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Mouvement d’insurrection à l’Assemblée nationale : « Pour la première fois, j’ai versé des larmes de joie », dixit Me Bénéwendé Sankara

Publié le jeudi 27 novembre 2014 à 00h54min

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Mouvement d’insurrection à l’Assemblée nationale : « Pour la première fois, j’ai versé des larmes de joie », dixit Me Bénéwendé Sankara

L’insurrection populaire des 30 et 31 octobre 2014 fera parler d’elle pour longtemps. En tout cas, Me Bénéwendé Stanislas Sankara, président de l’UNIR/PS (Union pour la renaissance/ Parti sankariste) que nous avons rencontré le 17 novembre dernier, n’est pas prêt à l’oublier de sitôt. Me Sankara était également député à l’Assemblée nationale, l’institution prioritairement visée et prise par les insurgés. Avec lui, il a en effet été question des temps chauds de cette insurrection, de la charte de la transition, du collège de désignation du président de la transition, et de la mise en route de la transition. Retour émouvant sur le film d’un tournant historique du pays des Hommes intègres !

Lefaso.net : Que peut-on retenir de votre témoignage sur l’insurrection populaire ?

Me Sankara : D’abord, vous savez, une insurrection, n’a jamais été spontanée. Contrairement à ce que certains pensent, une insurrection ça ne vient pas en un seul jour. C’est peut-être l’épilogue, le couronnement ; c’est le point culminant d’une lutte de longue haleine, d’un travail de maturation d’un peuple qui est en lutte et qui se dessine un destin. Moi je pense qu’il faut expliquer cette insurrection en situant son origine fondamentale dans le refus du peuple burkinabè d’accepter la mort du président Thomas Sankara intervenue le 15 octobre 1987.
En réalité, les Burkinabè n’ont jamais digéré l’assassinat du président Sankara. C’est vrai qu’après le 15 octobre 1987, il y a eu une espèce chape sur les Burkinabè avec un Etat d’exception. Ensuite, en 1991, nous avons renoué avec un Etat de droit qui en réalité, était une parodie d’Etat de droit et de démocratie. A l’intérieur, le système s’est développé et a pu se faire des tentacules. Déboulonner un baobab qui a pu se faire un véritable maillage en 27 ans, ce n’est pas simple.
Je crois qu’il faut retenir dans ce parcours, une autre date qui est celle du 13 décembre 1998. Une seconde fois, les Burkinabè, jusqu’aujourd’hui, ne tolèrent pas l’assassinat du journaliste Norbert Zongo.
Pour me résumer et répondre à votre question, je pense que cet amoncèlement de crimes d’Etat, de crimes qui ont été perpétrés contre des gens dont les convictions étaient de travailler en phase avec l’idéal des Burkinabè ; à savoir, faire la promotion de notre intégrité, de notre dignité, de faire en sorte que l’ensemble de ces valeurs fondent notre Nation. Les Burkinabè n’ont jamais toléré cela ; même si quelque part beaucoup sont restés silencieux. Ce 30 octobre a été, la preuve d’un refoulement de quelque chose qui s’est, pendant deux décennies, accumulé. Voilà pourquoi, vous avez vu ce caractère populaire de l’insurrection. Tout le travail qui a été fait, que ce soit à travers les partis politiques, que ce soit à travers les organisations de la société civile, que ce soit à travers les médias, que ce soit à travers les hommes de science d’une façon générale, tous ceux qui ont magnifié cet idéal et qui ont appelé au changement, se sont retrouvés à un point de convergence, autour du refus de modification de l’article 37 de la Constitution.
Les Burkinabè avaient en réalité, donné un dernier sursis à Blaise Compaoré, lorsqu’il a été élu en 2010. Et en tant que député, nous avons tout fait dans les limites des règles de la démocratie, pour éviter qu’on bascule dans le chaos, si bien sûr, l’ex-président Compaoré et l’ancien président de l’Assemblée nationale (AN, ndlr) nous avaient compris. Nous avions purement et simplement demandé le retrait de la loi funeste. D’abord, dans un premier temps à la conférence des présidents de l’Assemblée nationale, nos représentants ont lutté pour que ce projet de loi ne soit pas inscrit à l’ordre du jour. Ensuite, à la plénière où il fallait entériner son inscription à l’ordre du jour, nous avons fait un discours pour dire que le président de l’Assemblée nationale et le chef de l’Etat seront tenus pour responsables de ce qui va advenir, parce que nous savions que les Burkinabè n’allaient jamais accepter cette forfaiture.
Ce jour est arrivé. Je pense que cela est à inscrire en lettres de noblesse dans les annales de l’Histoire du Burkina Faso, mais aussi de l’Histoire africaine. Cette révolution est une révolution africaine. Beaucoup de pays aujourd’hui citent le Burkina en exemple. Moi je pense que c’est l’ensemble de tous ceux qui se sont battus pour libérer le Burkina Faso qui se retrouvent dans cette fierté faite à leur révolution.
Ce jour (30 octobre 2014, ndlr), j’étais à l’Assemblée nationale. Nous sommes allés en groupe, à partir du siège du Chef de file de l’opposition politique. Nous nous sommes, les députés membres du groupe parlementaire UPC (Union pour le progrès et le changement, ndlr) et ADJ (Alternance-Démocratie-Justice, ndlr), donné rendez-vous là-bas. Nous avons affrété deux camionnettes. Pour y arriver, c’était la croix et la bannière. Même en tant que députés de l’opposition, les militaires ne voulaient pas nous laisser accéder à l’Assemblée nationale. Nous avons dû souvent élever le ton pour passer. Et quand nous sommes arrivés à l’hémicycle, il était autour de 9h. Nous sommes rentrés dans la salle ; il n’y avait pas d’autres députés. A l’arrière, sur le banc du public, il y avait quelques-uns qui avaient commencé à s’installer. Nous nous sommes retirés dans notre bureau de groupe parlementaire.
Et c’est autour de 9h 15mn que nous avons appris que les manifestants étaient aux portes de l’Assemblée. La prise de la Bastille était déjà effective, c’est-à-dire que l’Assemblée nationale était entre les mains du peuple, le seul dépositaire de la souveraineté. Nous avons applaudi. Nous sommes sortis à leur rencontre. Pour moi, c’était un jour béni de Dieu. Pour la première fois, j’ai versé des larmes de joie de savoir que le peuple burkinabè a désormais joué sa partition, est rentré dans l’Histoire du monde en assumant son propre destin. C’est un jour qu’on ne peut jamais oublier.

