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Présidentielle 2005 :"Blaise Compaoré peut être battu" Me Sankara

Publié le lundi 21 février 2005 à 08h03min

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Nous proposons aujourd’hui la 2e partie de l’interview que Me Sankara nous a accordée. Après le dossier X9 sur lequel il a été très prolixe (Cf. Le Pays n°3317 du vendredi 17 février 2005), nous abordons le volet politique de l’entretien.

Me Sankara parle de sa candidature à la présidentielle de 2005, des moyens dont il a besoin pour battre Blaise Compaoré, etc. Il se prononce également sur la situation togolaise.

Le Pays : Il y a deux semaines, vous avez été investi comme candidat de votre parti pour la présidentielle de 2005. Dans quel état d’esprit êtes-vous avant les échéances ?

Me Bénéwendé S. Sankara : Je suis dans le même esprit que celui qui m’a toujours animé. En 2000, quand l’UNIR/MS naissait, l’état d’esprit du parti était d’abord de travailler à l’unité véritable et sincère des sankaristes et de tous ceux-là qui ont un idéal de probité, de justice et de paix, qui sont les éléments fondamentaux du progrès. Sans ces éléments, il est difficile de construire.

Et nous avions dit à l’époque que nous étions nés par l’unité et pour l’unité. Cela veut dire que notre état d’âme était de travailler à fédérer les démocrates, les patriotes, tous ceux qui aiment ce pays et qui veulent se battre pour lui. Plus de quatre ans après, nous pouvons faire un bilan et nous convaincre que l’unité ne se conçoit pas dans un salon ; elle ne se conçoit pas au sommet des ambitions personnelles.

L’unité se conçoit à la base, sur le sommet du combat et des luttes que nous menons. Elle se conçoit également à travers un programme et un projet de société. Voilà pourquoi en faisant une analyse de la situation, le conseil national du parti s’est convaincu qu’au regard de notre implantation et des objectifs que nous poursuivons, il était indispensable que le parti présente un candidat à l’élection présidentielle, ce qui serait le prolongement de ce que nous avions fait en 2002 en allant aux élections législatives. C’est pourquoi je peux dire que notre état d’esprit est de réaliser en 2005, une alternance crédible. Je dis bien une alternance crédible ; nous en avons la possibilité et nous allons nous en donner les moyens.

Justement à propos de moyens, vous disiez au cours de votre investiture qu’il vous fallait plus de 300 millions pour battre campagne. Pourrez-vous disposer de cette somme ?

(Rires) ... J’ai lu cela dans vos colonnes. Et à ce que je sache, vous n’êtes pas membre du conseil national (du parti, ndlr). Comment avez-vous eu ces informations ?

C’est un secret professionnel...

... Alors, je ne vais pas tourner autour du pot. Ce sont des projections que nous faisons. Vous savez, un parti responsable fait toujours des projections ; il faut être en avance, il faut prévoir les choses à terme. Même quand on partait aux élections législatives, nous avons dû faire des prévisions de budget.

On élabore des scénarii et on estime qu’avec tel montant, on peut atteindre notre objectif. Mais une chose est de projeter et une autre est d’obtenir le montant prévisionnel. Vous savez, un budget est toujours équilibré en recettes et en dépenses. Si nous faisons nos prévisions et que nos militants ne cotisent pas et qu’on se retrouve par exemple avec un million, nous irons aux élections avec cette somme. Mais en attendant, nous pensons, sans exagérer, que si l’UNIR/MS a en gros 400 millions, Blaise Compaoré tombera. Lui, il a eu des milliards, je crois, pour faire tomber Thomas. Nous, nous n’avons pas besoin de milliards, mais du minimum pour expliquer notre projet de société, ce que nous voulons faire, et lui, il va partir.

Pour faire tomber Blaise Compaoré, il faut que vous soyez au 2e tour. Quelle est la stratégie à Alternance 2005 ?

Vous pensez qu’on ne peut pas passer au 1er tour ou quoi ?

Pas qu’il soit impossible que Blaise Compaoré tombe au 1er tour. Mais pour que vous, de UNIR/MS, vous le fassiez tomber au 2e tour, il faut que vous passiez le cap du 1er tour. Ou bien vous pensez que vous pouvez remporter la victoire dès le 1er tour ?

