LeFaso.net, l'actualité Burkinabé sur le net
Proverbe du Jour : “Soyez un repère de qualité. Certaines personnes ne sont pas habituées à un environnement où on s’attend à l’excellence.” Steve jobs

Michaëlle Jean. Et si une « femme noire du Nouveau Monde » régnait sur la francophonie ? (1/2)

Publié le lundi 20 octobre 2014 à 19h43min

PARTAGER :                          
Michaëlle Jean. Et si une « femme noire du Nouveau Monde » régnait sur la francophonie ? (1/2)

Le prochain sommet de la francophonie se tiendra le samedi 29 et le dimanche 30 novembre 2014 à Dakar. Avec, cette fois, un enjeu significatif qui donnera un peu de piment à ce grand raout dont on ne sait jamais vraiment ce qui en sort et pourquoi faire. Il faudra élire un nouveau secrétaire général en remplacement d’Abdou Diouf en place depuis 2003 (réélu en 2006 et 2010). La francophonie ne passionne pas la France ; et moins encore les Français. Mais c’est à Paris que siège l’Organisation internationale de la francophonie (OIF) et rien que cela vaut le coup.

La capitale française est quand même, politiquement, diplomatiquement et socialement plus attrayante que bien des capitales de l’espace francophone. Un espace à géométrie variable. 57 pays et gouvernements membres + 20 pays et gouvernements observateurs + 3 Etats associés. L’OIF revendique plus de 900 millions de personnes dans le monde ayant en partage la langue française et les valeurs universelles. Ce qui ne manque pas d’être largement abusif mais l’abus de langage est, aussi, une caractéristique sinon de la langue française tout au moins des Français.

A l’approche de Dakar, voilà donc que la francophonie revient sur le devant de la scène dès lors qu’il y a une place à prendre, pas trop pénible et prestigieuse. Et du même coup, il y a beaucoup de candidats à la succession de l’ancien président de la République du Sénégal. Certes, beaucoup moins aujourd’hui qu’en début d’année, un certain nombre d’entre eux ayant jeté l’éponge : l’accès à ce job demande malgré son absence d’impact une mobilisation diplomatique significative auprès des « décideurs » et bailleurs de fonds de la francophonie que sont notamment la France, le Canada, la Belgique, la Suisse. Et, surtout, oblige à ce que le pays d’origine du postulant soit à jour de ses cotisations. Ce qui, bien sûr, limite les ambitions de quelques uns. Et puis prendre la succession de Boutros Boutros-Ghali et de Diouf nécessite une réelle stature ce qui n’est pas, là encore, le cas de tous les candidats.

Le Burundais Pierre Buyoya, le Congolais Henri Lopez, l’Equato-guinéen Agustin Nze Nfumu, le Mauricien Jean-Claude de l’Estrac sont sur la ligne de départ. Des candidats africains, l’Afrique étant globalement considérée comme le continent francophone (même si la RDC, présentée comme le premier pays francophone d’Afrique, est loin d’avoir « le français en partage »). Mais, au-delà de ces candidatures, il y a surtout celle de la Canadienne Michaëlle Jean, incontestablement la plus intéressante parce qu’elle est femme et parce qu’elle est doublement ressortissante d’un pays francophone (Canadienne d’origine haïtienne), un pays « occidental » et un pays sous-développé. Elle est donc l’expression d’un métissage culturel et cela dans un pays, le Canada, où les francophones ont eu à subir, à ce titre, par le passé, de la part des anglophones, une terrible répression dont Louis Riel, pendu le 16 novembre 1885, à Regina, province de la Saskatchewan, instigateur des grandes révoltes métisses de 1869 et de 1884-1885, est la figure emblématique*

Michaëlle Jean a émergé sur la scène internationale quand elle a été nommée gouverneure générale du Canada en 2005. La France l’a découverte quand elle a été reçue à L’Elysée au printemps 2008. 27è gouverneur général du Canada, elle a, à ce titre, accueilli avec Stephen Harper, chef du gouvernement canadien, et Jean Charest, premier ministre du Québec, les chefs d’Etat et de gouvernement des pays de la francophonie à l’occasion du 12è sommet (2008).