Comme vous venez de dire, vous étiez à l’Assemblée nationale et vous êtes sorti à la rencontre du peuple qui a envahi les lieux. Qu’avez-vous fait dans ce mouvement de foule ?

Rires (…) D’abord, quand je suis sorti, j’ai rencontré des députés du CDP (Congrès pour la démocratie et le progrès, ex-parti majoritaire, ndlr) qui couraient. Mais avant, à partir du bureau de l’Assemblée, nous avons aperçu certains députés de la majorité, affolés avec leurs éléments de sécurité. Nous, on n’a pas eu l’accompagnement de la sécurité.
Et quand je suis sorti ; étant entendu que la plupart de ceux qui étaient là me connaissaient, alors, ils se sont mis à me porter en haut en m’applaudissant, en criant de joie. Voilà… et puis, bon… j’étais donc dans la foule avec les manifestants. Certains m’arrosaient d’eau, on manifestait notre joie de savoir que cette fameuse plénière qui devrait avoir lieu et où on allait ridiculiser les députés de l’opposition, n’aura plus lieu. Le président de l’Assemblée qui devrait siéger, a dû prendre la poudre d’escampette.
Moi j’étais parti de chez moi avec le drapeau du Burkina. Vous avez dû voir cette image où je courais avec les manifestants avec le drapeau en main, brandissant justement cette victoire que nous venions, avec tout le peuple burkinabè, d’arracher. Quand je suis arrivé sur la grande voie, le boulevard de l’indépendance, il y’en a qui disaient ‘’Me Sankara, on va à la télévision nationale ou à Kosyam’’. J’ai dû expliquer à certains des manifestants, qu’il était de bon aloi que la direction politique du Chef de file de l’opposition se retrouve à son QG pour voir comment diriger toutes les opérations.
J’ai été accompagné par une foule de manifestants jusqu’au siège du Chef de file de l’opposition politique où j’ai été porté en triomphe à l’intérieur du bureau. Nous sommes restés là, jusqu’à la nuit tombante, pour pouvoir gérer par coups de fil et par d’autres moyens, tout ce qui se passait. Il fallait maintenant diriger les opérations en Assemblée générale des chefs de partis avec le Chef de file de l’opposition politique (CFOP, ndlr) qui était là. Tous les chefs de partis étaient là ; sauf que vers 14h, je suis sorti avec mon véhicule pour aller chercher certains députés qui étaient à la sureté. Voilà, grosso modo, la journée du 30 octobre, comment on l’a vécue.

