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Lettre ouverte à son Excellence Monsieur le Premier Ministre et au Directeur Général du SND : Veuillez arrêter d’entériner ce système injuste

Publié le mardi 23 décembre 2014 à 13h50min

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Lettre ouverte à son Excellence Monsieur le Premier Ministre et au Directeur Général du SND : Veuillez arrêter d’entériner ce système injuste

Excellence Monsieur le Premier Ministre,

Quand j’écoute votre discours, il me semble qu’il puisse se résumer en ceci : faire du Burkina Faso un pays où règnent la justice, le civisme, la paix et la démocratie et qui dispose du nécessaire pour un décollage économique remarquable. Je m’en voudrais donc de ne pas vous suggérer de commencer par combattre dans l’appareil administratif d’Etat, l’injustice, l’immobilisme et l’illégalité.

Ceci étant, je voudrais vous interpeler sur l’illégalité et l’injustice qui gangrènent le fonctionnement du Service national pour le développement. Je m’intéresserai dans ces lignes au seul cas des appelés fonctionnaires que je connais le mieux parce que directement concerné.

Le Service national pour le développement était censé à sa création mettre l’accent sur la formation des jeunes afin que ceux-ci aient un sens élevé du respect de la patrie et cultivent ainsi le patriotisme en apportant modestement leur pierre à la construction de la nation. Les objectifs étaient nobles ; le service national n’est donc pas en lui-même une idée saugrenue. Aussi, ne plaiderai-je pas ici pour sa suppression forcement mais sa rénovation afin de rendre son exécution conforme au droit si tant est que la transition n’est pas un Etat d’exception et que nous voulions à l’issue de l’insurrection populaire des 30 et 31 octobre derniers, tourner la page de la pseudo-démocratie pour aller véritablement vers une démocratie qui se positionnera en Afrique et dans le reste du monde comme une référence.

En rappel, le Service national pour le développement, dans sa mouture actuelle a été créé par la loi N°48-93/ADP du 15 décembre 1993 portant création d’un Service national, laquelle loi a été promulguée par décret 94-26 du 12 janvier 1994. Elle est complétée par le décret 98-292 du 10 juillet 1998 portant modalités d’accomplissement du Service national pour le développement et par l’arrêté 98-6 PM du 28 juillet 1998 portant statut des appelés. Ces trois textes sont alors le fondement légal du SND au Burkina Faso ; toutes les actions des autorités publiques burkinabè doivent être strictement conformes en ce qui concerne le SND à ces trois textes. Dans le cas contraire, ces actions sont purement et simplement illégales.

Cependant, à analyser de près l’application des dispositions relatives au SND au Burkina Faso, l’on se rend compte que l’illégalité est accablante ; elle crève les yeux et font du SND une simple sanction pour la jeunesse burkinabè sans plus.
Je m’explique : d’abord, l’article 3 de la loi ci-dessus citée dispose : « Tout burkinabè âgé de dix-huit à trente ans peut être requis pour le SND. Le SND est obligatoire et égal pour tous ». Cet article est utilement complété par l’article 16 du décret ci-dessus cité en ces termes : « Les employeurs sont tenus de faciliter le recrutement et l’incorporation de leur personnel. En cas d’obstruction de leur part, ils sont considérés comme complices d’insoumission » et l’article 17 d’appuyer que « les auteurs et les complices de faux témoignages, de fausse déclaration, manœuvre frauduleuse tendant à se soustraire ou à soustraire autrui de l’accomplissement du SND, sont punis conformément aux textes en vigueur ».

Le constat dans la pratique de l’Administration aujourd’hui est ahurissant ; non seulement en ce qui concerne les appelés salariés, le SND se rabat uniquement sur les fonctionnaires et autres agents publics comme si le travail dans la fonction publique ou dans l’Administration en général était un cadeau offert par l’Etat et qu’en retour il fallait se montrer reconnaissant en acceptant une saisie de son salaire pendant douze mois pour participer au développement du pays. Cette situation crée une inégalité entre les citoyens devant la loi et viole ainsi l’article 1 de la Constitution burkinabè du 2 juin 1991 qui dispose que « tous les Burkinabè naissent libres et égaux en droit » et le sacro-saint principe de l’égalité des citoyens devant la loi.

