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Patrimoine muséal au FESPACO : Le rendez-vous avec les symboliques de l’eau

Publié le dimanche 1er mars 2015 à 00h12min

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Patrimoine muséal au FESPACO : Le rendez-vous avec les symboliques de l’eau

Reçus dans le cadre d’un dialogue direct le 26 février dernier, les acteurs culturels exerçant dans les filières du livre, du cinéma, du théâtre, de la musique, de la danse, de la marionnette, du patrimoine, ont dépeint les réalités du monde culturel burkinabè. Un monde en proie à d’énormes difficultés, mais aussi teinté de merveilles. Ces merveilles, on en trouve au musée de l’eau à Loumbila. C’est du moins, à la découverte de ces merveilles que le fondateur et directeur dudit musée, Alassane Samoura, a invité le Chef de l’Etat, Michel Kafando. Pour en savoir sur les potentialités qu’offre ce musée en rapport avec la présente édition du Festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou (FESPACO), nous avons réalisé une interview avec son fondateur, M. Samoura. Lisez !

Lefaso.net : Vous avez invité le président du Faso à visiter le musée de l’eau. Parlez-nous de ce musée.

Alassane Samoura : Le musée de l’eau, c’est un espace de valorisation de la ressource eau sur les plans culturel, sociologique, historique, économique, etc. C’est le patrimoine matériel et immatériel lié à l’eau, que je rassemble. Par patrimoine matériel, j’entends des puisettes, des calebasses, les pompes ; tout ce qui peut faire le lien entre l’homme et les objets en rapport avec l’eau.
Le patrimoine immatériel se rapporte aux contes, fables, mythes, récits, chants, qui ont un rapport avec l’eau.
C’est un espace petit, mais aux grandes idées, qu’on essaie de développer.
Ce matin, nous avons rencontré le président du Faso. Je pense que c’est une grande première, le fait que des acteurs culturels en si grand nombre, aient pu rencontrer le président du Faso. Ça, c’est quand même positif. Cela veut dire que le politique commence à comprendre que la culture, c’est le ressort à partir duquel toute l’économie doit se bâtir.
C’est d’ailleurs pour cela, on parle d’industrie culturelle. Et que la culture est la transversale de toute chose. L’Homme sans la culture n’est pas un Homme. Tout ce que l’on voit comme problèmes, comme conflits, ils sont liés à des problèmes culturels. Quand on prend le problème de l’incivisme, c’est parce que les gens ne connaissent pas, ils ne comprennent pas ; il faut leur expliquer. Et tout ça, prend en compte des aspects culturels importants sur lesquels le président nous invite à mettre l’accent pour sensibiliser le grand monde.
A écouter les acteurs culturels, il y a deux doléances qui sont ressorties au cours de ces échanges. Il s’agit de la question des finances pour les acteurs culturels, et de la question du statut des artistes.
Personnellement, j’ai demandé au président de visiter le musée de l’eau, en lui faisant comprendre que le musée, c’est le parent pauvre du secteur culturel. Même si les musées sont considérés comme des ‘’cimetières’’, il faut que les gens aient une reconversion des mentalités au niveau politique et au niveau sociétal, pour instaurer une meilleure vision sur les musées. Ce sont des espaces de sauvegarde du patrimoine culturel.
J’ai aussi demandé de voir comment on peut aider, à travers des mesures incitatives et en assouplissant les conditions d’accès, les élèves et étudiants à venir visiter les musées. Les gens ont une très mauvaise perception des musées ; et si en plus il y a des conditions financières à satisfaire avant d’y accéder, ça complique davantage leur fréquentation. Il y a deux choses sur lesquelles il travailler : c’est de travailler sur le mental de gens afin qu’ils comprennent la place et les missions des musées dans un contexte comme celui du Burkina ; et deuxièmement, c’est de trouver les moyens financiers assez souples pour que les gens puissent visiter les musées.