On sait aussi qu’il y a eu du feu à l’Assemblée nationale. Cela s’est-il produit en votre présence ou étiez-vous déjà parti ?

Quand je partais, effectivement, il y’avait déjà des flammes un peu partout, des véhicules commençaient à se consumer. Je peux dire qu’au moment où nous étions en train de quitter l’Assemblée nationale, il y avait un peu partout des flammes.

Certains députés, a-t-on appris, ont dû prendre le mur pour quitter l’Assemblée nationale. Avez-vous été de ceux-là ?

Non. Moi je suis sorti par la porte qui donne sur l’hôtel Azalaï. Comme le bureau de notre groupe parlementaire se trouve à l’arrière de l’hémicycle, nous sommes sortis par la porte qui est à côté de là.

En avez-vous vus qui ont pris le mur ?

Des députés, … non. Le personnel travaillant à l’hémicycle, oui. Mais, des députés, à ma connaissance, non. C’est possible, c’est possible que des députés aient escaladé le mur. Mais dans un tel cafouillage, personnellement, je ne pouvais pas faire attention aux mouvements des députés.

L’on a aussi appris que vos collègues de l’ex-majorité ont été logés à l’hôtel Azalaï dont vous parlez, pour les besoins du vote du jour. Est-ce vrai ? Certains d’entre eux que vous dites avoir aperçus, ont-ils regagné cet hôtel qui n’était qu’à quelques pas de l’hémicycle ?

J’ai vu certains qui courraient et qui ont traversé le hall en passant devant les bureaux des commissions parlementaires, sans doute pour aller à l’arrière de l’hémicycle. Mais quelle direction ils ont pris ensuite, je n’en sais rien.
Dans le couloir que j’ai emprunté, je n’ai vu que certains députés de l’opposition qui se frayaient aussi un chemin pour qu’on retourne au CFOP. Et des collègues m’ont dit par la suite, que certains manifestants cherchaient à savoir où se trouvaient les députés de la majorité. Mais pour les protéger, ils n’ont pas indiqué où se trouvaient ces députés. Vous savez, il fallait être à l’Assemblée nationale ce jour-là, pour savoir que personne n’avait le temps pour personne.
Pour revenir à la question de savoir si les députés de l’ex-majorité ont été à l’hôtel Azalaï, je dois dire que j’ai vu des députés en sortir vers 9 heures pour venir à l’hémicycle. Ça riait aux éclats au début, pour finir dans des courses-poursuites. Ça, j’ai vu. Je confirme effectivement que ces députés étaient à Azalaï. J’estime que cela a été une attitude très provocante ; c’est une erreur grossière qu’il ne fallait pas faire. Et selon un de vos confrères qui aurait dormi avec eux, la facture de la seule nuit qu’ils ont passée là-bas pour venir arnaquer le peuple, tourne autour de 60 millions. Ça fait partie aussi de l’Histoire.

Etait-ce donc la débandade dans tous les sens à l’Assemblée nationale ce 30 octobre 2014 ?