Excellence Monsieur le Premier Ministre,
Monsieur le Directeur général du SND,

L’Administration publique burkinabè ne peut pas choisir d’appliquer la loi à une partie du peuple quand elle est édictée pour tout le peuple. Non, ce sera illégal et d’une injustice notoire. L’Etat ne peut pas non plus arguer de son incapacité à appliquer la loi à tous les citoyens pour l’appliquer injustement à une partie des citoyens. De deux choses l’une ; soit l’Etat a les moyens d’appliquer la loi sur le SND à tous les citoyens et l’applique effectivement, soit il n’a pas les moyens de l’appliquer d’une manière juste à tous les citoyens et dans ce cas, il doit abroger purement et simplement cette loi et supprimer le SND. Sinon en l’Etat actuel, l’action du SND est d’une illégalité doublée d’une inconstitutionnalité inacceptables.

Ensuite, en ce qui concerne les droits des appelés du SND, force est de reconnaître que l’Etat burkinabè a encore gravement péché en violant d’une manière on ne peut plus honteuse, la loi qu’il s’est lui-même donné. En effet, l’alinéa 11 de l’arrêté portant statut des appelés est clair : « l’appelé a droit à un régime spécial en ce qui concerne :
-  la solde spéciale
-  l’alimentation
-  le logement
-  le transport ».
Les alinéas 12 et 13 disposent respectivement :
« Le régime de la solde spéciale est celui en vigueur dans les armées ».
« Le droit au logement est inconnu à l’appelé ; il est assuré par le Directeur général du SND, l’employeur et le cas échéant par les autorités administratives ; l’indemnité de logement statutairement servie à l’appelé salarié ne peut être soumise à retenue pour reversement au Trésor public. Elle est entièrement due à son bénéficiaire ». La saisie du salaire de l’appelé salarié est certes légale (article 36 du décret portant modalités d’accomplissement du SND), mais elle doit se faire dans le strict respect de la procédure et des conditions définies à cet effet. Ainsi, le versement de la solde spéciale et la saisie du salaire de l’appelé salarié ne se justifient que si les trois autres avantages sont accordés, sinon l’accomplissement du SND consiste finalement à asphyxier financièrement les appelés salariés et ceci pendant 12 mois. Que constate-t-on dans la pratique administrative ? Le SND se limite uniquement à verser à l’appelé salarié la solde spéciale qui est aujourd’hui de 40 000 F CFA sans plus. Il n’accorde aucune indemnité de logement, aucun régime spécial en ce qui concerne le transport et l’alimentation alors que le traitement de l’appelé salarié est dans sa totalité saisi et « reversé au Trésor public après déduction des différentes charges sociales et fiscales » (article 36 ci-dessus cité). Comment comprendre un tel paradoxe pour un service censé promouvoir le civisme et le patriotisme ? L’Administration tient à ne perdre aucun droit mais refuse curieusement de respecter les droits de ses propres agents. Comment un travailleur de surcroit un cadre de l’Administration (si je prends mon cas) peut-il vivre à Ouagadougou ou dans n’importe quels autres ville ou village du Burkina Faso en 2014 avec seulement 40 000 F CFA à la fin du mois alors qu’il est astreint à l’obligation de présence effective tous les jours ouvrables au service ? Ni la modestie ni la sobriété ne pourront en mon sens, permettre à un tel travailleur de servir loyalement son pays.

Excellence Monsieur le Premier Ministre,
Monsieur le Directeur général du SND,

Je dois préciser enfin que, sauf erreur de ma part, la formation que le SND dispense aux appelés exclut également les appelés fonctionnaires. Et pire, avant même tout contact avec le SND et sans aucune signature d’aucun document montrant que nous sommes incorporés pour l’accomplissement de notre service national, on constate une saisie impromptue de notre salaire au titre du SND. Comment le SND peut-il prétendre promouvoir le civisme si l’appelé fonctionnaire ne constate l’accomplissement de son service national qu’à travers la saisie illégale et sans avertissement de son salaire ? Ce n’est pas cette procédure que le décret prévoit. Il faut d’abord aux termes de l’article 13 du décret une « incorporation » qui dans le cas de l’appelé fonctionnaire se traduit par la signature de tous les documents qui matérialisent son recrutement et alors le salarié prend le nom d’« appelé du SND » et « reçoit pour cela une carte appelé ‘‘carte de SND’’. Le respect d’une telle procédure a le mérite de faire en sorte que c’est volontairement et en toute connaissance de cause que l’appelé accomplit son service national et règle la question de la preuve qu’il est effectivement en SND avec les avantages que ce statut comporte. Cependant, dans la situation actuelle, c’est avant toutes formation et incorporation que le fonctionnaire concerné par le SND constate brutalement la saisie de son salaire par la solde au titre du SND. Cette méthode relève d’un Etat de police et non de droit. Ainsi, le SND au lieu d’être vécu par l’appelé fonctionnaire comme un service civique patriotique accompli pour son pays, est vécu par celui-ci comme une sanction sévère consistant à lui priver de son salaire pendant 12 mois. C’est cruel surtout quand on sait que tous ceux qui remplissent les conditions pour le vivre ne le vivent pas sans que cela n’émeuve personne en tout cas pas l’équipe dirigeante nationale.

