des risques, pour faire avancer la démocratie.

Au lieu que nous combattions les journalistes comme des ennemis, nous devons les soutenir parce qu’ils sont le socle de la démocratie. Pour moi, c’est une vision qui ne se débat même pas. Ils sont là, c’est pour la démocratie ; et ils exercent pour tout le monde, non pour eux.

On sait qu’un avant-projet de loi de loi relatif à la dépénalisation des délits de presse est à un niveau très avancé, et que vous avez pris part aux échanges sur ledit avant-projet. Est-ce qu’il y a des éléments que vous regrettez dans ce texte ?

Vous savez, un texte n’est jamais parfait. Il faut d’ailleurs se méfier des textes que l’on présente comme étant parfaits.

Ce que je retiens globalement dans ce texte, c’est le principe d’accepter la proposition qui a été faite par la grande majorité des hommes de média d’aller à la dépénalisation. Pour le reste, seule la pratique nous permettra, au fur et à mesure qu’on avancera, d’améliorer ce texte.

Moi je suis de ceux qui veulent que la société concède des avantages aux journalistes pour qu’ils puissent exercer leur métier dans l’intérêt de tout le monde. Mais, il faut que les journalistes aussi comprennent une chose : autant la société doit leur concéder des avantages pour qu’ils puissent exercer sereinement leur métier dans l’intérêt de tout le monde, autant les journalistes doivent prendre leurs responsabilités. Quand vous êtes un curé, et que les gens font la révérence pour vous saluer, ce n’est pas au regard de la couleur de votre soutane, c’est toute la grandeur que vous incarnez, toute la hauteur du magistère, toute la moralité que vous incarnez dans la société. Et cela, les journalistes aussi doivent le comprendre.

Le texte, s’il passe en admettant la dépénalisation, pour le reste, c’est un combat que les journalistes devront mener pour démontrer à toute la communauté qu’on n’a pas eu tort de mettre entre leurs mains un outil certes dangereux qu’est la presse, mais avec une importante garantie.

Avez-vous le sentiment que les patrons de presse sont véritablement engagés à faire en sorte que les délits de presse soient dépénalisés au Burkina Faso, quand on sait que vous avez parfois eu des cadres d’échanges avec eux ?

Oui, bien sûr. Je pense que sur ce point, les journalistes sont tous conscients aujourd’hui que la dépénalisation leur permettra de faire un grand pas en avant pour leur liberté d’expression, et pour un travail qualitatif. Mais ils sont aussi conscients qu’ils doivent faire des efforts à leur niveau en contrepartie de la dépénalisation pour une grande responsabilisation des journalistes.

Evidemment, plus on est ancien, on a un langage qui tend vers cette façon de voir les choses. L’expérience de ces anciens devra permettre d’attirer l’attention des plus jeunes dans le sens de cette meilleure responsabilisation.
Maintenant, il y a des questions sur lesquelles, notamment sur les intérêts économiques, on ne s’entendra jamais. Les organes de presse, ce sont des entreprises de service public, mais aussi des entreprises économiques. Comment alors concilier le service public avec les intérêts économiques ? On ne peut qu’appeler à la grande conscience des journalistes pris individuellement d’abord, et collectivement plus tard.

Pour être mieux situé par l’exemple, est-ce que la dépénalisation des délits de presse évitera aux journalistes de se retrouver en prison pour outrage à magistrat ?

Non. Cela n’a absolument rien à voir. La dépénalisation ne concerne que les délits consacrés dans le code de l’information, et donc des délits qui viendraient à être commis dans l’exercice de la profession de journaliste.
Un journaliste qui va à un procès personnel ou dans le cadre d’un procès impliquant son organe de presse, et qui commet un outrage à magistrat, cela n’est pas un délit de presse.

Par contre, il y a des infractions comme l’offense à chef de l’Etat, aux chefs d’Etat étrangers, aux personnels diplomatiques. Cela veut dire que le simple fait de ‘’mal parler’’ du président, suffit pour que le journaliste soit poursuivi. Nous avons proposé que la fonction de chef de l’Etat ne fait pas du président une personne supérieure aux autres citoyens. Bien au contraire, quand on exerce des responsabilités, on doit accepter de prendre des coups. Moi, en tant que citoyen, j’ai le droit d’ester en justice pour diffamation, le chef de l’Etat le peut. Il ne doit pas avoir un privilège particulier en cas de telles infractions qui sont en réalité des infractions de convenance dont la répression vise d’autres intérêts qui n’ont rien à voir avec la recherche de la justice.

