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Condamnation des USA par l’OMC : c’est juste bon pour le moral

Publié le jeudi 10 mars 2005 à 10h32min

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Après Bamako en 2003 et Dakar en 2004, c’est Ouagadougou qui accueille pour compter de ce matin, les journées actuelles, troisièmes du genre, de l’ACA, l’Association cotonnière africaine portée sur les fonts baptismaux en 2002 pour mieux plaider les intérêts des cotonniers africains.

Au total, ce sont quelque 400 participants parmi lesquels les producteurs, les gestionnaires de la filière, les décideurs, etc qui vont se pencher 3 jours durant, sur le présent et le devenir de l’or blanc du continent à une époque où les nouvelles ne sont pas toujours bonnes pour le secteur.

Du fait notamment des subventions à la production et à l’exportation que les pays riches accordent à leurs cotonculteurs, on assiste en effet depuis de nombreuses années à une dépréciation des cours de cette matière au point d’hypothéquer sérieusement l’avenir des filières cotonnières africaines et de réduire à la misère des millions de producteurs. Le conclave de l’ACA s’ouvre cependant sous de bons auspices dans la mesure où il intervient une semaine après la condamnation, par l’Organisation mondiale du commerce (OMC), des aides américaines aux producteurs de coton.

C’est l’épilogue ( ?) d’un bras-de-fer politico-diplomatique et commercial qui oppose les Etats-Unis et le Brésil depuis maintenant deux ans. C’est en effet en mars 2003 que le pays de la Samba et du football qui en avait marre de se faire dribbler, a déposé une plainte devant l’OMC parce que les multiples formes de soutien que l’Oncle Sam accorde à ses cotonculteurs jouent sur les prix mondiaux et défavorisent les autres pays producteurs, cela en contradiction flagrante des règles de l’OMC.

En septembre 2004, Washington qui verse chaque année à ses cotonculteurs 3,2 milliards de dollars de subventions auxquels s’ajoutent 1,6 milliard d’aide à l’exportation, avait été condamné en première instance mais elle avait fait appel en octobre 2004. C’est donc la décision du premier degré qui a été confirmée en appel jeudi dernier.

Au-delà du Brésil, c’est une victoire pour l’ensemble des pays en développement qui subissent le diktat yankee. On se rappelle en effet que le 10 juin 2003 devant la commission des négociations commerciales de l’OMC à Genève, le président Blaise Compaoré s’était fait l’avocat des pays africains producteurs de coton, particulièrement du Bénin, du Mali, du Tchad et du Burkina, qui avaient remis officiellement le 30 avril 2003 au comité de l’agriculture de l’Organisation, leur "Initiative secteur en faveur du coton afin de lutter contre la pauvreté".

Une requête qui visait la mise en place d’un mécanisme de réduction des iniques subventions et, à terme, leur élimination. Et en attendant ce démantèlement, ils exigeaient la mise en œuvre du concept du "early harrest" qui a fait son apposition dans l’Uruguay round et qui permet de corriger une situation injuste contraire aux principes de l’OMC et de prendre une décision avant le délai fixé pour la fin des négociations.

En clair, des mesures conservatoires, en l’espèce une indemnisation financière temporaire pour compenser le manque à gagner qu’enregistrent nos pays, jusqu’à ce qu’ils bénéficient d’un marché mondial équitable parce qu’il ne sera plus faussé par les subventions. A titre d’exemple, entre 2001 et 2003, ce sont quelque 400 millions de dollars que des Etats comme le Mali ou le Bénin ont perdu du fait des subventions. Or, c’est connu, dans nos pays, l’or blanc qui mérite bien son nom n’est pas une simple spéculation, un business comme un autre.

Ici, c’est d’abord un problème de développement et de lutte contre la pauvreté, des études sérieuses ayant montré que la pauvreté reculait plus vite dans les zones cotonnières qu’ailleurs. Et quand on sait que dans un pays comme le Burkina, on compte 210 000 cotonculteurs (contre 25 000 aux USA) et qu’environ 2,5 millions de personnes (soit le 1/4 de la population) vivent directement ou indirectement de la culture du coton on n’a pas besoin d’avoir fait HEC pour comprendre son impact dans nos pays.

De ce fait, les nations repues qui prétendent nous aider à sortir de la fange peuvent-ils moralement continuer de fermer les yeux devant ce qui, plus qu’un simple problème de règles commerciales à respecter relève d’une question d’éthique et de justice ?

Rien que pour cela, on ne peut que se féliciter du verdict de l’OMC même s’il y a tout lieu de penser qu’il est juste bon pour le moral. Car dans le fond, rien ne va changer véritablement, en tout cas pas dans l’immédiat. Les Etats-Unis ont en effet six mois, depuis le 3 mars 2005, pour s’exécuter. Le cas échéant, Brasilia pourra prendre des sanctions contre Washington.

Autant dire, même si on se demande bien dans cette jungle des relations internationales où la raison du plus fort est toujours la meilleure, que Lula doit déjà commencer à penser à ses mesures de représailles car le super-gendarme du monde, qui ne sera pas à son premier forfait, n’est pas disposé à respecter la loi.

Et il l’a fait clairement savoir dès vendredi 4 mars par la voix du porte-parole de son représentant au commerce Richard Mills : "Pour obtenir les résultats souhaités par nos agriculteurs, le meilleur moyen est d’obtenir une réforme ambitieuse de l’agriculture dans le monde par le biais des négociations multilatérales en cours qui traitent de l’accès au marché, de la concurrence en matière d’exportations et des soutiens nationaux, y compris pour le coton".

On l’aura compris, l’administration Bush veut jouer la montre en noyant le coton dans un océan de dossiers aussi complexes que douloureux dont la résolution n’est pas pour demain. A l’évidence donc, le Brésil, tout comme le Burkina ou l’ACA, lutte contre des moulins à vents et l’on se demande bien si cette bataille, fût-elle aussi noble et juste, n’est pas perdue d’avance.

A quoi bon d’ailleurs toutes ces gesticulations puisque, selon les spécialistes, les Etats-Unis, mais aussi la Chine et l’Union européenne, supprimeraient leurs subventions que le problème ne s’en trouverait pas ipso facto réglé. Car quand bien même la production a connu une croissance exponentielle dans nos différents pays, notre poids est encore suffisamment faible pour faire pencher la balance des cours mondiaux en notre faveur ; surtout que dit-on, les coûts de production sont encore très élevés dans les pays en développement, alors que tout le monde sait que nos agriculteurs produisent le kilogramme de coton 50% moins cher que leurs collègues des pays riches.

Autant dire que François Tani de Koumbia qui confessait le 2 mai 2003 avoir perdu 1,3 million de francs CFA au titre de la campagne cotonnière précédente n’est pas encore sorti de l’auberge.

Ousséni Ilboudo
L’Observateur

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