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« La liberté sera toujours plus forte que la barbarie » (1) + Je suis Charlie +

Publié le dimanche 11 janvier 2015 à 08h00min

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La France, aujourd’hui, mercredi 7 janvier 2015, a été scotchée tout au long de l’après-midi devant ses écrans, télés, ordis, tablettes, smartphones. Avant d’envahir, en début de soirée, les rues et les places de sa capitale, des grandes villes de province mais aussi des agglomérations de moindre importance. Ce qui a rassemblé les Français n’est pas une revendication corporatiste ou sectaire comme on en voit beaucoup, beaucoup trop, depuis longtemps, trop longtemps. Le mot d’ordre était une simple affirmation : + Je suis Charlie +. Cette identification a fait le tour du monde et a été reprise dans nombre de capitales d’Europe, d’Asie, d’Amérique, d’Afrique.

+ Je suis Charlie +, trois mots en blanc et gris sur fond noir, reprenant la typographie utilisée par le magazine Charlie Hebdo*. L’info était tombée en fin de matinée ; les médias s’en sont emparés avant midi. Les radios et les télés ont basculé aussi dans les éditions spéciales. L’émotion a été considérable : un « carnage » au sein du journal Charlie Hebdo sans que l’on sache, d’abord, le nombre de victimes. Et puis le chiffre des morts et des blessés s’est stabilisé. On a appris aussitôt que ces morts n’étaient pas, pour une partie d’entre eux, anonymes. Pas des « politiques », non ; pas des « symboles » républicains ou religieux comme lors de l’affaire Merah qui, voici quelques années, avait assassiné des militaires et des enfants d’une école juive, non. Ceux qui ont été visés étaient des dessinateurs, des caricaturistes, des hommes et une femme (le monde de la caricature serait-il machiste ? Elsa Cayat, qui appartenait à l’équipe de rédaction et est la seule femme figurant parmi les victimes, était une psy : elle aurait pu répondre à cette question) qui n’étaient alignés sur aucune idéologie, n’appartenaient à aucun parti politique, aucune église. Ce n’était que des mecs qui, depuis plusieurs décennies, avaient entrepris de nous « faire marrer » en fustigeant les « conneries » du monde contemporain.

Charlie Hebdo, ce n’est pas Le Monde ou Le Nouvel Observateur ; c’est un journal de « charlots » qui ne prennent pas au sérieux ce qui fait le quotidien des Français : les hommes et les femmes de pouvoir, que ce pouvoir soit politique, économique, religieux, militaire, idéologique, médiatique… Héritier de Hara-Kiri, dont le titre était déjà tout un programme et qui se définissait comme un « journal bête et méchant », Charlie Hebdo aura formaté, au-delà de son tirage qui n’avait rien d’exceptionnel (65.000 exemplaires annoncés alors que la diffusion du Canard enchaîné est de l’ordre de 400.000 exemplaires), toute une génération de jeunes Français qui y ont découvert l’impertinence, l’irrespect, la subversion, un humour féroce, irrévérencieux, souvent décalé, jamais « politiquement correct » (c’était d’ailleurs un concept qui n’avait pas cours à l’époque où on fustigeait bien plutôt les comportements « bourgeois » et « beauf »). C’étaient des « modernes » dans un monde encore passablement marqué par les positionnements « réacs ». Pas vraiment non plus dans l’air du temps des années 1960 et 1970, marquées par des engagements politiques « au carré ». Hara-Kiri puis Charlie Hebdo faisaient rire mais souvent en catimini ; et cet humour corrosif s’appréciait dès les affichettes dans les kiosques, reproduction de la cover du journal dont ses rédacteurs en chef ont toujours dit qu’elle devait être « un coup de poing dans la gueule ». Ce qu’elle ne manquait jamais d’être.

Il n’est donc pas étonnant que Hara-Kiri, après avoir été un magazine de BD marginal, soit devenu ce qu’il est resté dans la mémoire de ses lecteurs - un journal subversif - au lendemain des « événements de mai 1968 », l’illusion de « l’imminence de la révolution » ayant cédé la place à une « révolution culturelle » dans laquelle le préfixe « cul » occupait l’espace. Pour les communistes, trotskystes, maoïstes, situationnistes et autres militants d’extrême gauche, l’énergie développée par les dessinateurs de Hara-Kiri était largement dévoyée. C’est sans doute pourquoi, dès le début des années Mitterrand (celles du « Programme commun de la gauche »), Hara-Kiri se fera… hara kiri après une cover qui était un constat de faillite et de capitulation politique : « Allez vous faire enculer ». On était loin du « Bal tragique à Colombey : 1 mort » qui évoquait, en 1970, le décès de Charles De Gaulle au lendemain de l’incendie du dancing-discothèque de Saint-Laurent-du-Pont, le « 5-7 », qui avait fait 146 morts, essentiellement des jeunes de moins de vingt-cinq ans**. Raymond Marcellin, ministre de l’Intérieur, y trouvera prétexte pour justifier l’interdiction de Hara-Kiri déjà envisagée depuis un certain temps.