On a donc voulu qu’on enlève du code de l’information, certaines infractions de droit commun. C’est le cas de l’incitation à la rébellion. Il n’y a pas que les journalistes qui puissent inciter à la rébellion. Il faut que ces infractions soient gérées comme des infractions de droit commun dans le code pénal. Sinon, en les consacrant dans le code de l’information, on a l’impression qu’il n’y a que les journalistes qui puissent les commettre.

Quel rapprochement peut-on faire entre le journaliste et l’avocat dans l’exercice de leurs fonctions ?

Le rapprochement que l’on peut faire, c’est que les deux exercent des missions de service public ; comme je l’ai dit plus haut, c’est une sorte de sacerdoce. Comme on le dit, l’avocat défend la veuve et l’orphelin ; il participe par son action, à l’édification d’une société de droit, de justice. Il aide la société à se construire en assistant les plus faibles devant la justice ; pour que ceux qui sont meurtris dans leur cœur, puissent avoir un certain réconfort. Pour cette raison, l’avocat jouit d’une certaine immunité de parole dans ses plaidoiries.

C’est quasiment pareil pour les journalistes. Vous savez, les plus faibles, quand ils ont des problèmes, s’ils ne vont pas vers l’avocat, ils vont vers le journaliste. Sans doute, ils se disent qu’en allant vers ces personnes, ils pourront avoir un soutien pour mener un combat juste, pour recouvrer leurs droits contre le plus fort. C’est pour cela, je pense qu’autant on reconnaît à l’avocat l’immunité de parole quand il plaide avec les limites que cela comporte, autant il faudra concéder ce minimum d’immunité aux journalistes.

A vous écouter, et quand on sait que les avocats relèvent d’une institution qu’est le Barreau, est-ce qu’on peut dire que cette institution veuille soutenir les hommes de média pour la dépénalisation des délits de presse ?

Je ne voudrais pas m’aventurer à cela, parce que je ne peux pas parler au nom du Barreau ; seul le bâtonnier, à mon sens, peut répondre à cette question. Mais j’ose croire que les avocats, en tant que défenseurs des libertés individuelles et collectives dans une société comme la nôtre, s’inscriront dans ce combat pour plus de liberté d’expression qu’incarne la liberté de presse.
Ecoutez, plus la presse est libre, plus les opinions s’expriment, mieux ça vaut pour la démocratie et l’Etat de droit. Je serais étonné de savoir que les avocats se mettent à l’écart d’un tel combat, un si noble combat.

Avez-vous, pour clore cet entretien, un message à l’endroit des hommes de média engagés dans ce combat pour la dépénalisation des délits de presse ?

Il leur appartient de s’organiser et de donner un signal fort au peuple, un signal qui ne lui donne pas le sentiment qu’il devra avoir peur de la presse, signal qui le rassure qu’en concédant la dépénalisation des délits de presse, il ne garantit pas une impunité aux journalistes.

Il faut que par leur organisation, par la qualité de leur travail et de leur engagement, ils démontrent bien qu’ils travaillent essentiellement dans l’intérêt de la communauté toute entière, qu’ils veulent travailler au nom du peuple et pour le peuple.

Je voudrais aussi lancer un message à la communauté nationale, au peuple lui-même, pour qu’il comprenne. Vous savez, on ne construit jamais une société solide tournée vers un véritable Etat de droit, sans prendre un minimum de risques. Ça n’existe pas.

Le chef de l’Etat, quand il est en service, il n’est pas jugé comme n’importe qui ; même le ministre. De même, le magistrat dans l’exercice de ses fonctions, il n’est pas jugé comme n’importe quel quidam. Ceux-ci bénéficient donc de privilèges qui ont un coût pour la société. Il faudrait que des privilèges soient accordés aux journalistes aussi.
Je pense que cette dépénalisation, c’est vrai, ça va nous coûter. C’est cela aussi, faire des concessions quand on veut que notre société aille de l’avant. Vous savez, le plus grand combat, c’est celui qui coûte le plus cher au peuple. Chaque fois que les peuples ont refusé de se sacrifier, ils n’ont jamais avancé. Quand on soupèse le pour et le contre, moi je pense que ça vaut la peine de prendre ce risque pour que nous fassions un grand pas vers un Etat de droit, vers une plus grande démocratie.

Entretien réalisé par Fulbert Paré
Lefaso.net

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