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Le Burkina Faso de Michel Kafondo. Chronique d’une transition « d’exception » (3)

Publié le jeudi 20 novembre 2014 à 21h16min

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Le Burkina Faso de Michel Kafondo. Chronique d’une transition « d’exception » (3)

Un premier ministre en treillis, version « Terre du Burkina » ! C’est donc Yacouba Isaac Zida qui va être le premier chef de gouvernement de la transition. Nomination TGV. L’annonce en a été faite hier, mercredi 19 novembre 2014, à l’heure du déjeuner, alors que l’on achevait de commenter l’onction accordée par le Conseil constitutionnel au nouveau président du Faso, Michel Kafando. Zida, Premier ministre, ce n’est pas une surprise. Kafando l’avait laissé entendre dès après la cérémonie du 19 novembre (cf. LDD Burkina Faso 0453/Mercredi 19 novembre 2014).

Kafando ayant été un des candidats de l’armée et, compte tenu de la situation sécuritaire et sociale du Burkina Faso, « les dés étaient pipés », comme on le reconnaît à Ouaga. Si les Burkinabè ont viré Blaise Compaoré du pouvoir, c’est l’armée qui a fait le boulot post-insurrectionnel. Les leaders politiques et ceux de la société civile n’ont d’ailleurs pas été dans la retenue en matière d’éloge à l’égard de Zida et des siens. Un militaire qui prend le pouvoir et qui le rétrocède aux civils quinze jours plus tard, c’est rare. Et après la grande frayeur d’une confiscation de leur « révolution » par l’armée, les politiques burkinabè, ont poussé un ouf de soulagement devant tant de compassion à leur égard ; ils sont prêts désormais à cirer les rangers du RSP, le Régiment de sécurité présidentielle, autrefois leur bête noire.

Le CV officiel de Zida rappelle qu’il a été chef de l’Etat du 31 octobre au… 21 novembre 2014. Car ce n’est que demain, vendredi 21 novembre 2014, à partir de 17 h 00, au Palais des Sports de Ouaga 2000, que la passation de charges aura lieu. Zida n’aura pas manqué, d’ici là, d’affirmer son autorité de chef d’Etat. Il a limogé le directeur général de la Sonabel, Jean-Christophe Ilboudo, accusé d’avoir « coupé l’électricité » lors de la signature de la « charte de la transition ». Il a décidé la dissolution des conseils municipaux et régionaux. Un chef d’Etat promu premier ministre, c’est une denrée rare. Quant à avoir un premier ministre en treillis, il faut remonter à la Haute-Volta : le dernier en date a été… Thomas Sankara, de façon éphémère, sous la férule du médecin commandant Jean-Baptiste Ouédraogo : 19 janvier-17 mai 1983. C’était au temps où Michel Kafando était ministre des Affaires étrangères et de la Coopération.

Chef d’Etat puis premier ministre en quinze jours, c’est un parcours exceptionnel pour un militaire de carrière quasiment inconnu de 49 ans (il est né le 16 novembre 1965 à Yako, province du Passoré) qui a fait ses études secondaires au Prytanée militaire du Kadiogo (PMK) de 1978 à 1985 (année où le PMK a été fermé), avant de les achever au lycée Philippe Zinda Kaboré (1985-1987). C’est bien plus tard, de 1993 à 1996, qu’il sera élève officier d’active (EOA) à l’Académie militaire Georges Namoano, à Pô. Dès sa sortie, en 1996, il rejoindra le RSP en tant que commandant de compagnie. Il va en gravir les échelons : commandant de groupement adjoint (2006-2008), commandant adjoint de groupement (2008-2011), chef de corps adjoint (2011-2014). Dans le même temps, il va être formé à Meknès (Maroc), Taipei (Taïwan) à deux reprises, Halifax (Canada), Yaoundé (Cameroun), Tampa (Etats-Unis). Il s’était engagé en cette année 2014 dans un master en management international à l’université Lyon III-Jean Moulin ; un enseignement assuré partiellement en anglais, celui de Zida étant revendiqué « très bon » (il l’a étudié à l’université de Ouagadougou de 1987 à 1989).

L’armée a toujours été présente dans la vie politique de la Haute-Volta et du Burkina Faso depuis la conquête du pouvoir par le lieutenant-colonel Aboubakar Sangoulé Lamizana en 1966. Et les régimes militaires se sont succédés : 1966-1971 ; 1974-1978 ; 1980-1982 ; 1982-1983 ; 1983-1987 ; 1987-1991. Blaise Compaoré était un militaire de carrière et se trouvait, tout naturellement, entouré d’officiers et de sous-officiers : la « Révolution » et la « Rectification » ont été menées par des militaires. Mais il y a trente ans, l’armée était encore embryonnaire et la « Révolution » avait été celle de « capitaines » tout autant que de « camarades ». Depuis, bien des choses ont changé ; et les luttes idéologiques ont été abandonnées au profit d’un consensualisme de façade qui n’est qu’une somme d’individualismes.

L’armée au Burkina Faso n’a jamais été « la grande muette ». Elle sait se faire entendre. Parfois avec fracas, soit dans son opposition aux autres forces de sécurité (notamment la police), soit dans son opposition intra-militaire (avec la gendarmerie), soit dans son opposition au pouvoir en place. Les événements les plus graves ont eu lieu en 2011 quand les « mutineries » ont finalement « joué contre le mouvement social » : magistrats, enseignants, cotonculteurs, mineurs…, mouvement social dont le facteur déclenchant avait été les manifestations contre la vie chère menées par la société civile. Même le RSP se sera mutiné, obligeant le président du Faso à quitter précipitamment Kosyam dans la nuit du 14 au 15 avril 2011.

