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Projet de loi relatif au référendum : Juridiquement inconstitutionnel et politiquement incorrect selon l’ABSP

Publié le mercredi 29 octobre 2014 à 13h07min

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Projet de loi relatif au référendum : Juridiquement inconstitutionnel et politiquement incorrect selon l’ABSP

Le 21 octobre 2014, un Conseil extraordinaire des Ministres s’est tenu à Ouagadougou. Il a adopté un projet de loi portant modification de la Constitution du Burkina Faso en son article 37 relatif à la limitation du nombre de mandat présidentiel. Le projet de loi vise, selon ses auteurs, à saisir le peuple par référendum pour cette modification et permettre au président sortant d’exercer un magistère à vie.

Par la présente déclaration, L’ABSP entend faire sienne cette affirmation du Professeur Alioune Sall : « les périodes d’effervescence sont aussi, souvent, des moments de confusion, dans lesquels les impulsions passionnelles et les inclinaisons partisanes prennent volontiers le pas sur un minimum de sérénité sans lequel le débat public n’est ni sain ni fécond. Que le raidissement du débat public soit le fait d’acteurs politiques n’est que normal, c’est même, ajouteront d’autres, le sel de la démocratie. Mais il est tout aussi légitime de chercher, au milieu de cette houle, à rappeler un certain nombre de choses qui ont pu, il faut bien le dire, être oubliées ou occultées –on n’ose dire volontairement – dans cette controverse. Des choses qui ont pu être dites ou insinuées, certaines doivent être relativisées, alors d’autres méritent incontestablement d’être appuyées, confortées ».

La présente intervention vise à montrer que le projet de loi en cours d’adoption est juridiquement inconstitutionnel, mais aussi politiquement incorrect. Cette clarification vise, par ricochet, à montrer que la question de l’avenir politique du Président Blaise COMPAORE, qui est la cause première du projet, n’est certainement pas une question insoluble au regard des dispositions de la Constitution, elle y trouve sans aucun doute sa solution.

I. UN PROJET DE LOI JURIDIQUEMENT INCONSTITUTIONNEL

L’inconstitutionnalité du projet de loi tient au non-respect des limites procédurales d’une part, et des limites matérielles, d’autre part. Dans les deux cas, le projet est contraire au bloc de constitutionnalité et la révision, un changement anticonstitutionnel de gouvernement.

A. Une procédure contraire au bloc de constitutionnalité

Il faut de prime abord, relever la victoire partielle des constitutionnalistes sur la procédure retenue par le gouvernement. Contrairement aux juristes d’un autre âge qui appelaient à tort à recourir à l’article 49 de la constitution, l’exposé des motifs du projet de révision tranche pour le recours au Titre 15 de la Constitution. Les auteurs du texte estiment que ce titre décline la procédure de droit commun de la révision.

Sous cette réserve, il faut noter que la procédure est inconstitutionnelle à deux niveaux : le non-respect du consensus autour de la rédaction du texte à adopter et la volonté d’adopter le texte par le Parlement.

Concernant l’absence de consensus sur la rédaction du projet de loi, l’on remarque que certains textes pertinents de notre bloc de constitutionnalité mentionnent la nécessité du consensus sur le projet de révision. Or il faut relever que le texte du projet a été unilatéralement discuté par la majorité, le CDP et l’ADF/RDA notamment. En faisant ce choix, le gouvernement ferait de ces partis politiques, les seuls et vrais représentants du corps électoral appelé à se prononcer sur le fond de la révision. Cette méthode sibylline s’appelle le consensus objectif minimal dans l’exposé des motifs. Quelle aberration juridique !

Relativement à la procédure, il faut noter la volonté délibérée de tromper le peuple. Alors que le conseil extraordinaire des ministres a décidé de consulter le peuple par référendum, il est de plus en plus question d’une possibilité d’adopter le texte par la voie parlementaire.

Cette pratique dévoile deux griefs à mettre à nue : la confusion entre le vote de la prise en compte (l’appréciation de l’opportunité) et l’adoption du texte.
Tous les constitutionnalistes sont unanimes à reconnaître que la révision constitutionnelle régulière procède en principe de deux votes. Le vote de l’opportunité et celui de l’adoption du texte de la révision. La mécanique mathématique ne doit pas être confondue avec la logique juridique. Dans le cas présent, le parlement ne peut pas être appelé à apprécier l’opportunité de la loi et à la sortie, il conclut à l’adoption de la nouvelle loi constitutionnelle au motif que la majorité des ¾ aurait été obtenue au premier vote. Une telle démarche trahit l’objet initial du vote qui est d’apprécier l’opportunité et nullement d’adopter le texte de la révision.

