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Michaëlle Jean : une femme de la diaspora noire pour incarner la Francophonie dans le monde

Publié le jeudi 20 novembre 2014 à 23h06min

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Michaëlle Jean : une femme de la diaspora noire pour incarner la Francophonie dans le monde

Métissage culturel et diversité des pays qui la composent à travers les cinq continents : tels sont les socles sur lesquels s’appuie l’Organisation internationale de la Francophonie pour rapprocher les peuples pratiquant ou aimant la langue française, et qu’incarne si bien Michaëlle Jean.

Le métissage : elle le doit à sa double culture haïtienne et canadienne.
La diversité : elle est originaire de la première République proclamée, en 1804, par un peuple de la diaspora noire après qu’il eut brisé les chaînes de l’esclavage qui l’avait arraché à la terre d’Afrique.

Alors qu’elle n’avait qu’une dizaine d’années, les aléas de l’histoire ont poussé ses parents, enseignants, à émigrer au Québec après que son père eut été torturé sous la dictature Duvaliériste. A l’issue d’un brillant parcours universitaire en Lettres et Littératures comparées à Montréal, et une première expérience de journaliste de presse écrite, elle deviendra la première journaliste noire de la télévision publique canadienne, Radio Canada. De 1988 à 2005, elle reçoit dans ses émissions, une grande variété d’interlocuteurs, dont des personnalités de haut rang, ce qui la familiarise, déjà, avec un environnement international. Elle couvrira aussi l’actualité de nombreux pays francophones et en particulier du continent africain. Son talent de journaliste sera récompensé de plusieurs prix. Sérieuse, exigeante, polyglotte, - outre sa langue maternelle, le français, elle parle couramment le créole haïtien, l’anglais, l’italien, l’espagnol et le portugais - elle cultive un profil de citoyenne du monde ouverte aux autres et sensible aux préoccupations des individus et peuples déshérités.
Sa première action citoyenne alors qu’elle n’est encore qu’étudiante, c’est son implication pendant dix ans dans la création d’un réseau d’accueils d’urgence, initié par le Mouvement des femmes du Québec, en faveur des femmes victimes de violences conjugales et leurs enfants. Sa force de conviction la fait remarquer comme femme d’action. En 2005, elle est sans doute l’une des rares femmes francophones au monde à bénéficier d’un rayonnement aussi important, lorsque le choix du gouvernement canadien se porte sur elle pour occuper le poste prestigieux de Gouverneure générale et Commandante en chef du Canada. Son image fait alors le tour du monde : elle est la première femme noire à accéder à une aussi haute consécration dans un pays du Nord. Elle sera pour cinq ans l’image du Canada dans le monde, un Etat cité en exemple pour l’intelligence de sa politique d’intégration des minorités et des étrangers.

Cette responsabilité l’introduira dans le milieu politique et diplomatique où elle rencontrera plusieurs dirigeants influents à travers le monde. Pendant son mandat, elle dialogue avec les plus grands dirigeants de la planète, effectue plus de 40 visites d’Etats, dont une bonne dizaine en Afrique et, en femme de terrain habituée à trouver des solutions, elle aborde des problèmes majeurs tels que le soutien au développement, la stabilité, la paix et la sécurité. Ses missions officielles conduisent inlassablement la très Honorable Michaëlle Jean dans diverses régions de la planète, allant de zones de conflits comme l’Afghanistan à de zones de croissance ou de difficultés économiques en Europe, en Amérique et en Afrique.

Elle déploiera la même combativité lorsque, à l’issue de son mandat de 27e Gouverneure générale du Québec, l’UNESCO lui confie une mission d’envoyée spéciale pour Haïti, son pays natal ravagé par un tremblement de terre en janvier 2010. Elle se bat sur le front de la reconstruction de l’habitat, mais aussi pour des programmes de reforestation des territoires et de revitalisation économique des collectivités. Elle mobilisera ainsi des partenaires et des bonnes volontés, afin de faire venir en Haïti, des investisseurs aussi bien du Nord que du Sud. Avec la même énergie, elle impliquera également les citoyens et conseillera les instances gouvernementales pour une organisation efficiente des fonds et des moyens. Lors des Jeux Olympiques de Londres 2012, l’ancien Président Sénégalais Abdou Diouf, dont le mandat de Secrétaire général de l’OIF s’achève en novembre prochain, choisit Michaëlle Jean en qualité de Grand témoin de la Francophonie. Une mission de deux ans à la fois diplomatique et culturelle pendant laquelle elle mettra en œuvre ses talents de négociatrice pour veiller à ce que les instances olympiques respectent la place du français comme langue de communication, mais aussi comme langue fondatrice du mouvement olympique.