+ Je suis Charlie +, impossible d’y échapper en ce mercredi 7 janvier 2015. Au lendemain de l’attaque contre l’Amérique, le 11 septembre 2001, nous étions « tous Américains ». Jean-Marie Colombani l’avait affirmé dans l’édito du quotidien Le Monde daté du 13 septembre 2011. « Dans ce moment tragique où les mots paraissent si pauvres pour dire le choc que l’on ressent, la première chose qui vient à l’esprit est celle-ci : nous sommes tous Américains ! ». Cette revendication identitaire était dérangeante tout comme le + Je suis Charlie + d’aujourd’hui qu’arborent même les boutiques de mon supermarché et qui envahit tous les courriels qui me sont destinés. Américain en 2011, Charlie en 2015 ! Nous faut-il adopter systématiquement la position de victime dès qu’un drame, aussi horrible soit-il (et le 11-septembre l’a été particulièrement) bouleverse notre quotidien plutôt serein loin des guerres, des famines, des bouleversements climatiques, des dictatures ?

Proclamer « Nous sommes tous Américains » et + Je suis Charlie +, n’est-ce pas refuser de se poser des questions et globaliser la société en en gommant les différences ? Au-delà du slogan, Colombani n’avait pas manqué, d’ailleurs, de se poser la question, dénonçant « un monde sans contrepoids, physiquement déstabilisé donc dangereux, faute d’équilibre multipolaire » et « une Amérique rattrapée par son cynisme ». Il écrivait encore : « Au-delà de leur apparente folie meurtrière, ces derniers [il s’agit des « auteurs » du 11-septembre] obéissent malgré tout à une logique. Il s’agit évidemment d’une logique barbare, d’un nouveau nihilisme qui répugne à une grande majorité de ceux qui croient en l’islam […] Mais il s’agit d’une logique politique qui par la montée des extrêmes veut obliger les opinions musulmanes à « choisir leur camp » contre ceux qui sont couramment désignés comme « le grand Satan ». Ce faisant, leur objectif pourrait bien être d’étendre et de développer une crise sans précédent dans l’ensemble du monde arabe ».

Nous sommes au-delà de tout cela aujourd’hui. Mais, en ce mercredi 7 janvier 2015, on ne peut que se réjouir de ce que le président de la République française, intervenant à la télévision à 20 heures, rende hommage à « des dessinateurs de grands talents, des chroniqueurs courageux » qui « avaient marqué par leur insolence des générations de Français ». « L’insolence », est désormais, par la grâce de la mort de ceux de Charlie Hebdo, vertu républicaine. « La liberté sera toujours plus forte que la barbarie » a proclamé François Hollande. Acceptons-en l’augure.

* La paternité du slogan + Je suis Charlie + est revendiquée par Joachim Roncin, directeur artistique et journaliste musique au magazine gratuit Stylist qui a publié le logo sur son compte @joachimroncin dès après l’annonce de l’attentat. « Ce que je voulais dire, a-t-il expliqué à l’AFP, c’est que c’est comme si on m’avait touché moi, je me sens personnellement visé, ça me tue, quoi ».

** Hara-Kiri, avec ce titre, rebondissait par rapport à la presse nationale et régionale française qui avait massivement titré : « Bal tragique » pour annoncer le drame du « 5-7 ». Le choix du titre « Charlie Hebdo » pour prendre la suite de Hara-Kiri, en 1992, pouvait apparaitre d’ailleurs comme un clin d’œil à cette cover de 1970, « Charlie » et « Charlot » étant des qualificatifs plus ou moins irrespectueux de Charles De Gaulle, alors un monument historique ; en fait, il s’agit d’une référence à Charlie Brown, personnage de la BD américaine.

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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Vos commentaires

  • Le 12 janvier 2015 à 02:04, par Sidpawalemdé Sebgo En réponse à : « La liberté sera toujours plus forte que la barbarie » (1) + Je suis Charlie +

    Quel malheur. Il est tragique que des différents liés à des divergences de vues et de croyance se résolvant par la violence. Toute notre compassion aux familles éplorées et à la France.

    Cependant, au risque de ramer à conte-courant, il faut dire que la liberté n’est pas due à un seul groupe d’individus. Suis-je vraiment le seul à être choqué que les Français, victimes de ces actes d’intolérance, soient eux-même assez intolérants au point de vouloir imposer aux médias du monde entier de reprendre et re-publier les fameuses caricatures à l’origine du drame ? Malgré que ces média, notamment Britanniques et Américains, aient expliqué depuis longtemps qu’ils s’interdisaient de publier tout ce qui pouvait choquer la foi de leurs lecteurs, certains journaliste hexagonaux, hélas la majorité, semblent penser que ce drame est l’occasion de balayer les principes des autres pour imposer les leurs. Drôle de conception de la liberté...

