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Le Burkina Faso de Michel Kafando. Chronique d’une transition « d’exception » (20)

Publié le samedi 13 décembre 2014 à 02h14min

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Le Burkina Faso de Michel Kafando. Chronique d’une transition « d’exception » (20)

Il faut remonter à la Haute-Volta pour que le président de la République soit aussi en charge du portefeuille de ministre des Affaires étrangères. C’était le cas de Maurice Yaméogo qui a été président de la République, président du Conseil des ministres, ministre des Affaires étrangères du 7 septembre 1960 au 1er janvier 1961 (les affaires étrangères sont alors confiées à Lompolo Koné qui était secrétaire général du ministère et conseiller technique de Yaméogo).

Ce sera le cas aussi du lieutenant-colonel Aboubakar Sangoulé Lamizana, président de la République, président du Conseil des ministres, ministre de la Défense nationale et des Anciens combattants, ministre des Affaires étrangères, ministre de l’Information, de la Jeunesse et des Sports du 8 janvier 1966 au 6 avril 1967 (c’est alors Malick Zoromé qui sera nommé ministre des Affaires étrangères). Avec la transition, qui vient de porter un diplomate (qui plus est un ex-ambassadeur auprès des Nations unies qui a eu à présider le Conseil de sécurité en 2008 et 2009), ancien ministre des Affaires étrangères, à la présidence du Faso, c’est tout naturellement que la diplomatie sera gérée à Kosyam.

Michel Kafando cumule donc les deux casquettes, ce qui n’est pas négligeable compte tenu du fait que le Burkina Faso s’est illustré, au cours des dernières décennies, dans ses médiations et que le ministre des Affaires étrangères et de la Coopération régionale, par ailleurs ministre d’Etat, était une personnalité politique et diplomatique incontournable : Djibrill Y. Bassolé. Qui avait été récemment promu au grade de général de la gendarmerie (le premier de toute l’histoire du Burkina Faso), et se trouve être également envoyé spécial de l’OCI pour le Mali et le Sahel, ce qui demeure pour lui un point d’appui non négligeable. Blaise Compaoré et Bassolé ont fait du Burkina Faso un acteur diplomatique bien plus considérable que ne l’autorise la « puissance » de ce pays. Pour des raisons qui tiennent essentiellement au poids de la diaspora burkinabè en Afrique de l’Ouest et en Afrique centrale mais aussi à un enclavement qui génère des contraintes économiques et géopolitiques d’autant plus fortes que le pays est un exportateur de coton, secteur d’activité qui fait vivre une part essentielle de la population rurale.

Sur la question des relations internationales, Kafando a été, jusqu’à présent, dans la plus totale retenue. Normal alors que le pays sort à peine d’une crise politique majeure (qui n’a pas manqué d’être aussi, par bien des aspects, dramatique). Sur l’implication de Ouagadougou dans les médiations, il a été cependant très ferme : « Nous n’avons pas le temps pour cela […] Ce pour quoi je suis venu ne me laisse pas de temps pour le faire parce que vous savez que la médiation aussi nécessite une préparation »*. C’était avant l’investiture officielle de Kafando et, bien sûr, sa nomination comme ministre des Affaires étrangères, mais son argumentaire tient toujours la route. D’autant mieux que le temps passe vite et que les problèmes sont loin d’être solutionnés alors que, déjà, d’autres inconnues se profilent à l’horizon.

Dans la diplomatie de la « transition », au plan bilatéral, l’événement majeur aura été l’audience accordée par Kafando à Shen Cheng-Hong, l’ambassadeur de la République de Chine (Taïwan), le vendredi 5 décembre 2014. Ouagadougou est la seule capitale significative qui a encore des relations diplomatiques avec Taipei !

