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Michel K. Zongo, réalisateur producteur : « Il faut que le gouvernement ait une politique de relance de la culture »

Publié le mercredi 25 février 2015 à 21h15min

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Michel K. Zongo, réalisateur producteur : « Il faut que le gouvernement ait une politique de relance de la culture »

Le cinéma pour lui semble ne plus avoir de secret. Tant il a vite gravi les échelons. Plus connu sur l’échiquier international que dans son propre pays, le Burkina, Michel K. Zongo, puisque c’est de lui qu’il s’agit, fait partie de la crème fine de la nouvelle génération de réalisateurs de cinéma africains. Rentré du festival de Berlin, M. Zongo n’entend pas, malgré son agenda international fourni, se faire conter une seule édition du plus grand festival du cinéma africain, le FESPACO. Pour lui, ce festival est non seulement un porte-flambeau de son pays natal, le Burkina, mais également est un cadre qui mérite d’être vécu. Entretien !

Lefaso.net : Que recouvre le métier de réalisateur ?

Michel K. Zongo (MKZ) : Le réalisateur, dans le cinéma, c’est un peu celui qui tient la responsabilité de la fabrication d’une œuvre cinématographique. C’est celui qui, à partir d’un scénario, écrit, met sur un support (numérique, pellicule) toute idée qui se transforme en images, en une vie. C’est un peu l’artiste qui est sur le terrain, qui va coordonner et fabriquer le film. C’est, en un mot, le « capitaine » sur un tournage.

Lefaso.net : Quelle est l’histoire qui vous lie au métier ?

MKZ : Cela fait une quinzaine d’années que j’ai commencé à me former au cinéma. Je suis parti de la caméra dans les années 99-2000 pour, ensuite suivre des formations en réalisation, particulièrement en réalisation documentaire qui est aussi un autre genre de cinéma.

Lefaso.net : Comment percevez-vous le métier au Burkina, le terrain est-il propice à son exercice ?

MKZ : De façon globale, le cinéma a de l’avenir au Burkina. Peut-être que ça tarde seulement à venir. J’ai toujours dit que ça fonctionne aussi au rythme du pays. Je pense que de façon générale, le septième art a de beaux jours devant lui dans notre pays. Seulement, il y a beaucoup de travail à faire. Le métier de réalisateur n’est pas isolé dans le cinéma, qui est tout un ensemble. La réalisation n’est qu’un maillon de cet ensemble de la chaîne du cinéma. Il faut donc avoir de vrais instituts pour de bonnes formations, des subventions pour mettre sur le marché de bonnes œuvres, de la promotion (c’est-à-dire qu’il faut que les œuvres soient commerciales). Il y a donc du travail à faire ; des techniciens de l’industrie du cinéma aux politiques. Car, c’est aussi une volonté politique. Si on le tient pour un secteur promoteur, qui peut créer des emplois et promouvoir l’économie, je pense que l’Etat doit travailler à attirer les investisseurs ou investir directement. Je crois beaucoup au cinéma et je pense que l’Etat doit s’y pencher sérieusement en créant des conditions favorables à son développement.

Lefaso.net : Le cinéma burkinabè est-il compétitif sur le marché international ?

MKZ : Je peux déjà dire, non. Quand on amorce le niveau international, ça devient rude. Vu le contexte dans lequel nous vivons, marqué par le fait que depuis un certain temps, nos grands cinéastes, ceux qui ont porté le cinéma burkinabè hors de ses frontières, ne sont plus à la lumière (valorisés). Et la nouvelle génération arrive aussi dans des conditions assez difficiles, c’est-à-dire pas assez bien formée et n’a pas non plus assez de moyens pour faire des films plus compétitifs. Au niveau international, il faut y arriver avec beaucoup plus de rigueur et là, je peux dire que malheureusement, le Burkina a régressé depuis un certain moment. On n’a plus de films burkinabè qui partent à Cannes, comme c’était le cas avec Idrissa Ouédraogo, Gaston Kaboré, etc. qui ont parcouru de grands festivals et qui ont même fait parler d’eux partout. Mais de façon générale, il faut constater que le cinéma africain a régressé, ce n’est pas que le cinéma burkinabè.

Lefaso.net : Comment expliquez-vous cette chute ?

