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« Souvent les gens critiquent sans comprendre l’ampleur de la complexité du problème », dixit François- Xavier Bambara, président du comité interministériel de détermination des prix des hydrocarbures

Publié le jeudi 22 janvier 2015 à 02h23min

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 « Souvent les gens critiquent sans comprendre l’ampleur de la complexité du problème », dixit François- Xavier Bambara, président du comité  interministériel de détermination des prix des hydrocarbures

25 FCFA de réduction sur les produits pétroliers. C’est ce que le gouvernement a décidé en début de semaine, au moment où les syndicats commençaient à exiger la baisse à la pompe du prix des hydrocarbures. Une baisse dérisoire, selon les consommateurs qui se fient au cours mondial de l’or noir qui est actuellement en dessous des 49$ le baril, alors qu’il ya 3 ans, il était à 130$. Depuis, la polémique enfle. Nous avons approché François Xavier, président de la cellule technique du Comité interministériel de détermination des prix des hydrocarbures pour comprendre d’avantage. Tous les contours de la structure des prix des hydrocarbures sont à retrouver dans cette interview qui lève un coin de voile sur un secteur très complexe, mais qui attise toutes les passions.

Lefaso.net : Présentez-nous le comité interministériel de détermination des prix des hydrocarbures. Qui le compose et quelles sont ses missions ?

François- XavierBambara : Le comité interministériel de détermination des prix des hydrocarbures a été mis en place par le gouvernement à la suite du constat qu’avant 2009, c’était la SONABHY (Ndlr. Société nationale burkinabè d’hydrocarbures) qui fixait les prix des hydrocarbures à travers son ministère de tutelle, celui chargé du commerce. A un moment donné, on a jugé qu’on ne pouvait laisser la SONABHY continuer à être juge et partie. Le comité de conjecture a recommandé, à la demande du gouvernement, la création d’un comité interministériel qui se charge de la fixation des prix. Le comité a été créé en fin 2009 et a véritablement commencé à travailler en 2010. Il est présidé par le secrétaire général du premier ministère avec un représentant du ministère de l’économie et des finances, un représentant du ministère du commerce, un autre des mines et de l’énergie. C’est ce comité qui fait les propositions officielles au gouvernement sur les prix, il est doté d’une cellule technique que je préside. Le travail que nous faisons est très technique.

A vous entendre, vous êtes un outil d’aide à la décision. Quel rôle avez- vous joué dans la dernière réduction du prix des hydrocarbures ?

Notre rôle part du fait que nous calculons les prix chaque mois. Nous avons un instrument, le PLATT’S (une bourse des produits pétroliers basée à Londres) qui donne les cotations conventionnelles du cours du pétrole. Nous utilisons les données par jour et à la fin du mois, nous faisons une moyenne que nous confrontons avec la moyenne du cours du dollar. Ainsi, nous déterminons le prix du carburant quand il arrive au port. A partir de là, la structure des prix est appliquée. Il ya des marges pour les transporteurs, pour l’importateur, pour les distributeurs, les trois lignes qui constituent la fiscalité (la taxe sur les produits pétroliers, la TVA et les droits des douanes). A partir de là, on a un prix réel. Donc chaque mois, nous connaissons le prix réel en fonction du cours du baril de pétrole. On le converti en CFA. A partir de là nous faisons des propositions au gouvernement.

Qui est libre de les appliquer ou pas…

Exactement. Lorsque nous avions proposé d’augmenter les prix en avril 2012, on ne pouvait pas répercuter la totalité de la flambée du cours du baril sur le prix à la pompe. Parce que tout simplement, lorsqu’on ajoutait 50 f, sur le litre de super et gasoil par exemple, le manque à gagner par litre de gasoil était de 159 f. En réalité, on avait fait une petite augmentation par rapport au prix réel en son temps. Le prix du baril est monté jusqu’à 130, mais le prix réel qui est resté fixé correspondait à environ 70 dollars le baril. Lorsque vous prenez cette référence de 70$ le baril et vous regardez l’évolution du cours du baril lorsqu’il a commencé à baisser ; en Août on était à 101$, en septembre c’est descendu autour de 97$, en novembre on était à 79$, donc toujours au-dessus des 70$. C’est en décembre qu’il est descendu sous la barre des 70$, précisémentà 63$. Donc en termes de plus-value, c’est à partir du mois de décembre que nous l’avons constaté. Nous le suivons mois après mois.

