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La littérature éclaire la politique ou la métaphore littéraire comme objet d’alerte à la dérive politique

Publié le samedi 6 décembre 2014 à 12h21min

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La littérature éclaire la politique ou la métaphore littéraire comme objet d’alerte à la dérive politique

Dans les dédales de mes lectures, je suis tombé comme une bouteille jetée à la mer, sur un article de Nancy Huston intitulé « l’art éclaire nos lanternes » (p.26) du dimanche 28 au lundi 29 novembre 2010 du Journal français Le Monde. Cet article est en fait consacré à l’art comme objet de connaissance de phénomènes sociaux. C’est ainsi qu’il m’est venu l’idée d’opérer la même démarche à savoir éclairer par le biais d’une œuvre littéraire africaine, une situation qui préoccupe actuellement toute la sous région : il s’agit du conflit ivoirien.

Elle a souligné dans cet article, des vérités qui servent comme des méthodologies pour l’approche d’un texte littéraire :
« L’artiste ne peut-être ni disciple ni soldat, ni Jésus ni Judas ; son rôle est de voir le bien et le mal, de les donner à voir, de les comprendre ». Cette vision rejoint du reste la celle de la nouvelle critique qui ne veut analyser une œuvre que pour ce qu’elle est et représente sans avoir de préjugés sur elle.

Elle souligne un autre aspect important pour apprécier la littérature, c’est la distanciation qu’il faut pour bien cerner une œuvre littéraire. Car comme elle le dit, « une des capacités de l’art est d’ébranler nos certitudes virulentes, stridentes et rassurantes de faire vaciller nos identités et identifications faciles, d’ajouter des nuances à nos analyses en noir et blanc, de nous permettre de voir le monde (y compris nous) à partir d’autres « points de vues ».

C’est pourquoi, poursuit-elle, « il faut recommander à ceux qui nous gouvernent les livres que nous aimons le plus, ceux qui nous ont le plus apporté et importé, ceux qui nous ont appris des valeurs que nous cherchons à promouvoir ».

Dans ce sens, je recommande la lecture d’une œuvre théâtrale dont l’analyse nous a permis de dire que la littérature fait œuvre de prophétie, de divination si on peut s’exprimer dans un autre langage plus familier à ceux qui connaissent ce code culturel. L’écrivain est parfois un démiurge.

Il s’agit de la pièce de théâtre intitulée Sigui, Siguila Siguiya du célèbre écrivain ivoirien Amadou Koné. Cette pièce publiée aux éditions de Malaïka dirigée par notre compatriote Angèle Bassolet/Ouédraogo qui se trouve au Canada. L’œuvre est bilingue, Français/anglais et décrit dans un pays imaginaire africain, le dilemme d’un royaume qui est en crise de par la perte des valeurs cardinales de sa société.

C’est l’histoire d’un pays qui vient de perdre son dirigeant. Et on doit introniser le nouveau dirigeant, on ne peut pas le faire parce que pour l’intronisation, il y a quelque chose qui manque, quelque chose qui est perdu, il faut retrouver cet objet qui est nécessaire à cette intronisation. Les vieux disent quelque chose. Ils ont perdu la culture. Est-ce que c’est concret c’est absent. Et ils se mettent à danser. Et celui qui doit être intronisé est un moderne en compagnie d’une femme pressée que la cérémonie prenne fin. C’est que ce qui est perdu ce qui donne le titre Sigui, « s’assoir », Siguila, le « siège », Siguiya, « le fait de s’asseoir ». Ce qui est perdu, on ne peut plus le décrire, cet objet ayant prise sur l’invisible, ni concevoir seulement de le reproduire, il a un pouvoir divinatoire touchant à l’avenir du peuple, c’est peut-être un siège, Siguila, c’est en fait plus que cela, le siège physique, c’est tout le fondement de la culture, la tradition, les règles sur lesquelles cette société fonctionne, et que les gens ont oublié, et la société est en train de se désintégrer et il faut retrouver ces éléments pour que la société soit en cohérence et que la vie ensemble puisse se faire. Ce qui permet à tous les membres de la société de vivre ensemble, et que la vie ensemble, le Siguiya (le vivre ensemble) puisse se faire.