    Après les injonctions aux musulmans de se désolidariser de ces actes (comme si c’était nécessaire pour eux mais pas pour les autres), voila l’injonction aux journaux de changer leur ligne éditoriale pour suivre celle d’un journal qui, faut-il le rappeler, était au bord de la faillite, en partie à cause de ses choix éditoriaux. Ces méventes elles seules en disent long sur la proportion de Français qui "étaient Charlie" avant ces attentats.

    Même s’il est vrai que les défunts sont tous des Saints, ces écrits agressifs demeurent et seront jugés après le deuil comme ce qu’ils sont, c’est à dire liberticides.

    Vive la liberté pour tous !

  • Le 12 janvier 2015 à 08:16, par Le penseur En réponse à : « La liberté sera toujours plus forte que la barbarie » (1) + Je suis Charlie +

    Ayons le courage des mots pour éviter certains maux . Liberté dénudée et sans vergogne, liberté sectaire et unijambiste, liberté à géométrie variable , liberté taillée à la mesure du client . Excusez moi de m étonner d une manière biaisée la manière dont nous traitons les problèmes de sociétés . Ne fait pas une " quenelle ", tu seras traqué et sanctionné, fais une caricature du prophète SAW , tu seras célèbre . J aimerais que chacun ait une hauteur d esprit , et d éviter de tomber dans le passionnel , le sensationnel , l’émotionnel , les amalgames improductifs . J aimerais que chacun combatte le barbarisme à visage humain, l écoulement injustifié du sang , le terrorisme, l endeuillement de familles au nom de quelques convictions sectaires et grégaires .... J aimerais que les journalistes utilisent l intelligence de la plume et de l image car l image parle , l image est forte , l image véhicule l idéologie , l image fascine et façonne . J aimerais que la presse soit responsable , non partisane , non incendiaire , une presse tel un ciment et non une lame dans un morceau de pagne . J aimerais que la population n avale pas la pullule de la stigmatisation car elle a un goût d opium ... J aimerais vive dans une société où nous avons tous la liberté d’expressions et non le droit au blasphème. J aimerais une société où le liberté de réaction doit avoir des limites. J aimerais qu ensemble nous disons non à cette velléité hégémonique et expansionniste
    J aimerais un monde sans islamophobie , antisémitisme, racisme, boko haram, anti balaka . J aimerais une société où tous se valent en dignité et en droit . C’était ma parole sans voix , mes souhaits intimes . Je souhaite la paix à tous et pour tous .

  • Le 12 janvier 2015 à 10:54, par MAXWELL En réponse à : « La liberté sera toujours plus forte que la barbarie » (1) + Je suis Charlie +

    Il y a un sérieux travail sur le terrain auprès de ces jeunes qui ont subi un vrai lavage de cerveau les faisant croire que ces crimes odieux qu’ils commettent à travers le monde sont pour la gloire de Dieu et cela les conduira au paradis. Toutes les religions ont vu leurs prophètes caricaturés souvent de la pire manière. Je me rappelle de cette photo du crucifix du christ placé sur les parties intimes d’une femme. Pour un vrai croyant, en quoi ces caricatures souvent très provocantes je l’avoue entament sa foi ? Bien au contraire. Il faut se dire qu’il n’est pas donné à tout le monde de connaitre Dieu et d’aimer les prophètes de quelque religion que ce soit. Aimer Dieu et suivre les préceptes des saintes écritures est une grâce divine et ceux qui sont croyants doivent prier pour que ceux qui ne connaissent pas Dieu soient un jour touchés par le message divin et qu’ils se soumettent à lui. Je pense qui si une simple caricature suffit à ébranler ses illuminés, c’est que ce n’est pas de vrais croyants. La religion relève de la sphère privée et chacun répondra de ses bonnes ou mauvaises actions devant l’éternel. Au nom de quoi un être humain peut tuer son semblable parce qu’il agit ou pense autrement que lui. Celui qui blasphème pourra un jour avec nos prières changer et les exemples sont nombreux à travers le monde. Mais celui qui tue son prochain n’a aucun respect pour la parole divine et répondra de ses actes dans l’au-delàs. Il existe des fondamentaliste et des extrémistes dans toutes les religions mais ils ne tuent pas.

  • Le 12 janvier 2015 à 14:15 En réponse à : « La liberté sera toujours plus forte que la barbarie » (1) + Je suis Charlie +

    Tous les noirs qui veulent lutter et se tuer pour l’islam, de grâce allez vivre avec les arabes et foutez nous la paix.

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