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Jusqu’où le « Pays des hommes intègres » va-t-il se désintégrer ? (6)

Publié le vendredi 7 novembre 2014 à 15h30min

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Jusqu’où le « Pays des hommes intègres » va-t-il se désintégrer ? (6)

C’était au lendemain des « mutineries » de 2011. Interrogé par France 24 au sujet de Blaise Compaoré, j’avais dit alors qu’il y avait deux lectures de cet homme. D’abord, un militaire de carrière, communiste marxiste-léniniste, révolutionnaire, putschiste, ayant participé pendant plusieurs années à un Etat d’exception, qui s’est emparé du pouvoir à la suite de l’assassinat de son ami Sankara ; et s’y était maintenu en faisant exécuter ses autres amis : Zongo et Lingani, tous deux également militaires.

Depuis, il se serait maintenu au pouvoir en réprimant toute contestation, allant jusqu’à autoriser l’assassinat de ceux qui le dérangeaient, notamment le journaliste Norbert Zongo. Il aurait aussi entrepris de déstabiliser les pays voisins pour s’emparer de leurs richesses. Enfin, il entendait être président à vie pour le plus grand profit d’une famille élargie qui s’adonnait aux pratiques affairo-politiques. C’est une lecture de l’histoire du Burkina Faso.

L’autre lecture, celle que je privilégie sans oublier l’autre, évoque un homme d’Etat qui aurait mis un terme aux dérives d’une révolution qui avait atteint ses limites et a entrepris de démocratiser la vie politique et de libéraliser la vie économique de son pays, permettant d’inscrire l’action de l’Etat dans un cadre constitutionnel, remettant en route les institutions, à commencer par l’Assemblée nationale, entreprenant une décentralisation des pouvoirs et menant une politique diplomatique active, au profit du Burkina Faso, bien sûr, mais également de la région ouest-africaine. En quelques décennies, le pays a été métamorphosé, l’économie s’est développée, la rigueur de gestion a été affirmée et le Burkina Faso a échappé aux drames qui ont été ceux de tous ses voisins : crises politiques, guerre civile, sécession, terrorisme…

Compaoré, abandonné par les siens, a été renversé par la jeunesse ouagalaise. Beaucoup de ceux qui, n’étant pas Burkinabè, avaient trouvé au Burkina Faso des raisons d’exister, vont trouver des raisons de jeter l’opprobre sur le régime qui vient de s’effondrer. C’était déjà le cas en 1998 au moment de « l’affaire Norbert Zongo ». Cela l’a été plus encore en 2011 lors des « mutineries ». Combien m’ont dit alors : « Nous avons été trompés ! ». « Trompés ? Ah bon ! Par qui, par quoi ?

Les déchirures et les ruptures (y compris les plus brutales) au temps de la « Révolution » puis de la « Rectification » avaient des motivations politiques et économiques qui sont connues de tous dès lors que l’opposition burkinabè s’est exprimée comme elle le souhaitait. D’ailleurs, à de rares exceptions près, ceux qui en sont aujourd’hui les leaders ont été des acteurs de premier plan des années Compaoré. N’avaient-ils conscience de rien, s’accommodaient-ils du mode de production politique d’alors, ou pensaient-ils que, malgré les heurts et malheurs, le pays allait dans le bon sens.

Le Burkina Faso de 2014 ne ressemble en rien au Burkina Faso de 1984 quand, un an après la « Révolution » du 4-août, la Haute-Volta a muté en « Pays des hommes intègres ». Le mode de vie n’y est plus celui d’il y a trente ans ; le pays s’est ouvert sur le monde et le monde a aimé l’image de pays travailleur et de rigueur que véhiculait le Burkina Faso. Penser avoir été « trompé », c’est méconnaître la nature des hommes et des Etats. Ils sont ce qu’ils sont et à chacun de faire selon ses motivations. Le Burkina Faso vient de tourner, brutalement, une page de son histoire et c’est tant mieux. C’est à l’honneur de ce pays qui a su prendre ses responsabilités quand sa classe politique n’a pas assumé les siennes.

Blaise Compaoré s’est planté. Il pensera peut-être l’avoir été par ses amis, ses proches, ses conseillers, ses partenaires... Mais bon, 15 octobre 1987/31 octobre 2014, cela fait déjà un sacré bail et son bilan peut être établi sans avoir à rougir. Lui et ses équipes ont métamorphosé le pays. Il méritait, certes, une autre sortie. Sauf qu’en choisissant le passage en force, il s’est trompé de porte et a pris celle de l’exil. L’essentiel, désormais, c’est que le Burkina Faso trouve en lui-même les ressources qui lui permettront de passer le cap de ce moment historique, douloureux mais particulièrement dense. Et qui peut lui permettre de se forger un avenir meilleur.

