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Les facteurs et conséquences du redoublement dans l’enseignement primaire au Burkina Faso

Publié le vendredi 9 janvier 2015 à 11h09min

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A son lancement à Jomtien, l’initiative de l’Education pour tous (EPT), approuvée par la plupart des pays en développement et des bailleurs de fonds, a concentré l’attention sur le redoublement et l’abandon en tant qu’obstacles essentiels à l’amélioration de l’accès à l’éducation et du niveau d’instruction (EISEMON, 1997). Ainsi, parmi les réformes pour accélérer l’EPT, il y avait la prise de mesures pour limiter le redoublement. Le Burkina Faso dans cette dynamique entreprend des réaménagements dans son système éducatif à travers des décrets. Ces mesures ont entraîné la réduction des taux de redoublement. Ces taux continuent de susciter des inquiétudes de certains acteurs de l’éducation. A travers cet écrit, nous avons opté d’étudier la problématique du redoublement à travers une analyse situationnelle de la question, tout en abordant les facteurs et conséquences du phénomène dans l’enseignement primaire au Burkina Faso. L’article est structuré autour de la situation du redoublement dans l’enseignement primaire depuis 2001, les facteurs et les conséquences ainsi que des perspectives de réduction du phénomène de redoublement.

I. Etat des lieux du redoublement dans l’enseignement primaire au Burkina
Faso

L’ampleur de la question est analysée sur la base des données statistiques de la Direction Générale des Etudes et des Statistiques Sectorielles du Ministère de l’Education Nationale et de l’Alphabétisation. Nous choisissons d’aborder le phénomène à partir de l’année scolaire 2000-2001, année d’adoption de la première mesure de réduction du redoublement. En outre, cette période consacrée à cette analyse, a été marquée par la mise en œuvre du Plan Décennal de Développement de l’Education de Base (2001-2010) et le début de mise en œuvre du Plan de Développement Stratégique de l’Education de Base (2012-2021). Il faut aussi souligner que le choix de l a période est non seulement dicté par la disponibilité des statistiques, mais aussi par notre volonté de contribuer à la promotion des politiques et stratégies relatives à l’efficacité et à l’équité dans l’éducation.

Les informations résumées dans le tableau n°1 Indiquent l’évolution des effectifs des redoublants du CP1 au CM2 de 2000-01 à 2013-2014.


Ce tableau permet d’observer que le redoublement est pratiqué dans toutes les classes du cycle primaire au Burkina Faso.
Le total de redoublants variait de 148 582 en 2003-2004 (niveau le plus bas) et culminait à 207 271 en 2009-2010. Au fur et à mesure que l’on évolue dans le cycle d’enseignement primaire, ce nombre s’accroît.

Le redoublement est moins prononcé les petites classes, mais atteint des niveaux inquiétants dans les grandes classes. En effet, en 2011/2012 et 2012/2013, l’effectif des redoublants était respectivement de 8 500 et 7 092 au CP1 et 87 498 et 85 852 au CM2. L’importance du redoublement au cours moyen deuxième année (CM2) s’explique par les difficultés éprouvées par les élèves à obtenir le Certificat d’études primaires et surtout, à s’admettre au concours d’entrée en sixième : le passage au post-primaire s’effectuait jusqu’à la rentrée d’octobre 2013 par voie de concours.

Nonobstant cette situation, on remarque que le nombre de redoublants baisse, même si celui-ci n’est pas régulier. En effet, on note au niveau de certaines classes un accroissement du taux de redoublement par rapport aux années précédentes, au CM2 notamment. La situation que présente le tableau n°1 permet de voir que les mesures de réduction du redoublement, ne sont pas appliquées dans les écoles primaires, notamment à l’intérieur des cycles où le passage automatique doit être appliqué. En effet, nous nous rendons compte que l’inapplication de la mesure a entraîné à titre d’illustration, 74643 redoublants non conformes aux textes (redoublants des CP1, CE1 et CM1) en 2006-2007 et 76410 en 2009-2010. En valeur relative, les proportions les plus importantes de redoublements non autorisés ont été enregistrées en 2001-2002 et en 2002-2003 avec respectivement 45,1% et 44,4% par rapport à l’effectif total des redoublants. Cette situation s’explique par le manque de concertation et de sensibilisation des enseignants sur la pertinence de la mesure.