MKZ : C’est une explication personnelle, qui est que tout est parti depuis 1990, où, avec les PAS (programme d’ajustement structurel), l’Etat a été sommé de se désengager de tous les secteurs dits « non productifs ». A partir de ce moment, la culture n’a plus été un secteur prioritaire pour nos Etats. Ce n’est pas le Burkina seulement mais tous les pays où sont passés les PAS. L’Etat s’est désengagé du secteur. Et avec la SONACIB (Société nationale de distribution et d’exploitation cinématographique du Burkina), qui était une véritable industrie cinématographique, avec des salles de ciné dans toutes les provinces, les films pouvaient être vus partout au même moment. Mais depuis que la structure a disparu, la chaîne s’est rompue un temps et pour revenir, il faut du temps. Il peut y avoir bien d’autres raisons mais c’est ce que je retiens, personnellement. Heureusement que la chaîne est en train de se mettre en place, même si c’est timidement…

Lefaso.net : Pensez-vous, comme une certaine opinion que de façon générale, le Burkina ne valorise pas assez ses compétences ?

MKZ : Effectivement, c’est déplorable. Pour moi, c’est une perte que tout cela ne soit pas capitalisé pour une suite. C’est comme si l’Etat avait fait une sorte de rupture avec la culture de façon générale. On dit dans les conférences que la culture est notre identité mais de façon concrète, qu’est-ce qui est fait ? On a le FESPACO, c’est vrai mais quand ça passe, plus rien. C’est pour vous dire qu’on aurait pu faire mieux que ça. Il faut que le gouvernement ait une politique de relance de la culture. Un pays comme la Côte d’Ivoire, depuis deux ans maintenant, a mis en place un Fonds pour soutenir les cinéastes ivoiriens. C’est aussi le cas du Sénégal qui vient de le faire. Ce ne sont pas des dons, c’est une façon de relancer l’économie car, au niveau macro-économique, c’est très important parce que sur un plateau de tournage, vous avez au moins 50 personnes à employer par jour. Ailleurs, des gens ont une somme de l’Etat qui leur permet d’aller chercher des Fonds à l’international pour revenir au pays pour produire. Ça rend l’économie dynamique. Un grand film se prépare sur toute la chaîne. Ce ne sont pas de belles histoires qui manquent aux acteurs burkinabè. Seulement, il faut avoir l’ambition d’en donner une vision internationale. On ne doit pas faire un film dit de « consommation locale » ; le cinéaste a tout simplement besoin d’une belle œuvre. Voyez-vous aujourd’hui le Nigeria, c’est un bel exemple parce qu’il y a de la volonté et ils ont réussi en faisant.

Lefaso.net : Parlez-nous un peu du réalisateur, que vous êtes, et de ses œuvres …

MKZ : J’ai commencé d’abord ‘’cadreur’’ (cameraman dans notre jargon). J’ai, dans ce cadre, beaucoup travaillé avec des réalisateurs qui ont porté des films qui sont allés rapidement à l’international. Donc, j’étais connu comme directeur photo. Par la suite, j’ai commencé à réaliser, et mon premier film, c’est « Sibi, l’âme du violon » qui, au FESPACO 2011, a eu la mention spéciale du jury en documentaire. Il est suivi de « Espoir-voyage » en 2012 qui a beaucoup voyagé à travers plus de 50 festivals de par le monde dont le premier, c’était à Berlin (la Berlinale, ndlr) qui est l’un des plus grands festivals après Cannes. Ce film a eu quatre ou cinq prix. Le dernier film que j’ai fait est un long métrage qui s’appelle « La Sirène de Faso Fani » dont la première mondiale a eu lieu le 11 février 2015 au festival de Berlin. Je suis reparti encore une deuxième fois à Berlin pour repasser le film qui a été un vrai succès parce que, quand j’ai fini le film, c’est la première fois que je le montrais à un public, un public averti des questions documentaires.

Lefaso.net : Vos œuvres sont d’inspirations locales, alors que vous exportez plus ….

MKZ : Je viens d’un pays où j’essaie de raconter mes vécus, qui sont ceux d’autres personnes mais qui peuvent également être ressentis universellement. La question que je me pose, c’est comment on arrive à avoir une histoire locale, personnelle mais qui est vécue par de millions d’autres personnes à travers le monde. A titre d’exemple, mon deuxième film « Espoir-voyage » qui est une histoire réelle, celle de mon grand-frère qui est parti en Côte d’Ivoire dans les années 70 pour travailler dans les plantations et qui n’est jamais revenu. Vous constaterez qu’au plan national, le nombre de personnes que touche cette histoire est important. Quand on la transpose au plan international, on voit l’immigration qui concerne plusieurs millions de personnes à travers le monde. J’ai juste fait un regard interne, c’est-à-dire entre le Burkina et la Côte d’Ivoire (immigration Sud-Sud) alors que ce qu’on a l’habitude de voir, c’est l’immigration Sud-Nord. Et je me suis dit que les immigrés connaissent les mêmes motivations, les mêmes problèmes et ont les mêmes ambitions. Je pars effectivement d’une histoire locale qui va transcender la vision universelle des choses. Le dernier film, « La Sirène de Faso Fani », c’est l’histoire de la fermeture de l’usine Faso Fani qui, pour moi, est injustifiée.

