LeFaso.net, l'actualité Burkinabé sur le net
Proverbe du Jour : “Vous n’empêcherez pas les oiseaux de malheur de survoler votre têtе, mаis vοus рοuvеz lеs еmрêсhеz dе niсhеr dаns vοs сhеvеux.” Proverbe chinois

Le référendum, la modification de l’article 37 et la création d’un Sénat sont inopportuns selon le Syndicat national autonome des enseignants-chercheurs (SYNADEC)

Publié le lundi 27 octobre 2014 à 13h28min

PARTAGER :                          
Le référendum, la modification de l’article 37 et la création d’un Sénat sont inopportuns selon le Syndicat national autonome des enseignants-chercheurs (SYNADEC)

Depuis plusieurs années, le Burkina Faso a été présenté comme un havre de la paix en Afrique, en raison de sa relative stabilité politique. La transition démocratique a révélé tout l’intérêt que le peuple manifeste pour la question de la démocratie et des libertés fondamentales. Les débats furent nourris et l’éclosion des partis politiques montrent l’expression plurielle des volontés de participer à la construction nationale par la voie démocratique. Ce qu’on a pu apprécier, c’est cet engouement des concitoyens pour l’engagement politique dans une perspective de perpétuation de l’idéal démocratique.

Mais tout n’a pas été parfait depuis 1991. Ce parcours de plus de vingt ans a été jalonné de crises liées à la logique de conservation du pouvoir ou de conquête de ce pouvoir. Le pouvoir en place veut absolument conserver l’appareil d’Etat aussi longtemps que possible, sinon à vie. Les partis politiques de l’opposition en toute légitimité mettent des stratégies plus ou moins heureuses de conquête de ce pouvoir. Parfois désunis, émiettés et se rapprochant au gré des circonstances, ils ont souvent suscité autant d’espoir que de déceptions.

On se souvient des grandes mobilisations des années 1995 à 1997 où partis politiques de l’opposition et organisations de la société civile se sont soulevés comme d’un seul homme pour faire échec à la modification de l’article 37. L’année suivante, l’assassinat du journaliste Norbert Zongo a provoqué une crise de grande ampleur qui fit vaciller le pouvoir. La recherche de solutions occasionna les assises du Collège de sages qui proposa des solutions tout à fait pertinentes, des commissions de réformes politiques qui débouchèrent sur un amendement de la Constitution fixant le mandat du Président du Faso à cinq ans renouvelables une fois.

Malgré les imperfections de cette démocratie, les querelles politiques n’ont pas engendré de conflits civils compromettant la paix dans le pays. Cette stabilité relative fut à l’origine de plus d’une décennie de croissance économique soutenue, impulsée par le boom minier. La croissance moyenne depuis 2000 est supérieure ou égale à 5% l’an. L’or, qui n’est pas éternel, a néanmoins boosté l’économie nationale avec un chiffre d’affaires en 2011 qui s’élève à 750 milliards de francs, dont des recettes nettes allant dans les caisses de l’Etat à hauteur de 125 milliards de francs. L’or a supplanté depuis 2011 le coton comme premier produit d’exportation du Burkina Faso.

Dans une perspective comparative, la croissance de l’économie burkinabè se conforte dans une troisième place, parmi les pays de l’espace UEMOA, après celle de la Côte d’Ivoire et du Sénégal. En raison de ces performances économiques, des améliorations sensibles devraient être apportées principalement aux secteurs sociaux, l’éducation et la santé, en particulier. Malheureusement, les priorités sont allées ailleurs…
L’Institut national de la statistique et de la démographie (INSD), dans son analyse du recensement de la population de 2006, nous apprend que 46% de la population ont moins de 15 ans. Donc près de la moitié de la population est en âge de scolarisation. Cela signifie qu’il faudra construire encore davantage d’écoles, davantage de collèges et de lycées et davantage d’établissements d’enseignement supérieur. Ce besoin lié à la demande éducative ira croissant jusqu’en 2050, moment où le pays amorcera sa transition démographique.

Cette jeunesse de la population est un potentiel pour l’avenir. C’est un potentiel substantiel de ressources humaines à qualifier par l’éducation pour espérer atteindre, au cours des décennies à venir, au statut de pays émergent tant annoncé dans le discours politique. Or que se passe-t-il ? Pendant des décennies nos dirigeants ont bricolé le système éducatif jusqu’à le désarçonner, à le désintégrer pour in fine inventer des concepts aussi creux qu’indigestes du genre « post-primaire », « continuum », etc., en prenant toutefois le soin de fuir ce monstre qu’ils ont eux-mêmes engendré pour envoyer, dans les paradis éducatifs du Nord, leurs rejetons qu’ils préparent à une destinée d’héritiers du régime de reproduction sociale qu’ils s’efforcent de mettre en place.