La Francophonie représente aujourd’hui un espace de près de 890 millions de citoyens et une enceinte de 77 pays membres et observateurs. La priorité y a été longtemps donnée au développement des échanges culturels et à la consolidation de la paix et de la démocratie, ce à quoi s’est attelé le Président Diouf. Alors que l’OIF s’apprête à renouveler son dirigeant, Michaëlle Jean, actuellement chancelière de l’Université d’Ottawa - la plus grande université du monde bilingue en français et anglais - se dit prête à relever le défi d’une Francophonie plus économique, tel que souhaité par le 14e Sommet de la Francophonie tenu en 2012 à Kinshasa (RDC). Une mission à la hauteur de cette femme proactive, qui a toujours eu à cœur la question du développement humain et la responsabilisation environnementale.

Son ambition : que la Francophonie, fondée sur une éthique de partage d’une langue et de ressources, intervienne de façon plus affirmée dans le soutien d’échanges d’expertises entre le Nord et le Sud, et de développement de réseaux de compétences et de formations ainsi que d’opportunités d’économie sociale et solidaire. Et qui mieux que cette femme, qui a su démontrer sa capacité de mobilisation et l’efficacité de ses réseaux d’influence construits tout au long d’une riche carrière, pourrait redonner espoir à la jeunesse des pays francophones et accélérer l’inclusion du potentiel économique des femmes africaines, encore trop peu valorisé ? Car Michaëlle Jean reste persuadée que l’amélioration des conditions de vie est consubstantielle à la paix et à la démocratie. C’est le message qu’elle a porté en allant à la rencontre des Chefs d’Etat et de Gouvernement membres de l’OIF, dans le cadre de sa tournée de plaidoyer.

Alors, en quoi cette figure féminine compétente, notoirement connue et respectée, serait-elle moins crédible que d’autres pour dynamiser la Francophonie ? En 2011, elle a été décorée par la France, bailleur influent de l’OIF, de la Grand’Croix de la Légion d’honneur, la plus haute distinction de cet ordre honorifique, en reconnaissance de « sa conscience aigüe des droits et libertés qu’elle défend sur tous les fronts, de son profond sens de solidarité et de son courage indéfectible pour combattre les injustices de ce monde ». En lui accordant leur confiance, les chefs d’Etat africains pourraient ainsi donner un signal fort aux Afro-descendants de la diaspora, prêts à œuvrer pour le Continent. Une diaspora par ailleurs classée par l’Union Africaine comme 6e région de l’Afrique.

En digne héritière d’une philosophie d’écoute et de solidarité, Michaëlle Jean sera, en effet, à même de valoriser les bonnes pratiques et l’héritage de la Francophonie institutionnelle. Son expérience internationale en fait également la figure idoine pour œuvrer au renforcement des liens, au sein d’un espace Francophone rénové, entre l’Afrique, l’Europe l’Asie et l’Amérique, mais aussi de la coopération avec les Nations unies. Elle saura également enrichir le triptyque qui sous-tend la Francophonie des peuples, à savoir : coopération décentralisée et développement économique, coopération universitaire, et approfondissement des processus de démocratisation.
Par ailleurs, de par sa double culture haïtienne et canadienne, Michaëlle Jean se trouve au confluent d’une Francophonie soucieuse de préserver les liens existant entre tous les peuples du monde qui ont le français en partage et dont elle connaît parfaitement les problématiques. Cette descendante de l’Afrique sait, en effet, ce qu’est la pauvreté, la dépendance, la misère et l’importance de la démocratie. Sa volonté de faire de l’Afrique sa priorité lui confère toute la légitimité pour incarner le visage de la Francophonie, à qui son savoir-faire autant que son faire-savoir sauront apporter le saut qualitatif attendu de tous pour hisser l’institution vers de nouveaux horizons.

Forte de son image de femme noire du Nouveau Monde ayant à son actif des paris gagnés, Michaëlle Jean sera aussi pour la jeunesse et les femmes francophones, l’architecte d’une Francophonie du futur, capable de relever les défis du 21e siècle. Enfin, n’oublions pas que son pays natal, Haïti, fut non seulement la première République noire du monde, mais également un avocat essentiel dans le plaidoyer pour la prise en compte du français comme langue de travail de l’ONU, lors de sa création en 1945.

Michaëlle Jean, une femme de son siècle, si elle est élue au poste de Secrétaire générale de la Francophonie lors du Sommet de Dakar (29-30 novembre 2014) relèvera mieux que quiconque les défis d’une Francophonie des Peuples.

Filippe Savadogo,
Ancien Ambassadeur de la Francophonie
aux Nations Unies

Sylvia Serbin,
Ecrivain

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