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TRANSITION POLITIQUE ET JUSTICE AU BURKINA FASO : Comment sortir de l’hypocrisie ?

Publié le mercredi 18 mars 2015 à 07h00min

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TRANSITION POLITIQUE ET JUSTICE AU BURKINA FASO : Comment sortir de l’hypocrisie ?

Un peuple débout derrière un article de loi ! C’est l’image que le monde entier retiendra de l’insurrection populaire d’octobre 2014 au Burkina Faso. Prenant la mesure des attentes sociales, les nouvelles autorités politiques ont annoncé une réforme de la justice. Le présent article s’affranchit de la rhétorique politicienne pour décrypter la portée programmatique des messages transcrits sur les pancartes brandies par les manifestants.

I. L’indépendance de la Justice : entre hypocrisie politicienne et incrédulité citoyenne
II.
A. L’hypocrisie politicienne ou le contournement de la justice

La profession de foi des autorités de la Transition pour une justice indépendante a été obscurcie par tant d’exemples malheureux de contournement de la justice dans la gestion de certaines affaires : menaces d’émission de mandats d’arrêt internationaux, dessaisissement de la justice « par le fait du Prince », autorisation donnée directement à la famille d’une victime pour procéder à l’expertise d’une sépulture dans une affaire judiciaire, gel des avoirs décidé par voie administrative plutôt que par voie judiciaire.

L’exercice, quoique séduisant, est possiblement périlleux, car tout régime a ses dossiers pendants et ses « casseroles ». C’est pourquoi la prudence recommande de « tourner la langue sept fois avant de parler ». Lorsqu’elles sont interpelées, les autorités politiques auront beau jeu de dire : « la justice suit son cours », ou encore : « je n’ai aucun commentaire à faire sur une décision de justice ». Dans notre droit, le Garde des sceaux est la seule autorité politique pouvant parler au nom de la justice. C’est le principe même de la « séparation des pouvoirs » qui commande de s’incliner devant l’autorité du juge pour ne pas compromettre le cours des procédures.

B. L’incrédulité citoyenne ou la justice du feu

Le droit coutumier burkinabè connaît le recours au feu comme substitut de la justice. C’est à la foudre que les tribunaux coutumiers en appelaient pour découvrir la vérité et châtier le coupable. Est-ce cela qui explique l’intensité avec laquelle le feu est sollicité dans les contestations civiques, ou faut-il y voir la tradition de violence politique ouverte depuis une trentaine d’années ?

Heureusement, rien n’indique que ce recours aux méthodes de justice expéditive – et primitive – soit irrémédiable. En se mobilisant massivement pour rejeter toute manipulation de la Constitution, les Burkinabè ont suffisamment démontré leur foi dans les vertus progressistes du droit. Mais l’irruption des foules dans la vie publique invite à sortir du dirigisme politique pour repenser une gouvernance inclusive, sans verser dans le populisme. Les foules n’ont pas toujours raison.

III. La réforme de la justice : ces slogans qui interpellent !

Il n’est pas possible de penser la justice au Burkina Faso sans revisiter le sens des slogans – ces raccourcis de la pensée – qui ont longtemps ponctué les revendications citoyennes.

Slogan N°1 : « Non à une justice aux ordres ! »

La force suggestive de ce slogan est saisissante : il faut mettre la justice à l’abri des pressions multiformes, qu’elles soient politiques, économiques ou sociales.

La pression politique est à rechercher notamment dans la prépondérance de l’autorité politique sur la carrière des professionnels, l’immixtion politique dans le cours des procédures et la faible autonomie financière et fonctionnelle des services judiciaires.

Quant à la pression sociale, elle est un mouvement démocratique irréversible qui traduit l’importance de la justice dans la République. Mais elle emprunte parfois des chemins détournés. C’est elle qui a fait atterrir des roquettes sur des bâtiments de justice lors de la mutinerie de 2011. C’est encore cette pression qui a décimé dans les flammes le palais de justice de Koudougou et celui de Bobo-Dioulasso. C’est toujours elle qui a incendié des commissariats de police.