Comme qui peut le plus peut le moins, si le premier vote débouche sur la majorité des ¾ des députés, il est loisible au président COMPAORE d’envisager une nouvelle délibération parlementaire à l’effet d’adopter le texte (il aurait fallu dans ce cas que le Conseil des ministres du 21 précisa cette possibilité), soit il convoque le corps électoral pour le référendum.

Mais cette option serait contraire au préambule de notre Constitution qui recommande « la transparence, l’impartialité et l’obligation de rendre compte considérées comme des valeurs républicaines et éthiques propres à moraliser la vie de la Nation ». En effet, la confidentialité et l’absence de transparence sur le texte de la révision, la rapidité avec laquelle le processus de révision constitutionnelle a été enclenché au parlement, témoignent de la violence même de l’approche et du refus de la recherche du consensus par le pouvoir. Il y a manifestement violation de l’article 10 de la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance (CADEG) qui dispose que : « les Etats parties doivent s’assurer que le processus d’amendement ou de révision de leur Constitution repose sur un consensus national comportant, le cas échéant, le recours au référendum ».
Le non-respect de ces préalables cache mal un changement anticonstitutionnel de gouvernement.

B. La révision constitue un changement anticonstitutionnel de gouvernement

La rédaction du projet de texte n’a pas été aisée tant la majorité chercha un fondement juridique imparable. Malheureusement, l’ingénierie constitutionnelle n’a pas été efficace. Les juristes de service ne sont arrivés qu’à leur proposer un cache-sexe mal cousu. Finalement, la violation de l’ensemble du corpus juridique burkinabè est d’une évidence implacable.

1. Un cache-sexe mal cousu

L’examen du projet de loi permet de dire que la révision de l’article 37 est un changement anticonstitutionnel de gouvernement. L’exposé des motifs sur la légalité constitutionnelle du projet de loi est une seconde victoire pour les juristes qui n’ont cessé de dénoncer la violation des principes constitutionnels convergents de l’Union Africaine et de la CEDEAO. Là encore, les juristes passés et dépassés ont subi un camouflet. Ils avaient demandé à cor et à cri au chef de l’Etat à trouver les fondements de la révision de l’article 37, d’une part, dans la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance (CADEG) ratifiée le 26 mai 2010 et, d’autre part, dans le Protocole A/SP1/12/01 du 21 décembre 2001 de la CEDEAO sur la démocratie et la bonne gouvernance additionnel au protocole relatif au mécanisme de prévention, de gestion, de règlement des conflits, de maintien de la paix et de la sécurité. Les auteurs du projet n’ont pas voulu prendre, et à juste raison, le risque de dénigrer le réseau des accords et traités internationaux ratifiés par le Burkina Faso. Ils ont simplement pris le pari de ne pas faire référence à la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance.

Les déclarations de la France, des Etats Unis d’Amérique et de l’Union européenne sur la nécessité de respecter les deux instruments précités montrent que non seulement les juristes de circonstances ont eu tort dès l’énoncé de leurs arguties juridiques, mais aussi la majorité (CDP, ADF/RDA, et autres) s’est trompée en n’y faisant pas référence.

2. La violation de la Constitution, de l’Acte constitutif de l’UA, du Protocole de la CEDEAO.

Il faut le faire noter une fois pour toute pour les non juristes : la Constitution ne se réduit pas aux articles numérotés du texte constitutionnel. Elle embrase son préambule et les différentes normes auxquelles elle renvoie, ainsi que les normes constitutionnelles d’origine communautaire et internationales ratifiées.
La démonstration se voulant brève, elle se limitera à trois arguments principaux : le premier concernera le rejet et la condamnation des changements anticonstitutionnels de gouvernement ; le second portera sur la suprématie des normes d’origine communautaire ; le dernier concernera la violation de la coutume constitutionnelle de la limitation des mandats présidentiels.

