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Ebola : Faut-il appliquer le principe ou des mesures de précaution à l’épidémie ?

Publié le samedi 4 octobre 2014 à 15h47min

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Ebola : Faut-il appliquer le principe ou des mesures de précaution à l’épidémie ?

C’est connu ! Ebola sévit en Afrique de l’Ouest et en République Démocratique du Congo. Dans la sous-région ouest africaine, la lutte contre la maladie se concentre dans les pays les plus touchés en l’occurrence, le Liberia, la Sierra Leone et la Guinée. Sur plus de six mille (6000) cas recensés, l’on dénombre dans ces pays plus de trois mille morts (3000) avec des pics de décès notamment en Sierra Leone et au Liberia (Statistiques, Centers for Desease Control and Prevention).

Face à la propagation de la maladie qui se transmet par les liquides corporels d’un malade ou d’une victime d’Ebola, les pays frontaliers à ces trois Etats ont pour la plupart décidé de fermer leurs frontières terrestres avec les Etats affectés, et cela malgré le manque de pertinence de telles mesures relayées par l’UA et l’OMS. La Côte d’Ivoire et le Sénégal ont adouci leurs positions en ouvrant des corridors aériens pour acheminer des vivres, des médicaments et du personnel de santé pour aider les pays touchés.

Quant aux autres Etats de la sous-région, ils adoptent des mesures de protection des populations contre Ebola. Le Burkina Faso a décidé d’enrayer le risque de contamination au virus Ebola en prenant des mesures draconiennes. A ce titre, le gouvernement Burkinabè a annulé systématiquement toutes les grandes manifestations (Sommet de l’Union Africaine, SIAO, FESPACO) où le regroupement de populations peut présenter des risques importants. Ainsi, le gouvernement vient une fois de plus de reporter, sine die, une autre manifestation d’envergure du pays en l’occurrence la 28ème édition du « Tour du Faso » qui était prévu pour se tenir du 24 au 02 novembre 2014.

Selon le ministre des sports et des loisirs, le report de l’évènement « est motivé par les mesures de précaution qu’observe le gouvernement Burkinabè face à l’épidémie de fièvre à virus Ebola en Afrique de l’Ouest ». Le ministre de la communication et porte-parole du gouvernement Burkinabè confirme ces propos en affirmant sur les ondes de Radio France Internationale (RFI) que « C’est par mesure de précaution. Nous avons un système de veille qui fonctionne bien mais avec le cas survenu aux Etats-Unis d’Amérique, notre système risque d’être éprouvé si jamais il y a le moindre cas d’Ebola au Burkina Faso. C’est pour cette raison que le gouvernement burkinabè évite l’organisation de toutes les manifestations pouvant regrouper des milliers de personnes ». Dans le même ordre d’idée, Mme Annick Girardin, Secrétaire d’Etat française au développement et à la francophonie, souligne lors d’une visite au Sénégal et en Guinée que « le principe de précaution, il est toujours là et il faut toujours le maintenir. Ensuite, il y a des décisions qui ont été prises sur l’arrêt de lignes aériennes ».

Des faits ci-dessus évoqués, il ressort que les fermetures de frontières, les interdictions et report de manifestations internationales en Afrique de l’Ouest, la suspension de vols aériens sont prises au titre des mesures ou du principe de précaution. D’ailleurs ces propos font partie d’une longue liste de faits antérieurs qui rattachent au principe de précaution des crises qui affectent les Etats. On a encore en mémoire l’invocation de la précaution dans la grippe A (H1N1), de la tempête Xynthia, de l’éruption du volcan islandais, etc. Dans tous ces cas, la précaution a été employée pour la prise de mesures sanitaires radicales. Pourtant, il y a bien en douter sur l’application de la précaution dans les faits auxquels il est rattaché. C’est ce que nous tenterons de démontrer.

