LeFaso.net, l'actualité Burkinabé sur le net
Proverbe du Jour : “Vous n’empêcherez pas les oiseaux de malheur de survoler votre têtе, mаis vοus рοuvеz lеs еmрêсhеz dе niсhеr dаns vοs сhеvеux.” Proverbe chinois

Le Burkina Faso de Michel Kafando. Chronique d’une transition « d’exception » (33)

Publié le dimanche 15 février 2015 à 15h31min

PARTAGER :                          
Le Burkina Faso de Michel Kafando. Chronique d’une transition « d’exception » (33)

Nous sommes mercredi. Jour de conseil des ministres à Kosyam. La semaine dernière, il avait été empêché de se tenir par « la force des baïonnettes ». Le RSP avait contraint le premier ministre, Yacouba Isaac Zida, à « s’exiler politiquement » chez le Mogho Naaba, tandis que les ministres étaient invités à regagner leurs ministères. On s’attendait donc à ce que le conseil des ministres d’aujourd’hui, mercredi 11 février 2015, évoque cette « crise ». D’autant plus qu’il s’est étiré en longueur : de 9 h à 17 h 40. Mais le conseil a fait l’impasse. On note seulement que Michel Kafando et Zida ont changé d’aides de camp* et de directeurs de la communication**. Et qu’un nouveau président du Conseil constitutionnel a été nommé***.

Après la « crise » majeure du mercredi 4 février 2015, le président de la Transition, président du Faso, président du Conseil des ministres, Michel Kafando, avait auparavant reçu les chefs militaires dans la soirée du vendredi 6 février 2015, en présence de Frédéric Nikiéma, ministre de la Communication, Porte-parole du gouvernement. Il y avait là le général de brigade Pingrenoma Zagré, chef d’état-major général des armées depuis le 27 novembre 2014. Il y avait là aussi son prédécesseur (dont il était par ailleurs l’adjoint), le général de brigade Honoré Nabéré Traoré, promu conseiller spécial du chef de l’Etat, et le général de brigade Gilbert Diendéré, ancien chef d’état-major particulier du président du Faso, ancien patron, à ce titre, du RSP, qui avait revêtu pour l’occasion l’ancien uniforme du RSP (permettant de le distinguer du reste de l’armée). Diendéré, pensera-t-on, n’avait rien à faire dans cette affaire ; d’autant plus qu’il est présenté, médiatiquement, comme le candidat de l’ex-parti présidentiel, le CDP, à la présidentielle 2015. Mais Diendéré a du savoir-faire (et le soutien du RSP). Ce qui manque à bien du monde dans cette transition « d’exception ». A commencer par le premier ministre dont la promotion politique a brouillé les cartes militaires, obligeant la présidence à un jeu de chaises musicales qui n’est jamais bien perçu dans un milieu où « la discipline » étant « la force », la compétence est sensée être proportionnelle au nombre d’étoiles ou de galons sur l’uniforme qui établit la relation entre le « supérieur » et son « subordonné ».

Le lieutenant-colonel Zida, numéro deux du RSP, premier ministre après s’être opposé lors des événements des 30-31 octobre 2014, au nom du RSP, au chef d’état-major général des armées, Honoré Nabéré Traoré, a mis sur la touche son « patron », le colonel-major Boureima Kéré. D’autant plus abandonné que le commandant Théophile Nikiéma, numéro trois du RSP, était nommé chef d’état-major particulier du président du Faso en remplacement du général Gilbert Diendéré et devenait, de ce fait, « patron » du RSP. De quoi froisser la susceptibilité de Kéré mais aussi du colonel-major Pierre Sanou, chef du bureau militaire de la présidence du Faso, ses supérieurs. Le fait que Nikiéma ait été promu lieutenant-colonel le 1er janvier 2015 ne changera rien à l’affaire. Kéré a donc laissé le RSP aller à vau-l’eau sous l’autorité du capitaine Kouda. Le RSP, face à cette situation, a été chercher le lieutenant-colonel Céleste Coulibaly, pour qu’il prenne le commandement du régiment. Coulibaly était alors à Bobo Dioulasso où se trouve sa famille. Nous sommes le 30 décembre 2014 et c’est alors que se déroule le psychodrame qui a conduit le RSP à exprimer ses exigences à Zida.

Les exigences du RSP portaient sur l’arrêt des réformes concernant le régiment jusqu’à la mise en place des nouvelles autorités fin 2015, le retour à l’uniforme spécifique qui permet de différencier les militaires du RSP du reste de l’armée, la nomination du colonel Kéré en tant que chef d’état-major particulier du président du Faso. D’où la déclaration du capitaine Abdoulaye Dao, au soir du vendredi 6 février 2015, qui a fait l’objet de deux communiqués officiel pas exactement sur la même longueur d’onde (cf. LDD Burkina Faso 0477/Lundi 9 février 2015).