Qu’est-ce qui a concouru à la dernière baisse du prix à la pompe. Quels sont les détails de cette baisse ?

Il y a deux choses qui nous ont guidés, la volonté de répercuter la baisse du cours du baril sur le produit au consommateur, et le fait de garder à l’esprit qu’au cours de tous les mois précédents, il ya eu des manques à gagner sur la vente du carburant. Par exemple pour l’année 2014, le manque se chiffrait à 25 milliards. L’idée c’est de faire sentir au consommateur qu’effectivement le baril a baissé, tout en permettant de profiter de cette baisse pour compenser ce qu’on avait perdu pendant deux ans. Si on a la chance que le baril continue de baisser, c’est vite récupéré et on peut répercuter la totalité de la baisse. Mais attention, le baril de pétrole ne dépend pas du Burkina. Si ça remonte brutalement, il faut que les gens soient préparés à comprendre qu’on doit réajuster le prix à la hausse.

En 2012, le baril était à 130$, actuellement, il est à moins de 49$, on s’attendait quand même à ce que suite à cette chute vertigineuse du cours du baril, on ait une répercussion plus ou moins proportionnelle à la pompe ?

Justement quand on utilise des valeurs isolées, on peut se tromper. Il vaut mieux utiliser des moyennes. Ce sont avec les moyennes qu’on calcule les prix. Si vous prenez la moyenne du cours du baril au cours de l’année 2014, on est à 99,9$, presque 100$. La moyenne dépasse la baisse. Quand on raisonne ainsi, c’est facile à comprendre qu’il y a des manques à gagner qu’il faut combler. Le manque à gagner n’est pas en terme de déficit, il n’a pas de lien forcément avec la gestion de la SONABHY, c’est tout simplement lié au produit qu’on vend, qui a un coût. On l’achète à un prix et on le revend à un autre prix. Le coût peut être supérieur au coût d’acquisition ou inférieur. C’est simplement cet écart qu’on fait et qui représente les manques à gagner (plus ou moins-value). Actuellement pour les mois de décembre et janvier, ce sont des plus-values mais pour le reste, ce sont des moins-values.

Il ya longtemps que le gouvernement n’a pas baissé le prix des hydrocarbures. Dans la matinée du 18 janvier, la coalition contre la vie chère a animé une conférence de presse pour exiger cette baisse et quelques heures après c’était fait. Difficile de ne pas penser à un lien de causalité…

Vous ne pouvez pas me poser cette question parce que tout simplement je suis un technicien. Si on me demande de faire un travail, je le fais en tant que technicien. Si vous me demandez de répondre à cette question je ne pourrai pas. Ce que je sais, c’est que nous travaillons déjà sur les prix de février. Nous faisons un travail journalier, donc on était prêt.

Peut-on avoir une idée des propositions de prix que vous avez faites au gouvernement les mois passés ?

En réalité, on n’avait pas pu faire des propositions, compte tenu de la situation nationale. Les arrêtés sortent mensuellement. Depuis la dernière parution au mois d’Août ou septembre, on n’a pas pu sortir un arrêté. Pour le mois de janvier, nous avons fait les calculs, on a vu effectivement qu’il y a avait des plus-values. On a attiré l’attention du gouvernement sur le fait qu’on était sur une pente descendante du cours du baril de pétrole et on a fait le point des manques à gagner. Notre proposition était plus dans le sens de régulariser les anciens arrêtés. Nous avons proposé un arrêté en janvier qui a été signé en laissant les prix en l’état. Nous étions en train de travailler pour dire que ce qu’on a comme répercussion de baisse, ce qu’on gagne, les manques à gagner et demander la conduite à tenir au gouvernement. Peut-être qu’il y a eu coïncidence entre la pression qui est venue des syndicats et nos propositions qui étaient prêtes et sur lesquelles le gouvernement pouvait se baser pour prendre une décision.

Vous n’avez donc pas proposé un montant de réduction au gouvernement ?

Non, nous avons fait le point. En disant qu’on peut répercuter, mais en gardant à l’esprit, qu’il y a eu 25 milliards de manque à gagner en 2014.

Est-ce qu’on peut dire que la diminution des 25f est une décision purement politique ?

C’est une décision politique bâtie sur un travail technique.

Les consommateurs trouvent cette baisse dérisoire, comparé au prix actuel du baril ?

