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Le Burkina Faso de Michel Kafando. Chronique d’une transition « d’exception » (24)

Publié le lundi 15 décembre 2014 à 17h45min

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Le Burkina Faso de Michel Kafando. Chronique d’une transition « d’exception » (24)

La transition cherche le bon ton à défaut de trouver le bon rythme. Elle est là pour « l’organisation d’élections libres et transparentes dans les délais fixés », selon les mots de l’ambassadeur de France au Burkina Faso, Gilles Thibault (cf. LDD Burkina Faso 0469/Jeudi 11 décembre 2014). Mais son calendrier électoral est quelque peu bousculé par l’autre calendrier : événementiel.

Au surlendemain de la célébration de la fête nationale (jeudi 11 décembre 2014), il y avait la commémoration de l’anniversaire de l’assassinat de Norbert Zongo : le 13 décembre 1998, lui et ses compagnons, avaient été retrouvés dans leur voiture calcinée sur la route de Sapouy. Cette affaire a empoisonné la vie politique du Burkina Faso jusqu’aux « mutineries » de 2011 et les « marches » contre la révision de l’article 37 de la Constitution (qui ont donné de nouveaux thèmes de mobilisation à l’opposition et à la société civile), mais est demeurée emblématique de l’impéritie de la justice burkinabè quand elle est aux ordres de la classe dirigeante.

Mais si la rue, année après année, scandait le nom de Zongo, dans les rangs politiques et sécuritaires personne ne bronchait. Les événements des 30-31 octobre 2014 ont libéré la parole de ceux qui, longtemps, n’ont rien dit. « Justice sera rendue à tous ceux qui sont tombés sous les balles assassines du président Blaise Compaoré » a promis le lieutenant-colonel Yacouba Isaac Zida, actuel Premier ministre de la transition, ancien numéro deux du Régiment de sécurité présidentielle (RSP) dont il avait rejoint les rangs en 1996, deux ans avant l’assassinat de Zongo. Un RSP sérieusement mis en cause, d’ailleurs, dans ce crime contre les droits de l’homme et la liberté de la presse.

Zida était là, le samedi 13 décembre 2014, pour exiger justice pour Zongo et ses compagnons. Difficile d’y échapper : depuis seize ans, ces cinq lettres Z.O.N.G.O. font se lever la jeunesse burkinabè qui, aussitôt, s’empare de la rue. Il y a quelques semaines – faut-il le rappeler ? – la rue avait exigé et obtenu la démission d’un ministre tout juste nommé à la Culture et au Tourisme et dont la presse burkinabè dira qu’il est « un ami de longue date du lieutenant-colonel Zida, le chef du gouvernement ». Adama Sagnon, magistrat, était mis en cause justement dans ce dossier (cf. LDD Burkina Faso 0457/Mardi 25 novembre 2014).

Pour rester dans ce registre de la « justice » et donner du grain à moudre, Zida a annoncé la nationalisation de la Socogib. Enfin, presque. « C’est le patrimoine du peuple, a-t-il déclaré, et non allons le retirer pour le peuple ». Le retirer d’où : bien évidemment du patrimoine privé, en l’occurrence celui d’Alizèta Ouédraogo qui est emblématique de la corruption et de la prévarication qui a régné depuis toujours au Burkina Faso comme en Haute-Volta (et ailleurs) mais est devenue, aujourd’hui, insupportable à tout le monde, même à ceux qui en ont profité. « Vous avez demandé la nationalisation de certaines sociétés que nous connaissons tous » a clamé Zida. Voilà donc que « le ministre de l’Habitat a reçu des instructions pour nommer un directeur général de la Socogib ». C’est que le gouvernement est de « transition » et non pas de « révolution » (autrement dit la Cédéao et les bailleurs de fonds internationaux veillent au grain) et qu’il n’y a plus au Burkina Faso de partis et de syndicats révolutionnaires pour s’emparer des outils de production comme au temps de Thomas Sankara.

L’intervention de Zida, au-delà de son opportunité dans le temps et dans le ton, pose une question majeure : quid des entreprises de ceux qui, étant sensés n’être que des entrepreneurs, ont choisi de prendre la fuite à l’étranger ? Et relance un débat : celui sur la privatisation des entreprises burkinabè, vaste opération menée sous l’autorité de Zéphirin Diabré, alors ministre de l’Industrie, du Commerce et des Mines, farouche partisan d’un désengagement de l’Etat du secteur productif, mais aujourd’hui leader… de l’opposition politique*.