Relativement au premier point, le Protocole A/SP1/12/01 CEDEAO affirme en son article 1er c) que « les principes ci-après sont déclarés principes constitutionnels communs à tous les Etats membres de la CEDEAO : tout changement anti-constitutionnel est interdit de même que tout mode non démocratique d’accession ou de maintien au pouvoir ». Ce principe est repris et approfondi par l’Union Africaine. Il est affirmé à l’article 5 p., du Traité constitutif ratifié par le Burkina Faso le 27/02/2001 que : « l’Union africaine fonctionne conformément aux principes suivants :…

Condamnation et rejet des changements anti-constitutionnels de gouvernement ». Il est ensuite réaffirmé et défini par énumération à l’article 23.5. de la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance (CADEG) en ces termes : « les Etats parties conviennent que l’utilisation, entre autres, des moyens ci-après pour accéder ou se maintenir au pouvoir constitue un changement anticonstitutionnel de gouvernement et est passible de sanctions appropriées de la part de l’Union :…Tout amendement ou toute révision des Constitutions ou des instruments juridiques qui porte atteinte aux principes de l’alternance démocratique ».

Il y’a changement anticonstitutionnel de gouvernement parce que la révision qui intervient au second et dernier mandat du président COMPAORE empêche l’alternance entendue comme une rotation individuelle au sommet de l’Etat.

S’agissant de la supériorité du droit communautaire, il faut seulement faire remarquer aux pseudo-juristes que depuis l’adoption du Traité révisé le 11 juin 2006, la CEDEAO est devenue un ordre juridique propre et intégré à l’ordre juridique des Etats membres. A partir de ce moment, la CEDEAO et l’UEMOA revendiquent la primauté liée à la nature de ces organisations telle qu’il ressort de l’interprétation de la Cour de justice des Communautés européennes. En la matière, les jurisprudences Costa c/ Enel, Van Gend Loos (1963) et Simmenthal (1978) sont transposables. Dans l’arrêt rendu le 15 juillet 1964 relativement à l’affaire Flaminio Costa contre Ente Nazionale per l’Energia Elettrica (ou Costa c/ Enel, affaire 6/64), la Cour affirme que « le droit du traité ne pourrait donc, en raison de sa nature spécifique originale, se voir judiciairement opposer un texte interne quel qu’il soit, sans perdre son caractère communautaire et sans que soit mise en cause la base juridique de la Communauté elle-même » ; et qu’ainsi « le transfert opéré par les États, de leur ordre juridique interne au profit de l’ordre juridique communautaire, des droits et obligations correspondant aux dispositions du traité, entraîne donc une limitation définitive de leurs droits souverains contre laquelle ne saurait prévaloir un acte unilatéral ultérieur incompatible avec la notion de Communauté ».

La Cour de justice de l’UEMOA affirme dans son avis n° 001/2003 du 18 mars 2003 que : « la primauté bénéficie à toutes les normes communautaires primaires comme dérivées, immédiatement applicables ou non et s’exerce à l’encontre de toutes les normes nationales administratives, législatives, jurisprudentielles et même constitutionnelles parce que l’ordre juridique communautaire l’emporte dans son intégralité sur les ordres juridiques nationaux ». Trêve de commentaires.

Il faut enfin terminer en relevant la violation d’une coutume constitutionnelle. Le projet de loi de révision de la Constitution viole la règle coutumière de la limitation du nombre des mandats présidentiels. Le principe de la limitation du nombre de mandat présidentiel a été affirmé tour à tour par le constituant de la deuxième République (article 25 alinéa 7 de la constitution du 29 juin 1970), troisième République (article 25 alinéa 7 de la constitution du 13 décembre 1977) et quatrième République (article 37 de la constitution du 02 décembre 1991). Au demeurant, il est juridiquement acceptable d’affirmer que la limitation du nombre de mandats présidentiels est au Burkina Faso une règle d’ordre public, entendue comme « la conception d’ensemble de la vie en commun sur le plan politique et administratif ». Guillaume DRAGO pense que la règle d’ordre public est d’une grande importance pour le maintien de l’ordonnancement juridique que nul ne peut y déroger. Ainsi dans un procès, le juge doit-il soulever d’office les manquements à ces règles. (G. Guillaume, Le contentieux constitutionnel des lois, contentieux d’ordre public par nature, Mélange R. DRAGO, Economica, 1996, p. 9.).

Les auteurs de la révision ont trouvé un artifice juridique qui consiste à maintenir la clause limitative du nombre de mandat présidentiel, mais en repoussant les effets de la limitation précédemment établie. Le maintien de la limitation du nombre de mandat ne couvre pas pour autant la violation du principe de la limitation des mandats présidentiels. De tout ce qui précède, une conclusion s’impose : le projet de loi de révision est politiquement incorrect.

