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Le Burkina Faso de Michel Kafondo. Chronique d’une transition « d’exception » (1)

Publié le mardi 18 novembre 2014 à 21h11min

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Le Burkina Faso de Michel Kafondo. Chronique d’une transition « d’exception » (1)

Il y a de l’exemplarité dans la manière dont la crise politique burkinabè a été résolue en à peine plus de deux semaines après la démission du président Blaise Compaoré. Le « Forum des forces vives et des forces de défense et de sécurité sur l’approbation de la charte de la transition », organisé le dimanche 16 novembre 2014 à la Maison du Peuple, a travaillé rapidement permettant la sélection, dans la foulée, des candidats au poste de président de la transition.

La short list avec les trois finalistes (ils étaient huit au total à concourir) étant établie par le « conseil de désignation », la sélection pouvait s’opérer. Deux ex-politiques et un représentant de la société civile ont donc été en lice. Mais Joséphine Ouédraogo, née Guissou, n’avait d’autres faits d’arme que d’avoir été ministre de l’Essor familial et de la Solidarité nationale dans les gouvernements de Thomas Sankara, du 31 août 1984 jusqu’au 31 octobre 1987 (date de la formation du premier gouvernement dirigé par Compaoré, alors président du Front populaire, chef du gouvernement, chef de l’Etat). Un CV un peu court même si Joséphine Ouédraogo est une sociologue particulièrement intéressante qui a été actrice (sans pour autant avoir été une militante politique) et surtout observatrice du « sankarisme »*.

Le fait qu’elle ait beaucoup vécu à l’étranger (Tunisie, Cameroun, Suisse, Ethiopie, Sénégal…) de 1987 à 2012 (année de son retour définitif au Burkina Faso) n’a pas joué, non plus, en sa faveur. Chérif Sy, journaliste, directeur de « Bendré », a été, lui aussi, proche de Thomas Sankara (il se revendique d’ailleurs « sankariste » ce qui n’est pas le cas de Joséphine Ouédraogo), dès lors que son père était le général de corps d’armée Baba Sy, Grand chancelier du 15 janvier 1980 au 27 septembre 1989 (il a donné sa démission pour protester contre l’exécution de Jean-Baptiste Lingani et de Henri Zongo alors qu’on lui avait assuré que la peine de mort ne leur serait pas appliquée). Sy est proche également du mouvement « Le Balai citoyen ».

Entre Ouédraogo et Sy, il n’y avait pas photo compte tenu du profil que devait avoir le futur président de la transition. Il y aura photo entre Ouédraogo et Michel Kafando. Le « conseil de désignation » de 23 membres (qui a été épuré avant d’entamer ses travaux, un des membres, pas vraiment en adéquation avec les principes établis, a dû se faire remplacer) avait accordé 21 points à Ouédraogo et 21 points également à Kafando lors de la présélection. Comme à l’ENA, c’est à l’oral que cela s’est joué, Kafando ayant été le plus convaincant en ce qui concerne la « rupture » notamment en matière de corruption et d’impunité**. Il est vrai qu’il a le meilleur background en matière de gestion des affaires publiques et une expérience diplomatique et internationale sans commune mesure avec celle de Ouédraogo.

Dans la nuit du dimanche 16 au lundi 17 novembre 2014, à 03 h 45, Ignace Sandwidi (qui avait été, par le passé, membre représentant les communautés chrétiennes du Comité de suivi et d’évaluation des réformes politiques consensuelles) a donc pu annoncer le nom du futur président de la transition « d’exception ». Car l’objectif, et le président en exercice de la Cédéao, John Dramani Mahama, a tenu à le rappeler dans son message de félicitation, est de « permettre le retour à une vie constitutionnelle normale à l’issue d’élections libres, démocratiques et inclusives, en conformité avec le Protocole de la Cédéao sur la démocratie et la bonne gouvernance ».

Kafando au pouvoir à la suite des militaires et d’une insurrection populaire (que Zéphirin Diabré, leader de l’opposition politique parlementaire, qualifie d’ailleurs de « révolution »), c’est « une transition très diplomatique » pour reprendre le titre du papier d’Agnès Rotivel dans La Croix de ce matin (mardi 18 novembre 2014). « Ce choix est sans doute d’abord celui de la raison » écrit Tanguy Berthemet dans Le Figaro (mardi 18 novembre 2014) qui laisse planer la perspective d’un premier ministre galonné et, pourquoi pas, Yacouba Isaac Zida lui-même. Cyril Bensimon, dans Le Monde (daté du mardi 18 novembre 2014), souligne quant à lui « les originalités de cette « révolution » burkinabè », rappelant que Kafando « n’est pas l’élu d’un scrutin populaire mais le fruit du consensus d’un collège de désignation composé de vingt trois membres issus de différentes composantes de la société ». Libération, manifestement, attend d’en savoir plus pour juger le nouveau président du Faso ; il n’y consacre qu’une brève après avoir glorifié sur des pages, ces derniers jours, les « sankaristes ». Même frustration du côté de L’Humanité. Lina Sankari (mardi 18 novembre 2014), évoque une « transition feutrée », « le choix de l’apparente neutralité », mais tente de se rassurer : « Alors même que les manifestations anti-Compaoré ont été marquées par la reprise des slogans de la révolution du capitaine Sankara, le mandat de Michel Kafando s’exercera sans nul doute sous haute vigilance ».