Si le citoyen lambda a vu que le prix a été bloqué pendant deux ans à 70 $, pendant que le baril oscillait au-dessus de 100$, il est à mesure de comprendre qu’il y avait des pertes qui étaient supportés. Nous sommes en train de polémiquer autour du prix, c’est parce que le produit est disponible. Si aujourd’hui il y a des dysfonctionnements dans le système, qui compromettent l’approvisionnement, rapidement, des spéculateurs s’en saisissent et cela devient autre chose. Il y a aussi un rôle de régulation qu’il faut jouer pour maintenir un certain équilibre pour que tout le monde gagne.

En tant que technicien, pensez-vous que le gouvernement aurait pu aller au-delà des 25f de réduction ?

C’est une appréciation, nous donnons des éléments techniques. Nous avons essayé de répartir des plus-values de manière à penser à l’équilibre de la SONABHY tout en faisant profiter le consommateur. On pourrait prendre toute la cagnotte pour mettre sur le consommateur au risque de laisser la SONABHY dans une situation de déséquilibre surtout si le baril remonte immédiatement.

« Quand on vient de 130 $ à 49 $, nous avons 37,69 $ de baisse. Si on doit répercuter cette baisse sur les prix actuels à la pompe, pour le cas de l’essence, on aura une réduction de 282,67 f. Le prix du super devrait donc coûter actuellement 467,3 à la pompe. Si on répercute la même baisse sur le prix du litre du gasoil, on devrait avoir actuellement 408,75f », ce sont les calculs d’un membre la CCVC lors de la conférence de presse du 18 janvier. Votre commentaire…

Je suis parfaitement d’accord avec son raisonnement, c’est cohérent. Là où le raisonnement est biaisé, c’est ce que j’ai expliqué. Quand on augmentait les prix de 50 FCFA en avril 2012, on aurait dû augmenter le prix du super, si on voulait se coller au prix réel, de 50f+159f. Cela aussi correspondait à son raisonnement qui est juste. Le problème c’est que le prix d’avril ne correspondait pas à un cours du baril de 130$mais de 70$. Il y a avait donc un écart entre le cours du baril courant et le prix affiché à la pompe. Il ya donc une transition qu’il a occultée.

Le prix du baril doit rester stable pendant combien de temps avant que le consommateur burkinabè ne le ressente à la pompe ?

C’est un équilibre qu’on cherche. Si on répercutait le cours du baril à la pompe tous les jours, comme c’est le cas dans d’autres pays, le problème ne se poserait même pas. En ce moment le consommateur paye le litre en fonction du cours du baril qui évolue chaque jour. Chez nous ce n’est pas possible, on a bloqué. Quand on bloque, pendant ce temps le baril évolue à la hausse ou à la baisse. Il se trouve que quand on a bloqué, le baril n’a été qu’à la hausse, il a flambé pendant deux ans.

Est-ce que si le cours du baril continue sa chute dans les mois à venir, on peut s’attendre à une autre baisse à la pompe ?

On peut tout espérer. Pour moi, le plus important c’est que les gens comprennent comment cela fonctionne. Qui dit baisse, peu aussi dire hausse.

Mais au cas où il baisse…

Moi je suis l’évolution du baril depuis des années. En fait ce sont des cycles. Lorsque ça va commencer à flamber, ça sera infernal. Si le baril passe brutalement de 49 à 100$ et qu’on doit répercuter cela, selon vous quelle sera la hausse ? Voilà pourquoi on avait proposé un mécanisme pour encadrer, ça donne l’avantage de faire évoluer le prix dans un intervalle, que ce soit à la hausse ou à la baisse, c’est supportable par le consommateur, à condition que tout le monde comprenne et que cela soit transparent.

Certains pays de la sous-région ont libéralisé le secteur des hydrocarbures et le prix à la pompe est moins cher qu’au Burkina. N’y a-t-il pas lieu de tendre vers cette expérience ?