Oh… ; la débandade, oui. Beaucoup ne pouvaient pas s’imaginer que l’Assemblée nationale allait être prise d’assaut avec une telle violence. Franchement, moi je ne m’attendais pas à une telle attaque de l’Assemblée nationale avec autant de fougue et d’énergie. Je vous dis que c’est ça l’insurrection. Quand vous voyez les militants qui criaient, ils exprimaient leur ras-le-bol d’un régime vomis. Dans cette fougue-là, il était difficile, de mon point de vue, de chercher à savoir ‘’l’autre, il est devenu quoi ?’’. A cet instant-là, chacun jouait pour sa propre sécurité.
Je me souviens que c’est quand on est arrivé au siège du chef de file de l’opposition que je me suis aperçu qu’il y avait le Boussouma-Naaba avec nous. Il est d’un certain âge, et visiblement, il a souffert des gaz lacrymogène. Renseignement pris après, il semblerait qu’il était en lieu sûr.

Vous disiez tantôt que vous ne pouviez pas vous imaginer que l’Assemblée nationale pourrait être prise avec une telle violence. Est-ce à dire qu’au-delà des flammes, des personnes ont été violentées au sein du parlement ?

Il me semble qu’il y a eu des députés qui se sont blessés, peut-être dans la fuite. Personnellement, je n’ai pas vu un député qui est blessé. Mais j’aurais appris qu’il y a eu des blessés.

Après ce cafouillage à l’Assemblée, vous vous êtes retrouvés au CFOP pour orienter les opérations. Est-ce à dire que le résultat de votre lutte vous a surpris ?

Oui ; ça nous a surpris. Il faut reconnaître aujourd’hui qu’avant même la date du 30 octobre, les réunions que nous tenions, étaient de savoir comment on allait gérer cette date du 30. Pour nous députés de l’opposition politique, on était convaincu qu’on y partait perdants. On a même préparé notre déclaration, et elle devrait être lue pour réaffirmer notre rejet du projet de loi. Et c’est d’ailleurs au moment où nous nous apprêtions à tirer le document, qu’est intervenu l’envahissement de l’Assemblée nationale.
Mais le caractère insurrectionnel tel que nous l’avons vu le 30 octobre 2014, personne ne pouvait prévoir un tel événement. Si on l’avait prévu, on ne serait même pas allé à l’Assemblée nationale pour justement défendre nos points de vue.

Vous n’étiez donc pas sûr de votre capacité de mobilisation pour contrer par la rue, le projet de révision constitutionnelle, quand on sait que quelques jours plutôt vous disiez au cours d’une conférence de presse que si le peuple venait à vous libérer le 30 octobre, vous alliez applaudir ?

Non, ce n’est pas comme ça, M. Paré. Ça c’est votre interprétation, c’est votre analyse. Je dis que le caractère insurrectionnel, ça se prépare ; c’est ce que je vous ai dit depuis le début. Ce n’est pas un mouvement spontané, ce n’est pas la soudaineté de l’événement qu’il faut voir ; c’est son ampleur. Je dis qu’on ne pouvait pas prévoir une telle ampleur de l’événement.
Ce n’est pas une question de capacité de mobilisation. C’est nous qui avions lancé le mot d’ordre, et ce sont nos militants qui ont pris l’Assemblée. Et si vous avez oublié, je vous rappelle que l’UNIR/PS, depuis son congrès des 21 et 22 décembre 2013, a lancé le mot d’ordre de désobéissance civile. Ce mot d’ordre a été repris le 28 octobre par l’ensemble de l’opposition politique. On n’est donc pas surpris par les événements ; par contre, l’ampleur, on ne pouvait pas s’y attendre telle qu’on l’a vécue.

Après la prise de l’Assemblée nationale, la suite des événements a été ponctuée par des déclarations sur fond de tergiversations et d’hésitations entre Kosyam et la hiérarchie militaire quant à la gestion du pouvoir. Pendant ce temps, la panique semblait avoir emballé les leaders politiques réunis au sein du CFOP. Comment vous expliquez-vous cette situation ?