Analysé sous l’angle du niveau d’étude, le taux de 10% de redoublants, préconisé entre les sous-cycles a connu un début d’application à partir de 2003-2004 au cours préparatoire deuxième année (CP2) et à partir de 2010-2011 au cours élémentaire deuxième année (CE2), comme le montre le tableau n°2 ci-après.


On note une baisse progressive de la proportion des redoublants par rapport aux effectifs de 2000-2001 à nos jours, celle-ci étant passée de 17,61% en 2000-2001 à 6,9% en 2013-2014.

En somme, le redoublement dans l’enseignement primaire est toujours d’actualités. Après cette analyse, il s’agit d’étudier dans la partie qui suit, les facteurs explicatifs du phénomène dans son ensemble.

II. Les facteurs de redoublement dans l’enseignement primaire

Les facteurs de redoublement sont soit scolaires, soit externes au système éducatif ou inhérents aux élèves eux-mêmes, pris individuellement.

S’agissant d’abord des facteurs externes à l’école, nous retenons surtout le statut social des parents, leur attitude vis-à-vis de l’école, les conditions de vie en famille. Ces facteurs sont très déterminants dans la réussite ou l’échec scolaire (PAULI et BRIMER, 1971). Au titre du statut social, les conditions socio-économiques difficiles de certains impactent négativement leurs rendements scolaires et leurs apprentissages. Il en est de même des travaux ménagers, domestiques et agricoles ainsi que des autres activités extrascolaires comme par exemple l’exercice d’activités génératrices de revenus, qui perturbent leur scolarité. Une fois à leur domicile, les élèves sont souvent astreints à des corvées qui ne leur permettent pas d’apprendre leurs leçons ou d’effectuer des exercices.

Les parents sont parfois hostiles à l’école et ne motivent pas leurs enfants à réussir ; cela se traduit par un manque d’implication, par leur négligence ou par leur démission dans l’encadrement desdits enfants scolarisés. A l’exception des élèves dont les parents sont des lettrés ou disposent de ressources financières, rares sont les enfants qui bénéficient d’aide scolaire à domicile. A ces 2 catégories, il faut ajouter les parents qui veulent accompagner leurs enfants mais manquant d’un minimum de qualifications intellectuelles.

Ensuite en référence aux facteurs liés au système éducatif, on peut relever entre autres, les effectifs pléthoriques, les programmes d’enseignement relativement chargés, le manque d’expérience de certains enseignants, l’insuffisance de formation pédagogique du personnel enseignant, l’affectation tardive des enseignants. Il en est aussi du manque ou de l’insuffisance de certains outils de travail (cahiers, stylos, crayons, ardoises, manuels), les difficiles conditions de vie et de travail des enseignants et des élèves ainsi que des encadreurs. En outre, le manque de cantines dans certaines écoles influe négativement sur les résultats des élèves. On peut également retenir les retards accusés dans l’exécution du programme et la fin précoce des cours. Ceci entraîne une réduction du volume horaire, affectant par voie de conséquence les performances des élèves. Selon les cas, les retards varient d’un (1) à six (6) mois dans l’ensemble des disciplines. Ces facteurs sont corroborés par le Rapport sur l’Etat du Système Educatif National (RESEN) du Burkina Faso (2010) qui relève les rentrées tardives et l’indisponibilité des manuels scolaires. Ledit rapport relève que les rentrées tardives pénalisent fortement les acquisitions scolaires. C’est pourquoi, il importe que la rentrée scolaire soit effective à la date officielle retenue (1er octobre), et que tous les élèves « puissent bénéficier de manuels scolaires en nombre suffisant afin de pouvoir apprendre convenablement » (KAMANO P.J. et al., 2010:92).

Les facteurs liés à l’individu sont les maladies des élèves, la paresse et l’indiscipline ainsi que les troubles d’apprentissage.

Mais quelles sont les conséquences du redoublement ?

III. Les conséquences du redoublement

Elles sont d’ordre pédagogique, psychologique et financier. De plus, le redoublement a un impact sur l’accès, la couverture et l’achèvement du cycle primaire.