Lefaso.net : « La Sirène de Faso Fani », c’est un titre expressif ; pouvons-nous aller au-delà du titre pour comprendre un peu ?

MKZ : Un jour, j’ai regardé un film (ça date de cinq, six ans) qui s’appelle « Roger and Me » de Michael Moore, réalisateur américain qui avait fait un film sur l’histoire des usines « Nike » aux USA. Ces usines ont été justement délocalisées en Amérique Latine pour faire plus de profit, au détriment de la ville de Flint (Etat du Michigan) où Michel Moore est né. Il repart sur l’histoire de ces usines qui laissent derrière elles des chômeurs et du chômage. Quand j’ai vu ce film, ça m’a renvoyé directement à Faso Fani à Koudougou. Je rêvais de travailler un jour dans cette usine parce que, c’était une référence et c’était, à une certaine époque, l’usine qui employait le plus de personnes au Burkina, après l’Etat. Les gens qui y travaillaient étaient enviés… Jusqu’à ce que ça commence à basculer avec justement cette arrivée des PAS. J’ai essayé de refaire le fil de l’histoire pour savoir pourquoi l’usine s’est fermée….Pourquoi ….et pourquoi ? Et dans le film, j’essaie de proposer des solutions parce que le Burkina reste un grand producteur de coton et il faut savoir ce qu’il faut faire pour le valoriser sur toute la chaîne, au profit de tout le monde. Et aujourd’hui, quand vous arrivez à Koudougou, vous verrez que le tissage est devenu un métier beaucoup exercé par les femmes. A défaut de rouvrir l’usine, est-ce qu’on ne peut pas, par exemple, organiser ces femmes en coopérative pour une plus-value ?

Lefaso.net : Le FESPACO est souvent critiqué sur certains aspects de l’organisation, en tant que spécialiste, qu’est-ce qui manque aujourd’hui au festival ?

MKZ : Il faut de la rigueur dans toute organisation. Effectivement, on constate que les professionnels se sont toujours plaints de l’organisation du FESPACO, où par moment, les cinéastes ont estimé qu’ils ne sont pas mis au centre du festival. Ce sont plutôt des « blings-blings politiques ». Or, un festival de ce genre est fait pour valoriser l’œuvre cinématographique et ses acteurs ; c’est vraiment la fête des acteurs. C’est le seul moment de leur vie où ils doivent avoir les honneurs, avoir droit au tapis rouge. Sinon, ils n’existent pas. Le FESPACO est un biennal et je pense que, lorsque le moment arrive, il faut leur faire toute la place qui leur est dédiée. Donc, les cinéastes attendent beaucoup du FESPACO. En plus de cela, le festival pêche toujours sur certains aspects de l’organisation, censés être maîtrisés. Mais on constate toujours des retards, des imperfections qui ne doivent plus exister (insuffisances dans la programmation des films, la fluidité, la disponibilité des informations, etc.). Je ne sais pas ce qui se passe mais pour moi, ce n’est pas normal qu’à une semaine du FESPACO, on ne sache pas dans quelle salle passe son film. Il faut mettre de la rigueur dans l’organisation. Quand on donne un délai de dépôt des films, à l’échéance, aucun film ne doit encore être reçu. Je ne défends pas le FESPACO mais si ailleurs, les mêmes réalisateurs arrivent à respecter le temps imparti pour le dépôt, il faut que le FESPACO soit aussi rigoureux et que celui qui vient après la date ne soit pas admis.
Qu’à cela ne tienne, quelles que soient les insuffisances, le FESPACO a un charme. Il reste toujours ce festival qu’il faut convoiter. Un cinéaste qui dit qu’il ne veut pas un prix au FESPACO, c’est qu’il n’est pas franc avec lui-même. C’est quand même le plus grand festival africain.

Lefaso.net : Quelles sont vos perspectives … ?