C’est le caractère imprévisible de l’insurrection par rapport à son ampleur, à sa profondeur, qui a mis tout le monde dans la surprise. Donc, cette cacophonie que vous avez constatée au niveau du sommet de l’Etat est la résultante de ce caractère de l’insurrection.
L’insurrection va au-delà de la révolte ; elle peut même être armée. Et quand on parle d’insurrection populaire, ça veut dire que c’est tout le monde qui est révolté, surexcité, tout le monde veut en découdre. Et comme le pouvoir ne s’attendait pas à cela, il a été surpris.
Si l’opposition politique était partie avec l’idée de prendre le pouvoir, immédiatement après les manifestations, on allait installer un gouvernement.
Ça veut dire que le peuple burkinabè dans tous ses maillons, s’est exprimé ; mais l’objectif, ce n’était pas de renverser un régime et de prendre le pouvoir tout de suite et maintenant. C’est cela qui a amené au niveau de l’opposition politique aussi, une certaine cacophonie.
Ce qui nous intéressait, c’était le départ de Blaise Compaoré. C’est pour cela qu’on a mené ce combat. Mais dès lors que lui-même, au regard de la grande mobilisation et de la grande détermination, a tiré toutes les conséquences et a rendu sa démission, effectivement, il y a eu une panique partout. Au niveau de l’armée, au niveau de toutes les structures, et au niveau de l’opposition politique qui n’a jamais posé le problème de la gestion du pouvoir dans un tel contexte.
S’il vous plaît, ce n’était pas ça l’objectif de notre lutte. Si Blaise Compaoré avait été plus sage quelques heures auparavant pour retirer son projet de loi, peut-être qu’on n’en serait pas là. C’est son entêtement qui a provoqué l’énervement de notre peuple. Quand un peuple est énervé, il s’insurge ; et quand il est en insurrection, eh bien, on ne peut plus l’arrêter. Des gens ont reçus des balles et sont morts, d’autres ont continué. C’est cela qu’il faut retenir.
Si demain, M. Kafando qui vient d’être désigné commet les mêmes travers, qu’il retrouve le même peuple en face. C’est pourquoi il faut saluer ce combat.
En réalité, une révolution ne se décrète pas. Et quand il y a une révolution, surtout comme celle-là, ça veut dire le pays s’est donné du temps pour faire sa mue. Plus rien ne peut être comme avant. C’est ça le changement, c’est ça la rupture.
Quel que soit le chef d’Etat qui va arriver, il sera obligé d’écouter la voix du peuple. C’est pour ce combat que nous avons bravé les flammes, nous avons essuyé les gaz lacrymogènes. C’est pour ce combat que des dignes fils de ce pays sont tombés et seront élevés au rang de héros nationaux.
Aujourd’hui, au niveau de toute l’Afrique, on a le regard tourné vers le Burkina Faso, parce qu’on a réhabilité notre pays et on a réhabilité aussi le président Thomas Sankara. Je pense que ce combat-là, l’Histoire le retiendra. C’est ça l’essentiel.
Maintenant, chacun peut faire son petit cinéma. Moi je ne rentre pas dans ça ; ça ne me regarde pas du tout. Moi, ce qui m’intéresse, c’est la marche de notre peuple. J’ai cité le professeur Ki-Zerbo pour dire que nous avons fait un saut dans un feu ; il reste un deuxième saut : c’est mettre ce pays debout, c’est faire en sorte que, ce que nous avons combattu depuis des années, serve à quelque chose, c’est-à-dire à plusieurs générations. Que nous puissions faire justement des institutions fortes, et non produire des hommes forts. Les hommes forts fuient toujours leur peuple quand celui-ci se met débout.

Vous avez fait partie de la commission d’élaboration de la charte devant régir la transition. On sait aussi que ce document a fait l’objet de ping-pong entre représentants de différentes composantes de la société burkinabè. Pouvez-vous nous parler de la façon dont les travaux ont été menés jusqu’à l’adoption de cette charte ?