Mais, bien évidemment, pour qu’Aleksandr Kerensky ne confisque pas la « révolution de février » en Russie, il fallait qu’il y ait un Lénine et un parti bolchevik pour s’emparer du pouvoir en octobre 1917. Au Burkina Faso, Sankara – qui n’était pas Lénine – est mort depuis près de trente ans et il n’y que ceux qui n’ont pas vécu sous son régime qui en gardent la nostalgie. On peut comprendre la frustration d’une jeunesse qui a voulu l’alternance des hommes et, aussi, l’alternance des « modes de production » politiques et sociaux. « L’insurrection populaire » (Ambroise Farama), la « révolution citoyenne » (André Bourgeot) d’octobre 2014 au Burkina Faso ont été l’aboutissement d’une crise politique majeure qui trouve ses racines bien avant la réélection de Compaoré en 2010 ; mais, au-delà de cette crise politique, il est une crise sociale, plus grave encore, qui mine le pays et que personne ne semble vouloir prendre en compte en vue de sa résolution (toute proportion gardée, d’ailleurs, c’est la même problématique a laquelle a été confronté Sankara au début des années 1980 sans pour autant y apporter d’autres réponses qu’une dénonciation flamboyante de la « Françafrique » et de l’impérialisme).

« Bref !, écrivait ce matin (mardi 18 novembre 2014) dans L’Humanité, l’avocat Ambroise Farama, secrétaire national chargé de la communication de l’UNIR/PS (le parti de Bénéwendé Sankara), Blaise est parti, mais l’Afrique n’est pas encore libérée, le Burkina non plus. D’autres valets locaux de l’impérialisme seront mis en branle. Au plan interne, des néolibéraux acquis à la solde de l’impérialisme seront soutenus. Mais il faut tout de même se nourrir d’espoir : que l’insurrection populaire du Burkina Faso soit le début du « printemps noir », afin de débarrasser les Etats africains des valets locaux de l’impérialisme. C’est à ce prix seulement que les Etats africains se débarrasseront de la Françafrique. Aucun président français ne mettra fin à ce système mafieux qui sert les intérêts de son pays, c’est aux peuples africains de s’affranchir eux-mêmes en comptant sur leurs propres forces ». Joli discours. Mais ce n’est qu’un discours. Reste la réalité des faits… ! Et les faits sont têtus : non seulement Lénine et Sankara sont morts, mais ils ont laissé leurs pays dans un total dénuement et sans perspective.

* « Je n’ai jamais aspiré à être une actrice de pouvoir. Maintenant, si le pouvoir me rattrape par des circonstances d’un hasard que Dieu seul peut créer, j’aviserai », a déclaré Joséphine Ouédraogo, l’an dernier, au journal Mutations (21 septembre 2013). Cette sociologue, qui se réclame de l’alter-mondialisme, analyse les années Sankara avec acuité. Si elle salue la volonté de changer fondamentalement la nature de la société, elle évoque une politique « bâclée », « source de traumatisme », une « période de frustrations et d’humiliations » marquée par des « règlements de compte ». Par ailleurs, peu encline à faire grâce à l’élection du président de la République au suffrage universel, elle dénonce les « avatars du multipartisme politicien, pseudo-démocratique, qui engendrent souvent des blocages institutionnels et des barrages qui vous isolent des réalités ».

** Ces informations doivent beaucoup au papier de Fulbert Paré dans lefaso.net du mardi 18 novembre 2014.

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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Vos commentaires

  • Le 21 novembre 2014 à 21:39 En réponse à : Le Burkina Faso de Michel Kafondo. Chronique d’une transition « d’exception » (1)

    En réalité, est-ce que le culturel mossi n’a pas pris le dessus ? le burkinabè n’est sans doute pas encore prêt à ce que ce soit une femme présidente. Maintenant, cela n’enlève en rien le mérite de Kafando. son discours de ce jour montre qu’il est prêt à jouer sa partition en rupture avec les 27 ans de la compaorérose qui a gangréné toute la société. Ce sera douloureux car il faudra charcuter les bras ou jambes gangrénées mais c’est à ce prix que la société burkinabè deviendra démocratique et intègre en se régénérant. Demain, une femme comme Joséphine pourra devenir présidente ou comme 1er ministre.

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