Blaise va dissoudre le gouvernement, appeler un nouveau premier ministre, prendre en charge la Défense nationale et les Anciens combattants, remplacer le général Dominique Djiendjéré par le colonel-major Honoré Nabéré Traoré comme chef d’état-major des armées. Dans le quotidien national Sidwaya, Ibrahiman Sakandé (qui sera, par la suite et jusqu’à présent, le directeur de la communication de la présidence du Faso), écrira le lundi 18 avril 2011 dans son style flamboyant : « Nous avons tous vécu de telle sorte que ce qui arrive soit possible. Tout peuple a le Prince et le Vigile qu’il mérite. Cette secousse surtout militaire donne la preuve que la loi à elle seule n’est pas un remède suffisamment efficace pour le maintien de la santé du corps social. Il y faut l’honnêteté, ô la réelle fidélité sans cagoule, la bonne volonté et le dévouement de tous et de chacun ».

Trois ans plus tard, le Burkina Faso a changé de « Prince » et de « Vigile ». Avec la participation active de l’armée et, notamment, du RSP. Et c’est donc le numéro deux de ce Régiment de sécurité présidentielle qui va diriger le gouvernement de la transition. Ce qui ne réjouira pas ceux qui ont la phobie de l’armée au pouvoir, ni ceux qui, au sein de l’armée, voulaient être « vizir à la place du vizir » : inutile de rappeler qu’à la suite de la démission de Compaoré, quelques généraux (Kouamé Lougué et Honoré Nabéré Traoré) s’étaient proclamés chef d’Etat avant que Zida, jusqu’alors inconnu de tous, ne viennent balayer leurs ambitions. On dit qu’il est la créature de Gilbert Diendéré, le chef d’état-major particulier du président Compaoré, le cinquième homme de la « Révolution sankariste ». Ceci expliquant cela si on prend en compte, effectivement, le principe d’Antoine Lavoisier selon lequel « Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme ». Y compris les officiers supérieurs du RSP.

Zida nous dit qu’il va « œuvrer en toute humilité et dans un engagement sacerdotal et patriotique ». Il évoque « l’ardeur au travail, le don de soi, sans calculs égoïstes ». Ablassé Ouédraogo, leader du parti Le Faso autrement, voit en lui « une chance pour le Burkina Faso », et affirme qu’il a la « stature » tout autant d’un « chef d’Etat » que d’un « chef militaire ». Bénéwendé Sankara, d’UNIR/PS, se dit « ému » d’entendre Zida évoquer « les valeurs qui ont fondé la révolution du 4 août 1983 ».

Après le consensus pour désigner le président du Faso, c’est donc l’unanimité sur le nom du premier ministre. Des questions se posent cependant : Zida sera-t-il un premier ministre en faso dan fani ou en treillis ? Cette nouvelle amorce d’une politisation de l’armée, sortie des casernes pour investir les palais, n’est-elle pas à risque dès lors que ce corps social est loin d’être homogène ? A Ouaga, la réponse aux questions est toujours la même : « Pas de problème ». Il ne reste donc qu’à attendre de connaître le nom des membres du gouvernement de transition (« transition inclusive et apaisée » a promis Zida) et les premières nominations à la présidence du Faso et à la primature. « Pas de problème » !

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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Vos commentaires

  • Le 21 novembre 2014 à 21:31 En réponse à : Le Burkina Faso de Michel Kafondo. Chronique d’une transition « d’exception » (3)

    Osez dire que c’est l’unanimité autour du nom du 1er ministre, c’est aller vite en besogne. Si demain, avec le président, il ressort tous les dossiers de crimes économiques et de sang pour qu’ils soient jugés, on va applaudir. Si demain, il s’attaque à la corruption et à tous les biens mal acquis, on va applaudir. Si demain, il dissout toutes les associations politiques comme FEDAP/BC et les envoient en justice, on va applaudir. Si demain, il audite tous les ministères, les sociétés d’état et autres, et poursuit les détourneurs, etc. on va applaudir. Si demain, il licencie des dizaines ou centaines d’agents avec poursuite en justice pour fraude, corruption, gabégie, etc. on va applaudir. Les corps ciblés sont les douaniers corrompus jusqu’aux os qui deviennent milliardaires en quelques années et dans les autres corps comme la police, les douaniers ou les agents des impôts.... Je vais applaudir et si demain, il fait arrêter le petit président pour qu’il s’explique dans le crime de Norbert Zongo et, si demain, on arrête des présumés coupables pour le meurtre Nébié, on va applaudir. Enfin, si demain, il demande à ce que Blaise aille au TPI pour s’expliquer sur son implication aux côtés de Taylor et autres au Libéria et Sierra Leone, on va applaudir. Dernier point, s’il arrive avec le président à conduire la transition à bon port avec des élections libres et transparentes au niveau communal, des députés et de la présidentielle, on va applaudir. Chaque burkinabè pourra compléter cette liste comme chasser les gens du MNLA et autres qui passent leurs temps à traficoter plutôt que de trouver la Paix pour nos amis touaregs qui ne veulent que la Paix... sans oublier la belle mère nationale qui continue à polluer l’environnement de Kossodo avec ces eaux usées de sa tannerie...

  • Le 26 novembre 2014 à 08:15 En réponse à : Le Burkina Faso de Michel Kafondo. Chronique d’une transition « d’exception » (3)

    je ne demande qu une chose au gouvernement de transition, la fermeture ou le déplacement de la tanerie de kossodo. cancer va nous tuer.

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