Où est-il situé, ce musée de l’eau ?
Le musée de l’eau est à Loumbila, à vingt kilomètres de Ouaga. C’est un lieu de villégiature pour découvrir l’eau dans toute sa splendeur. On en ressort avec une autre perception de l’eau, au-delà de la boutade ‘’l’eau c’est la vie’’. Une perception allant dans le sens de plus de respect envers l’eau. Cela amène des gens à se dire, ‘’je m’engage à ne plus gaspiller l’eau’’, ‘’je m’engage à plus polluer l’eau’’, ‘’je n’engage à partager l’eau avec les autres’’ ‘’je m’engage à faire de la symbolique de l’eau, une symbolique universelle, d’accueil, de pardon’’, ‘’je m’engage à respecter les ustensiles liés à l’eau’’.
Quand une calebasse me donne de l’eau, je dois la respecter ; quand on lave un cadavre avec des ustensiles, l’on doit avoir du respect pour ces ustensiles.
La relation entre l’homme et Dieu, c’est une relation liée à l’eau. Mais l’eau n’établit pas cette relation sans l’intermédiation de ces ustensiles. Tout cela, il faut que les gens comprennent, et respectent. Aujourd’hui, même au plan mondial, l’eau est devenue une denrée extrêmement difficile à avoir. On parle même de stress hydrique ; cela veut dire que la nappe phréatique est en train de partir. Et les futurs grands enjeux mondiaux seront des enjeux liés à l’eau.

On sait que le secteur de la valorisation culturelle renferme plusieurs filières dont celle du patrimoine. Que peut-on attendre de cette dernière à un événement comme le FESPACO où c’est le cinéma qui est le plus concerné ?
De la filière patrimoine, je vais surtout m’intéresser au volet musée qui me concerne particulièrement et que je maîtrise mieux. Il s’agira de voir comment le musée peut intervenir dans l’actuel FESPACO.
D’abord, il faut que lorsqu’il y a une activité culturelle, toutes les autres filières peuvent bien y adhérer. C’est dans ce sens que le musée de l’eau pense qu’il est important qu’il apporte sa contribution à cette grande manifestation internationale.
Ensuite, nous pensons qu’il est bon que le musée de l’eau participe, parce que c’est une grande foire où de nombreux festivaliers auront à découvrir un pan de la culture burkinabè. Le Burkina Faso est un de ces pays enclavés, et qui est confronté à des problèmes d’eau. Mais à y voir de près, les populations ont accès à l’eau. Ouagadougou est l’une des rares capitales où les gens ont de l’eau potable dans les familles.
C’est aussi l’occasion pour nous de faire relayer par les médias nationaux et internationaux, l’information sur tout ce qu’on fait relativement à la problématique de l’eau.

Mais qu’allez-vous concrètement proposer aux festivaliers ?
Nous avons un stand où nous exposerons des ustensiles et autres pièces muséales. Nous allons faire ce qu’on appelle une exposition muséale itinérante. Nous allons par exemple présenter les symboliques de l’eau. J’entends par symbolique de l’eau, l’eau symbole d’accueil, l’eau symbole de bénédiction, l’eau symbole de pardon, l’eau symbole de réconciliation. Ce sont que quelques symboliques comme ça, nous allons essayer de présenter aux visiteurs.
Nous allons présenter une personne – en statuette - qui se douche à l’air libre avec un arrosoir. Ça, c’est de l’art social en rapport avec l’eau. Et c’est pour attirer l’attention des gens que l’art social peut être un élément important dans la sensibilisation des populations. Nous allons également présenter certaines pièces comme les outres à peau de chèvre, qui ont dans la nuit des temps, servi aux colporteurs dans le cadre de grandes caravanes, à transporter de l’eau.
Nous allons aussi présenter certaines calebasses des terroirs burkinabè en déclinant leurs fonctions sociales. Il y’en a qui font fuir les génies, celles qui protègent avec bien sûr de l’eau dedans. Nous allons faire de l’interactivité avec les visiteurs, en leur demandant de nous définir le mot ‘’eau’’ dans leurs langue. Par exemple, un Tchadien qui ferait un tour dans notre stand, nous allons lui demander de nous prononcer le mot ‘’eau’’ dans les différentes langues tchadiennes qu’il comprend. Ce qui nous permettra de faire une collection sociolinguistique des appellations de l’eau, que nous allons garder au musée.
Nous souhaitons pouvoir en sus, attirer l’attention des écoles et universités pour qu’elles se décident à venir visiter le musée de l’eau. C’est un univers d’apprentissage et de découverte de la problématique de l’eau.