Les conséquences d’ordre pédagogique et psychologique
Les différents travaux de recherche (HOLMES et MATTHEWS, 1984 ; JACKSON, 1975) montrent que le redoublement est dommageable aux élèves qui en sont l’objet, en raison du fait que les redoublants progressent significativement moins que les élèves faibles promus, aux caractéristiques comparables, quelle que soit l’année redoublée. Sur le plan pédagogique, le redoublement est considéré comme un véritable fléau, en ce sens qu’il est la marque d’une impuissance à gérer mieux et autrement les difficultés rencontrées dans la transmission des savoirs et des savoir-faire.

Au Burkina Faso, la dimension psychologique du redoublement auquel l’élève en situation d’échec fait face, n’est pas à occulter. En effet, le redoublement génère souvent l’angoisse et la peur chez les redoublants. Ces derniers sont souvent incompris et font l’objet de railleries, de remontrances de la part de l’enseignant, de ses camarades, qui devaient en réalité leur apporter leur compréhension, leur soutien pour maîtriser les compétences attendues et combler les lacunes. Ils subissent ce traumatisme psychologique à leur domicile, à l’école et dans la rue.

L’impact du redoublement sur l’accès, la couverture et l’achèvement du cycle primaire

Le redoublement limite les capacités d’accueil des écoles primaires : les redoublants occupent des places potentielles d’autres enfants qui se trouvent en dehors du système éducatif. Ainsi, au titre de l’année scolaire 2011-2012, 8 500 redoublants étaient enregistrés au cours préparatoire première année (CP1), privant la place à 8500 nouveaux inscrits potentiels. En ce qui concerne la couverture du cycle d’enseignement primaire, 191 553 redoublants ont privé de places, autant d’enfants burkinabè. Il en est de même pour l’achèvement du cycle primaire, où 87 498 redoublants ont pris la place de 87498 éventuels nouveaux entrants au cours moyen deuxième année (CM2). Si les places des redoublants avaient été occupées par des enfants se trouvant en dehors du système éducatif en 2011-2012, les indicateurs de l’éducation se seraient améliorés. Ainsi, dans une situation de non redoublement en 2011-2012, le taux brut d’admission (TBA) aurait été de 89,9% (au lieu de 88,3%), le taux net de scolarisation (TNS) de 68,7% (au lieu de 62,2%) et le taux d’achèvement du primaire (TAP) de 74,8% au lieu de 55,1%. Quel que soit l’indicateur, celui-ci se serait accru (1,6 points pour le TBA ; 6,5 points pour le TNS et 19,7 points pour le TAP).

L’impact financier du redoublement

Le redoublement est considéré comme étant un gaspillage de ressources, dans la mesure où il augmente le nombre d’années élèves nécessaires pour terminer avec succès un cycle d’études.
C’est dire que le redoublement a une incidence évidente sur le coût par diplômé, équivalent en argent de tous les services et fournitures d’enseignement que le système éducatif burkinabè consomme pendant un certain nombre d’années (années élèves).

De même, l’inscription d’un enfant à l’école engendre des coûts indirects comme l’achat éventuel de fournitures, de manuels scolaires, d’habits, de moyens de déplacement, etc. En plus, la scolarisation des enfants engendre des coûts d’opportunité élevés (manque à gagner par les familles). En effet, le temps passé par l’enfant à l’école n’est pas utilisé pour le travail familial (travaux domestiques, agricoles, élevage, petit commerce, entretien des frères et sœurs, etc.). Les coûts d’opportunité prennent une grande valeur, eu égard au fait que la contribution des enfants aux activités familiales est souvent déterminante. Lorsque l’enfant est inscrit à l’école, cela représente pour ces ménages un manque à gagner, une perte de ressources financières, un sacrifice. Le redoublement peut alors les inciter à retirer leurs enfants redoublants des structures scolaires.

Le redoublement est négatif car il constitue une entrave à l’offre d’éducation. Outre les entraves d’accès à l’école, il est également une source de gaspillage de ressources, eu égard au fait qu’il engendre des coûts supplémentaires. Que faire alors ?

IV. Perspectives de réduction du redoublement

La réduction du redoublement passe par la prise de mesures de divers ordres. Il convient d’abord de mettre les enseignants dans des conditions minimales de travail. On ne saurait enseigner dans une paillote et dormir dans une case non sécurisée et vouloir atteindre les objectifs assignés.