Là, il s’agit de question pertinente qui intéresse la vie de la Nation. A propos, il faut que l’Histoire retienne que suspendre une Constitution, ce n’est pas de gaieté de cœur. Faire un coup d’Etat, c’est… je ne sais pas, mais pour la vie d’une Nation, c’est un acte d’une extrême gravité. Mais, quand vous avez, depuis le 1er novembre 2014, toute la communauté internationale qui se met en branle pour exiger que le Burkina Faso renoue avec l’Etat de droit, autrement ce sont des sanctions. De prime abord, cela n’est pas une préoccupation du peuple ; ce qui intéresse le peuple, si à la fin du mois il n’y a pas de salaire, si l’eau est coupée, s’il n’y a pas d’électricité, s’il n’y a plus de vivre, quel que soit ce que fait celui qui est au pouvoir, vous allez savoir que le peuple a faim. Et quand il a faim et fait son insurrection, c’est encore plus grave. Donc, je pense, en tant qu’acteur politique, que notre devoir, c’est de travailler, c’est de jouer à l’avant-garde en tenant compte des intérêts fondamentaux de notre pays.
Nous avons effectivement pris part à l’élaboration de cette charte pour permettre à la Constitution de se remettre en place. C’est vrai qu’on a travaillé sous pression, on a fait des nuits blanches, mais pour nous, l’objectif essentiel, c’était de pouvoir codifier en ces moments historiques, toutes les aspirations de notre peuple dans une charte et de définir des organes qui vont permettre à la transition de se mettre en place rapidement pour éviter à notre pays, d’autres catastrophes.
Nous l’avons fait avec des collègues dans une ambiance de grande sérénité. Et comme vous-même vous le dites, il fallait écrire cette charte avec plusieurs composantes qui n’ont pas forcément la même vision. Et comment pouvoir mettre tout le monde d’accord autour des grandes orientations, autour des grandes valeurs, et autour des structures et des organes de la transition ? Les organisations de la société civile, quand vous prenez seulement ce caucus, vous avez des centaines de représentants. Si vous prenez les partis politiques regroupés au sein du Chef de file de l’opposition politique, il y a une plus d’une trentaine. Vous prenez les autorités coutumières et religieuses, c’est une diversité. Et vous avez d’un autre côté, les forces de défense et de sécurité, qui ont les armes et le pouvoir. Comment arriver dans ce contexte à trouver, en si peu de temps, un point de convergence et d’ancrage pour sortir un document ?
Comprenez donc que nous avons perdu des kilos pendant pratiquement huit nuits blanches. Mais quand on a lu la charte à l’occasion de sa signature à la Maison du peuple, tout le monde a applaudi. C’est ça, le produit final de notre cogitation. Je pense que si le peuple se retrouve dans cette charte, nous, notre rôle historique dans ce processus est atteint. Dès lors qu’on a pu mettre en place un collège de désignation du président de la transition - Dieu merci, j’ai eu l’honneur de participer à ce collègue - les organes se mettent en place au fur et à mesure. Nous espérons que déjà, avec les motions de félicitation qui viennent de l’Union africaine et d’autres grandes puissances comme la France, les Etats-Unis, c’est encourageant.
Après l’insurrection, comment faire pour que cette insurrection serve à notre démocratie, nous serve à instaurer des institutions très fortes, pour permettre à des générations futures de goûter au bonheur. C’est ça l’essence de la charte. Nous y avons introduit des valeurs qui ne sont pas dans la Constitution. Je peux citer par exemple le pardon et la réconciliation, la tolérance, la lutte contre l’incivisme, l’inclusion. Quand vous lisez cette charte, vous vous rendrez compte que son essence est de faire en sorte qu’aucun Burkinabè ne soit exclu, ne soit frappé d’ostracisme et que tous ensemble, nous puissions avoir le même destin et le même idéal tourné résolument vers le bonheur de ce pays.
Mais, ce n’était pas facile. Et c’est ça aussi le caractère particulier de tous les efforts qui ont été faits. Ce qui amène les autres pays à respecter les Burkinabè et à saluer tout le peuple burkinabè pour les efforts consentis pour se ressaisir.
Il faut maintenant espérer que les organes de la transition, avec les personnalités qui vont les animer, puissent relever le défi de l’organisation d’élections transparentes, crédibles en 2015. Et tous les Burkinabè sont invités à les accompagner. C’est une affaire de tous les Burkinabè face à leur destin.

Comme vous faites bien de rappeler, vous avez été membre du Collège de désignation du président de la transition. Initialement, l’annonce du nom de ce président a été prévue pour intervenir avant 00h le dimanche 16 novembre. Mais c’est finalement autour de 04h, donc au petit matin du lundi 17 novembre que le nom de Michel Kafando a été communiqué. Que s’est-il passé ?