Que voulez-vous faire, s’agissant de la présentation de calebasse qui selon vous, protège ? S’agira-t-il d’initier à la connaissance du mysticisme que renferme la calebasse ?
Il ne s’agit pas d’initiation. C’est juste pour faire prendre conscience de certaines vertus de l’eau ; des vertus qui existent bien en Afrique.
Les calebasses de protection sont connues dans toutes les traditions et dans toutes les ethnies du Burkina Faso et même ailleurs. Ces calebasses mettent protègent contre des génies, contre des ennemis. Si par exemple, on dépose une de ces calebasses aux cheveux d’une personne, tout ce qui est mauvais esprit à même de planer sur cette personne, se trouvera rejeté. C’est cela la partie immatérielle que nous allons déporter du musée. Ça permettra de comprendre la place et les fonctions de l’eau dans les sociétés traditionnelles africaines.
Nous entendons aussi faire découvrir comment avec les bâtons, avec les pendules, avec la plante des pieds, on peut chercher l’eau. Et ce sont là quelques techniques d’investigation de l’eau que nous allons montrer aux visiteurs ; et sans doute en recueillir aussi auprès d’eux. Il y aura certainement un échange fructueux entre le stand du musée et les festivaliers.
C’est dire qu’un pan de notre culture sera déposé sur le site de ce 24è FESPACO. Ce qui permettra de faire découvrir l’eau dans une certaine vision transversale, donc pluridisciplinaire. Nous allons parler de l’eau dans le Coran, l’eau dans la Bible. Ce sont là aussi, des aspects que nous allons développer avec les visiteurs. N’oublions pas que l’eau est la première matière que Dieu a créée, si l’on se réfère à la Bible. L’existence de l’eau est même antérieure à celle de l’homme. Il est important que les hommes sachent qu’on ne peut rien faire sans eau, et qu’on est constitué à plus de 70% d’eau.

En tant qu’acteur culturel, comment appréciez-vous l’organisation de la présente édition du FESPACO à quelques heures de son lancement officiel ?
On note un engouement. L’ouverture et la clôture de cette édition auront au palais des sports. Cela est une première innovation. Sur le site du SIAO (Salon international des arts de Ouagadougou, ndlr) il y aura des stands pour le MICA (Marche international du cinéma et de la télévision africains, ndlr). Au niveau du siège même, il y a un stand pour les partenaires. Il y a donc une organisation spatiale intéressante. Et on voit que la mobilisation sociale est vraiment importante.
C’est la crainte de la maladie à virus Ebola qui a failli amener à faire fausse route. Fort heureusement que cette crainte a été levée. Mais je pense qu’il y a lieu de profiter de ce FESPACO pour davantage sensibiliser les gens sur les meilleurs comportements à adopter en matière d’hygiène.
En termes d’appréciation globale, très bonne mobilisation je trouve ; belle couleur, mobilisation intéressante, les gens ne sont pas crispés. Cela augure de bonnes perspectives. Et si le président du Faso vient ajouter sa touche, je pense que cette cérémonie gagnera davantage en éclat.