Ensuite, il est important de créer l’école de parents dont l’objectif serait d’apprendre une parenté responsable, avec l’initiation de séances de mobilisation sociale au bénéfice des communautés éducatives, et centrées sur le changement de comportement. Ainsi, une synergie d’actions entre parents et enseignants pourrait permettre de mener des actions spécifiques pour venir en aide aux écoliers. Il s’agit d’actions telles que l’institution d’un cahier d’exercices de maison, l’achat de lampes tempêtes à tout écolier.

En conscientisant les mères des préjudices des travaux domestiques sur les résultats scolaires de leurs enfants, les écoliers pourraient être déchargés de ces travaux. De même, l’accompagnement scolaire des enfants en difficulté d’apprentissage par le biais de l’effectivité de la mise en œuvre des plans d’amélioration, est à encourager fortement.
Enfin, il serait convenable de procéder à la sensibilisation des acteurs de l’éducation sur l’application des mesures, et d’initier des contrôles en début et en fin d’année pour s’assurer que les textes en la matière sont respectés.

Conclusion

Au Burkina Faso, en dépit de l’existence de textes instaurant le passage automatique, les enseignants continuent de faire redoubler des élèves. Les facteurs de redoublement se situent à trois niveaux : l’environnement scolaire, l’environnement social et familial ainsi que l’écolier lui-même. Ses conséquences sont d’ordre pédagogique, psychologique, financier. En outre, le redoublement limite l’offre d’éducation.
Ainsi, un certain nombre de mesures de réduction du phénomène s’impose : la détection précoce des enfants en difficulté scolaire, la remédiation scolaire et l’accompagnement des élèves en difficultés ainsi qu’une synergie d’actions entre enseignants et parents. Ces mesures pourraient permettre de juguler le phénomène.

Dr KABORE Sibiri Luc, Attaché de recherche à l’Institut des Sciences des Sociétés (IN.S.S.)
du Centre National de la Recherche Scientifique et Technologique, Ouagadougou
Adresse électronique : lucsikab@yahoo.fr ; Téléphone : (00226) 70 26 19 77

BIBLIOGRAPHIE

Burkina Faso, Ministère de l’Education nationale et de l’Alphabétisation. Annuaires statistiques de l’éducation de base, 2010-2011 à 2013-2014. Ouagadougou, DEP-MENA.

Burkina Faso, Ministère de l’Enseignement de Base et de l’Alphabétisation. Annuaires statistiques de l’éducation de base, 2001-2002 à 2009-2010. Ouagadougou, DEP-MEBA.

Burkina Faso, Ministère des Enseignements secondaire, supérieur et de la recherche scientifique, Ministère de l’Enseignement de Base et de l’Alphabétisation, (2009). Arrêté n°2009-0042/MESSRS/MEBA du 10/06/2009, portant réglementation du redoublement au primaire et au post-primaire. Ouagadougou, MESSRS/MEBA.

Burkina Faso, Présidence du Faso, (2001). Décret N°2001-179/PRES/PM/MEBA du 2/05/2001, portant adoption de la lettre de politique éducative. Ouagadougou, Présidence du Faso.

Burkina Faso, Présidence du Faso, (2008). Décret N°2008-681/PRES/PM/MESSRS/MEBA/MASSN/MJE du 3/11/2008, portant adoption de la lettre de politique éducative. Ouagadougou, Présidence du Faso.

EISEMON T. O., (1997). Réduire les redoublements : problèmes et stratégies. Paris, IIPE/UNESCO, 56 p.

HOLMES, C. T., MATTHEWS, K. M., (1984). The effects of nonpromotion on elementary and junior high school pupils : a meta-analysis, Review of Educational Research, Vol. 54, 2, p. 225-236. Consulté en ligne le 21/1/2013, de http://rer.sagepub.com/content/54/2/225.full.pdf

JACKSON, G. B., (1975). The research evidence on the effects of grade retention, Review of Educational Education, Vol. 45, 4, p. 613-635. Consulté en ligne le 21/1/2013, de rer.sagepub.com/content/45/4/613.full.pdf.

KAMANO P. J., RAKOTOMALALA R., BERNARD J.-M., HUSSON G., REUGE N., (2010). Les défis du système éducatif Burkinabé en appui à la croissance économique. Washington : Banque Mondiale, 177 p.

PAULI L., BRIMER M.A., (1971). La déperdition scolaire, un problème mondial. Paris, Genève, UNESCO/BIE, 163 p.

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