Pour ce faire, il convient de déblayer les concepts en essayant de poser les contours du principe de précaution. Apparu sous les projecteurs pour la 1ère fois dans la déclaration de Rio de 1992 sur l’environnement et le développement, il est appliqué « en cas de risque de dommages graves ou irréversibles » et « l’absence de certitude scientifique absolue ne doit pas servir de prétexte pour remettre à plus tard l’adoption de mesures effectives visant à prévenir la dégradation de l’environnement » (Principe 15 de la déclaration). Au Burkina Faso, la loi 006-2013 portant code de l’environnement fait intervenir le principe de précaution « lorsque les conséquences d’une activité sont inconnues ou même lorsque leur survenance est incertaine, des mesures de précaution doivent être prises. Celles-ci peuvent selon le cas, consister en l’interdiction de l’activité tant que la preuve de l’absence d’effets dommageables n’a pas été rapportée » (article 9). Substantiellement, deux critères fondamentaux peuvent être tirés de ces dispositions : il s’agit d’une part, de risques de dommages graves et irréversibles à l’environnement (originellement) et la santé (pratiquement), et de l’absence de certitude scientifique absolue qui constitue la matrice de la précaution.

Sur le premier critère, il est évident que l’épidémie est source de dommage grave et irréversible. Ces Etats sortent de longues périodes de conflits armés ou de crises politiques. La fragilité du système sanitaire, le manque de personnel, de ressources financières et d’infrastructures constituent une urgence de santé publique d’envergure internationale selon l’OMS. Les décisions de confinement, de fermeture de frontière, de ralentissement des échanges commerciaux fragilisent l’économie d’Etats au point de les contraindre à mendier leurs survies auprès des Etats dits riches. Sans doute, le dommage causé à ces populations est grave et irréversible notamment lorsque des victimes de la maladie sont arrachées à l’affection de leurs familles.

Le second critère de la précaution porte sur l’absence de certitude scientifique absolue. Est-on en situation d’incertitude scientifique devant cette maladie ? Existe-t-il une incertitude scientifique sur les moyens de contamination ou de transmission d’Ebola ? Le risque d’atteinte à la santé humaine en cas de contamination est-il inconnue ? Il n’y a aucun doute quant au fait que le virus est transmis par manipulation des animaux contaminés et ensuite dans la population par transmission interhumaine. Il est aussi connu qu’Ebola est une maladie grave et mortelle. Selon l’OMS, le taux de létalité moyen à la maladie est de 50% et peut parfois connaitre des flambées de près de 90%.

A ce jour, les informations sur la transmission, le diagnostic, la prévention, de la maladie sont connues avec certitude. Tout au plus, l’on peut comprendre qu’au stade actuel en raison du défaut d’homologation de vaccin par l’OMS contre le virus, il subsiste des incertitudes quant à la capacité des essais actuels à contrer la maladie et des effets secondaires. Mais, la question du vaccin est une autre question à laquelle le principe de précaution pourrait trouver une parfaite application. Intrinsèquement la fièvre à virus Ebola n’est pas une maladie qui tombe dans le champ des incertitudes scientifiques absolues.

De ce qui précède, il semble que les faits ne répondent pas cumulativement à la caractérisation de la précaution. Ces faits portant sur la maladie en cause ne soulèvent pas des incertitudes scientifiques.

Pour notre part, nous pensons que la lutte contre la maladie ne doit pas s’inscrire dans la perspective de la précaution. Les mesures entreprises par les autorités politiques face à Ebola sont nées d’une cause dont les données ne sont pas sujettes à caution ou à incertitude. Il y a ici une certitude consolidée quant au danger de la transmission ou de la contamination au virus en question. Il s’agit ni plus ni moins d’une applicable du principe de prévention. La prévention se distingue de la précaution quant au degré du risque. Dès lors que le risque est potentiel, on est dans la précaution. Sait-on si la consommation des produits issus des OGM est sans danger pour la santé humaine ? A-t-on des certitudes scientifiques sur les conséquences néfastes du coton bt sur les cultures biologiques et la biodiversité ?

Evidemment, ces questions sont controversées et les scientifiques ont encore des incertitudes profondes sur bien de détails. Doutons-nous des conséquences néfastes de la pollution sur l’air et l’eau des industries de Kossodo ou des déchets toxiques de Proba koala ? Doit-on encore convaincre les populations des effets de la déforestation ? Les dangers de la pollution et de la déforestation sont connues et les moyens de prévention appliquées en tout temps.