Slogan N°2 : « Non au non-lieu ! »

Ce slogan, intimement lié à l’Affaire Norbert ZONGO, révèle le socle culturel de la justice coutumière. En effet, plusieurs sociétés africaines connaissent le rituel de la « procession des porteurs de mort ». Ces sociétés prêtent au cadavre le pouvoir de conduire irrésistiblement ceux qui le portent jusqu’à l’assassin. Dans l’imaginaire de ces sociétés, il n’y a pas de place pour le « non-lieu » puisque l’âme du mort continue de rôder parmi les vivants tant que le coupable court.

La juge des temps modernes tient office de porteur de mort : il doit aussi conduire au coupable, même s’il ne lui est plus demandé de se laisser entraîner par le souffle du mort mais par l’« esprit de la loi ».

Slogans N°3 : « Justice pour les dossiers pendants ! »

Les « dossiers pendants », ce sont ces affaires judicaires dans lesquelles des pressions politiques sont supposées. Les citoyens s’organisent alors pour faire échec à ces pressions. En réponse, le gouvernement a parfois alloué des « moyens spéciaux » pour la gestion de ces affaires. C’est donc à l’occasion des dossiers pendants que l’on découvre le surprenant dénuement de la justice. C’est encore des « moyens » que le gouvernement promet à la famille de Thomas SANKARA pour réaliser l’expertise de sa sépulture.

Slogan N°4 : « Non à une justice à deux vitesses ! »

Au nom de l’égalité de tous devant la loi, la justice doit demander des comptes aux puissants du moment. Mais c’est peu de dire que les longs règnes engendrent une caste d’intouchables, si haut perchés que le filet de la justice ne peut les atteindre.

La justice doit aussi s’ouvrir aux plus pauvres. Elle doit apprendre à accueillir et à orienter le justiciable. Sans quoi, celui-ci serait livré aux intermédiaires, faisant ainsi craindre la contagion des mœurs mercantiles dans un lieu qui exclut toute vénalité. C’est cette crainte qui a fait retentir le cri, vieux de deux mille ans, lancé aux vendeurs de pigeons établis aux abords de la synagogue : « « Otez cela d’ici, ne faites pas de la maison de mon Père un lieu de marché ! ». L’égalité de tous devant la loi doit disqualifier toutes les formes de corruption dans le milieu judiciaire et ramener à de justes proportions le poids de l’argent dans l’accès à la justice.

Slogan N°5 : « Vérité et Justice ! »

Véritable chemin de croix que celui qui mène à la vérité judiciaire ! La vérité judiciaire impose un prix si lourd à la victime, forcée parfois de subir une seconde mortification, soit qu’elle doive se prêter à l’examen de son corps ou à l’exhumation de sa tombe. Mais cette souffrance, si traumatisante pour la victime, voire pour la nation, ne peut altérer ce besoin inextinguible de savoir. En élucidant le crime, la justice soulage la victime et élève le coupable au rang d’humain, pleinement responsable de ses actes. C’est la sanction pénale qui humanise et l’impunité qui déshumanise.

Arnaud OUEDRAOGO Jurisconsulte Expert en Droits de l’Homme

Auteur du Manuel juridique de la vie quotidienne

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Vos commentaires

  • Le 18 mars 2015 à 07:54, par Badra En réponse à : TRANSITION POLITIQUE ET JUSTICE AU BURKINA FASO : Comment sortir de l’hypocrisie ?

    Félicitation pour votre réflexion sur la justice. Cependant, je vous demande de revoir le plan de votre article ; il semble avoir trois parties mais on ne lit que les contenus des parties II et III. Où se trouve la première partie de votre article ?

  • Le 18 mars 2015 à 08:07, par Anita Manour En réponse à : TRANSITION POLITIQUE ET JUSTICE AU BURKINA FASO : Comment sortir de l’hypocrisie ?

    En tout cas, quand tu parles Français moins lourd comme cela, nous autres on pourra mieux te lire et te comprendre. Parce que moi débrouiller, débrouiller.
    Bonne suite Mr Arnaud Ouédraogo !