Vous parlez certainement du Mali qui traverse même notre territoire et qui est censé être plus loin du port. Moi je dis que chaque modèle a ses avantages et ses inconvénients. Je ne suis pas sûr qu’en libéralisant le secteur des importations, cela puisse produire les effets escomptés. Le modèle malien a des forces que celui du Burkina n’a pas. Je pense au transport. Ils ont des transporteurs forts qui leur permettent de réaliser des économies. Etant donné que ce n’est pas un monopole, cela leur permet de réaliser des économies sur le transport. Cela peut jouer, puisqu’ils ont beaucoup de camions comparativement au Burkina. L’avantage du modèle Burkina c’est qu’en matière d’approvisionnement, nous bénéficions des économies d’échelle. En termes de sécurité également, nous sommes mieux logés. La sécurité n’a pas de prix.
Concernant l’écart des prix, je n’ai pas les prix actuels, mais généralement ça ne dépasse pas les 10 à 25 f CFA.

La libéralisation du secteur des hydrocarbures ne profite-t-elle pas forcément au consommateur ?

Pas forcément. Dans le cas du Burkina je suis sûr que si on libéralise et qu’on veut pratiquer des prix impératifs, le privé va demander que l’Etat verse directement les subventions pour qu’il puisse maintenir le prix auquel il souhaite qu’on fixe. Or, l’avantage avec la SONABHY, étant donné que c’est une société d’Etat, c’est considéré comme une perte sèche. On cherche à récupérer pour maintenir l’équilibre de la société, mais l’Etat n’a pas d’obligation de lui verser le montant exact des manques à gagner.

Mais pour l’équilibre de la SONABHY, l’Etat a déjà fait des effort en lui rétrocédant la taxe sur les produits pétroliers (TPP), cela ne lui a-t-il pas permis de regagner sa vitalité ?

On avait utilisé la TPP en 2013 pour rééquilibrer les comptes de la SONABHY, parce qu‘on était arrivé à une situation où elle était au bord de la rupture. Le baril était à un niveau insupportable. Dans les travaux du CIDPH, on a proposé au gouvernement de revoir les taux de la TPP supportés par 50 FCFA par litre de super et le gasoil. On avait ainsi ponctionné 40f CFA sur le litre de gasoil et 75 f CFA sur le litre de super. Puis, nous avons proposé que le gouvernement prenne une ordonnance pour fixer ces taux afin de permettre à la SONABHY de souffler. C’est ce qui a été fait et cela a permis d’équilibrer un peu la société. Mais en 2014, les taux normaux ont été rétablis (125 et 50). Toutefois, en modifiant la TPP, la douane a perdu 35 à 40 milliards, mais ce qu’on a évité comme manque à gagner, tourne autour de 60 milliards.

Quel est votre quotidien en matière de contrôle de prix des hydrocarbures au plan international ?

Il y a un logiciel qui est là. Nous avons également un secrétariat technique qui recueille les informations chaque matin. Nous sommes abonnés au PLATT’S et nous avons les données chaque matin. Le vrai travail se fait à la fin du mois, lorsqu’on a les informations des 25 premiers jours. Il faut alors rapidement calculer les prix et on fait une note pour expliquer, on organise une réunion de la cellule technique, on arrête les propositions avant de les transmettre au comité qui va aussi convoquer une réunion. En ce moment je suis à plein régime dans les hydrocarbures. Et ce qu’on aura arrêté définitivement, je refais une note à l’attention du premier ministre qui donne les instructions.

Un dernier mot…

C’est normal qu’on ait toutes ces polémiques autour des produits pétroliers, parce que c’est le premier produit d’importation du Burkina. C’est vraiment un produit de grande consommation qui a des impacts étendus sur le consommateur et sur toute l’économie. Mais ce qui me tient à cœur, c’est qu’il y a un dénominateur commun que tout le monde doit avoir. Il faut qu’on ait un consensus pour maintenir le secteur en équilibre. Personne n’a intérêt à ce qu’il soit en déséquilibre. C’est ce que nous recherchons tous. Les partenaires sociaux sont dans leur rôle quand ils demandent des baisses, nous en tant que techniciens nous sommes dans notre rôle quand on calcule les prix et qu’on les met sur la table des décideurs, ces derniers ont aussi leur rôle. Celui de prendre des décisions en tenant compte de tous les paramètres.
En tant que structure technique, nous sommes ouverts. Celui qui veut avoir toutes les informations sur la structure des prix, je suis prêt à expliquer ce que je connais de la structure telle qu’elle est. C’est après avoir compris tout cela qu’on peut faire des débats de fonds. Souvent les gens critiquent sans comprendre l’ampleur de la complexité du problème. Nous sommes tous des consommateurs et on souhaite que les choses soient en notre faveur.

Interview réalisée par Tiga Cheick Sawadogo
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