En effet, après la mort du souverain, le trône reste vacant et le peuple entre dans une forme de turpitude et de turbulence pour désigner le prochain souverain. C’est finalement après moults consultations qu’on arrive à désigner un successeur. C’est ainsi que le dilemme intervient car les objets royaux qui doivent servir à investir le nouveau souverain ne sont plus maitrisés par le collège des anciens détenteurs de la coutume. D’où comme précisé plus haut, le titre de la pièce Siguiya Siguila en langue dioula « s’asseoir », « le siège » qui en fait connote « le trône ».

C’est une métaphore de la situation d’impasse du pouvoir et de succession dans une démocratie africaine qui a perdu ses repères traditionnels mais aussi modernes. La pièce a été sa façon de parler de cette situation en Côte D’ivoire.
Ce roman de l’avis de l’auteur est une forme de métaphore de la situation dans laquelle son pays, la Côte d’Ivoire semble plongée, l’incapacité de trouver les repères qui fondent la succession du souverain disparu.

En dernière essor, c’est par le biais à la fois subtil et infiniment simple que la crise sera dénouée. Un vieil aveugle, jadis proche du conseil des sages, y sera réintégré par le dauphin pour chercher une issue et pour faire en sorte que l’aurore de l’espoir puisse finalement suivre les ténèbres de l’angoisse. Il le fait en harmonisant les danseurs et les musiciens qui après tant de temps détournés de la source, retrouveront enfin les rythmes et les accords de son jaillissement insondable.

Cette capacité de la littérature à prédire l’avenir, ou disons-le, les évènements est plus que d’actualité aujourd’hui si l’on s’en tient à ce que la Côte d’Ivoire a vécu, deux Présidents pour un seul pays, un pays dévasté par la guerre l’absence de leviers culturels, politiques, sociaux à même de permettre d’installer la paix. Tout comme dans le mythe de Térésias, Amadou Koné, avait semé dans cette œuvre d’art, déjà à l’instar d’un devin traçant les lignes sur le sable, les germes expliquant les causes du mal de ce pays, l’absence de valeurs culturelles, politiques, sociales, à même d’éviter une impasse extraordinaire poussant de milliers de personnes et d’âmes humaines dans un désespoir sans pareil, une hécatombe.

Si l’on se réfère à notre pays le Burkina Faso à travers les derniers évènements, le sens commun reconnait que les situations sont quasiment identiques. La persistance à modifier l’article 37 a plongé le pays dans une grave crise qui s’est dénouée par des martyrs et des pertes énormes en vies humaines. Cette pièce de théâtre que j’avais proposée au CITO pourrait permettre aux burkinabè de revivre en flash-back les nombreuses causes des souffrances des peuples africains dont le Burkina Faso n’est pas épargné. C’est pourquoi le poète disait « Allez au théâtre, car le théâtre c’est la vie ».

Résumé :

Parabole à caractère politique qui met en scène dans le territoire de Tchiranélé, pays fictif de l’Afrique francophone, les tribulations d’un peuple à la recherche de sa mémoire – Siguila : un siège qui n’est pas fait pour s’asseoir mais qui incarne les fondements de l’existence du peuple. Lorsque son chef d’Etat disparaît, le conseil des sages appelle son neveu qui abandonne une carrière en France pour prendre sa suite.
Cette parabole permet à son auteur d’aborder le problème des choix politiques, culturels et spirituels de l’Afrique.

Amadou Koné :

Est né en 1953 en Côte d’Ivoire. Il a un doctorat de 3e cycle en Littératures Comparées de l’Université de Tours et un doctorat d’Etat ès Lettres de l’Université de Limoges. De 1977 à 1990, Amadou Koné a enseigné la Littérature à l’Université Nationale de Côte d’Ivoire à Abidjan. De 1993 à 1997, Amadou Koné fut Professeur de Français dans le Département de Français et d’Italien à l’Université de Tulane à New Orleans aux Etats-Unis. Il a rejoint depuis le Département de Français de l’Université de Georgetown à Washington, D.C. C’est dès le lycée qu’il commença à écrire. Il reçut beaucoup de prix pour une œuvre littéraire extrêmement riche et diversifiée.


