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Watt Millo, artiste-musicien burkinabè : « Tant qu’il n’y a pas de base culturelle, il est impossible d’aller au développement »

Publié le jeudi 16 octobre 2014 à 04h49min

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Watt Millo, artiste-musicien burkinabè : « Tant qu’il n’y a pas de base culturelle, il est impossible d’aller au développement »

Gaoussou Ouattara, c’est son nom à l’état civil. Watt Millo artistiquement appelé, il a la musique dans le sang et la vit au quotidien malgré ses multiples déplacements dans le cadre de sa profession. Concepteur du « badja », un rythme de danse de l’Ouest du Burkina, l’originalité de sa création avait valu, dans les années 2002, l’imposition d’un de ses titres à la renommée compétition de NUCESVO (Nuit culturelle des établissements secondaires de la ville de Ouagadougou). Parrain de plusieurs artistes confirmés et anonymes, Watt Millo a également dans son tiroir, plusieurs projets allant dans le sens de la promotion de la culture burkinabè, la musique en particulier. Présent à Ouagadougou, l’artiste nous parle de ses projets, de la situation nationale et prodigue des conseils aux jeunes…

Lefaso.net : Peut-on revisiter vos albums et savoir comment Gaoussou Ouattara est devenu Watt Millo ?

Watt Millo : Mon premier album est sorti le 21 septembre 1999. Le deuxième, en juin 2006. Je suis actuellement en studio pour l’enregistrement du 3ème album dont la sortie est prévue pour la fin de cette année ou dans le premier trimestre de l’année prochaine.
Je suis arrivé dans la musique au début des années 1993 grâce à un ami ivoirien qu’on appelle « Sina 4 » qui a bien voulu m’initier à la guitare. J’ai donc appris à jouer les premières notes de guitare, les accords et à chanter. Il faut dire que préalablement, j’avais cette envie de faire la musique dans les années antérieures ; donc j’avais des textes. Il m’arrivait d’interpréter des morceaux qui me traversaient l’esprit. En 1994, mon ami, en rentrant, m’a conseillé de beaucoup jouer dans les orchestres et de participer dans les chorales. C’est ainsi que j’ai joué dans pas mal d’orchestres dans le quartier et il fut même des moments où je jouais aussi dans les orchestres dans la ville. C’est ainsi que je me suis forgé et dans les années 1996-1997, j’ai joué dans la chorale française de Saint Camille. Tout cela, c’était dans la dynamique de me forger dans le domaine musical, et dans les années 1997-1998, je partais répéter avec la « Dernière Trompette » pour toujours m’exercer dans le domaine du live et apprendre également dans le domaine de la musique. Je suis resté dans cette dynamique jusqu’à la sortie de mon premier album en 1999. C’est comme cela que je suis arrivé dans la musique.

Lefaso.net : On vous a connu dans les rythmes puisés du terroir national, peut-on avoir une coloration du 3ème album ?

Watt Millo : Vu les évènements que nous sommes en train de vivre actuellement, l’album aura la coloration de sensibilisation ; qu’il y ait la paix dans notre pays. Plus loin, nous vivons aussi des conflits à travers le monde, en Afrique et dans nos pays voisins de façon particulière. Tout cela doit nous donner des leçons. C’est donc un appel aux autorités, à tous les citoyens du monde, de l’Afrique, de mon pays, d’être vigilants et tolérants. Chacun doit cultiver la paix à son niveau, dans son esprit, autour de lui, dans sa famille, dans tout son entourage. L’album va donc porter ces messages pour interpeller chacun à ses responsabilités.

Lefaso.net : On a remarqué également que vous êtes arrivés à la musique pour défendre un concept …

Watt Millo : Oui, il faut dire qu’effectivement je suis défenseur de ce concept d’un rythme de chez moi qu’on appelle le « Badja ». J’ai tiré ce rythme de notre terroir, plus précisément dans mon village natal, Kofila, département de Léna dans la province du Houet dans la région des Hauts-Bassins (Bobo-Dioulasso). C’est un rythme que nous avons connu à notre naissance. C’est un rythme qui accompagne les luttes. Vous savez bien que la lutte est accompagnée de rythmes de tam-tam (la première phase est dansée avant la lutte à proprement dite). Donc, quand je repartais à l’époque au village, pendant les vacances, j’étais beaucoup inspiré par le rythme. C’est pourquoi je me suis inspiré de ce rythme. Ce rythme fait partie de la riche culture de notre pays et je me focalise sur ceux-ci pour composer mes chansons et dans tous mes albums.

Lefaso.net : Aujourd’hui, quel est le regard que vous portez sur la promotion de la culture par les artistes ?