  • Le 18 mars 2015 à 08:47, par TIENFO En réponse à : TRANSITION POLITIQUE ET JUSTICE AU BURKINA FASO : Comment sortir de l’hypocrisie ?

    Faisons foi aux conclusions qui découleront des travaux des états généraux de la justice. Sans doute, les participants sont bien imprégnés des maux qui minent notre justice. Nous sommes tous comptables des échecs et des succès de la transition. L’heure est aux actions.

  • Le 18 mars 2015 à 09:15, par la loi En réponse à : TRANSITION POLITIQUE ET JUSTICE AU BURKINA FASO : Comment sortir de l’hypocrisie ?

    "En élucidant le crime, la justice soulage la victime et élève le coupable au rang d’humain, pleinement responsable de ses actes. C’est la sanction pénale qui humanise et l’impunité qui déshumanise." voilà un très bon sujet de dissertation juridique. merci m. OUEDRAOGO

  • Le 18 mars 2015 à 09:32, par Zlatane En réponse à : TRANSITION POLITIQUE ET JUSTICE AU BURKINA FASO : Comment sortir de l’hypocrisie ?

    Je pense que l’intervenant 3 a resumé ls situation.Tout se saura après les etats generaux de la justice,ensuite on en reparlera

  • Le 18 mars 2015 à 10:03, par lecyberjuriste En réponse à : TRANSITION POLITIQUE ET JUSTICE AU BURKINA FASO : Comment sortir de l’hypocrisie ?

    Encore merci au juge Ouedraogo pour cet éclairage. Cet article a tout d’une invite à tous dans le regard que nous pouvons avoir de la justice du Faso. Notre justice n’a pas besoin de mesures populistes comme nous en voyons depuis l’insurrection. Elle a plutôt besoin d’une reforme profonde aussi bien au niveau des procédures applicables devant elle qu’au niveau de son organisation et son fonctionnement. Elle n’a pas besoin des grèves intempestives auxquelles nous assistons ces temps-ci et qui à la limite sont révoltantes. Enfin, notre justice a véritablement besoin de l’indépendance tant prônée par Montesquieu. Il est donc impérieux que l’on n’assiste plus jamais à des soit disant "fait prince" la dessaisissant de certains dossiers en cours, aussi sensible soient-ils.

  • Le 18 mars 2015 à 10:52, par Petit de Toupah En réponse à : TRANSITION POLITIQUE ET JUSTICE AU BURKINA FASO : Comment sortir de l’hypocrisie ?

    Quel article ! Chapeau M. Ouedraogo et que ces écrits interpellent plus d’un. Il y va de la bonne santé du Burkina et de ses dignes fils en profiteront a jamais. L’article éclaire mieux le citoyen lamda que nous sommes et encore une fois de plus toutes mes félicitations pour votre contribution de la démocratie tant souhaitée pr notre si beau pays. Toupah...

  • Le 18 mars 2015 à 11:04, par Alexio En réponse à : TRANSITION POLITIQUE ET JUSTICE AU BURKINA FASO : Comment sortir de l’hypocrisie ?

    Merci pour ce expose concernant la Justice, la colle de tout contrat sosial. Puisque tout citoyen devant elle est egal, exempt de partialite hormis l appartenance sosiale. Chaqun doit repondre devant la justice en cas d infraction a elle sans obtructions des politiques.

    Je me demande pourquoi en Afrique et plus particulierement le Burkina Faso, apres la revolution, cette attente du gouvernement de la transition pour les dossiers pendants ? Ce manque de pragmatisme offense meme l esprit de cette revolution.

    Les membres de cette transition ne serons pas immuns a la fin de leur mandat. en cas d irregularites de gestions a l encontre des clauses de la Transition.

  • Le 18 mars 2015 à 11:44 En réponse à : TRANSITION POLITIQUE ET JUSTICE AU BURKINA FASO : Comment sortir de l’hypocrisie ?

    L’insurrection a le mérite aussi de nous révéler de grands intellos que regorgent ce pays là ! Merci pour votre contribution oh combien pertinente.