Dans le même temps, Kafando va procéder à des nominations au sein de l’armée. Le colonel-major Boureima Kéré, conformément aux exigences du RSP, est nommé chef d’état-major particulier de la présidence du Faso en remplacement du lieutenant-colonel Théophile Nikiéma. Nikiéma se retrouve nommé au bureau militaire de la présidence du Faso où il prend la suite du colonel-major Pierre Sanou. C’est le lieutenant-colonel Céleste Coulibaly qui est porté à la tête du RSP, là encore conformément aux exigences du régiment de sécurité présidentielle (RSP).

Fin du psychodrame. « Cette crise nous aura révélé le refus du peuple de se laisser caporaliser, de se laisser imposer un diktat par une fraction de l’armée » aurait affirmé Kafando. Qui aurait**** ajouté : « La transition est l’émanation de la volonté populaire. Vouloir l’entraver par la coercition ou la violence, c’est s’attaquer en direct au peuple ». La transition a mis deux mois pour comprendre que la nomination de Nikiéma comme chef d’état-major particulier du PF était un coup de force qui passerait mal au RSP comme dans l’armée. Je l’avais écrit le 6 décembre 2014 (cf. LDD Spécial Week-End 0658/Samedi 6-dimanche 7 décembre 2014) : « La nomination qui, sans doute, fera beaucoup parler dans la nébuleuse militaire, c’est celle de Théophile Nikiéma comme chef d’état-major particulier du président du Faso, ce qui en fait le patron du Régiment de sécurité présidentielle (RSP) […] Après les « mutineries » de 2011, des frustrations pourraient ainsi apparaître au sein de la hiérarchie militaire alors que, déjà, la politisation de l’armée est source de préoccupations ».

Kafando a remis les pendules de l’armée à l’heure de la présidence du Faso. Mais c’est justifier le comportement « subversif » du RSP et désavouer le premier ministre, ministre de la Défense nationale et des Anciens combattants, Zida, qui avait imposé Nikiéma à la présidence du Faso. Zida, qui a déjà perdu deux ministres sous la pression de la société civile, voit son réseau militaire auprès du PF bouleversé par les nouvelles nominations. Reste à savoir quel sera le poids politique de ces bouleversements qui réaffirment, allant ainsi à l’encontre des partis politiques et de la société civile, la primauté du RSP au sein des Forces armées nationales (FAN).

* Pingdwendé Joachim Nana, officier, a été nommé aide de camp du président du Faso tandis qu’Abdel Aziz Boris Nadié, officier, est nommé aide de camp du premier ministre.

** Yolande Kalwoulé est nommé directrice de la communication de la présidence du Faso tandis qu’Arsène Evariste Kaboré est nommé directeur de la communication du premier ministre. Kalwoulé s’est notamment illustrée ces dernières années comme directrice de la communication du ministre des Affaires étrangères et de la Coopération régionale, Djibrill Y. Bassolé. Elle prend la suite de Ibrahiman Sakandé, qui se disait « ouvrier de la plume, journaliste-politiste, Ipermicien ». Kaboré, titulaire d’une maîtrise d’anglais, formé au journalisme et à la communication au Ghana et aux Etats-Unis, a été directeur de la presse et de la communication de la Commission électorale nationale indépendante (CENI) et rédacteur en chef à la RTB/Télé, la télévision nationale. Il a bénéficié d’une « visibilité » particulière lors des événements des 30-31 octobre 2014 au moment du retrait du pouvoir de Blaise Compaoré. Il prend la suite de Hamado Ouangraoua.

*** Kassoum Kambou prend la suite de Dé Albert Millogo. Kambou, magistrat de grade exceptionnel, était conseiller à la chambre commerciale de la Cour de cassation. Il a par ailleurs présidé la commission d’enquête indépendante sur l’affaire Norbert Zongo. Il est membre du Mouvement burkinabè des droits de l’homme et des peuples (MBDHP) ainsi que du Syndicat burkinabè des magistrats (SBM). Millogo, quant à lui, avait été nommé le 4 septembre 2007 après avoir été ministre du Travail (1987-1988) et ministre de la Défense (1997-2000).

**** Cette forme grammaticale s’impose dès lors que la communication du président du Faso a été défaillante ces dernières semaines. J’ai noté déjà que le communiqué publié le mercredi 4 février 2015, alors que Michel Kafando avait reçu la hiérarchie militaire, était signé de son directeur de cabinet, Mathieu Tankaono, et non pas de son directeur de la communication, Ibrahiman Sakandé (cf. LDD Burkina Faso 0471/Lundi 9 février 2015).

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

PARTAGER :                              
 LeFaso TV
 Articles de la même rubrique
Transition : Le discours-bilan de Michel Kafando
Michel Kafando reçu par Ban Ki-moon
Michel Kafando a échangé avec ses compatriotes à New-York