Watt Millo : Il faut dire quand même que les artistes qui émergent aujourd’hui commencent à comprendre l’intérêt de cette culture qu’il faut valoriser. Quand vous regardez surtout dans le milieu des artistes féminins, il n’y a pas mal d’artistes qui font le ‘’warba’’, et de nombreux jeunes s’adonnent à l’exploitation des rythmes du Burkina. C’est dire que de plus en plus, les gens sont en train de s’intéresser à nos rythmes locaux ; ce qui est vraiment intéressant et un bon départ. Pour tout départ, il faut d’abord s’appuyer sur sa propre culture pour aller au développement. Tant qu’il n’y a pas de base culturelle, il est impossible d’aller au développement. Donc, il faut que nous nous focalisons d’abord sur nos valeurs culturelles pour apporter maintenant les touches modernes. Mais il faudra d’abord que nous ayons une base culturelle de chez nous. C’est ce que les artistes ont compris aujourd’hui et je pense que c’est un pas de gagner pour la culture burkinabè.

Lefaso.net : Mais au-delà de la musique, vous voulez, apparemment, soutenir le concept par une association !

Watt Millo : Oui, effectivement, j’ai en vue aussi la création d’une association depuis l’année passée. Elle est en gestation et sera dénommée « ABM » : Association Badja Musique. Nous sommes en train de mettre au point l’organisation, des collègues artistes et moi, pour valoriser ce pan de la culture burkinabè. Nous allons également, à travers cette structure, tendre la main aux jeunes talents. L’un des objectifs majeurs visés par cette association, c’est aussi l’organisation d’un festival à Kofila. Ce sera peut-être une manifestation annuelle ou biennale (on verra en tout cas dans quel cadre nous allons l’organiser). Notre rêve, c’est d’organiser vraiment ce festival pour valoriser le rythme du terroir tel que le « badja » lui-même qui a besoin de promotion. Cet espace que nous allons créer sera aussi un créneau pour promouvoir d’autres rythmes du terroir national qu’il faut valoriser aussi.

Lefaso.net : Donc, l’association va défendre ces valeurs… ?

Watt Millo : L’association va défendre ces valeurs. Elle aura pour objectif de tendre aussi la perche aux jeunes. Cela ne veut pas dire qu’elle va se baser seulement sur l’organisation du festival ; elle aura pour vision aussi d’organiser des formations dans le domaine de l’art, de la musique, comment même apprendre l’écriture musicale tels que le solfège, la technique vocale, comment apprendre les instruments (tam-tam, le balafon, la flute, le lunga, le bindré, etc.). Nous avons aussi en ligne de mire, la production pour aider les jeunes à mettre leurs œuvres sur le marché et les promouvoir.

Lefaso.net : L’album à venir fait la part belle à des thèmes de paix ; comment les valeurs locales peuvent contribuer à la stabilité et à la cohésion nationale ?

Watt Millo : Quand on parle de musique, c’est d’abord la mélodie. On dit que la musique est une combinaison de sons agréable à l’oreille. Cette mélodie qui passe, que nous écoutons, véhicule des messages. Ce message est porteur d’espoir, c’est un catalyseur, sensibilisateur, un message de conscientisation, comme on le dit de façon générale. La musique peut véhiculer des valeurs que nous tenons de nos ancêtres, de nos grands-parents qui contribuent à une vie harmonieuse dans notre société et, de partant, à participer à la préservation de la paix. Nous avons de nombreuses valeurs qui peuvent constituer le socle de l’harmonie société au Burkina. Donc, je pense qu’à travers la musique, on peut, effectivement, contribuer à valoriser la paix, à semer dans le cœur de chaque Burkinabè, de chaque Africain, de chaque citoyen du monde, comment cultiver la valeur de la paix.

Lefaso.net : Y-a-t-il une mobilisation des jeunes autour du projet ?

Watt Millo : Il faut dire qu’il y a un engouement autour du projet, si bien que nous sommes pressés de voir la création rapide, d’avoir le récépissé de cette association, parce que même au niveau du village, les gens sont dans l’engouement. Inch Allah avec l’accompagnement du Seigneur, nous allons lutter à avoir ce récépissé pour la concrétisation de l’association et mettre en place l’organisation de ce festival qui nous tient tant à cœur.

Lefaso.net : On note que vous avez plusieurs cordes à votre arc ; artiste mais aussi un spécialiste dans le domaine minier qui vous fait bouger beaucoup à travers les pays. Comment avez-vous à concilier les deux ?

Watt Millo : Je peux vous confier que ce n’est pas facile. Mais, quand je sors dans les missions, j’arrive à m’inspirer de la nature, des faits, de l’environnement autour de moi pour pouvoir écrire mes textes. Je pense que ça constitue aussi pour moi, une source d’inspiration pour pouvoir bien enrichir mes textes. Sinon que, effectivement, le travail que je fais, c’est de la géophysique qui est une étude de prospection de propriétés du sol, des caractéristiques physiques de la terre ; dans le domaine de la recherche de l’eau, dans le domaine minier, etc.

Lefaso.net : Vous accompagner également des jeunes dans le domaine de la musique ?

Watt Millo : Ce volet est dans le viseur de l’association. Nous tendons la perche d’ores et déjà à des jeunes, en attendant la formalisation de l’association. C’est le cas l’artiste, Brisco, (artiste rappeur sorti en mai 2013, ndlr). C’est un jeune que j’ai bien voulu accompagner à ma façon. La promotion de son œuvre se poursuit et les gens aiment vraiment ce qu’il fait ; c’est un jeune talent, qui joue bien la guitare. Il sait vendre son image, son art.