Pourquoi pas ! Il n’est pas exclu que Blaise Compaoré soit battu au 1er tour. Je ne dis pas que je suis trop optimiste ou qu’il y a de l’exagération dans mes propos ; non ! Je le dis en toute sérénité. Aujourd’hui, le vrai combat qu’il faut mener n’est pas un combat de calculs politiciens. Je pense qu’il faut se départir de tout cela et voir de façon frontale les vrais problèmes de société, voir les difficultés que le peuple éprouve et lui apporter des réponses.

Cette fois-ci, je suis d’accord avec Salif Diallo quand il dit qu’en Afrique, on n’a plus besoin de discours. C’est maintenant que lui, il le dit ; nous, nous l’avons toujours dit. On a besoin d’actes concrets qui puissent sortir le peuple de ses difficultés, de ses problèmes quotidiens. Mais j’ai l’impression que le pouvoir de la 4e République s’aveugle, ou en tout cas se tait sur les problèmes, à défaut de pouvoir les résoudre ; ou alors c’est une incapacité à gérer.

Voilà pourquoi nous, nous prenons l’engagement que, pour 2005, nous allons proposer au peuple burkinabè, autre chose d’alternatif qui puisse l’associer. Et s’il adhère, naturellement, il va nous choisir immédiatement. On n’aura pas besoin de faire des calculs d’alliance ou de fiction, une gymnastique en quelque sorte pour jouer sur le second tour.

Mais le second tour peut s’imposer parce qu’on n’aura pas eu, par exemple les ressources financières ou les moyens humains nécessaires pour pouvoir faire l’ensemble de ce travail. Ce ne sera pas parce que les idées nous auraient manqué, mais nous pourrions avoir nos propres obstacles, nos propres difficultés. Ceci étant, nous n’excluons pas, naturellement de façon stratégique, que l’on puisse aller en rang serré avec d’autres forces de l’opposition qui aspirent également au même objectif que nous, c’est-à-dire à une alternance démocratique.

Ce qui nous intéresse dans un premier temps, ce n’est pas l’alternative. Nous disons que pour réaliser une alternative au Burkina Faso, il faut d’abord l’alternance. Et pour avoir l’alternance, il faut que Blaise Compaoré parte. Ainsi, ceux qui seront présents auront un autre programme de gouvernement, autre chose à proposer, et le peuple va apprécier. Et on pourra aller, pourquoi pas, vers une alternative sankariste !

Peut-on dire dès lors, que le débat sur la candidature de Blaise Compaoré est clos ?

Non, on n’a pas laissé tomber le débat sur la candidature de Blaise Compaoré. De toutes les façons, il ne s’est pas encore prononcé. Le débat a commencé il y a longtemps par rapport à la morale et par rapport même à la lettre de la Constitution. Nous avons dit qu’il a épuisé ses cartouches. Au CDP (Congrès pour la démocratie et le progrès, parti au pouvoir, ndlr), il y a d’autres hommes, d’autres femmes qui peuvent valablement représenter le parti. Mais la personne de Blaise Compaoré, à moins que ce soit un autre Faure Gnassingbé pour le Burkina, ne peut pas se présenter en 2005. Mais attendons de voir.

Quand est-ce qu’on pourra connaître les trois candidats à la présidentielle, retenus par Alternance 2005 ?

Là, il faut poser la question au coordonnateur Issa Tiendrebéogo ou au comité de médiation présidé par le FDS.

La date butoir du 28 février, retenue pour enregistrer les candidatures, tient-elle toujours ?

A ma connaissance, les délais n’ont pas été modifiés.

Venons-en au cas togolais, avec la rocambolesque succession au défunt président Gnassingbé Eyadéma. En tant que démocrate, quel regard portez-vous sur cette "prise de pouvoir" ?

Ce qui se passe au Togo n’est pas étonnant. La presse dans son ensemble a condamné. Les institutions internationales, sous-régionales, les mouvements de défense des droits de l’homme, tout le monde a condamné. Mais c’était prévisible ! "Tel père tel fils" ; c’est la continuité. On a même comparé ce qui arrive au Togo avec ce qui s’était passé en Haïti avec les Duvalier. Mais qu’est-ce que vous voulez ? Regardez un peu dans la sous-région. J’ai bien peur de dire qu’au Togo, il s’agit d’un autre Ouattara puisqu’il s’agit de denier au président de l’Assemblée nationale, qui est un Ouattara, une certaine légalité ou une légitimité par rapport à la Constitution (...).