  • Le 18 mars 2015 à 12:32, par DAO En réponse à : TRANSITION POLITIQUE ET JUSTICE AU BURKINA FASO : Comment sortir de l’hypocrisie ?

    Très belle analyse. mais pour moi la question de la justice peut être posée plus simplement en ces termes : l’indépendance de la Justice est édictée par la loi ; l’indépendance du magistrat est édictée par sa propre conscience selon que qu’il est un juge acquis à la loi ou un juge acquis au regime politique !
    ce ne sont pas pas les textes qui font un bon magistrat, c’est sa propre conscience !!!!
    vous pourrez faire toutes les réformes que vous voudrez, ; tenir toutes sortes d’assises, mais n’oubliez pas surtout de rappeler aux magistrats cette règle fondamentale qu’ils connaissent si bien : dans l’exercice de ses fonctions, c’est a dire lorsqu’il s’agit de dire le droit, le magistrat n’est soumis qu’à la loi et à SA CONSCIENCE !

  • Le 18 mars 2015 à 13:44, par B En réponse à : TRANSITION POLITIQUE ET JUSTICE AU BURKINA FASO : Comment sortir de l’hypocrisie ?

    Merci Mr Ouedraogo Arnaud pour cette belle analyse. Je Suis tout à fait d ’ accord avec vous que " les foules n ’ ont pas toujours raison "

  • Le 18 mars 2015 à 14:49, par yobson En réponse à : TRANSITION POLITIQUE ET JUSTICE AU BURKINA FASO : Comment sortir de l’hypocrisie ?

    C’est toujours un grand plaisir pr moi de te lire ou te suivre a la tele. Le pays compte sur vous pour obtenir une bonne base solide de textes juridictionnels. Nous sommes fiers de toi.

  • Le 18 mars 2015 à 15:41, par gilbert En réponse à : TRANSITION POLITIQUE ET JUSTICE AU BURKINA FASO : Comment sortir de l’hypocrisie ?

    félicitation Monsieur Ouedraogo Arnaud il nous faut des gens comme vous pour nous parler rien que du droit pour que le burkinabé soit droit. Arnaud que Dieu vous bénisse et garde aussi longtemps pour nous en particulier pour le pays. vous avez de l’avenir dans le métier.

  • Le 18 mars 2015 à 16:51, par LY En réponse à : TRANSITION POLITIQUE ET JUSTICE AU BURKINA FASO : Comment sortir de l’hypocrisie ?

    Merci pour l’article qui est clair et dans un langage accessible au citoyen lambda. Juste pour donner une signification "au feu" qui apparait dans les différentes manifestations, depuis l’horrible assassinat du journaliste émérite Norbert ZONGO le 13 décembre 1998. Tué, puis brulé et réduit ainsi à quelques kilos, d’où l’horreur ! La réaction immédiate de la foule à été de brûler les bus de transport en commun de la mairie et plusieurs véhicules à plaque d’immatriculation fond rouge étatique. C’est ainsi qu’est entré le symbole du feu dans les différentes manifestations jusqu’à nos jours.

  • Le 19 mars 2015 à 12:58 En réponse à : TRANSITION POLITIQUE ET JUSTICE AU BURKINA FASO : Comment sortir de l’hypocrisie ?

    Mon koro, chapeau bas. Mons salut admiratif depuis koudougou.

  • Le 19 mars 2015 à 15:49, par Jurisprudent En réponse à : TRANSITION POLITIQUE ET JUSTICE AU BURKINA FASO : Comment sortir de l’hypocrisie ?

    Très bel article qui vient à point nommé. M. OUEDRAOGO, nous espérons que votre contribution sera au rendez-vous des états généraux de la justice. Merci pour tous vos écrits qui révèlent les vrais problèmes de notre justice.

  • Le 19 mars 2015 à 16:45, par Relwindé En réponse à : TRANSITION POLITIQUE ET JUSTICE AU BURKINA FASO : Comment sortir de l’hypocrisie ?

    Brillante analyse de votre part merci pour votre contribution. Voici des gens a consulter pour une meilleur réforme de notre système judiciaire au lieu d’écouter des politiciens qui ne sont guidés que par leurs intérêts.

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