Compaoré, quinze jours avant sa chute, avait séjourné, du 7 au 14 octobre 2014 à Taïwan à l’occasion de la fête nationale. Occasion de célébrer vingt années de relations diplomatiques entre les deux pays. L’arrivée d’une nouvelle équipe laissait craindre que, par opportunisme financier, Pékin soit préféré à Taipei. Même si le premier ministre Isaac Zida a été, à l’instar de beaucoup de cadres militaires et administratifs burkinabè, formé par Taïwan. Mais pour Ouaga, pas question de lâcher la proie pour l’ombre, la République de Chine étant engagée dans de multiples projets de coopération et figurant parmi les principaux bailleurs de fonds du pays. On notera que si Kafando a reçu des ambassadeurs d’autres pays, il n’a pas été donné à ces audiences la publicité qui a été faite à sa rencontre avec Shen Cheng-Hong.

Au plan multilatéral, c’est le sommet francophone de Dakar qui a été l’occasion du premier déplacement officiel à l’étranger du président de la transition. C’était, sur le papier, l’occasion pour le président du Faso de rencontrer ses homologues. Mais à Dakar, les chefs d’Etat d’Afrique francophone, notamment ceux d’Afrique centrale, sont venus avec des flopées de grigris pour exorciser celui qui a pris la suite de Blaise Compaoré au pouvoir depuis 1987 ; pour eux, la limitation des mandats présidentiels pourrait être une épidémie pire qu’Ebola. Déjà que le discours sur la « bonne gouvernance » de François Hollande était mal passé, l’exemplarité que voulait représenter le Burkina Faso a été plus mal perçue encore. Plus encore alors que l’Afrique allait perdre au profit du Canada la seule direction d’une institution multilatérale qu’elle assumait depuis toujours**. Déjà qu’Abdou Diouf, le secrétaire général sortant de l’OIF, s’était largement répandu dans la presse française pour marteler : « Deux mandats présidentiels, ça suffit », cela faisait trop, beaucoup trop de « donneurs de leçons » à Dakar ! Kafando s’est consolé de cet ostracisme à peine voilé de certains de ses pairs africains en recevant un accueil chaleureux de la part de la communauté burkinabè dans la capitale sénégalaise.

L’exception burkinabè selon Kafando s’est exprimée lorsque « le peuple est sorti pour dire non à la façon de gouverner ce pays, notamment pour faire comprendre que le moment est venu de pouvoir bâtir un Etat basé sur la justice sociale – ce qu’il n’était pas ». Un message dont le vecteur a été rien de moins qu’une « insurrection populaire ». Et que Kafando n’a pas manqué de relayer auprès des diplomates et des représentants des institutions internationales en poste à Ouaga.

Le lundi 8 novembre 2014, dans une brève allocution de huit minutes, il a « rappelé que ceux qui menaçaient de suspendre leur aide au pays n’avaient pas fait une bonne appréciation de la situation »***. « Le Burkina Faso, a déclaré le Président de la Transition, Président du Faso, Président du Conseil des ministres - selon la formulation qu’il utilise désormais - devient comme une référence essentielle en matière de démocratie. Mais le travail n’est pas fini, nous ne faisons que commencer. Tout le monde nous a à l’œil comme on dit. Mais je peux vous donner la certitude qu’avec la compréhension dont nous jouissons auprès de vous, avec votre appui, votre soutien, le gouvernement de transition est vraiment décidé à aller de l’avant ».
« Une référence essentielle en matière de démocratie » ! Faut voir. Mais nul ne peut nier aujourd’hui, mercredi 10 décembre 2014, veille de la fête nationale burkinabè, qu’en l’espace de six semaines une « insurrection populaire » a débouché sur une crise politique majeure, la prise du pouvoir par l’armée, la mise en place d’une « charte de la transition », la désignation d’un président de transition, la formation d’un gouvernement et d’un Conseil national de transition. Six semaines… Une performance !

* Entretien avec Abdoulaye Barry (Africable Télévision) et Albert Nagréogo (Radio Oméga), retranscription par Moussa Diallo, lefaso.net du samedi 22 novembre 2014.

** Et parmi ceux qui, en Afrique, ont soutenu activement la candidature de la canadienne Michaëlle Jean, figure essentiellement Filippe Savadogo, ancien ambassadeur du Burkina Faso en France, ancien ministre dans le gouvernement de Tertius Zongo, et récemment encore ambassadeur de l’OIF à New-York.

*** Selon le compte-rendu de Samuel Somda dans lefaso.net, mardi 9 décembre 2014.

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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