Alizèta Ouédraogo a été « élue » présidente de la Chambre de commerce et d’industrie fin 2011. Ce qui aurait paru incongru et provocateur si elle n’avait pris la suite d’El Hadj Oumarou Kanazoé, mort le 19 octobre 2011, archétype du commerçant sans états d’âme, indispensable (d’autres diraient apte à circonvenir) à n’importe quel régime en place (y compris celui de Sankara).

Cette femme est un mythe ; elle a protégé l’essentiel de son mystère dès lors que les « papiers » qui s’y sont intéressés ne font que raconter sa légende. Un premier blaze, d’abord, lié à ses activités industrielles : « Gando » ; c’est dans les cuirs et peaux qu’elle a fait carrière et fortune. Un second blaze ensuite : « belle-mère nationale » ; le 3 septembre 1994, sa fille, Salah, vingt ans, a épousé, à Gourcy (Nord-Ouest) – dans la tradition musulmane – puis à Ouaga – mariage civil – François Compaoré, frère cadet du chef de l’Etat, pour l’occasion Cheik Omar, 41 ans. Le témoin de la mariée était… Oumarou Kanazoé ; celui du marié, Chantal Compaoré, alors première dame. La presse burkinabè écrira au sujet de sa « fulgurance en affaires » : « En 1990, elle n’avait que sa moto et quatre ans plus tard, après s’être alliée aux Compaoré, et après que l’Etat lui ait accordé un monopole indu, elle devenait milliardaire ».

Pour comprendre le parcours de « Gando »**, il faut remonter à 1968, quand la Société européenne des peaux (SEP), filiale marseillaise de la CFAO, se lancera dans la collecte et l’exportation des cuirs et peaux bruts ou tannés. Actionnaire à 51 % du capital, la CFAO avait pour partenaire l’Etat voltaïque (49 %). Au milieu des années 1970, la SEP (Société voltaïque des peaux et cuirs/SVPC puis Société burkinabè des peaux et cuirs/SBPC) ira au-delà de la commercialisation des cuirs et peaux bruts ou tannés, dont elle avait le monopole. Elle créera la société Voltacuir (Société burkinabè de manufacture du cuir/SBMC). Mais les positions dominantes y seront inversées : l’Etat avait 51 % du capital et la CFAO 49 %. Au début des années 1990, Ouaga s’engage dans les privatisations. Premier sur la liste : le secteur des cuirs et peaux. Alizèta Ouédraogo va, dans un premier temps, se substituer à la CFAO, défaillante, avant de « racheter » les parts détenues par l’Etat. SBPC et SBMC deviennent les pivots de son groupe.

En 1993, cependant, à l’issue de cette privatisation, rien n’avait changé. Dans la cour de la SBMC, il y avait toujours les mêmes manguiers tardifs qui ne donnent des fruits que fin juillet. Les camions de la SBPC déchargeaient toujours leurs cargaisons de peaux brutes. Et la tannerie avec ses foulons avait toujours un aspect archaïque (ce qui a valu à Alizèta de rudes bagarres avec son entourage). Le changement était pourtant total. Dans la cour, une magnifique Mercedes gris foncé, dernier modèle ; celle d’Alizèta, grande et belle femme pas encore quadragénaire, présidente désormais du groupe Aliz cuirs et peaux. Elle était, me disait-elle alors, du métier : elle possédait une expérience acquise dans une unité familiale. Son objectif : plus de valeur ajoutée. Du même coup, le Burkina Faso va être submergé par ses réalisations en cuir (jusqu’au revêtement des murs du pavillon d’honneur de l’aéroport de Ouagadougou). Pas une société de la place, un colloque, un séminaire, une conférence… sans ses articles en cuir !

* Le président de la Commission de privatisation était Jean-Hubert Yaméogo, dix-sept ans patron de la Société nationale burkinabè des hydrocarbures (Sonabhy) et un symbole de la vie chère. Le lundi 18 avril 2011, sa maison de Palogo, non loin de Koudougou, sera incendiée par les manifestants. « Monsieur carburants », député CDP et directeur régional de campagne de Blaise Compaoré pour le Centre-Ouest lors de la présidentielle 2010, va perdre son job au printemps 2011 (cf. LDD Burkina Faso 0252/Mercredi 25 mai 2011). Son successeur vient d’être remplacé par Gambetta Aboubakar Nacro.

** Le mari d’Alizèta Ouédraogo est le très discret député CDP El Hadj Tahéré Ouédraogo, candidat malheureux au trône de chef traditionnel de Gourcy. Un des fils Ouédraogo a épousé Laïla, fille de Salif Yaméogo, PDG de la chaîne des hôtels Relax.

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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