Excellence Monsieur le Premier Ministre,
Monsieur le Directeur Général du SND,

Je suis un jeune fonctionnaire de l’Etat burkinabè. Après mon recrutement sur mesures nouvelles en janvier 2014 et ayant constaté que je remplissais les conditions pour l’accomplissement du SND, je me suis rendu par deux fois au SND à l’effet d’accomplir les formalités relatives à mon incorporation et avoir en tant que juriste, les textes qui régissent le SND. Par deux fois, il m’a été indiqué que les textes sont en relecture, que l’on ne pouvait donc pas me les communiquer et que concernant mon incorporation, c’est à la Direction des Ressources humaines de mon ministère de prendre contact avec le SND pour retirer les documents nécessaires qu’elle me fera parvenir pour remplissage et que tout doit se régler alors par voie hiérarchique. Qu’à cela ne tienne ; en attendant que les nouveaux textes en question entrent en vigueur, les textes en vigueur sont ceux actuels que j’ai dû rechercher activement pour enfin retrouver dans le Code public et administratif, éditions de 2000 aux pages 1615 à 1622.

Je me suis alors adressé à la Direction des Ressources humaines de mon ministère. Il m’avait été dit que la procédure sera enclenchée et que je dois rester à l’écoute. Mais jusqu’à ce que je rédige ces lignes, c’est le silence radio et du côté de mon ministère, et du côté du SND pendant que je suis en principe à l’avant-dernier mois de l’accomplissement de mon service national, ayant débuté en février 2014 logiquement. Pendant ce temps, je ne perçois que 40 000 F CFA par mois sans comprendre exactement sur quelle base mon salaire est saisi. Qu’est-ce qui dans ce cas me rassure que mon salaire saisi est effectivement reversé au Trésor public ? Rien à ce que je sache. Et comment alors ne vivrai-je pas le SND comme une sanction injuste ? Et je sais que je ne suis pas le seul ; tous ceux qui sont des appelés fonctionnaires ou en tout cas la plupart des appelés vivent cette situation d’injustice et d’illégalité. Le SND apparaît finalement comme un moyen détourné de l’Etat pour collecter des fonds et non un service destiné à promouvoir le civisme et le patriotisme.

Excellence Monsieur le Premier Ministre,

Je ne vous en veux pas d’avoir créé cette situation d’injustice et d’illégalité flagrante puisque le SND a été créé dans sa forme actuelle depuis 1993 ; seulement, je vous demande de prendre vos responsabilités pour arrêter cette injustice étant donné que le SND relève du Premier Ministère. Je vous prie donc de ne pas continuer d’entériner l’injustice conçue et développée par le régime qui a chuté le 31 octobre dernier à cause de ses injustices et de ses pratiques illégales et inconstitutionnelles. S’il est vrai que « plus rien ne sera comme avant » et que vous avez compris le message de la jeunesse qui rejette entre autres l’injustice, l’illégalité et l’inconstitutionnalité, je vous saurai gré de prendre les mesures qui s’imposent pour que le SND soit un service républicain et légal en fonctionnant conformément aux textes qui le régissent ou qu’il disparaisse purement et simplement dans le cas d’une éventuelle impossibilité pour lui de se conformer aux textes qui le régissent.

Je vous remercie d’avance et que Dieu bénisse le Burkina Faso !

Fait à Ouagadougou le 23 décembre 2014.
Un fonctionnaire en situation de SND

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