Ah oui (rires…). On a poussé des boutons. Le travail préliminaire a commencé dans la matinée où le Collège de désignation s’est installé pour organiser son travail. Après la signature de la charte, on s’est retrouvé autour de 18h30 ; donc, on a fait pratiquement 10h enfermé.
Pour moi, c’était inédit. Nous avons reçu huit dossiers. Nous avons, en suivant la procédure édictée par la charte, éliminé à la phase de présélection, cinq et il restait trois. Pour nous départager sur ces trois, c’était la croix et la bannière. Comme le mécanisme du vote a été écarté dans la charte, il fallait désigner le président de la transition parmi ces trois personnalités par consensus. Il fallait donc mener un débat sur les critères et conditions édictés à l’article 3 et à l’article 7 de la charte.
Et personne dans ce Collège, n’est venu pour défendre un dossier de corporation, mais pour défendre les intérêts du Burkina Faso. Il fallait nous assurer que la personne qui allait être désignée parmi les trois, est la personne la mieux indiquée pour conduire la transition. Je vous dis qu’à la présélection, on a eu deux candidats ex-aequo : Mme Ouédraogo Joséphine a eu 21 points, et M. Kafando a eu 21 points. Pour départager les deux, c’est ça qui nous a amené à dépasser minuit ; parce que tous les candidats se valaient.
Il y a eu des réserves en ce qui concerne la candidature de M. Kafando Michel qui avait une certaine avance dans le consensus. Et ces réserves ont suscité des débats jusqu’à trois heures du matin où ceux qui avaient posé les réserves, ont été convaincus de la pertinence, sinon de la prééminence, du dossier de M. Kafando sur celui de Mme Ouédraogo Joséphine ; et ils ont levé leurs réserves. Si vous étiez à côté de la salle, vous alliez entendre des applaudissements. Il fallait maintenant donner l’information que le candidat Michel Kafando a été désigné.
Ce qui a été émouvant pour moi, ce n’est pas le discours de celui qui a été retenu, mais le discours des perdants. Le discours de M. Sy Chérif, et le discours de Mme Ouédraogo Joséphine. Ce sont des discours de gens qui avaient conscience d’un rôle qu’ils pouvaient jouer, mais qui ont accepté tout de suite que Michel Kafando est l’homme du consensus. Ils ont exprimé leur satisfaction par rapport au travail qui a été fait, et ont promis leur disponibilité à accompagner tout le processus. C’est un tel esprit que nous souhaitons en Afrique pour nos chefs d’Etat qui ne veulent pas quitter.
Je me résume pour dire que ce travail a été fait dans une atmosphère de grande sérénité ; c’était une atmosphère où souvent, les voix s’élevaient ; on avait même l’impression que des gens allaient se serrer les colles, parce que chacun tenait coûte que coûte à défendre ses points de vue. Voilà à peu près, cette ambiance. Mais au finish, quand on est arrivé à la fin, tout le monde a applaudi.
Je vais vous dire que même les questions préalables se rapportant au Collège lui-même, ont été débattues. Il fallait se demander est-ce que nous sommes habilités à statuer. Par exemple, l’article 8 de la charte dit qu’un membre du Collège ne peut pas être dans l’organe dirigeant d’un parti. Il fallait d’abord déclaré sur l’honneur. Et ces documents sont consignés. A l’exception des présidents de partis politiques, les autres membres du Collège ne doivent pas être dans l’organe dirigeant de parti politique. Il fallait avoir la même compréhension de ce qu’est l’organe dirigeant d’un parti politique. Et cela nous a pris plus d’une heure, parce qu’il y a eu malheureusement des membres qui se retrouvent être membres du bureau politique de parti politique. Il fallait trancher sur la question de savoir s’il s’agit là d’un organe dirigeant de parti. A ce niveau, on s’est référé aux récépissés des partis parce que les noms qui figurent dans ces documents sont ceux des membres de l’organe dirigeant de parti politique. Cela a entrainé le remplacement d’un membre du Collège par quelqu’un d’autre. Nous n’avons donc pas fait les choses dans la complaisance ; nous n’avons pas fait les choses dans l’esprit de copains.
Pour nous, même si on n’a pas prêté serment, nous avons travaillé sur la base d’un sacerdoce. Je crois qu’aujourd’hui, c’est à la Nation de nous juger.