Mon ami Pascal Zagré, mort trop tôt (à tel point que beaucoup de Burkinabè ont même oublié qui il était alors qu’une avenue de Ouagadougou – celle qui conduit à Ouaga 2000, un symbole qu’il aurait détesté – porte son nom), a écrit il y a vingt ans : « Voilà un pays qui n’a rien fait pour être enclavé et se retrouver sans ressources, avec un sol ingrat ou du moins qui, pour le moment, n’a rien livré de ses secrets et qui, face à la crise que traversent beaucoup de pays similaires sinon mieux lotis, affiche une certaine sérénité. En vérité, ce résultat n’a rien de surprenant. Le secret réside dans son effort à la tâche, dans sa gestion rigoureuse et saine […] N’en déplaise aux sceptiques, malgré les régimes d’exception, un fond de culture démocratique a toujours habité ce pays. Les Burkinabè sont congénitalement et viscéralement attachés aux valeurs démocratiques, valeurs qu’ils défendent vaillamment comme la prunelle de leurs yeux jusque même dans leurs structures traditionnelles ». Et Zagré d’ajouter : « Les gouvernements successifs, qui ont fait fi de cet attachement des Burkinabè à la liberté en ont eu pour leurs frais ». Zagré redoutait, il y a vingt ans déjà, « un laisser-aller, sinon l’abandon pur et simple de l’observance de certains principes chers à cette partie d’Afrique et qui fait encore la fierté des Burkinabè dignes de ce nom, à savoir la sobriété et la modestie »* ; il n’aurait pas aimé l’évolution récente du Burkina Faso mais y aurait vu une « loi de l’histoire » et aurait rappelé que la traduction littérale du verbe « régner » en mooré, la langue des mossé, est explicite : « bouffer de la chefferie » ! Ce que n’ont pas manqué de faire les « élites » de Ouaga 2000.

Combien de temps a-t-il fallu pour sortir la Côte d’Ivoire de la crise provoquée par la chute d’Henri Konan Bédié en 1999 ? Et extirper le Mali d’une mauvaise passe suite à la « guerre » déclenchée par le MNLA et au coup d’Etat militaire du 22 mars 2012 ? Mais ni la Côte d’Ivoire ni le Mali ne sont sortis plus forts de ces crises. Il est à espérer que le Burkina Faso, après les atermoiements consécutifs à la démission de Blaise Compaoré, saura trouver très vite les voies et moyens de se remettre sur les rails et, surtout, faire preuve de suffisamment « d’imagination pour relever les défis de société » (c’était l’ambition qu’avait Zagré pour la classe dirigeante de son pays).

Au Burkina Faso, je l’ai dit au lendemain des « mutineries » (cf. LDD Burkina Faso 0253/Vendredi 27 mai 2011), le verrouillage social du pays a provoqué un blocage politique. D’où la formation d’une bureaucratie (au sens sociologique du terme) qui, entendant sauvegarder ses privilèges, a muté en oligarchie. Une dérive qui a accentué les inégalités, défiguré les libertés publiques et privé le peuple du libre choix de ses représentants : le militantisme politique et social se résumant à sa fonction « utilitariste » (« bouffer de la chefferie »).

Le « blocage politique » vient de sauter. Reste à faire sauter le « verrouillage social ». Pas le plus facile. Le « camarade Compaoré » le disait en 1988 : « Ce qui doit être prioritaire pour nous, c’est développer les forces productives, développer les forces productives, encore développer les forces productives […] Il existe un lien indissoluble entre le développement des forces productives et le social qui n’en est que l’excroissance » (cf. LDD Burkina Faso 0440/Vendredi 31 octobre 2014). Il n’y est pas parvenu malgré ses efforts pour étendre l’espace vital du pays à travers les médiations. A la future nouvelle équipe de jouer. « Ready to start ».

* Pascal Zagré, « Les politiques économiques du Burkina Faso. Une tradition d’ajustement structurel », éd. Karthala, Paris 1994. Economiste, Zagré a été directeur général de la maîtrise d’ouvrage du premier barrage hydroélectrique du Burkina Faso (Kompienga), ministre du Plan et de la Coopération, consultant et enseignant. Il avait été invité à l’université de Boston en 1994 et c’est dans cette ville de la côte ouest-américaine qu’il est mort en 1996.

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche

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Vos commentaires

  • Le 8 novembre 2014 à 11:13, par SOS En réponse à : Jusqu’où le « Pays des hommes intègres » va-t-il se désintégrer ? (6)

    "L’autre lecture, celle que je privilégie sans oublier l’autre, évoque un homme d’Etat qui aurait mis un terme aux dérives d’une révolution qui avait atteint ses limites et a entrepris de démocratiser la vie politique et de libéraliser la vie économique de son pays, permettant d’inscrire l’action de l’Etat dans un cadre constitutionnel, remettant en route les institutions, à commencer par l’Assemblée nationale, entreprenant une décentralisation des pouvoirs et menant une politique diplomatique active, au profit du Burkina Faso, bien sûr, mais également de la région ouest-africaine. En quelques décennies, le pays a été métamorphosé, l’économie s’est développée, la rigueur de gestion a été affirmée et le Burkina Faso a échappé aux drames qui ont été ceux de tous ses voisins : crises politiques, guerre civile, sécession, terrorisme…" le feu de l’enfer sera très doux pour toi. tu peux aller chercher ton blaise et le garder ou tu veux. nous on préférait Sankara. je ne sais pas pourquoi tu n’arrives pas à comprendre quelque chose de simple. écrit tout ce que tu veux sur blaise il ne sera jamais comme Moïse qui banni par Pharaon était béni de Dieu. Ton blaise est banni par les deux (le peuple et Dieu)

  • Le 9 novembre 2014 à 19:47, par MAILLOT En réponse à : Jusqu’où le « Pays des hommes intègres » va-t-il se désintégrer ? (6)

    BEJOT devrait apprendre la géographie ! BOSTON est sur la côte EST des Etats Unis !

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