II. UN PROJET POLITQUEMENT INCORRECT

Disons clairement les choses : ce qui est projeté comme loi par nos gouvernants actuels n’en est pas une. Nul besoin d’être un féru du droit pour savoir qu’une loi se caractérise par sa généralité, sa dimension impersonnelle et elle dispose, dit-on, pour l’avenir. Mieux ; elle doit coller à la réalité démocratique universelle pour ce qui concerne la Constitution. Or, le projet en cours frappe par sa visée personnelle. C’est pour permettre au président Blaise Compaoré de se présenter en 2015 que ce projet de loi est engagé par le camp présidentiel. Si non, pourquoi insiste-t-on tant sur la modification de l’article 37 de notre constitution ? Pourquoi cette modification qui n’a jamais requis un consensus des différents acteurs réunis dans la multitude des cadres de discussion suscités par le Président du Faso lui-même depuis 2009 n’est-elle pas abandonnée ? Pourquoi le Président Blaise COMPAORE qui a promis de ne retenir que les propositions consensuelles réintroduit-il un projet de révision de l’article 37 ? L’article 19 du Règlement intérieur du CCRP dispose que « les décisions sont adoptées par consensus. Toutefois, lorsque le consensus n’est pas obtenu sur une question, il en est fait mention dans le rapport ».

De toute évidence, le projet de modification de notre Constitution est simplement inacceptable, car il s’agit d’un oukase, d’un acte de « magistère » pour reprendre la formule de Montesquieu. Le Président COMPAORE veut oblitérer le peuple burkinabè. En projetant la révision de notre constitution en son l’article 37, le président du Faso s’octroie des libertés vis-à-vis de notre loi fondamentale qui sont, de notre point de vue, liberticides. Si ce projet venait à être adopté, ce serait un précédent dangereux dans l‘histoire politique de notre pays. Et à n’en point douter, d’autres présidents en viendraient à faire autant.

La Constitution d’un pays n’est pas un jouet. Elle doit être respectée dans toute sa rigueur en premier lieu par le chef de l’Etat.

En effet, notre constitution est le fruit d’un consensus historique entre divers acteurs. Ce consensus qui prévaut depuis 1991 ne saurait être remis en cause par un seul groupe sous prétexte que celui-ci est majoritaire à l’Assemblée nationale. Il est de notoriété publique que lorsque des acteurs politiques, face à une situation de crise politique, en viennent à trouver une sortie consensuelle au moyen d’un arrangement constitutionnel, c’est ce dernier qui doit servir de viatique, de leitmotiv, pour la conduite des affaires publiques.

Au Burkina Faso, consécutivement à l’assassinat de Norbert Zongo et de ses compagnons d’infortune et la lutte contre l’impunité qui en a suivi, le Collège des Sages a identifié le très long règne de monsieur Blaise COMPAORE comme une des causes de la crise structurelle qui frappe notre pays. Pour ces Sages, il convenait de ramener le mandat présidentiel à cinq (05) ans renouvelable une (01) seule fois. Du reste, dans son serment d’investiture, le président Blaise COMPAORE s’est publiquement engagé à respecter et à appliquer le contenu du rapport du Collège des Sages constitutionnalisé par le Conseil constitutionnel dans sa décision de 2005.

Au total, la Constitution d’un pays n’est pas la seule affaire des partis politiques ou des « acteurs institutionnels ». Elle n’est surtout pas un fait majoritaire, c’est-à-dire une prérogative d’un parti politique majoritaire à l’Assemblée nationale. Elle est l’affaire de tous les citoyens du pays. Par conséquent, l’idée de révision de la constitution au motif de prévenir une crise plus grave pour maintenir une personne au pouvoir, n’est rien d’autre qu’une manœuvre dolosive, une violation, pire une fraude à la Constitution.

L’association burkinabè de Sciences politiques rejette et condamne avec la plus grande fermeté le projet de révision constitutionnelle et tous les autres textes (le code électoral notamment) en cours d’amendement dans notre pays. Il y va de notre démocratie que nous devons absolument défendre et protéger. Il s’agit par-dessus tout, de protéger de même notre Constitution qui constitue son socle principal contre toute tentative de confiscation. A cet effet, Alexis de Tocqueville nous enseigne que, « le despotisme, qui est dangereux dans tous les temps, est particulièrement à craindre dans les siècles de démocratie » (Tocqueville Alexis, De la démocratie en Amérique).

Le Secrétaire exécutif permanent de l’ABSP.

Dr Salifou SANGARE

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