Maintenant que le président de la transition est connu, quels sont, selon vous, les chantiers urgents qu’il devra commencer par dérouler le plus vite possible ?

Il y a beaucoup de choses. Je pense que d’abord, les Burkinabè ont besoin de la sécurité. Il faut sécuriser le pays. Cela est extrêmement important. Ensuite, il faut voir comment parer aux plus pressés.
Même si sa mission en tant que président de la transition c’est de faire des élections, il faut gérer les Hommes avant d’aller aux élections. Il y a donc des questions élémentaires qui ne peuvent pas attendre. Par exemple, approvisionner le pays, faire en sorte que les Burkinabè ne se lèvent pas un matin trouver qu’il y a rupture de riz, avec tout ce qui s’est passé comme pillage les 30 et 31 octobre.
Maintenant, il y a naturellement la feuille de route politique qu’il faut mettre en œuvre. La feuille de route politique suppose qu’il faut d’abord arriver à trouver les organes consensuels qui n’auront pas un impact néfaste sur la vie politique des Burkinabè. Si tous les organes de la transition se retrouvent dans un mécanisme fonctionnel, le reste doit couler comme de source. Mais si des blocages politiques ou politiciens surgissent au moment de la mise en place des organes de la transition, franchement dit, ce sera la déception. Moi je ne souhaite que ce soit ainsi. Je souhaite vivement que ces organes soient mis en place sans difficulté, et qu’on puisse ensuite aborder les grands défis.
Les grands défis, outre la sécurité, c’est préparer l’ensemble du corps électoral à pouvoir, à partir de 2015, asseoir définitivement une démocratie qui aura pris dans la transition, son fondement ; c’est-à-dire ce socle qui va faire en sorte que la ‘’maison’’ ne puisse plus jamais s’écrouler 30 après, 40 ans après, 100 ans après. Quand on cite la révolution française de 1789, les Français pensent aujourd’hui encore que leur liberté a pris racine dans cette transition.
Moi je pense avec fierté, que désormais, notre liberté devra prendre racines dans cette insurrection populaire des 30 et 31 octobre 2014.

Quel rôle souhaiteriez-vous, en tant que président de l’UNIR/PS, jouer dans la conduite de cette transition ?

Vous me posez une question à laquelle je n’avais jamais pensé. Pour l’instant, je ne sais pas le rôle que mon parti, l’UNIR/PS ou le Front progressiste sankariste voudra que je joue. Cela se discute en interne.
De mon point de vue personnel, pour ceux qui me connaissent, je suis rentré dans l’arène politique de façon active, quand j’ai vu le journaliste Norbert Zongo réduit en cendre. Depuis ce temps, j’avais dit que ma vie ne sert que si moi-même je sers les autres. C’est ce serment que j’ai fait aussi sur la tombe du président Thomas Sankara, le 15 octobre 2000 quand j’ai créé avec des amis, des camarades, l’UNIR/MS. Ce combat, nous le menons, nous le poursuivrons partout où le devoir nous appellera. C’est ce combat qui nous a également amené à être du côté des insurgés avec les camarades du parti. Certains effectivement, ont donné de leur vie pour que ce pays inscrive son nom dans l’Histoire de l’humanité. Donc, Me Sankara ne joue pas un rôle personnel ; mon rôle est à inscrire dans le rôle que mon parti joue.
Je souhaite pour mon parti et pour les Burkinabè, que nous ayons un esprit d’équipe et de fraternité. Maintenant, si je peux servir comme ciment à cela, je serai le plus heureux. Et ce sera avec fierté que j’assumerai toute fonction pouvant amener les Burkinabè à prendre conscience que leur destin se trouve entre leurs propres mains et que c’est ensemble qu’on peut réaliser de beaux rêves et de grandes choses. Je n’ai pas d’ambition particulière en dehors du bonheur de chaque Burkinabè.

Entretien réalisé par Fulbert Paré
Lefaso.net

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