Le discours politique ne devrait pas desservir le principe de précaution. Il y a encore des domaines d’enjeu pour lesquels il mérite d’être connu et dimensionné. En associant la précaution aux décisions d’interdiction sans aucun débat ni délibération, on enlève à ce principe les vertus dont il est porteur. Enfin, il est important de savoir que la précaution, en le rapprochant de la prudence, est fondée sur cette idée :

« La prudence est la meilleure part du courage et elle est tous cas un impératif de la responsabilité (…). Il se peut qu’ici l’incertitude soit notre destin permanent – ce qui a des conséquences morales » (Hans Jonas, Principe de Responsabilité, p. 257).

Yda Alexis NAGALO

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Vos commentaires

  • Le 5 octobre 2014 à 12:00, par MAX En réponse à : Ebola : Faut-il appliquer le principe ou des mesures de précaution à l’épidémie ?

    A propos de ce terrible mal dont la circonscription parait difficilea cause de sa transmission qui parait facile, j’ai de serieuses raisons de m’angoisser. En effet, des postes sanitaires devraient etre installes aux frontieres du pays face aux directions dangereuses de provenance des voyageurs routiers. Beaucoup de nos compatriotes installes en Guinnee, en Sierra Leone et dans beaucoup d’autres pays viennent de rentrer pour faire la fete avec leur famille. Ils sont presque tous chercheurs d’or evoluant dans les brousses des pays sujets a Ebola. Je touche du bois mais je crois que nos frontieres, surtout terrestres , doivent faire l’objet de surveillance severe afin d’eviter que le ver ne rentre dans le fruit et nõus pourrisse la vie..
    Vigilance !

  • Le 5 octobre 2014 à 17:23, par MJ Sawadogo En réponse à : Ebola : Faut-il appliquer le principe ou des mesures de précaution à l’épidémie ?

    Il faut que les gens comprennent et être vraiment sevére avec la fermeture des frontieres. L`africain croit difficilement a quelque chose. Quand le sida a commencé , beaucoup n’ont pas cru, et ca fait beaucoup de ravage. L’ebola est pire que le sida.

  • Le 6 octobre 2014 à 11:04 En réponse à : Ebola : Faut-il appliquer le principe ou des mesures de précaution à l’épidémie ?

    "Dès lors que le risque est potentiel, on est dans la précaution. Sait-on si la consommation des produits issus des OGM est sans danger pour la santé humaine ? A-t-on des certitudes scientifiques sur les conséquences néfastes du coton bt sur les cultures biologiques et la biodiversité ?"
    POURQUOI au Burkina, on n’applique pas le principe de précaution pour les plantes OGM comme le coton, le niébé ou le sorgho Bt ? Que fait le ministère de l’environnement sur cette question ? Plus grave, les produits dérivés issus des plantes OGM ne sont pas étiquetés : cas de l’huile de coton au BF. Donc, les burkinabè deviennent des cobayes pour leur santé à cause des multinationales comme Monsanto.

  • Le 6 octobre 2014 à 13:03, par explosifs criminel En réponse à : Ebola : Faut-il appliquer le principe ou des mesures de précaution à l’épidémie ?

    Que Dieu nous éloigne de ce terrible mal.

  • Le 6 octobre 2014 à 15:22, par Vrai En réponse à : Ebola : Faut-il appliquer le principe ou des mesures de précaution à l’épidémie ?

    Merci pour cet effort de réflexion. Comme tu l’as relevé, c’est cela qui manque aux gens d’en haut et conséquences l’on adopte des prétendues solutions qui s’avèreront très désastreuses. Avec cette affaire d’Ebola on finira par détruire complètement des économies déjà fragiles. Quand les familles n’auront plus rien à manger, le choix qui restera c’est de s’attaquer aux singes, chauves souris, agoutis et autres afin d’assurer la survie !

  • Le 12 novembre 2014 à 12:38, par Bastien En réponse à : Ebola : Faut-il appliquer le principe ou des mesures de précaution à l’épidémie ?

    Bonjour à tous !

    Concernant le FESPACO, même avec deux ans de délais pour organiser la manifestation la pagaille est au rendez-vous à chaque édition... Alors les évènements graves qui ont marqués le pays ces dernières semaines ainsi que l’épidémie Ebola qui sévit aux frontières ne vont pas arranger les choses...

    Pour ma part, je pense qu’il serait plus sage et plus raisonnable d’annuler ou plutot de reporter la prochaine édition de FESPACO à 2017...

    Bastien - Cinéphile amateur

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