Son histoire commence loin des palais du pouvoir dans ce pays de « l’extrême Amérique » qu’est le Canada. A Port-au-Prince, en Haïti. A Haïti règne alors la famille Duvallier qui exerce sur le pays une des dictatures les plus sanguinaires. « Mes parents ont lutté, racontera Michaëlle Jean. Et ils en ont payé le prix. Tous les deux ont été arrêtés, mon père torturé. J’ai vu des exécutions publiques, des gens brûler vif. Des foules de gens autour de nous ont disparu. J’ai grandi dans cette atmosphère de dictature et connu la chape de plomb du silence** ». Michaëlle Jean est née en 1957, l’année où François Duvalier, « Papa Doc » (il était médecin), va prendre le pouvoir et régner par la force des « tontons macoutes » institués dès juillet 1958 ; en 1964, Duvalier se fera proclamer président à vie par la Constitution ; en 1971, il décidera d’une nouvelle réforme constitutionnelle : à sa mort, c’est son fils, Jean-Claude, qui lui succèdera : « Baby Doc » sera président de 1971 à 1986, reviendra à Haïti en janvier 2011, sera inculpé pour détournement de fonds et crimes contre l’humanité avant de mourir le 4 octobre 2014.

C’est la grand-mère de Michaëlle Jean, Dianira, qui lui « a transmis l’idée, enfant, que rien n’est impossible à qui rêve, agit, s’entête. Qu’on a le devoir de se battre et relever les défis** ». Dianira était venue de Jacmel*** pour s’installer dans la capitale de Haïti avec ses cinq enfants alors qu’elle venait d’être veuve. Elle avait une Singer sur laquelle elle confectionnait des habits qu’elle vendait au marché ; ses dons de voyance ont laissé penser à Michaëlle qu’elle pouvait espérer un autre destin dans un autre pays. En 1968, ce sera l’exil au Canada ; elle a alors onze ans. « L’exil, c’était repartir à zéro. Avec un sens aigu de qui on est et d’où on vient. J’ai donc été élevée dans un esprit de combat et avec une interdiction absolue : l’indifférence. Mes parents exigeaient que je voie la souffrance partout où elle était** ». Son père, Roger Jean, était directeur du collège épiscopal Saint-Pierre à Haïti. Il va installer sa famille à Thetford Mines, dans les Appalaches, province du Québec, à environ 100 km au Sud-Ouest de Québec.

Avec un tel parcours au sortir de l’enfance et la nécessaire rigueur familiale, Michaëlle Jean aura un cursus scolaire et universitaire sans faille : bac en langues et littératures hispaniques et italiennes, maîtrise en littérature comparée (université de Montréal) ; elle parle cinq langues : le créole haïtien, le français, l’anglais, l’espagnol et l’italien. Elle débutera professionnellement dans l’enseignement puis pour une ONG qui lutte contre les violences conjugales. A la fin des années 1980, elle sera appelée à travailler pour la télévision de Radio-Canada où elle se fera remarquer en tant qu’animatrice puis présentatrice du Téléjournal avant de rejoindre la Canadian Broadcasting Corporation, la chaîne de télévision anglophone nationale. En 2004, elle obtiendra sa propre émission en français : « Michaëlle » à la Télévision de Radio-Canada.

En 1990, elle a épousé le Français Jean-Daniel Lafoud, de treize ans son aîné, professeur de philosophie avant de développer son activité dans le secteur audiovisuel tout en entamant un carrière d’acteur de théâtre. C’est en 1976 que, divorcé et père de deux filles, il va s’installer au Canada, se mariera avec une Canadienne, dont il divorcera en 1983. Il réalise des documentaires, un long métrage, écrit des livres sur le cinéma, des récits, des chroniques, des pièces de théâtre, remonte sur les planches à Paris. On le dira alors proche du « combat culturel et identitaire du Québec » et du « mouvement indépendantiste ». Le mariage de Michaëlle Jean avec Jean-Daniel Lafond va la faire accéder à la nationalité française. Elle ne sait pas encore qu’il lui faudra y renoncer quelques quinze ans plus tard.

* Alain Stanké, l’éditeur québécois, a publié en 2000 le livre d’Ismène Toussaint : « Louis Riel. Le Bison de cristal » qui raconte l’épopée de ce jeune homme perturbé qui s’est mué en rebelle. Il a été le défenseur des intérêts des peuples métis (sa grand-mère paternelle était métisse franco-chippewyan) alors que les Anglais contestaient la présence des Français dans l’Ouest du Canada dont le Royaume uni avait entrepris la conquête de l’Atlantique au Pacifique (cf. LDD Canada 001/Vendredi 26 avril 2002).

** Le Monde Magazine, entretien avec Annick Cojean, 16 octobre 2010.

*** C’est à Jacmel qu’est né en 1926 René Depestre, un des fils de Dianira et donc l’oncle de Michaëlle Jean, écrivain et poète, Prix Renaudot en 1988, militant politique, incarcéré à Haïti, réfugié à Cuba où il collaborera avec Fidel Castro et Che Guevara avant de fuir l’île en 1970, après avoir dénoncé les dérives du castrisme, et de s’installer à Paris puis à Lézignan-Corbières.

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

PARTAGER :                              

Vos commentaires

 LeFaso TV
 Articles de la même rubrique