Lefaso.net : Quand un jeune vous approche avant de se jeter dans la musique, quels peuvent être vos premiers conseils ?

Watt Millo : C’est d’abord d’apprendre à jouer à un instrument de musique ; c’est la base de l’apprentissage de la musique. Il faut apprendre à jouer d’un instrument de musique : tam-tam, guitare, piano, etc. ça inspire beaucoup et cela permet à l’artiste d’enrichir son texte, sa musique à voir comment il va chanter avec des mélodies, des harmonies et ça permet d’être vraiment à l‘aise quand l’artiste chante, de ne pas chanter faux. Apprendre un instrument est donc nécessaire.

Lefaso.net : Certains acteurs de la culture, les artistes notamment, trouvent que la culture est le parent pauvre de la politique au Burkina et que le Ministère en charge du domaine n’est pas doté de suffisamment de moyens pour jouer le rôle qui sied… Quel commentaire en faites-vous ?

Watt Millo : On peut quand même dire qu’il y a des initiatives au niveau du ministère (Ministère de la culture, ndlr), même si elles peuvent être insuffisantes. Quand on fait une rétrospection, nous notons qu’il y a eu effectivement des projets qui sont venus au Burkina Faso pour aider les artistes dans le domaine de la musique. Mais malheureusement, la gestion n’a pas été faite selon les normes requises. Quand il y a un fonds disponible pour les artistes, il faut le faire dans les règles de l’art pour qu’on puisse voir le travail qui se fait sur le terrain. Quand il y a des fonds, il faut penser que c’est tout le monde qui va rembourser. Donc, on ne doit pas faire profiter quelques-uns et faire supporter la charge à tout le monde. C’est vraiment revoir à ce niveau pour éviter certaines pratiques qui ne font pas grandir la musique burkinabè.
Même en termes d’organisation, et sur autre plan, il y a problème. Je me rappelle encore l’organisation du Kora (Kora Awards en avril 2010, ndlr) au Burkina où il n’y a pas eu une belle part de prestations de nos artistes burkinabè. Pendant ce temps, les artistes expatriés ont pris des centaines de millions. Pourtant nous avons des talents ici au Burkina ; il y a des gens qui ont fait leur preuve ! Ici, le mérite n’est pas payé. Et je regrette. C’est un problème d’affinité surtout. Ça n’aide pas la culture, ça tue la culture burkinabè.
Un autre élément encore, c’est concernant le cachet des artistes burkinabè lors des grandes manifestations organisées par nous-mêmes (au Burkina). Quand il y a des manifestations, nos autorités gagneraient à augmenter le cachet de nos artistes. Un artiste qui doit jouer en live à une manifestation, vous lui donnez par exemple un million de francs, alors qu’il a des répétitions à faire pour préparer sa prestation. Chaque musicien doit prendre quelque chose pendant les répétitions, le jour de la prestation à proprement dite, les musiciens qui l’accompagnent doivent prendre de l’argent, combien va revenir finalement à l’artiste ? Je me dis que le ministère peut voir comment mieux faire à ce niveau en mettant à la disposition des vedettes qui vont prester en live dans ce genre de manifestations, des instruments et des artistes pour l’accompagner ; c’est-à-dire mettre à sa disposition tout ce qu’il faut pour leurs répétitions, de sorte que le cachet de l’artiste qui va prester ce jour reste intact. Cela pourra permettre à l’artiste de prospérer également dans d’autres projets au profit de la culture nationale. Mais si c’est dans ce cachet qu’il doit gérer son habillement, celui de ses danseurs, gérer son staff et autres, ça devient compliquer et ça ne rend pas service à la musique burkinabè.

Lefaso.net : Comme conclusion, quel est le message qui vous tient à cœur actuellement et que vous souhaiterez partagé ?

Watt Millo : Le message qui me tient vraiment à cœur, et au regard du climat actuel dans notre pays, c’est celui de paix. Tout le monde aspire à la paix et je souhaite que chacun agisse dans ce sens. A commencer par nos autorités. Que la paix règne au Burkina Faso et continue de régner comme nous l’avons su si bien le faire depuis le temps de nos ancêtres. Car, lorsqu’on regarde autour de nous, on constate que ça ne va pas mais au Burkina, grâce au Burkinabè lui-même, conscient de la situation qu’il est en train de vivre, pense que nous gagnerons, chacun d’entre nous, à pérenniser cette paix. La pérenniser, c’est aussi de ne pas cultiver l’esprit de haine, c’est promouvoir la fraternité entre nous, respecter l’autre, même dans sa différence. Toujours trouver une solution pour préserver la paix. Je demande vraiment aux autorités de ne pas semer la haine, l’esprit de xénophobie. Nous avons hérité d’un pays d’hospitalité, de partage, d’amitié et il faut toujours travailler pour cette cohésion.
Enfin, je voudrais remercier tous mes fans, tout le public burkinabè, le ministère de la culture tout en l’encouragement d’avoir toujours des initiatives pour la valorisation de la culture burkinabè.

Oumar L OUEDRAOGO
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