Bibliographie

Romans et Nouvelles :
- Les Frasques d’Ebinto, [1975] Paris : Hatier, 1980.
- Jusqu’au seuil de l’irréel, 1976.
- Les Liens (Nouvelles). Abidjan : Ceda 1980.
- Le Pouvoir des Blakoros, Abidjan : Nouvelles éditions africaines, 1980-1982. Prix de La Fondation Léopold Sédar Senghor.
- Terre ivoirienne (Livre pour enfant). Abidjan : Ceda, 1985.
- Kaméléfata, L’Ennemi de la Traite. (Sous le pseudonyme de Gbanfou) Paris : Hatier, 1987. Le vrai premier roman d’Amadou Koné.
- Les Coupeurs de têtes, Saint-Maur [France] : Sepia-Ceda, 1997. Grand Prix Littéraire de la Côte d’Ivoire en 2000.
Récits :
- Traites, Sous le pouvoir des Blakoros, I. Abidjan-Dakar : NEA, 1980.
- Courses, Sous le pouvoir des Blakoros , II . Abidjan-Dakar : NEA, 1982. Prix de la Fondation Léopold Sédar Senghor.
- L’Œuf du monde Abidjan : NEI CEDA. 2010. ’L’Œuf du monde’ appartient à la famille des récits typiques de la tradition orale Baalanh’ng récit qui dans la langue Cerma relève à la fois de la devinette, de l’énigme, du conte et du mythe....." tiré de la Préface du roman par Kandioura Dramé

Essais :
- Du récit oral au roman. Abidjan : Ceda, 1980.
- Anthologie de la littérature ivoirienne. Editée avec la collaboration de Gérard D. Lezou et Joseph Mlanhoro. Abidjan : Ceda, 1983.
- Des Textes oraux au roman moderne : étude sur les avatars de la tradition orale dans le roman ouest-africain, Frankfurt : IKO Verlag, 1993.
- Lumières africaines, nouveaux propos sur la littérature et le cinéma africain. New Orleans : University Press of the South, Inc., 1997.
- Perspectives Créoles. Louisiane, Antilles et Haiti. Edité avec le Professeur Jean-Max Guieu. New Orleans : Presses Universitaires du Nouveau Monde, 2007.
Théâtre :
- Le Respect des morts [1974] suivi de De la Chaire au Trône [1975]. Paris : Hatier, 1980
- Les Canaris sont vides. Abidjan : NEA, 1983. Grand Prix de la Compétition Théâtrale Interafricaine.
- Sigui, Siguila, Siguiya, s’absenter pour être enfin là. Edition Malaïka, 2006

SISSAO Alain Joseph
Directeur de Recherche
INSS/CNRST

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Vos commentaires

  • Le 10 décembre 2014 à 20:12, par Sid-Lamine SALOUKA En réponse à : Enfin un universitaire qui descend dans l’arène !

    Cet article, je le copie et je le savoure dès que je serai à la maison, tard dans la nuit de préférence. Ayant demandé depuis longtemps que les critiques universitaires descendent de chaire pour expliquer les œuvres dans un langage accessible au grand nombre, je ne peux que saluer cet article du Pr Sissao. Je suis même étonné que le papier mis en ligne samedi soit déjà retiré de la page principale.

    • Le 5 août 2021 à 03:29, par Malaika En réponse à : Enfin un universitaire qui descend dans l’arène !

      Mon cher Sid, moi c’est maintenant que je decouvre l’article.
      Sissao qui me connait et Pare le directeur de Fasonet qui me connait aussi ne m’en pas fait cas. C’est au au gré de mes peregrinations que je suis tombee la-dessus. Merci a toi pour ton commentaire.

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