Quand on parle de continuum, cela signifie que les degrés de l’enseignement n’ont plus de signification. L’essentiel est de faire passer la masse des enfants pour se donner la bonne conscience de les avoir envoyés à l’école. Mais à quelle école ? Se soucie-t-on du cadre logistique, de l’équipement qui amène l’enfant à aimer l’environnement dans lequel il apprend ? Se soucie-t-on de la qualité quand on forme les enseignants en quelques mois…

Que dire du supérieur ? Depuis deux décennies l’on est surpris dans ce pays par la flambée des effectifs qui ont comme tétanisé les dirigeants et inhibé leurs réactions. Jusque-là, on tâtonne. Les années se chevauchent, si bien qu’on ne sait quand elles commencent et quand elles finissent. Le budget du Ministère en charge des enseignements secondaire et supérieur n’était de que 3,5% du budget national en 2013 ! Comment absorber le flux venant du primaire avec son post ? Comment administrer les établissements qui comprenaient à la fois le collège et le lycée dans un même site ? La logique aurait voulu que le Ministère en charge des enseignements expulse de ses sites les collèges devenus post-primaires pour réorganiser son espace ou à la limite qu’il refuse le bicéphalisme administratif qui se profile à l’horizon. Et si le pas était franchi, quelle n’aurait pas été l’anarchie créée dans le second degré ?

On le voit bien, l’éducation importe peu pour nos dirigeants. C’est pourtant par-là que sont passés les nations développées et aujourd’hui les pays émergents comme le Brésil, l’Inde, la Corée du Sud, Taïwan, etc. Et si les autres comme la Corée du Sud, Taïwan, notre « ami asiatique », ont pu émerger en partant du même niveau que nous il y a seulement quelques décennies, pourquoi échouerons-nous là, où sans magie ni sorcellerie, ces pays ont le mieux réussi jusqu’à nous placer sous un régime de curatelle au travers de l’aide ?

Tous les pays qui se sont développés ont fait le sacrifice de l’investissement dans le capital humain (éducation et santé) pour ensuite capitaliser ses acquis en termes de formation de cadres orientés vers la conception, de préservation de la santé de la population afin de la rendre valide au travail en vue du développement. Il faut craindre que les dirigeants de la 4e république ne raisonnent comme les physiocrates, ces économistes français du XVIIIe siècle qui pensaient que la source de la richesse n’est pas le travail, mais la capacité miraculeuse de la terre à produire de la nourriture à chaque printemps. Dans la construction de l’Etat-nation, il n’y a pas de place pour le miracle. Il y a simplement des étapes à suivre, des priorités à définir. Et parmi les priorités, la priorité des priorités ! Certains nous objecteront qu’on peut brûler des étapes parce que l’avancée de la science met à notre disposition d’immenses possibilités d’accélérer le processus de notre sortie de la longue nuit de sommeil qui fit dire à Nicolas Sarkozy que l’Afrique n’est pas encore entrée dans l’histoire. Quand on sait qu’il faut marcher avec le peuple, on ne peut se hasarder à prendre de la distance vis-à-vis de lui. C’est pourquoi il n’est pas conseillé de sauter les étapes.

Les dizaines de milliards que l’on envisage de jeter dans la conservation du pouvoir via l’obtention de vote d’un tiers de députés du projet de loi proposé par le gouvernement, ou l’organisation d’un référendum et ou encore l’institution d’un Sénat dont le projet n’est pas abandonné peuvent servir à construire des établissements pour éviter le syndrome de l’école sous paillotte ; des universités pour développer la carte universitaire avec à l’appui une formation des formateurs ; des centres médicaux et l’amélioration des plateaux techniques des hôpitaux existants.

Le peuple a le regard tourné vers l’avenir. Et cet avenir se trouve dans l’investissement dans sa jeunesse pour préparer la relève de demain. Il faut regretter que l’égoïsme des hommes indispensables présentés comme les seuls capables de garantir la paix nous conduisent à une compromission grave de cette paix tant recherchée.

Le constat que nous faisons en suivant tous les jours l’évolution de la scène politique, c’est que beaucoup de concitoyens rêvent qu’une chance, aussi minime soit-elle, soit donnée aux Burkinabè de faire enfin l’expérience d’une alternance dans le cadre d’une république qui engendre des générations de dirigeants, après avoir fait l’expérience de plus d’une vingtaine d’années de vie électorale qu’on a généreusement appelée vie démocratique. Beaucoup de jeunes de 25 à 28 ans n’ont connu qu’un seul président du Faso et courent le risque d’être formatés à jamais sur l’idée que la démocratie est un vain mot !