Je dirai que c’est un problème de légalité et de légitimité qui se pose par rapport aux faits. Ce qui est établi, c’est que le droit constitutionnel a été vidé de son sens. On a tordu le cou à la Constitution parce que je crois savoir que Faure Gnassingbé n’était plus député, et même s’il l’était, je pense qu’il aurait fallu modifier la Constitution avant. L’un dans l’autre, c’est une violation très grave de la Constitution.

Mais je crois que le peuple togolais est mature ; il est en train de se battre avec des formations politiques, avec tout le monde, afin qu’il y ait retour de la légalité et de la légitimité. Si nous voulons effectivement rester démocrates, si nous voulons évoluer dans la démocratie, il faut qu’on respecte d’abord les principes que nous établissons nous-mêmes. Mais en Afrique, vous savez que la plupart de nos Constitutions ont été élaborées souvent sous diktat.

Et la fraude légendaire et congénitale que nous voyons dans nos processus électoraux, fait qu’on a une majorité mécanique acquise au pouvoir et qui est toujours prête à modifier la Constitution. Voilà pourquoi je crois que pour être véritablement démocrates, il faut que les règles du jeu soient respectées. Que celui qui a gagné en toute honnêteté, puisse avoir le soutien de la minorité qui a perdu, parce que c’est une question d’unité nationale, de vision dynamique de la société, et je le souhaite vivement pour le Togo.

On a regretté le silence des partis d’opposition burkinabè sur la situation au Togo : ni déclaration de condamnation, ni déclaration de soutien. Qu’est-ce qui explique ce mutisme ?

Non, ce n’est pas tard et je crois qu’en politique, ce n’est pas la précipitation qui compte. Ce qui arrive (au Togo, ndlr), je ne suis pas sûr que par coup de bâton magique, ça puisse se régler dans la semaine qui suit. Et au Burkina, vous savez bien que les partis politiques ont leur position individuelle et de plus en plus, nous avons des positions de groupe. Pour que tout le groupe puisse se prononcer, il faut qu’il puisse se retrouver. Je pense qu’incessamment, vous connaîtrez la position du groupe (Alternance 2005, ndlr).

Quel commentaire faites-vous de la position adoptée par la CEDEAO (Communauté des Etats de l’Afrique de l’Ouest), sur la prise du pouvoir par Faure Gnassingbé ? Elle a tantôt exigé le respect de la Constitution qui prévoit qu’en cas de décès, le président de l’Assemblée remplace le chef de l’Etat ; maintenant elle parle d’organiser des élections.

Depuis les Accords de Marcousis, les mesures prises par la communauté internationale sont souvent extra légales. C’est ce qui fait aujourd’hui par exemple, que l’on s’enfonce de plus en plus dans la recherche de solutions à la crise ivoirienne.

Mesures extra légales, c’est-à-dire...?

Je veux dire que ce sont des mesures qui sont en marge de la Constitution. Quand vous prenez un pays qui a sa constitution, qui a ses institutions qui fonctionnent, si un problème s’y pose, on applique le droit. Mais nos Etats appartiennent tous à des regroupements sur la base de traités qui sont au-dessus de la légalité interne. Et ces déclarations que nous voyons au niveau de l’Union africaine, de la CEDEAO, etc., visent à contraindre un Etat qui n’applique pas ses propres règles à faire en sorte que ces règles puissent avoir droit de cité. Cependant, la complexité du phénomène ou du problème politique dans un pays donné fait que la communauté internationale est obligée souvent, de tergiverser pour ne pas attiser ou allumer le feu.

C’est pourquoi vous avez souvent cette diplomatie souterraine qui travaille pour amener les uns et les autres à de justes proportions, tranquilliser les esprits et faire des ouvertures pour permettre de restaurer cette légalité qui a été violée. En tant qu’institution supranationale, la prudence doit être de mise et elle doit travailler à privilégier un débat interne. Autrement dit, on prend des décisions et on ne peut pas les appliquer. Voilà un peu comment moi, j’explique la prudence de la CEDEAO.

Sinon, vous savez qu’il y a des chefs d’Etat qui sont très intransigeants, d’autres qui font des compromis et cela s’est senti tout de suite au niveau du Togo. Et puis il y a aussi la question de la métropole. Les Togolais indexent la France d’être derrière tout ça. Cela pose le problème de la souveraineté même de l’Afrique. Après plus de 40 ans d’indépendance, s’il faut encore se laisser marcher sur les pieds ! Je pense que nous sommes suffisamment mûrs et les Africains doivent prendre leurs responsabilités.

Propos recueillis par Abdoulaye TAO et retranscrits par Barthélemy LOUGNIE

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