MKZ : J’ai assez de projets mais pour le moment, je préfère ne pas m’étaler sur ceux-ci. Je pourrai en parler à une certaine étape de leur évolution. Mais, je pense aussi que l’histoire politique récente du Burkina pourrait nous inspirer. J’y pense, parce que ça nous concerne et intéresse tous. Il y a donc matière à relater, sans passion mais avec beaucoup de lucidité.
A travers les voyages, j’ai pu me faire des amis réalisateurs et découvrir des organisations de promotion de festivals, etc. L’idée, c’est aussi de capitaliser ces relations car, il faut travailler à mériter la confiance et que chacun sache qu’il peut tirer quelque chose de l’autre.
Déjà, avec Philippe Lacôte de la Côte d’Ivoire, on a coproduit en 2013, son film dont le titre est « Run » (courir en anglais). Une partie du tournage a eu lieu à Sindou (province de la Léraba, Burkina) et après, on s’est déporté en Côte d’Ivoire, avec une équipe constituée quasiment de techniciens burkinabè. C’est un film qui retrace l’histoire récente de la Côte d’Ivoire. C’est cela aussi le partenariat sud-sud.

Lefaso.net : Sur quoi focalisez-vous aujourd’hui vos énergies ?

MKZ : Déjà, je prépare le FESPACO parce qu’il y a deux films de la production qui sont en compétition : « Run » qui est une coproduction de « Diam production » et mon film « La Sirène du Faso Fani ».
On a également un festival qu’on prépare avec une association qu’on appelle « Koudougou Doc association ». C’est une structure qui organise un festival de documentaires en mois d’avril à Koudougou pour défendre, justement, le genre documentaire. Défendre le genre documentaire, parce que c’est le parent-pauvre du cinéma. Vous constaterez même qu’au FESPACO, ce genre cinématographique n’est pas mis au même niveau que les autres. Donc, le festival se tiendra du 20 au 25 avril à Koudougou. Ce sont des projections qui se passent en plein air et gratuitement pour les populations. Nous faisons des projections dans les différents quartiers, suivis de débats à bâtons rompus avec les publics. C’est-là aussi l’important du documentaire.
La première édition a eu lieu l’an passé, et ce fut un vrai succès. D’où la décision de l’institutionnaliser et de le tenir tous les ans. Il est important que les gens regardent le cinéma avec un autre œil ; pas juste pour rire mais plutôt avec l’aspect éducatif aussi. On peut aller dans un cinéma, regarder et pleurer. Cela se passe à travers l’éducation cinématographique et il faut qu’on y arrive car, l’avenir du cinéma passe également par ça.

Lefaso.net : Avez-vous en perspectives d’étendre l’initiative à d’autres localités ?

MKZ : Non car, pour nous, il faut faire une sorte de spécialisation. Et pour nous, Koudougou doit être le « pôle documentaire » ; un pôle de cinéma documentaire. De sorte qu’au Burkina, dans cinq à dix ans, lorsqu’on parlera de documentaires, on voit Koudougou. Maintenant, des projections peuvent être vues partout ailleurs parce que, les films sont aussi instructifs. Et les projections, pendant ce festival, seront faites partout, y compris à l’Université de Koudougou.
Au même moment, nous tiendrons aussi des formations et cette année, la formation va porter sur le management des festivals (pas seulement festivals de cinéma, mais n’importe quel festival).
Une des originalités du festival réside dans le fait que nous prenons des jeunes, avec lesquels on essaie de faire ce qu’on appelle « les cinq minutes à Koudougou, filmer ma ville ». Ce sont des jeunes à qui nous allons montrer les rudiments du cinéma, leur donner l’envie de réaliser un film documentaire. Ce qu’ils auront à réaliser comme films sera projeté le dernier jour du festival.
Une quinzaine de films seront projetés sur deux sites : un site principal et un site mobile qui va sillonner les quartiers. C’est dire que chaque soir, il y a deux films qui passent en même temps.

Lefaso.net : En conclusion… ?

MKZ : Je demanderai aux autorités du pays d’aller dans une politique concrète de développement de nos Arts car, ce sont des sources de création d’emplois qui peuvent aider à résoudre énormément le chômage. On ne peut pas tous être fonctionnaires. Il faut donc permettre aux gens d’être dans le libéral. Il ne faut pas avoir peur de mettre en place une vraie politique d’accompagnement (je ne dis pas de donner gratuitement) des acteurs. Il faut y aller, à l’image du Tchad, de la Côte d’Ivoire, du Sénégal etc. qui ont compris cette nécessité. C’est encore important pour le Burkina, parce qu’il a la responsabilité de porter le FESPACO. Cela voudrait dire que les cinéastes burkinabè ne doivent pas prendre part à la compétition juste pour la forme. Le Burkina a une image à défendre en la matière et il doit y aller à fond.

Entretien réalisé par Oumar L. OUEDRAOGO
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