Que la Loi fondamentale est un simple papier à recycler à volonté, un jeu de mots fait pour être tripoté selon son désir. Ils peuvent être frustrés de constater qu’ailleurs, parfois chez les voisins les plus proches comme au Ghana, on a tourné la page de l’instabilité et qu’on est en passe de jeter dans la chambre froide de l’histoire les années douloureuses du « coup d’Etat permanent » qui fit des dizaines de morts. Ils remarquent que par contre là où l’on veut s’éterniser au pouvoir, des conflits civils éclatent. Les aînés peuvent à leur tour être déçus de constater que jamais – un diplomate l’a dit avant nous – le Burkina Faso n’a connu depuis la proclamation de sa République le 11 décembre 1958, une alternance politique. Frustration et déception poussent à la schizophrénie, surtout de la part d’une jeunesse désemparée d’autant plus déroutée que les querelles politiques ne laissent plus de place à la création des conditions idéales à son éducation, son droit le plus absolu qu’elle réclame de ses dirigeants. Nous l’avons dit, aucune nation ne s’est développée sans accorder la plus grande attention au développement de son système éducatif. Les dirigeants politiques de la 4e république burkinabè foulent au pied leur devoir vis-à-vis de la jeunesse et s’étonnent en revanche curieusement de la montée de l’incivisme, voire du grand banditisme parmi cette jeunesse.

Au regard de cette situation explosive, du devoir d’intervention d’urgence dans les secteurs sociaux et de la recherche d’une sécurité alimentaire causées en partie par les aléas climatiques, le Syndicat national autonome des enseignants-chercheurs (SYNADEC), ne peut se taire sur l’évolution dangereuse de la situation nationale. Le SYNADEC en toute objectivité pense que le référendum, la modification de l’article 37 et la création d’un Sénat, aussi réaménagé soit-il, sont inopportuns pour le développement de notre pays, le Burkina Faso. L’actuelle Constitution de notre pays est le fruit d’un large consensus consécutif aux troubles sociopolitiques nés de l’assassinat de Norbert ZONGO et de ses compagnons, consensus qui a permis d’éviter à notre pays les affres des confrontations fratricides.

Aujourd’hui en 2014, rien, absolument rien, ne justifie une modification de notre Constitution car il n’y a aucun problème politique émanant du fonctionnement des institutions de la 4e République. En l’absence de disfonctionnement des institutions, l’entreprise actuelle du pouvoir s’apparente simplement à une modification pour convenance personnelle, une modification intuiti personae, attitude égoïste et anti républicaine. Les autorités veulent consulter le peuple sur une question qui ne fait pas partie de ses préoccupations cruciales du moment et qui par conséquent ne l’intéresse pas. Par contre, favoriser l’alternance politique participe du renforcement de l’expérience de la démocratie, une valeur cardinale que le peuple cherche à consolider aussi bien que d’un nouveau contrat avec le peuple pour son avenir.

Il donc faut sortir de la conception impériale du pouvoir qui pousse à perpétuer la logique du putsch, du changement politique brutal. Le SYNADEC pense qu’au jour d’aujourd’hui, le Burkina Faso a suffisamment de fils et de filles capables de le diriger et qui ne veulent que saisir l’opportunité des consultations électorales prévues par la Constitution pour faire eux et elles aussi leurs preuves dans la gestion du pouvoir d’Etat. C’est ainsi que se construisent les grandes nations.

Jamais les dirigeants d’un peuple n’ont été d’égale grandeur au cours de l’histoire, contrairement à ce que pensent certains érudits du système. Il est tant que le grand homme fort d’aujourd’hui cède la place à un petit qui préparera la place demain à un plus grand. Il ne faudra pas que le désir effréné de conservation à tout prix et d’ivresse du pouvoir conduisent à la destruction de la pierre précieuse que l’on a tous apportée à la construction de la nation. Dans ces situations-là, le fort des grands hommes consiste justement à surmonter leur égo, leurs intérêts personnels et partisans, souvent même au détriment de leur vie, pour permettre la construction de nation forte. Les grands hommes passent toujours le relais à temps, comme initialement prévu…

Les réformes politiques proposées par le Collège de Sages et d’autres commissions attendent encore d’être mises en œuvre. A force de les fouler aux pieds, le pays se trouve au bord de l’abîme. Nous appelons de tous vœux que chaque citoyen, à quelque niveau qu’il soit, joue pleinement son rôle historique pour l’émergence d’une société de droit et de démocratie au Burkina Faso, condition sine qua non pour assoir une vraie politique de développement.

Le SYNADEC tient à la préservation du bien précieux de la paix. Il sait que la condition de la paix passe par le respect de la Constitution dont la tentative actuelle de la modification est source de conflit et de lendemains incertains.

Pour le SYNADEC
Le Bureau National

PARTAGER :                              

Vos commentaires

 LeFaso TV
 Articles de la même rubrique
Burkina Faso : Justice militaire et droits de l’homme
Burkina Faso : La politique sans les mots de la politique
Le Dioula : Langue et ethnie ?