Avec le FESPACO, c’est surtout le cinéma qui se trouve valorisé. Qu’en est-il de pareilles initiatives en ce qui concerne la filière patrimoine ?
A ce sujet, je suis en train de réfléchir à ce que j’ai appelé la caravane de l’eau. C’est une forme de festival qui va aussi prendre une envergure à la taille de celle du FESPACO. Elle va traverser plusieurs pays du sahel.
Au cours de cette caravane, on pourra faire des escales dans de grandes entités villageoises, pour parler de l’eau à travers des légendes, des chants, des poésies, sur les cours d’eau, en vue de faire connaître vraiment la problématique de l’eau aux populations du sahel.
L’autre chose, c’est de voir comment on peut faire un musée aquatique à Loumbila. Cela va permettre, nous espérons, de transiger avec les musées classiques ou ethnographiques qu’on a l’habitude de voir.

A quel niveau êtes-vous avec ce projet ?
On est encore au stade de la conception. C’est une idée que nous partageons avec plusieurs personnes. On n’est pas pressé pour sa concrétisation ; mais on va y arriver.

La culture, d’aucuns dise qu’elle est l’une des premières sources de développement de notre pays. Mais que faut-il, selon vous, faire pour qu’elle occupe incontestablement ce rang ?
D’abord, il faut que les acteurs culturels travaillent dans ce sens. Pour ce faire, il faut qu’on commence par enlever tous les clichés qu’on a sur les acteurs culturels. Il faut arriver à établir que celui qui fait du théâtre n’est pas un plaisantin, que celui qui fait de la marionnette n’est pas un bouffon.
Il y a des fonctions que des gens ont assurées dans nos sociétés traditionnelles, et que l’on peut valoriser. Il faut arriver à faire en sorte que les gens sachent que par exemple, le griot n’est pas quelqu’un qui rackette. Il faut mettre le griot à sa place ; et il doit jouer son rôle légendaire comme on l’a connu dans le passé. Il faut remettre les choses à leur place. Il faut enlever les stéréotypes, les clichés et les préjugés, de toutes les filières de la culture et que tous les acteurs culturels jouent pleinement leur rôle. Ce rôle est celui de sensibilisation, de leadership, mais surtout le rôle du respect d’eux-mêmes.
Quand on voit certains artistes avec leur accoutrement, leur façon de se comporter, vraiment ça frise le ridicule. C’est le cas des DJ qui se promènent pratiquement nus ; ceux-là, moi je ne les appelle pas acteurs culturels.
Il faut donc remettre la culture à sa place, il faut recentrer les choses. Il faut que les sages remettent les choses à leur place. Il y a une redécouverte de nos valeurs à faire. Il faut par exemple faire l’immersion sociale, particulièrement à ses nombreux Blancs qui viennent dans nos contrées, pour qu’ils soient respectueux de nos valeurs culturelles. Mais tout ça, c’est aussi une question de boussole politique. Le politique doit avoir une orientation claire de sa société. Et c’est à nous, acteurs culturels, d’accommoder l’art burkinabè avec les exigences traditionnelles et les exigences modernes.

Et qu’en est-il des questions de moyens financiers et d’organisation que certains acteurs culturels évoquent comme étant à même d’apporter les solutions nécessaires au rayonnement de la valorisation culturelle au Burkina Faso ?
Tout cela vient en seconde position. Il y a des choses qui ne nécessitent pas des moyens financiers. Mais les Africains pensent que tout nécessite de l’argent. Or, l’argent peut venir de lui-même quand on fait certaines choses sans nécessairement avoir recours à l’argent.
Il faut savoir que ce sont les idées qui gouvernent le monde. L’argent rejoint les idées ; ce n’est pas l’inverse. Il faut donc avoir de bonnes idées, faire les choses bien, se fixer une vision claire, et l’argent viendra de lui-même.

A l’occasion des échanges que vous avez eus avec le président du Faso, il a indiqué qu’il faut une « politique engagée » pour que le secteur de la culture trouve les solutions appropriées à ses préoccupations. Comment avez-vous compris ce message ?
Je vois en ce message, un appel à l’engagement total touchant tous les acteurs concernés. C’est un engagement citoyen, un engagement individuel et collectif sur fond d’une politique claire.

Interview réalisée par Fulbert Paré
Lefaso.net

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